AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Andreï Makine (964)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées


Au-delà des frontières

Atteussion, mise en abyme à double révolution, suivez-moi bien…

Voici d'abord le narrateur, Andreï Makine lui-même, ou son avatar, allez savoir.

Et puis Gaia, mère éplorée venue plaider pour le manuscrit de son fils, Vivien, jeune écrivain tendance exalté. Un manuscrit pour le moins subversif, dont nous découvrirons de longs extraits inspirés d'un auteur que côtoya Vivien : Gabriel Osmonde, pseudo dont usa Makine pour publier certaines de ses oeuvres…



Ça suit toujours là-bas dans le fond ?

Bon.

Tout ça pour dire que l'auteur (le vrai) s'appuie sur l'ambiguïté de ces écrits polyphoniques pour faire dans le dérangeant. Façon Houellebecq dans "Soumission" il évoque un futur né de notre «monde en phase terminale» et assaisonne en vrac nombre de dérives et d'indécents paradoxes de notre peu glorieuse humanité.



Où se situe précisément la pensée de Makine face à celle de ses personnages, on ne le sait plus vraiment mais peu importe, il n'en soulève pas moins une réflexion marquante sur notre monde contemporain, et croyez-moi, ça dépote.



Je n'ai pas tout lu de Makine, loin s'en faut, mais ce que je connais de son oeuvre semble toujours osciller entre pessimisme et sérénité, quand l'épilogue de "L'archipel d'une autre vie" pointait déjà l'idée d'une «troisième naissance», un retour à l'essentiel face à l'absurdité du monde.



J'adhère, et suivrais volontiers Makine-Osmonde sur cette piste au-delà des frontières, que je me fais fort d'approfondir encore.




Lien : http://minimalyks.tumblr.com/
Commenter  J’apprécie          669
La Musique d'une vie

Une gare perdue au coeur de la tempête. Dans l’immensité blanche de l’Oural, des voyageurs transis attendent un train qui ne vient pas.



Au coeur de la nuit, le narrateur fait la connaissance d’un vieux pianiste. Une rencontre qui remonte à un quart de siècle. Cette année-là, le philosophe Alexandre Zinoviev, réfugié à Munich, proposa une définition de cet « homme nouveau », façonné par plusieurs décennies de totalitarisme communiste. Une définition en forme de locution latine qui connut un succès fulgurant, avant de tomber en désuétude : « l’Homo sovieticus ».



« Et cette gare assiégée par la tempête n’est rien d’autre que le résumé de l’histoire du pays. De sa nature profonde. Ces espaces qui rendent absurde toute tentative d’agir. La surabondance d’espace qui engloutit le temps, qui égalise tous les délais, toutes les durées, tous les projets. Demain signifie « un jour, peut-être », le jour où l’espace, les neiges, le destin le permettront. Le fatalisme... »



Le train arrive enfin. C’est la ruée. Le narrateur et le vieux musicien prennent place dans une voiture de troisième classe. Au cours de l’interminable voyage qui les conduit à Moscou, le dénommé Alexeï Berg remonte le fil de sa vie. La vie d’un homme foudroyé par la fureur de l’Histoire.



1941. Alexeï Berg doit donner son premier concert à Moscou dans deux jours. Il répète sans relâche, sent monter la tension, et songe aux mots de sa mère qui lui parlait « de ces jeunes comédiennes qui affirmaient ne jamais avoir le trac et à qui Sarah Bernhardt promettait avec une indulgence ironique : « Attendez un peu, ça viendra avec le talent... » ».



Il ne le sait pas encore mais le jeune musicien vit ses derniers instants d’insouciance. La menace d’une disparition dans les geôles staliniennes rôde depuis plusieurs années. Par une étrange ironie du destin, c’est à la veille de l’accomplissement de sa vocation de pianiste, que ses parents « disparaissent », forçant Alexeï à la fuite. En fuyant le régime communiste, il va heurter de plein fouet un autre totalitarisme, le régime nazi, qui vient d’envahir la Russie, et prendre part, malgré lui, à la seconde guerre mondiale.



« La musique d’une vie » s’inscrit dans le sillon que creuse inlassablement Andreï Makine, celui de la rencontre entre l’histoire d’un homme et l’Histoire avec un grand H. La destinée fracassée du héros évoque en creux une autre destinée. Celle d’un musicien en sueur qui vient de finir son concert et entend à peine les applaudissements nourris d’une bourgeoisie moscovite tombée sous le charme d’un jeune pianiste. Cette autre vie, la vie qui attendait Alexeï Berg, le roman ne la narre jamais. Et pourtant. Elle ne cesse de hanter l’imaginaire du lecteur et souligne toute l’absurdité d’une vie ballotée au gré des vents mauvais de l’Histoire.



« La musique d’une vie » est le récit d’une résilience stupéfiante, celle d’un homme qui fait face. Face à la menace du goulag qui le poursuit inlassablement. Face à la violence inouïe de la seconde guerre. Face aux blessures. Face à l’Histoire.



Le récit du vieux musicien frappe par une forme de détachement fataliste. Alexeï n’exprime aucune d’amertume, et ne prononce jamais la phrase qui ponctue le dernier prix Goncourt : « Et si ... ». Le héros ne se pose pas en victime et compose avec le jeu de cartes maudit que la destinée lui a remis. Jamais, il ne renoncera à ce don que la vie lui a donné, un don qui est tout à la fois une chance et une malédiction : son amour indéfectible pour la musique.



« Il ne portait plus aucun mal en lui. Pas de crainte de ce qui allait arriver. Pas d’angoisse ou de remords. La nuit à travers laquelle il avançait disait et ce mal, et cette peur, et l’irrémédiable brisure du passé mais tout cela était déjà devenu musique et n’existait que par sa beauté ».



L’odyssée de son héros permet à Andreï Makine de nous proposer sa propre définition de « l’Homo sovieticus ». A rebours du sens premier de la locution latine, qui désignait l’objectif de création d’un homme nouveau par le réalisme socialiste, le roman tente ainsi de saisir l’insaisissable, de cerner l’âme intemporelle du peuple russe, ce mélange improbable d’obstination, de résilience et de fatalisme.

Commenter  J’apprécie          6526
L'archipel d'une autre vie

Coup de coeur absolu pour ce magnifique roman, dont le message déploie peu à peu toute sa profondeur au fil d'une traque impitoyable visant la plus éprouvante des quêtes : celle de la liberté.

Aucune épreuve n'est épargnée à Pavel, soumis à la férocité des hommes face à laquelle la brutalité des éléments est peu : Enterré vivant, soumis aux caprices de supérieurs sans valeurs, cyniques et tyranniques, entraîné à poursuivre dans la taïga hivernale un échappé du goulag, Pavel n'aura de cesse de dépasser sa peur et sa douleur afin de faire taire en lui la voix de ce pantin veule et conformiste qui sommeille en chacun ; c'est étrangement l'évadé, qu'ils poursuivent avec une obstination absurde, qui servira d'aiguillon à cette quête et permettra à Pavel, débarrassé de ses tortionnaires et de ses démons intérieurs, de se révéler à lui-même, en lien puissant à la Nature et loin de la communauté délétère des hommes.



Par sa violence, sa profondeur, sa portée universelle, cette histoire allégorique, raconté au jeune Andrei Makine qui nous la transmet à son tour se lit avec frénésie et résonne durablement car elle touche très profondément à ce qu'il y a de plus essentiel en l'homme, tout en questionnant de manière tout aussi pertinente la nature de son rapport à l'autre.

Un roman qui bouleverse au sens propre : qui trouble profondément et modifie radicalement quelque chose en nous.

Commenter  J’apprécie          633
L'archipel d'une autre vie

Au début, c'est une histoire de poursuites enchâssées. Un ado orphelin et apprenti en géodésie est intrigué par un homme débarqué en hélicoptère à Tougour, "ce coin perdu de l'extrême Orient". Il se met à le suivre, sans trop savoir pourquoi, sans savoir non plus que c'est l'autre qui le précède. L'homme s'appelle Pavel Gartsev, et piège son poursuivant. Il lui raconte alors la grande histoire de sa vie, celle d'une autre poursuite à travers la taïga, quand lui et trois autres militaires furent réquisitionnés pour rattraper un fugitif.

Mais là aussi, on devrait dire que le fugitif précède ses poursuivants, tant il mène la danse. Un fugitif à la silhouette mystérieuse et à l'identité fluctuante, on n'en sait si peu sur lui qu'on peut tout aussi bien imaginer une métaphore de la mort, de l'amour, ou de la vie. Les 4 autres par contre apprennent à se connaître dans cet espèce de huis clos mobile en taïga, huis clos social où les personnalités étouffent malgré les grands espaces aérés, et révèlent leurs pantins intérieurs : "En moi, c'était ce pantin de chiffon, gardien de mon avidité sociale. Chez Ratinsky, le petit adolescent polonais tremblant à l'idée de manquer de réussites, de plaisirs....".

Une traque érigée en quête métaphysique, jusqu'au bout de soi-même, là où le pantin en soi n'a plus sa place, là où on voit apparaître un sens à la vie comme un archipel dans une mer d'Okhotsk démontée.

Un magnifique roman à l'écriture limpide, marqué par la cruauté des régimes soviétiques, et empreint des mystères de l'est.
Commenter  J’apprécie          612
L'ancien calendrier d'un amour

Un livre relativement court qui nous fait revivre ce vingtième siècle, un siècle chargé en évènements violents, surtout quand on est russe et qu'on a quinze ans en 1913.



C'est le cas de Valdas, dont la famille fait partie de la haute société. On le découvre pendant des vacances en Crimée, en 1913, où l'adolescent brûle de se confronter au monde réel, loin des saynètes organisés par sa belle-mère pour le bon plaisir des riches oisifs qui partagent cette vie dorée. Quelques frayeurs causées par des contrebandiers, une rencontre qui le marquera à vie, et puis les mois s'enchainent, et les évènements viendront bientôt rattraper tous ses voeux de vivre dans un monde plus ancré dans la réalité. Guerre, révolution, exil, amours passagers, guerre à nouveau, et quand il croit avoir enfin trouver une certaine paix, le voici à nouveau exilé d'une vie douillette.



Alors pourquoi ce titre, qu'en est-il de cet ancien calendrier ? C'est celui qui était suivi en Russie jusqu'au 31 janvier 1918, où Lénine d'un coup de crayon fait basculer le pays au 14 février, 15 jours perdus à jamais qui deviendront pour beaucoup le symbole de la Russie d'antan, et pour Valdas le souvenir d'une parenthèse enchantée avec une femme qui lui avait fait vivre en 1913 ces premiers émois d'adolescent, et qu'il retrouvera au cours de la guerre civile entre rouges et Russes blancs.

Une parenthèse dont le souvenir le bercera toute sa vie, une parenthèse qui lui fermera peut-être la porte à d'autres amours, par le souvenir magnifié qu'elle est devenue. Une parenthèse qui cependant justifiera toute son existence :

« Ce que tu as vécu… je parle de ces journées au bord de la mer Noire, c'était… le sens même de la vie. Cet amour à l'écart du temps, c'est ce que nous devrions tous espérer ! le seul qui nous est véritablement offert par Dieu. Mais nous sommes rarement capables de le recevoir. »



Plus qu'un roman historique, c'est un roman sur cet homme, sur la manière dont les évènements vont le façonner, sur une vie qui ne suivra pas le cours espéré, mais cet homme ne renoncera pas.

Andrei Makine nous livre une réflexion profonde sur comment L Histoire avec un grand H peut se révéler dévastatrice pour les hommes et malgré tout ceux-ci survivent, espèrent et aiment encore. Ce vieil homme rencontré dasn un cimetière est étonnamment lucide et serein.



Et ce qui me charme par dessus tout dans ce livre, c'est l'écriture de Makine, merveille de concision à la fois et de puissance évocatrice. Les décors de chacune des scènes de ce livre se dessinent dans mon esprit au gré des pages, et je suis envoutée par la magie de ses mots.



Et ce que je trouve ici, en plus, c'est son aptitude à l'auto-dérision. J'ai beaucoup aimé ces quelques mots:

« Il se traitait de naïf : pourquoi un romancier aurait-il choisi d'écrire sur un jeune officier éclopé errant le long d'un rivage désert ? Non, les livres exploraient de vastes sujets sociaux, des états d'âme alambiqués. Une capricieuse Amber ou un mystérieux Ulrich se débattaient dans un tumulte de passions ingénieusement embrouillées, étalaient leurs penchants dépressifs et, en pleine crise de nerfs, invoquaient même une mystérieuse « psychanalyse ». »



Merci infiniment à NetGalley et aux éditions Grasset pour ce partage #Lanciencalendrierdunamour #NetGalleyFrance !
Commenter  J’apprécie          5921
L'ami arménien

« Retrorsum volantem » est une formule latine désignant la lévitation à rebours pratiquée par Saint Joseph de Cupertino au XVIIème siècle, sur laquelle revient Blaise Cendrars dans « Le lotissement du ciel ». En commençant « L’ami arménien », l’avant dernier roman d’Andreï Makine, après avoir découvert l’auteur à travers son dernier opus, « L’ancien calendrier d’un amour », j’ai songé à la formule reprise par Blaise Cendrars pour décrire la transe mystique qui s’emparait d’un moine qui lévita en présence du pape Urbain VIII.



Si ce rapprochement incongru doit au constat d’une lecture à rebours de l’oeuvre du plus sibérien des écrivains français, il tient en réalité à la qualité de l’écriture de l’auteur, une écriture ciselée et délicate, qui semble échapper à la pesanteur, et convoque cette sensation d’une forme de lévitation littéraire.



« Inconsciemment, je l’imitai, plissant mes paupières et découvrant au fond de mon regard l’image exacte, ineffaçable, de ce que je venais de voir. Une femme marchait dans la poussière d’un chemin et, soudain, levait les yeux sur moi. Oui, ineffaçable : tant d’années après, sous mes paupières closes, elle avance encore, dans la lumière des jours dont plus aucune trace ne subsiste. »



Cette phrase, comme tant d’autres, illustre ce sentiment d’apesanteur qui accompagne la lecture d’Andreï Makine. Dans sa préface du « Moine noir » d’Anton Tchekhov, Daniel-Rops utilise la formule suivante : « La pointe extrême de l’art est de sembler se supprimer soi-même et de passer tout à fait inaperçu ». En découvrant cette phrase, j’ai immédiatement songé à l’écriture épurée, dénuée d’artifices, et d’une simplicité déconcertante de Makine. Et je pense que tout comme Tchekhov, il réussit ce prodige propre aux grands auteurs, qui parviennent à rendre invisibles les fils qui tirent les marionnettes, et confèrent à leur oeuvre une forme d’évidence.



L’intrigue de « L’ami arménien » se situe au début des années soixante-dix. Si Staline est mort, « les constructeurs d’un avenir radieux » continuent d’accomplir le terrible destin communiste de la Russie, en forgeant un homme nouveau dans des orphelinats aux allures de prison et en enfermant les dissidents dans des prisons aux allures d’enfer terrestre.



Le narrateur vit dans un orphelinat de Sibérie, et prend la défense d’un adolescent de son âge, Vardan, persécuté en raison de sa différence et de sa santé fragile. Ce geste marque le début d’une amitié indéfectible entre un orphelin et un jeune arménien au coeur pur. Le héros va rencontrer grâce à Vardan la communauté arménienne qui s’est installée entre l’orphelinat et la prison, dans un quartier déshérité surnommé « le Bout du diable ». Cette petite communauté est venue soutenir ses proches emprisonnés à 5 000 kilomètres de leur patrie, dont le procès doit bientôt avoir lieu.



A travers la fréquentation des proches de Vardan, de sa mère Chamiram et de la belle Gulizar venue soutenir son mari détenu dans la prison attenante, le narrateur rencontre la famille qu’il n’a jamais eue. Il découvre le sens de l’hospitalité, et les coutumes des membres de ce « royaume d’Arménie » miniature. Il découvre aussi le souvenir indélébile du génocide arménien de 1915 qui continue de hanter ces perdants magnifiques qui sont les véritables héros du roman.



Vardan, « l’ami arménien » rongé par un mal inconnu, nommé « maladie arménienne », transmet au narrateur une vision du monde mêlant poésie et sagesse.



« A présent, j’y vois (...) cette vérité simple que, grâce à lui, j’avais fini par comprendre : nous nous résignons à ne pas chercher cet autre que nous sommes, et cela nous tue bien avant la mort - dans un jeu d’ombres, agité et verbeux, considéré comme unique vie possible. Notre vie. »



Devenu le le protecteur de son camarade maltraité, le jeune orphelin entrevoit, à travers le regard décalé de Vardan, une autre manière d’appréhender l’existence. Il découvre la poésie d’un vol d’oiseaux migrateurs dans le ciel sibérien, et comprend qu’il est possible de sortir du cercle qu’ont dessiné les planificateurs froids des « lendemains qui chantent ».



« L’ami arménien » est un hommage aux oubliés de l’Histoire, aux humbles au destin fracassé par la violence inouïe des Ottomans et des communistes, une manière de se souvenir de ces gens de peu qui n’ont que leur dignité à opposer aux « faiseurs de l’Histoire ».



La force du roman repose dans son absence de pathos, dans la nostalgie nimbée d’une étrange douceur qui émane de l’écriture limpide de son auteur. Comme dans « L’ancien calendrier d’un amour », Makine mêle avec maestria l’histoire de ses protagonistes à l’Histoire avec un grand H. A travers le regard du narrateur, qui se confond parfois avec celui de son ami Vardan, l’écrivain évoque le destin cruel d’un peuple balloté au gré des vents mauvais de l’Histoire. « L’ami arménien » nous invite ainsi à ne jamais oublier le tragique de l’Histoire, qu’il s’agisse du génocide commis par les Ottomans en 1915 ou des millions de morts causés par le communisme, au nom de l’avènement d’une « Internationale du genre humain ».

Commenter  J’apprécie          5931
La Musique d'une vie

Ce petit livre par la taille est un condensé d’émotions qui nous bouleversent. Le narrateur nous rapporte les propos d’Alexei Berg qui lui raconte ce qui lui est arrivé durant la guerre. Ses parents ont été déportés et lui va être contraint de fuir et de se cacher , il prendra une fausse identité, celle d’un soldat mort et devra taire qui il est vraiment pour survivre. Le jour de sa fuite est le jour où il devait donner son premier concert. L’histoire d’Alexei Berg est déchirante, on le voit se perdre jusqu’au point où il ne sait plus vraiment qui il est.

Ce livre se raconte difficilement, il doit se lire car la sensibilité qui en émane doit être ressentie pour qu’elle prenne toute son ampleur. L’écriture est belle, précise, chaque mot a son importance et nous emporte. Ce n’est pas une lecture divertissante mais c’est une lecture riche en émotions et en beauté.

Commenter  J’apprécie          592
Une femme aimée

Un livre et un auteur surprenants et marquants, découverts grâce à mes amis Babelio.



Surprenante lecture par rapport à la quatrième de couverture. Je m'attendais en effet à une biographie croisée de la grande Catherine de Russie avec des éléments de vie d'un quidam de la Russie contemporaine, version littéraire de mon voisin de palier comparant ses amours et ses emmerdes avec celles de Charles Aznavour. L'idée semblait intéressante, mais la trame de ce roman est en fait bien plus que cela.



Avec un peu plus d'attention, j'aurais remarqué que la femme (aimée ?) de la couverture est de dos, tournée vers une allée couvert de neige... elle est donc anonyme, reine peut-être, par sa tenue, mais avant tout une femme tournée vers un avenir (ou un passé ?) incertain...



La femme aimée de ce roman est en fait multiple et interrogation, portée par Oleg, écrivain puis assistant de cinéma dans l'URSS finissante et la Russie contemporaine. Au-delà de la quête de paparazzi d'Oleg et de ses amis pour tenter de mettre à nu la sulfureuse Catherine dans sa part cachée de fragilité et son désir d'aimer et d'être aimée, c'est sur son propre destin, et sur celui de ses maîtresses que s'interroge Oleg.



Un livre marquant donc, aussi pour cette approche en trompe-l'oeil, renvoyant au jeu de miroir du boudoir de Catherine, à la politique et à la ronde de ses favoris, mais aussi à la réflexion sur le métier d'écrivain, de cinéaste ou d'acteur, ou encore à l'observation critique des hypocrisies du parti unique sous l'URSS, et de celles, plus grandes encore, d'une Russie s'ouvrant brutalement à l'anarchie sauvage des lois du marché.



Un livre marquant pour plein d'autres raisons encore.



Andrei Makine m'y apparaît comme un digne continuateur contemporain des grands écrivains russes du XIXème siècle, qui ont fait connaître au lecteur français cette "âme russe" si particulière, à la fois grave, terrienne, et capable de s'enflammer comme feu de paille. L'écriture est souvent poétique, toujours raffinée, exigeante. Le récit est construit, parfois déroutant, mais remarquable d'intelligence et maîtrisé.



Bien que l'y aie d'abord trouvé personnellement une réflexion profonde sur la vie, le destin, l'amour, l'art et la liberté, et que sa construction ne permette pas, à mon avis, de le classer dans ce "genre", ce livre ne décevra pas pour autant les amateurs de biographie historique : on y apprend beaucoup sur la grande Catherine, sur sa Russie, et sur celle d'Oleg.



Un beau roman, donc, que je recommande ; et si vous êtes, comme je le fus, déconcerté par la construction exigeante du récit dans les 40 premières pages, voire même déçu par l'éloignement de plus en plus évident en cours de lecture d'un romantisme facile, persévérez ! Cela vaut la peine...

Commenter  J’apprécie          594
Le testament français

S'il est français, ce testament transmet surtout une langue écrite magnifique et peu commune, érigée par le narrateur au gré de ses tergiversations identitaires entre la Russie et les récits de sa grand-mère Charlotte, à la valise pleine de souvenirs de France. Depuis son petit balcon russe où elle se raconte avec l'immensité de la steppe en lisière, le frisson, l'émotion et la nostalgie miroitent au firmament de l'indicible, par la magie d'une prose céleste. "L'indicible ! Il était mystérieusement lié, je le comprenais maintenant, à l'essentiel. L'essentiel était indicible. Incommunicable. Et tout ce qui, dans ce monde, me torturait par sa beauté muette, tout ce qui se passait de la parole me paraissait essentiel. L'indicible était essentiel."

Un roman difficile à résumer, l'histoire en elle-même n'a pas vocation de voler la vedette à la belle Charlotte, encore moins à la langue dont il dessine les contours d'un hymne vibrant. Pourtant le récit, ou plutôt les histoires dans le récit (celles du narrateur et sa famille, dont Charlotte) agrémentent la lecture du sel romanesque nécessaire.

Mais rien n'y est gratuit, la narration suit son cours (parfois tortueux), le style et la langue élèvent et suggèrent.

C'est beau, c'est virtuose.

(et c'est à lire bien sûr)
Commenter  J’apprécie          594
L'archipel d'une autre vie

"Plutôt être ermite que vivre cette vie-là!"



Dans les contrées isolées à l'extrême est de l'immense Russie, un trappeur raconte à un jeune adolescent l'acte fondateur d'une autre vie: la traque dans la taïga d'un fugitif de camp de travail, poursuivi par cinq militaires. Une chasse infernale pour tous, gibier et chasseurs, et qui changera sa vision du monde et sa quête du bonheur.



De l'URSS stalinienne au libéralisme sauvage de la nouvelle Russie, l'auteur le plus slave de notre Académie offre un conte au souffle de grands espaces et au dépassement de soi.



La nature décrite par Andreï Makine, ça ne se lit pas, ça se vit!

Elle est omniprésente, nourricière et cruelle à la fois, magnifique et difficile. Elle se mérite et la comprendre est un véritable enjeu.

J'ai suivi en apnée cette chasse à l'homme, ces capacités humaines de résistance, et ce beau symbole humaniste du dépouillement pour découvrir l'essentiel. Savoir s'isoler pour survivre: il y a du mystique dans ce choix.



Au-delà du dépaysement qui invite au voyage, c'est un beau récit de vie d'homme, comme l'auteur a souvent eu l'occasion d'en écrire, dénonçant toujours la logique absurde du régime communiste et ses conséquences ubuesques sur le comportement de l'Homo Soviéticus

Commenter  J’apprécie          591
L'ami arménien

Alors que l’URSS tousse et s’approche de la fin, dans un orphelinat au fin fond de la Sibérie, le narrateur, âgé de treize ans, fait la connaissance de Vardan, un jeune Arménien qui s’est fait prendre à partie brutalement par les meneurs, en se portant à son secours. Une amitié naît entre eux, et il va faire la connaissance de la famille, de ses traditions, de sa culture.



Vardan est venu vivre ici provisoirement avec sa famille, et d’autres personnes, car il y a eu une révolte chez eux et les hommes qui ont été arrêtés ont été transférés dans la prison qui domine la ville. Prison qui était autrefois un monastère, mais les Bolchéviks les ont dépossédés, pour ne pas dire plus.



On fait la connaissance de Chamiram, la mère de Vardan, de la belle Gulizar, sa sœur et d’autre personnages tout aussi attachants.Leurs conditions de vie sont précaires, dans des « logements insalubre », deux valises faisant fonction de lit pour Vardan, alors que la pièce est décorée de châles, une vieille table un peu boiteuse.



Vardan et le narrateur ont trouvé refuge dans un abri, secret au pied des tours de la prison. Ils s’y retrouvent pour parler, pour faire plus ample connaissance.



Dans leur cachette, les deux ados voient passer un vol d’oies sauvages et partagent ce moment de grâce particulier, car elles sont libres, et les prisonniers de la prison-monastère peuvent aussi les voir voler dans le ciel.



« Je me sentis péniblement muet, ne sachant pas encore que le plaisir de partager cet instant de beauté était le sens même de la création, l’aspiration véritable des poètes et qui restait le plus souvent incomprise. »



On rencontre aussi Ronine, le professeur de science, atypique dans la vie comme dans l’exercice de son métier n’hésite pas à se mêler aux Arméniens qui habitent de façon précaire dans ce lieu qu’on appelle Le Bout et que l’auteur appellera le Royaume d’Arménie ». C’était un commissaire politique dans l’armée qui a eu le bras arraché par un éclat d’obus, alors qu’il partait à l’assaut avec ses camarades en criant : « pour la patrie ! pour Staline »



L’accueil est chaleureux, avec le café à la turque dans la belle cafetière, et les quelques objets de valeur qu’ils ont apportés avec eux, ce qui leur permettra de survivre en attendant le procès. On voit passer la belle Gulizar qui porte des colis aux prisonniers. Malgré la pauvreté, ils sont accueillants, partageant leur repas, faisant parfois la fête. Peu à peu, Chamiram raconte leur histoire, les persécutions dont ils ont été victimes pratiquement du jour au lendemain : des hommes qui les saluaient poliment la veille se sont mis à les frapper, les étriper, prendre leur biens… les relations compliquées entre Arméniens et Azerbaïdjanais ne datent pas d’hier dans le Karabach, le génocide turc de 1915 a fait des émules…



J’ai beaucoup aimé ce dernier roman d’Andreï Makine, car il raconte une belle histoire humaine, au travers d’un fait historique, avec Vardan, ce gamin à la santé fragile, atteint de ce que l’on appelle « la maladie arménienne » qui ressemble à des rhumatismes articulaires aigus, et le laisse allongé, immobile et fiévreux, avec des articulations qui doublent de volume, un adolescent qui est devenu adulte trop vite, du fait de tout ce qu’il a pu voir déjà dans sa vie.



Le narrateur, orphelin dans ce pensionnat sinistre, plonge dans la vie de cette famille chaleureuse et découvre les liens étroits qui les unissent. Il aime le récit de Chamiram qui lui fait découvrir un autre univers, ce qui va l’aider à se construire lui-aussi, lui montrant qu’il n’y a pas que la violence aveugle (les meneurs de l’orphelinat sont dépeints de manière brutale, mais il n’y a pas qu’eux, certains quartiers sont des zones de non-droit).



J’aime bien retrouver la plume d’Andreï Makine, que j’ai découvert il y a longtemps avec « Le testament français », et ce roman m’a beaucoup plu, alors que j’avais été un peu désarçonnée par le précédent « au-delà des frontières » intéressant certes mais comme je ne suis une grande adepte des dystopies…



Une fois de plus, l’auteur nous parle de fort belle manière de l’exil, du bannissement, de ce qu’on laisse derrière soi à chaque départ, et des conflits ethniques qui font rage depuis la nuit des temps et ne sont pas près de s’arrêter.



Je mettrai juste un petit bémol, en refermant « L’ami Arménien » : l’écriture est magnifique, la maitrise de la langue française renversante comme toujours, mais ce qui est d’habitude de l’ordre de la réserve et de la pudeur, s’apparente plus à de la froideur… la précision est quasi chirurgicale… cependant, c’est une très belle histoire alors, si vous aimez l’auteur, foncez.



Mon préféré, pour l’instant, reste « L’archipel d’une autre vie ».



Un grand merci à NetGalley et aux éditions Grasset qui m’ont permis de découvrir ce roman et de retrouver un auteur que j’aime beaucoup.



#Lamiarménien #NetGalleyFrance
Lien : https://leslivresdeve.wordpr..
Commenter  J’apprécie          586
L'ami arménien

Lire Andreï Makine c'est s'offrir une parenthèse enchantée sous sa plume élégante . C'est beau, c'est poétique. On en oublie l'orphelinat, la violence, la prison, la maladie.

Dans le quartier du Bout du diable se trouve le royaume d'Arménie, lieu éphémère car Vardan, Gulizar, Chamiram et les autres attendent le procès des leurs dans la prison d'à coté.

Le narrateur, orphelin, ne connait que la violence, la laideur d'un monde bien sombre et le professeur Ronine, blessé de guerre vont découvrir le peuple arménien en s'occupant de Vardan.

Vardan est un jeune adolescent très malade , incarnation de l'espoir, de la sagesse. C'est un être magique qui touche le ciel. le narrateur va s'élever, voir le monde différemment, découvrir sa beauté, l'amour . Au fil de sa vie, le narrateur va revenir sur cette histoire et mieux comprendre Vardan.

Connaître l'histoire des personnes sur les portraits de famille, découvrir la bonté de Chamiram etl'invraisemblable évasion de Gulizar et son époux condamné au bagne qui devient une légende. Andreï Makine nous offre un roman initiatique et de bien belles réflexions . Toutes ces histoires et bien d'autres font de L'ami arménien, un roman lumineux, un énorme coup de coeur.



Mille excuses aux éditions Grasset et à NetGalley que j'oubliais de remercier.

#L'ami arménien#NetGalleyFrance





Commenter  J’apprécie          582
L'ancien calendrier d'un amour

Valdas nous raconte son destin hors du commun. Il va traverser une révolution, deux guerres mondiales, l'exil. Au milieu de toute cette vie tumultueuse, l'amour de sa vie, le premier, Taïa.



Pourtant sa vie avait bien commencé, elle est même tranquille et calme jusqu'à son adolescence et il passe ses vacances en Crimée avec sa belle-mère, passionnée de théâtre et de soirées. Il prend l'habitude de sortir de la maison familiale pour explorer les alentours et surtout le bord de mer. C'est là qu'il fera connaissance avec Taïa, jeune femme à peine plus âgée qui le protège des contrebandiers.



Ensuite c'est un déchaînement d'évènements, des fiançailles rompues pour cause de guerre et d'absence, l'exil de ses parents. Il se retrouve seul dans son pays, blessé et il retrouve Taïa son grand amour. Ils vont vivre quelques semaines de bonheur ensemble et avant la tragédie de son existence, dans une claire journée d'automne, il ressent un bonheur intense dans l'ancien calendrier russe.



Valdas sera contraint à l'exil. Il vit à Paris, dans la rue les premiers jours mais avec la combativité qui l'anime, il deviendra taxi, fera connaissance avec d'autres russes exilés comme lui, aura quelques relations amoureuses.



Mais la deuxième guerre mondiale s'annonce. Valdas est bien décidé à ne pas s'en mêler et continuer son métier de taxi aménagé pour cause de pénurie d'essence. C'était sans compter sur son altruisme qui va l'amener à protéger un résistant. le voilà de nouveau embarqué dans des aventures qui le dépassent .



Sa fin de vie sera plus calme. Il n'a jamais oublié ce jour de grand bonheur et cet amour vécu.



C'est un court roman pour une vie dense. Valdas a une résilience rare, il est combatif et persévérant, à aucun moment il ne sombre dans la déprime ou se pose des questions, il avance coûte que coûte. Quelle vie !



Le style est magistral.
Lien : http://pyrouette.canalblog.c..
Commenter  J’apprécie          571
L'archipel d'une autre vie

Il faut se trouver dans l'immensité sans fin d'un paysage sans limite pour se sentir tout petit, ramené à sa propre insignifiance et entamer ainsi une introspection sur le sens de sa vie, sur sa réalité, sur ses buts. Et quel paysage se prête plus volontiers à l'infini que l'infinie Sibérie dont la taïga merveilleuse et sauvage peut nourrir et dévorer l'homme tour à tour en l'espace de quelques battements de coeur ?



Gartsev fait partie de ces millions d'âmes russes qui ont été broyées par la machine soviétique et la "Grande Guerre Patriotique" - ainsi est encore appelée la Seconde guerre mondiale dans le pays rouge. Années 50, en pleine Guerre Froide, Gartsev - un soldat désabusé par la vie - est intégré dans un commando composé d'une poignée d'hommes ayant pour mission de pister et de poursuivre dans la taïga un prisonnier politique évadé. Mais la chasse à l'homme devient la propre fuite de ces hommes meurtris et rongés, qui par l'ambition et l'envie, qui par le rêve utopique d'une vie meilleure.



Une fuite qui pour Gartsev prend au fil des jours, des nuits et des feux de camp des allures de quête existentielle. Il passera par tous les stades, de la survie à l'exil, avant d'atteindre ce qui ressemble le plus à une "île déserte" personnelle, l'île d'une autre vie possible : "Pour vivre heureux, vivons cachés".



Ce roman d'Andreï Makine est beau même s'il est moins prenant que "Le testament français" car moins autobiographique. Puissant hymne à l'espoir, il témoigne une fois de plus de l'érudition de cet auteur franco-russe à la destinée sans pareille. Pour une lectrice passionnée par la Russie telle que moi, c'est un plaisir de tous les sens, c'est une terrifiante invitation au voyage dans le passé qui donne un goût amer au triste patrimoine de ce peuple pétri de souffrances et de luttes.





Challenge MULTI-DEFIS 2021

Challenge ATOUT PRIX 2021

Challenge des 50 objets 2021-2022
Commenter  J’apprécie          575
Le testament français

Dans la série « C’est grave docteur ? », je voudrais Le testament Français.



Encore une fois j’ai eu une lecture laborieuse. Déjà un manque de temps du aux beaux jours et de l’entente du jardin, du potager et de l’océan pour ne m’accorder que peu de répit pour souffler.

Ensuite, (y-a-t-il un psy dans la salle ?) cette histoire de navigation à vue entre deux cultures m’aurait probablement enchanté s’il avait été question d’Afrique ou d’Amérique du sud mais j’avoue que passé la porte de Bagnolet, c’est déjà l’est et que culturellement « l’est » m’a toujours attiré autant que l’extrême orient, les US ou de savoir si Trump a mit la langue à Macron.



Oui, j’aurais aimé aimer et ressentir ce que de nombreux lecteurs ont ressenti mais ce « je t’aime moi non plus » n’a pas fonctionné chez moi. L’écriture est belle, il n’y a rien à redire là-dessus mais malgré le vécu de l’histoire et quelques jolis moments de poésie, j’ai eu souvent la sensation d’être à un buffet froid ou tout a été calculé avec minutie. Pas étonnant les prix machin et truc.

Froid et calcul alors que j’aime le chaud spontané.

Et puis le pathos qui revient à petites touches de temps en temps, l’air de rien, jusqu’au bouquet final, je n’ai pas accroché. Pas plus accroché aux réflexions entre fantasmes et réalité, entre belle époque et plus sombre période. Pas ému par la découverte du corps, de l’amour. Pas touché par le vagabondage des derniers chapitres. Hичего, nada, que dalle.

Testament, héritage, famille… je ne suis pas « famille » du tout, c’était mort dès le titre. J’ai bon docteur?



Allez, une tite pirouette bien pratique mais pourtant bien réelle pour m’en tirer. Ce n’était certainement pas encore le bon moment pour cette rencontre, ou peut être plus le moment du tout. Pour une lecture, c’est comme pour la poésie, tout est question d’état d’esprit.

Une lecture « agréable » (parfois) mais sans passion (toujours) pour reprendre Majolo dans son billet.

Une autre fois peut être… ou pas.

Commenter  J’apprécie          5717
La Musique d'une vie

Prélude.

(Pesante. Mesto)

Une petite gare isolée dans la steppe et ses voyageurs immobiles, résignés. Neige et fatalisme. L’homo sovieticus tel qu’en lui-même, appesanti par l’absurdité de la vie et engourdi par le froid. Hiver russe.



(Pizzicato)

Un cagibi d’où s’échappent quelques notes, une brève poursuite. Une silhouette entrevue, un vieux piano. (Lento) . Des larmes.



Place au soliste.



Premier mouvement.

(Adagio.) Remontée lente des souvenirs. (Allegro ma non troppo) Jours tranquilles à Moscou. L’intelligentsia, la belle voiture, la musique. L’avenir plein de promesses et de succès.



Deuxième mouvement

(Pesante. Mesto) Menace, inquiétude. Visite de la police secrète. Ombres du goulag.

(Crescendo) Fuite. Claustration volontaire. (Andante) Échappatoire opportuniste : la guerre. Déguisement. Usurpation. (Appassionato ma non troppo) Brèves rencontres, femmes de passage, odeurs d’iode. (Tenuto) Errance et discrétion.



Troisième mouvement

(Tranquillo. Sotto voce). La planque. L’anonymat du subalterne. Moscou mais sans les feux de la rampe, juste ceux d’une voiture de général. La casquette de chauffeur.(Allegro vivace) La musique ensommeillée doucement se réveille. Le cœur endormi aussi. Danger. (Staccato. Pesante.) Faire la brute. Doigts maladroits sur le clavier. (Lento) Humiliation.



Quatrième mouvement.

(Appassionato. Slancio. Con fuoco.)

Le temps fort du concert. Tout donner. Tout retrouver : la fougue, le talent, l’honneur.



Tout perdre aussi.



Finale

(Diminuendo. Morendo.) Retour de l’enfer blanc. Homo sovieticus routinier, résigné. La musique encore, mais par d’autres. Place au jeune virtuose.



Rideau.

Bravo(s.)

Bravissimo!!















Commenter  J’apprécie          5711
Une femme aimée

A travers le travail d’un cinéaste pendant et après la période soviétique, Andreï Makine fait un portrait de Catherine II de Russie qui ne réduit pas la princesse allemande, envoyée à quinze ans en Russie pour épouser Pierre III, à celui d’une monarque autoritaire aux mœurs dissolues. Pour lui, Catherine II a eu un règne éclairé par sa proximité avec les philosophes des Lumières et sa frénésie du plaisir physique n’est que la conséquence d’un amour malheureux, du désir inassouvi d’être « une femme aimée ». Avec une approche originale, en évoquant l’évolution de son pays, Andreï Makine livre une image nouvelle d’une vraie réformiste qui fut aussi une femme amoureuse.
Commenter  J’apprécie          571
L'archipel d'une autre vie

Cinq soldats à la poursuite d'un prisonnier échappé du goulag. Cinq hommes qui vont se découvrir dans l'enfer glacé de la taïga russe. Et tout au bout de ce périple, l'archipel d'une autre vie ; un paradis pour ceux qui sauront suivre les traces et les indices, écouter et sentir la vie, étouffer ce qu'ils ont en eux de dément : ce « pantin de chiffons ».



Une aventure sibérienne où la nature est sauvage et belle, où l'homme s'il veut VIVRE, a tout à gagner en l'épousant.



L'archipel d'une autre vie est une fable qui met en lumière la noirceur de l'homme face à la nature ruisselante de paix, de vérité et de simplicité. C'est comme un chant de liberté et de silence, d'un homme qui ose briser les chaînes du mensonge pour suivre la voie de l'essentiel.



Une écriture magnifique qui éveille en nous l'envie de secouer ce « pantin de chiffons », de tendre l'oreille à cette « décantation suprême du silence et de la lumière », en se contentant de peu pour VIVRE.

Commenter  J’apprécie          563
L'ami arménien

Quelque part dans les années '70, au fond de la froide et désolée Sibérie soviétique, le narrateur, un orphelin de 13 ans, se lie d'amitié avec Vardan, un an plus âgé. D'origine arménienne, Vardan est arrivé avec sa famille dans ce bout du monde, à 5000km du Mont Ararat, pour suivre dans leur exil les prisonniers arméniens, déportés de leur terre natale pour cause de nationalisme anti-soviétique. La petite communauté s'est installée au Bout du Diable, un quartier déshérité en bordure de la ville, à côté de la prison.

Peut-être parce qu'il est orphelin et n'a jamais connu la chaleur d'un vrai foyer, le narrateur est fasciné par la solidarité qui règne entre les Arméniens, leur générosité malgré leur dénuement, leur force et leur noblesse de caractère, leurs traditions et l'histoire tragique de leur peuple, qu'il découvre au fil des récits de la mère de Vardan.

Si cette histoire d'amitié adolescente, pourtant brève, a durablement marqué le narrateur, elle ne m'a pas touchée, moi. Je ne suis pas arrivée à y croire, je n'ai pas ressenti ce que le narrateur a ressenti, je n'ai pas vraiment compris pourquoi cette histoire a pris autant d'ampleur dans sa vie, j'ai eu l'impression qu'il magnifiait et adulait à l'excès tout ce que pouvaient dire ou faire Vardan et sa famille. Malgré que la vie les ait déjà durement malmenés malgré leur jeune âge, j'ai trouvé ces deux gamins trop précoces avec leurs échanges philosophiques de vieux sages.

Avec une certaine poésie, le récit fait la part belle aux thèmes de la nostalgie et de la mémoire, dans un style formellement irréprochable, mais trop classique et trop lisse à mon goût. Je n'y ai pas trouvé le supplément d'âme qui m'aurait rendu cette histoire inoubliable.



En partenariat avec les Editions Grasset via Netgalley.

#Lamiarménien #NetGalleyFrance
Lien : https://voyagesaufildespages..
Commenter  J’apprécie          552
L'archipel d'une autre vie

Le roman commence de fort belle manière avec cet incipit qui annonce la couleur :



« A cet instant de ma jeunesse, le verbe « vivre » a changé de sens. Il exprimait désormais le destin de ceux qui avaient réussi à atteindre la mer des Chantars. Pour toutes les autres manières d’apparaître ici-bas, « exister » allait me suffire. » P 11



Le récit débute en 1970 avec un adolescent, fils de prisonniers, donc considéré comme paria, vivant dans un internat où sont regroupés d’autres ados dans la même situation : intelligents ou non, on s’en moque, les études supérieures leur sont interdites, ils pourraient polluer les autres appartenant à des familles obéissant au régime, et on les oriente d’office vers des métiers singuliers : géodésistes ou grutiers… Et on les envoie le plus loin possible… Il arrive ainsi à Tougour, pas loin du Pacifique.



Personne n’étant venu l’attendre à son arrivée, il se promène dans la ville et finit par suivre un homme, capuche sur la tête dans la taïga. Il s’agit de Pavel Gartsev, qui semble en fuite et finit par repérer notre ado et lui raconter son histoire.



Flash-back (désolée, la traduction de ce mot en français est moins évocatrice !) et on se retrouve en 1952, dans une union soviétique obsédée par la troisième guerre mondiale, nucléaire bien-sûr, et les hommes ont droit à des exercices de simulation, dans des conditions abracadabrantesques, enfermés dans des bunkers pour tenter de survivre… lorsque soudain, on parle d’un prisonnier s’étant échappé d’un camp et qu’il absolument retrouver.



Andreï Makine nous décrit de fort belle manière ce « commando » chargé de la traque est constitué d’un général, héros de guerre, d’un petit chef Louskas aux méthodes dignes du KGB qui ne pense qu’à chercher des coupables pour pouvoir les dénoncer et les torturer, son sous-fifre, Ratinski, qui ne pense qu’à son avancement, et à un comportement vil, digne d’un parfait SS, toujours prêt à dénoncer, qui envoie les autres au casse-pipe dès qu’il y a le moindre risque à l’horizon. On trouve aussi Vassine, qui a traverser des moments durs pendant la guerre, accompagné de son chien (chargé de renifler les traces du fugitif.



On comprend très vite que Pavel ne part avec eux que pour que l’on puisse rejeter sur lui un échec éventuel de la mission et qu’il sera surveillé en permanence, l’obligeant à rester sur ses gardes, à trouver en lui la force et le désir de rester en vie, à surmonter la peur. Seul Vassine est fiable mais les paroles qu’ils échangent peuvent être « interprétées comme une atteinte à la sûreté de l’État, il suffisait de bien ficeler le dossier d’accusation »



J’ai beaucoup aimé cette traque, dans la taïga, chacun progressant difficilement, ces feux qu’on allume tant pour se réchauffer que pour tenter d’envoyer l’autre sur de fausses pistes, chacun révélant de plus en plus ses forces ou ses faiblesses ou encore sa duplicité… j’ai mis mes pas dans ceux de Pavel, dans ces paysages grandioses, cette Sibérie que décrit si bien Andreï Makine et qu’il aime tant, ces noms qui font rêver : l’archipel des Chantars, la Bélitchi, Tougour…. Ces régions où j’aimerais bien aller me perdre, loin de la civilisation, en contact direct avec la nature.



J’ai beaucoup aimé ce roman, qui tient de la poursuite d’un fugitif, et s’avère être aussi une quête initiatique, une réflexion sur le monde soviétique où l’individu n’existe plus, étant au service de l’Etat, de la collectivité… De la liberté (ou de l’illusion de la liberté) dans un décor exceptionnel, et pose une question : est-ce qu’on vit ou se contente-t-on d’exister ? Qu’en est-il du choix du libre arbitre si on n’adhère pas au système ?



« Oui, la liberté ! ils pouvaient m’envoyer dans un camp au régime plus sévère, me torturer, me tuer. Cela ne me concernait pas, car ce n’était qu’un jeu et je n’étais plus un joueur. Pour jouer, il fallait désirer, haïr, avoir peur. Moi, je n’avais plus ces cartes en mains. J’étais libre… » P 168



La construction du roman m’a plu car j’aime ces récits en gigogne, ces allers et retours entre présent et passé, ces rencontres entre deux personnes qui peuvent tisser un vrai lien. L’écriture est belle comme toujours avec Andreï Makine qui nous entraîne dans un voyage extraordinaire. J’avais beaucoup aimé « Le testament français » et j’ai eu le même plaisir avec ce roman que l’Obs a qualifié de « véritable western sibérien » et l’Express de « puissant récit d’aventures métaphysique ».
Lien : https://leslivresdeve.wordpr..
Commenter  J’apprécie          553




Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Andreï Makine Voir plus

Quiz Voir plus

L'aiguille creuse,après le mystère,les questions !

Qui est l'enquêteur principal de cette mission ?

Nestor Beautrelet
Nestor Baudrelait
Isidor Beautrelet
Castor Beaureflet

5 questions
165 lecteurs ont répondu
Thème : L'Aiguille creuse de Maurice LeblancCréer un quiz sur cet auteur

{* *}