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Critiques de Anton Tchekhov (652)
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La Dame au petit chien

J'ai aimé La Dame au petit chien, j'ai aimé cheminer avec elle sur ce front de mer de Yalta que je voyais devant mes yeux. Yalta pour moi représente une terre ardente, du côté de l'Ukraine que j'aime tant...

Yalta, fin du XIXème siècle... Elle était là devant moi, elle était là avec son petit chien... Il y avait la mer, et très loin encore, mais qui approchait, un homme sur le point de la rencontrer sur ce front de mer...

Il s'appelle Dmîtri Dmîtrich Goûrov. C'est un séducteur, un coureur de femmes. Sa vie est faite de ces rencontres éphémères qui peuplent son existence d'homme d'affaires, écumant les hôtels.

Il apprit plus tard, comme nous, qu'elle s'appelait Anna Serguièiévna, que sa vie était morne, ennuyeuse.

Au hasard de cette rencontre, ils s'éprennent l'un pour l'autre.

Chacun a sa vie. Ils sont tous deux mariés. Elle est très malheureuse dans son mariage et le lui fait savoir très vite. Je vous laisse imaginer la suite...

Ce séducteur paraît agaçant au premier abord mais peu à peu je reconnais qu'il m'est apparu sympathique, voire très attachant. Il y a ce renversement que j'aime tant voir en littérature, passer d'un être détestable à celui d'un autre qui devient aimant... Passer d'un versant à l'autre avec presque les mêmes mots, presque les mêmes nuances de couleurs, et ça Tchekhov sait le peindre avec merveille et justesse...

Ils sont comme deux oiseaux de passage, deux oiseaux migrateurs enfermés dans des cages séparées... Des cages au décor médiocre dont les portes sont prêtes à s'ouvrir.

Et cette nouvelle leur ouvre les portes pour notre plus grand bonheur...

« Rentré chez lui, il pensa à elle. » Et voilà cet homme devenant amoureux, ne comprenant pas ce qui lui arrive. Il tombe amoureux d'une femme qu'il reconnaît n'être pas forcément pas très belle, mais cette femme le séduit profondément au point qu'il ne peut plus l'oublier à jamais...

L'écriture de Tchekhov prend alors le relais. Elle est belle cette écriture, toute en retenue, elle nous aide à observer à distance ces futurs amants qui le deviennent.

C'est une banale histoire d'amour et d'adultère, mais rendue de manière riche et profonde sous la palette d'Anton Tchekhov, il en fait un chemin insoupçonné où des êtres se transforment sous nos yeux en quelques mots, en quelques pages et c'est la prouesse de l'auteur de rendre ces deux êtres, différents, désormais indissociables par le fait d'une autre histoire qui s'écrit.

C'est un texte très beau avec les mots sublimes de Tchekhov qui dit en creux le terrible et solitaire désarroi lorsque l'amour n'est plus dans un couple. Dans cette impitoyable vérité, j'ai vu la vacuité de l'existence devenir un chemin...

C'est une rencontre inoubliable autant pour les personnages que pour moi. J'ai été ému parce que je voyais bien que cette histoire s'apprêtait à marquer la vie des personnages pour toujours.

Pour toujours et à jamais.

J'ai eu l'impression de vivre cette histoire si près, touché par sa beauté et l'immanence des instants dépeints. Je ne sais pas ce que sont devenus ces amants, j'imagine le meilleur comme le pire...

Alors m'est venue cette question lancinante que tout un chacun se poserait : mais qu'est devenu le petit chien dans ce fracas des sentiments ?
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Oncle Vania

--Bonjour à toutes et tous j’ai demandé à Sandrine de vous réunir pour vous parler de mon projet, celui de mettre en scène la pièce de théâtre d’Anton Tchekhov « l’oncle Vania « je voulais donc pour ce projet des débutants, des personnes qui vivent à des années-lumières du théâtre. J’ai dans les mains une liste que Sandrine m’a fait passer pour l’attribution des rôles , elle vous remettra les dialogues . Peut-être connaissez-vous cette pièce « l’oncle Vania « 

ALEKSANDR VLADIMIROVITCH professeur à la retraite et sa femme d’un second mariage ELENA ANDREIEVNA âgée de 27 ans sont dans leurs datcha de Sérébriakov.

Pour ces deux rôles ha !! J’oubliais vous allez travailler par groupe comme vous êtes nombreux tout le monde pourra participer. Donc pour le rôle du professeur Sandrine m’a conseillé Pat et Bernard, dans le rôle D’Elena il me semble que Hélène,Chrystèle ,Anne-Sophie et Sarah seront parfaites pour le rôle ,ensuite  VOINITSKI IVAN PETROVITCH ( oncle Vania) est un homme aigri,désabusé s’occupe de la propriété,beau-frère du professeur il est jaloux et amoureux d’Elena, Paul et Bono vous avez été choisis. ALEKSANDROVNA (Sonia) est la fille du professeur issue du premier mariage, elle travaille dans la propriété de son père, elle est effacée , elle a un amour secret et une rivalité avec Elena. Pour ce rôle j’ai pensé à Sonia,Nico,Doriane, Gaëlle et Marie-Caroline. ASTROV MIKHAIL LVOVITCH quant à lui est médecin en visite à la datcha pour les soins du professeur, amoureux de la nature, écolo avant l’heure, il n’est pas insensible aux charmes d’Elena au grand désespoir de Sonia. Pour ce rôle j’ai choisi Pancrace. Dans les seconds rôles que je n’ai pas encore attribué il y a TELEGUINE ILIA ILITCH un propriétaire ruiné et VOINITSKAIA MARIA VASSILIEVNA mère de l’oncle Vania.

Pour ce qui est du décor je pense à quelque chose de minimaliste, une table quelques chaises, un samovar sur la table, pour la lumière j’aimerais des bougies pour adoucir l’atmosphère et garder un peu mystère lors de la scène entre oncle Vania et Elena. Pour les costumes je vous fais confiance vous avez carte blanche. Avez vous des questions ? Pardon michemuche est-il raisonnable de mettre Nico et Doriane ensemble ? Pourquoi Sandrine tu as des doutes sur le résultat, sur les résultats je n’ai pas de soucis c’est plutôt qu’il faut les surveiller comme le lait sur le feu, on verra si ça vaut le coup de changer le casting. D’autres questions ? Oui Doriane est-ce qu’il est prévu une pause chocolat dans le contrat, euh franchement je ne me suis pas posé la question oui Nico je t’écoute eh bien tu devrais faire attention yaya elle fait toujours sa star c’est même pas vrai d’abord c’est Nico qui fait rien que de m’embêter. Une dernière question oui Paul, vous n’auriez pas un petit rôle pour mon caméléon, tu sais Paul la pièce se passe en Russie pas sur que ta bestiole soit bien à sa place dans la pièce.

Le rideau tombe, j’ai voulu à ma façon remercier celles et ceux qui m’accompagnent sur babelio, qui me font rire et sourire, qui me remonte le moral bref qui avec leurs histoires me font penser à autre chose. C’est l’occasion aussi de faire découvrir un auteur Anton Tchekhov .

J’espère que le spectacle vous plaira.
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Les trois soeurs

"Un jour, tout sera bien, voilà notre espérance.

Tout est bien aujourd'hui, voilà l'illusion."

(Voltaire)



Olga, Macha et Irina. Les trois soeurs de la pièce - peut-être la plus célèbre - de Tchekhov.

Les proses d'Anton Pavlovitch sont amusantes ou douces-amères, faciles et agréables à lire. Mais "lire une pièce de Tchekhov" me paraît presque aussi incongru que lire Marx pour le plaisir dans un hamac. Il n'est jamais aisé de lire une pièce de théâtre, mais chez Tchekhov, de surcroît, il ne se passe en apparence rien du tout, ce qui peut vite devenir décourageant.

Son théâtre manque d'action et de toute cette impulsivité héroïque qui a poussé Antigone à enterrer le corps de son frère, ou Juliette à se transpercer le coeur avec le poignard de Roméo.

Tout se passe à l'intérieur; les personnages souffrent, mais ils n'ont pas la force d'agir ni d'avancer, et ils se laissent faucher par le destin. Ils veulent s'échapper de leur cercle vicieux, mais ils ne peuvent pas, car ils ne savent pas faire. On peut apprendre quelque chose sur eux que grâce aux dialogues, petits signes... et ce n'est peut-être pas pour rien que souvent les conversations éclatent, et tombent en morceaux faits des longs monologues plaintifs.



"Les trois soeurs" est probablement ma pièce préférée de Tchekhov. C'est vrai que parfois on a du mal à comprendre comment un homme aurait pu s'emparer de l'âme féminine et de ses états avec une telle précision, mais Anton Pavlovitch était de toute évidence un génie.

Ses trois héroïnes sont un merveilleux emblème de l'ancien monde de l'aristocratie russe; monde fait de beauté, de foi, de fragilité et de rêves.

Tout comme dans "La cerisaie", ce monde se heurte aux inévitables changements dans la société, et entre en conflit avec le milieu populaire, représenté ici par Natacha, épouse d'Andreï, l'unique frère de nos trois soeurs. Son manque de jugement esthétique, mode vulgaire, enfants bruyants, et envie de tout accommoder selon ses goûts détruisent la personnalité d'Andreï et repoussent au coin le vieux monde d'Olga, Macha et Irina.



Certes, il y a un espoir : le voyage à Moscou ! "Moscou" sonne comme une promesse de purification et d'un nouveau départ, mais ce voyage est comme le Godot de Beckett : on l'espère et on en parle sans arrêt, tout en perdant peu à peu l'espoir. En attendant le bonheur, les soeurs s'engagent dans divers impasses. Macha tombe amoureuse de Verchinine en espérant une relation de valeur, mais cela n'arrive pas et Verchinine s'en va. Le fiancé faute-de-mieux d'Irina meurt en duel. La vie avec Natacha pousse Andreï à la frontière (au-delà ?) de la folie, et il perd la maison familiale aux cartes.



On peut toujours trouver quelque chose de neuf, dans "Les trois soeurs". La pièce reflète avec une dangereuse lucidité les différentes étapes de la vie d'une femme. Quand je l'ai vue pour la première fois, il y a bien des années, avec ma copine P. on s'était mis d'accord que la plus "réaliste" et sympathique est incontestablement Irina. Jeune, sans expérience, naïve, mais pleine d'élan, car la vie n'avait pas encore le temps de lui botter le derrière. Après quelques années, la gagnante est maintenant Macha. Elle a suffisamment vécu pour comprendre que tout ne sera pas toujours comme elle l'imagine, et que parfois il faut savoir renoncer à l'impossible, pour ne pas se morfondre encore davantage. J'ai juste un peu peur du jour où Macha sera éventuellement remplacée par Olga, vieillissante et résignée, usée par la vie et terriblement seule.

Mais d'ici-là, je veux en profiter pour voir et revoir encore plein de pièces de Tchekhov. 4,5/5, мастер.
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Platonov : Le fléau de l'absence de pères

Platonov est la première pièce de Tchekhov, écrite alors qu'il n'avait vraisemblablement que dix-huit ans, vingt ans peut-être. On n'en sait rien exactement car la pièce n'a jamais été ni publiée ni jouée du vivant de l'auteur.



Seul demeure un gros manuscrit, environ deux fois plus gros que la taille d'une pièce " ordinaire ". Lequel manuscrit est abondamment biffé, avec des scènes pour lesquelles il existe deux voire trois variantes.



La vérité aussi, c'est que la pièce n'a pas de titre. Voilà pourquoi on trouve parfois la version courte : Platonov, du nom du personnage principal. Mais on l'a également vu traduire sous l'appellation : Ce Fou de Platonov. La seule indication de titre qu'y avait apposé Anton Tchekhov était un néologisme qui signifiait en gros : L'Absence de Père. Voici donc un premier mystère.



Le second mystère, à la lecture, est de s'interroger sur le fait qu'une telle pièce puisse être l'oeuvre d'un lycéen de dix-huit ans. On y trouve déjà presque toutes les thématiques qui seront abordées dans les pièces matures du dramaturge russe, notamment, une certaine ressemblance avec sa toute dernière pièce, La Cerisaie.



Dit autrement, soit il s'agit d'un génie vraiment très très précoce, soit (ou parallèlement), les visions de Tchékhov n'ont pas évolué d'un pouce entre 18 et 44 ans, ce dont je doute absolument pour un homme de cette envergure.



Pour vous avouer le fond de ma conviction et pour laquelle je n'ai absolument aucune preuve, cette pièce doit avoir effectivement été imaginée dans la prime jeunesse de l'auteur, puis remaniée plus tard à plusieurs reprises sans toutefois qu'elle satisfasse jamais pleinement soit l'aspiration du moment de son auteur, soit le désir de ne pas trahir son projet initial.



Si bien qu'en fin de compte, Tchekhov devait trouver meilleur de réécrire une pièce pure plutôt que de bricoler cette trame où l'on veut tout dire et où cela part dans beaucoup de directions pas forcément très lisibles.



Le personnage de Platonov m'évoque un peu celui d'Ivanov, notamment dans ses rapports aux femmes et un peu l'Oncle Vania quant à son caractère volcanique. le trio constitué par la veuve du général, Anna Pétrovna, son beau-fils Sergueï et Sofia Iégorovna, l'épouse de ce dernier me rappelle tout à fait la trame de la Mouette.



La situation même de la famille Voïnitsev, d'ancienne noblesse russe, rattrapée par son époque, incapable de gérer ses finances ni ses dépenses et qui se fait souffler son domaine par un " ami " de la famille, est le pivot de la Cerisaie. Rappelons au passage, qu'il y a beaucoup d'éléments autobiographiques pour Tchekhov, dans ce traumatisme de la vente du domaine familial à un spéculateur bourgeois proche de la famille.



Incroyable, n'est-ce pas ? je vous ai presque cité toutes les pièces de Tchekhov comme étant déjà contenues en germe dans cette ébauche, ventripotente ébauche, aux nombreuses facettes.



Même la structure en est un peu bancale, pas trop finie : deux énormes premiers actes, très typiques du théâtre d'Anton Tchekhov, réunion de famille et d'amis dans une maison de campagne où chacun s'envoie en pleine face ce qu'il pense de vous ou de l'autre, plombant ainsi durablement l'ambiance.



Les deux autres actes sont beaucoup plus brefs, un peu déconnectés, où il s'est produit des mutations profondes chez les personnages dont on n'a pas trop eu le temps de percevoir l'ampleur ni la genèse.



Voici l'histoire : nous sommes chez les Voïnitsev, domaine d'un général décédé, qui échoit désormais à sa seconde épouse, la jeune et encore très belle Anna Pétrovna, dont beaucoup de sont pas insensibles aux charmes tant physiques qu'intellectuels.



La belle dame raffinée et instruite, en ce milieu campagnard et bas de plafond, s'ennuyant ferme dans la vie, est une situation inchangée par rapport à la quasi totalité des autres pièces de l'auteur. Son beau-fils Sergueï est plutôt un brave type, mais totalement incapable de fournir le moindre travail digne d'intérêt pour la communauté. C'est l'archétype de l'homme inutile à la société, pas idiot mais sans aucun talent particulier.



Sa femme, Sofia, est elle-aussi une très belle femme, et elle aussi aurait souhaité autre chose dans sa vie. Elle nous évoque inévitablement les Trois Soeurs, regroupées sous une seule tête.



Autour de cette famille gravite une foule de pique-assiettes, voisins tous plus ou moins intéressés, soit par les charmes de la générale, soit par le domaine, soit les deux. le seul personnage qui tranche avec le voisinage est Platonov, l'instituteur.



Platonov est cultivé, instruit, il a même suivi les cours de l'université ce qui n'était pas si fréquent au fin fond de cette campagne russe à la fin du XIXème siècle. de plus, il est charmant, il philosophe, il a une grande âme...



Il a une grande âme, mais sa langue est fourchue ! Il lâche de ses saloperies à tout le monde, sans se soucier le moins du monde de l'effet produit. Malgré cela, les dames sont toutes plus ou moins folles de lui, mais lui n'a d'yeux que pour sa petite épouse, la modeste Sacha, qui nous annonce sans erreur possible Sarah, la petite juive d'Ivanov.



Platonov alterne les marques excessives d'amour vis-à-vis d'elle et les remarques où il ne cesse de la traiter de dinde. Mais il est fidèle et ne se soûle pas, ce n'est déjà pas si mal pour Sacha, non ?



Et s'il n'était pas si fidèle, ce glauquissime Platonov ? Quel cataclysme cela créerait-il dans l'équilibre bien huilé que je viens de vous décrire ? Qu'en résulterait-il ? Quel virage sociétal est contenu dans les quatre actes de cette pièce ? C'est ce que je ne me permettrai pas de vous dévoiler.



En somme, selon moi une pièce pas inintéressante du tout, mais il est vrai assez brouillonne. Je signale simplement l'excellente traduction intégrale (ce qui est rarement le cas) de Françoise Morvan et André Markowicz parue chez un modeste éditeur qui gagne à être connu : Les Solitaires Intempestifs.



Et j'en terminerai en vous rappelant, que vous trouviez cette critique de Platonov plate ou neuve, qu'elle ne représente qu'un avis, un seul petit avis, qui, tant qu'il demeure seul, ne représente à lui seul pas grand-chose. Alors, tous à Platonov !
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L'Ours

L'Ours est une très courte pièce en un acte. Tout de suite il me faut confesser qu'elle n'est pas à mes yeux ce qu'Anton Tchékhov a su faire de mieux.

Malgré tout, cette petite farce, sans être transcendante, passe assez bien et jouit d'un cortège de petites tirades savoureuses qui me la rendent assez agréable.

L'histoire se cristallise autour du moment où un créancier, Smirnov, vient réclamer une somme d'argent à une jeune veuve, Mme Popova.

Mme Popova se caractérise par une grande honnêteté morale et financière, une éminente droiture et une fidélité exemplaire, proche de l'ascétisme, vis-à-vis de son défunt mari.

Smirnov, lui, a un besoin urgent de la somme aujourd'hui même tandis que Mme Popova lui explique patiemment qu'elle ne pourra lui fournir l'argent que dans trois jours.

Le bouillant créancier est bien décidé à ne quitter la place qu'avec ses roubles en poche et la précieuse Mme Popova s'offusque des manières de cet « ours ».

S'en suit une mémorable prise de bec, qui tourne au duel et, comme toujours, je vous laisse découvrir le fin mot de la fable…

Bref, un petit divertissement sans prétention mais jamais déplaisant, du moins c'est mon opinion d'ourse mal léchée, c'est-à-dire, bien peu de chose.
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Oncle Vania

Si Oncle Vania est une pièce très russe, sa modernité et son sujet lui donnent une forme d'universalité.



Quand le vieux professeur Sérébriakov se retire dans sa propriété à la campagne, accompagné de sa belle et jeune épouse, il y retrouve sa fille Sonia et Vania, son beau-frère, qui gèrent le domaine, secondés par la vieille nourrice Marina, et Éfim, un domestique. Il y rencontre aussi Téléguine, un propriétaire ruiné et Astrov, un médecin écologiste.



Une arrivée qui va troubler tout ce petit monde et engendrer des remises en cause existentielles. Car dans ce huis clos familial, amour, amitié et désir contrariés font naître des frustrations qui conduisent les personnages à l'autodestruction, même s'ils croient à leurs rêves et ne se résignent pas.



Tchekhov peint une bourgeoisie mi-campagnarde, mi-intellectuelle en train de sombrer, incapable qu'elle est d'évoluer. Une peinture d'une humanité en crise qui nous touche, car elle est un constat d'échec, elle montre des hommes qui savent avoir raté leur vie, mais ne peuvent la quitter. Remarquable.

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Théâtre

Voici un volume très intéressant pour quiconque souhaite découvrir l'œuvre théâtrale d'Anton Tchékhov. On y trouve ses sept pièces majeures (Platonov, Ivanov, Le Génie des Bois, La Mouette, Oncle Vania, Les Trois Sœurs & La Cerisaie) ainsi que ses neuf pièces en un acte (Sur la Grand-Route, Les Méfaits du Tabac, Le Chant du Cygne, L'Ours, Une Demande en Mariage, Tatiana Répina, Le Tragique malgré lui, Une Noce & Le Jubilé).



Mais outre ce corpus exhaustif, l'ouvrage est aussi augmenté d'un bon dossier comportant une chronologie détaillée mettant en regard la vie de l'auteur avec à la fois les événements historiques tant en Russie que dans le monde, mais également avec les événements de la vie artistique et scientifique, là encore tant en Russie qu'en Europe.



On peut y lire un " dictionnaire Tchékhov " où l'on trouve des entrées aussi diverses que : " travail ", " Tourguéniev " ou " Taganrog ". L'introduction de Jean Bonamour est aussi une synthèse très intéressante sur l'ensemble de l'œuvre de Tchékhov.



Par souci de concision, je ne vais évoquer que très succinctement chacune des pièces et vous renvoie à la critique plus détaillée que j'ai écrite antérieurement pour chacune d'entre-elles si vous souhaitez plus de précisions.



Sachez toutefois que concernant les grandes pièces, l'ensemble est très cohérent, on y reconnaît franchement et à chaque fois la " patte " Tchékhov. Souvent une aristocratie campagnarde finissante qui peine à ne pas être anachronique, qui voit passer le train de l'histoire et qui rate l'occasion de s'accrocher aux wagons.



C'est un éternel déclin de cette classe, au bénéfice d'une bourgeoisie sans manière ni culture mais qui sait faire transpirer les roubles mieux que quiconque. C'est un théâtre où l'auteur combat constamment les apparences trompeuses, les faux sentiments, l'étiquette, les rêves chimériques. C'est une vision, il est vrai, assez désabusée, de la classe dirigeante, mais également de l'humain dans son entier.



Tchékhov en fait des tonnes sur l'impossibilité d'un amour équilibré ou du moins sa grande difficulté. Ce n'est que frustrations de bout en bout. L'on n'est jamais apparié avec la personne que l'on aime vraiment, chacun se cherche sans jamais se trouver. Outre les relations de couple entre femmes et hommes, il en va souvent de même dans les relations intergénérationnelles.



Selon moi, son théâtre en un acte est franchement d'un niveau inférieur, à l'exception notable de Sur La Grand-Route qui annonce déjà franchement Maxime Gorki. Ces pièces se veulent drôles et ne le sont, dans l'ensemble, pas. C'est un peu grosses ficelles & Cie.



Enfin, j'en terminerai en vous livrant mon palmarès personnel pour ces pièces : sur la première marche du podium, je place Oncle Vania sans hésitation. Pour la seconde place, je tergiverse entre La Mouette et Ivanov qui ont des caractéristiques différentes mais intéressantes toutes deux et enfin, sur la troisième marche, je place sans trop d'enthousiasme La Cerisaie. Souvenez-vous cependant que tout ceci est extraordinairement subjectif et ne représente qu'un avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.





P. S. : Pour information, voici les liens vers les critiques plus détaillées :



Platonov :

http://www.babelio.com/livres/Tchekhov-Platonov/34611/critiques/555074



Ivanov :

http://www.babelio.com/livres/Tchekhov-Ivanov/97807/critiques/270624



Le Génie des Bois :

http://www.babelio.com/livres/Tchekhov-LHomme-des-Bois/193502/critiques/725799



La Mouette :

http://www.babelio.com/livres/Tchekhov-La-mouette/75808/critiques/518791



Oncle Vania :

http://www.babelio.com/livres/Tchekhov-Oncle-Vania/3805/critiques/548268



Les Trois Sœurs :

http://www.babelio.com/livres/Tchekhov-Les-trois-soeurs/3806/critiques/516323



La Cerisaie :

http://www.babelio.com/livres/Tchekhov-La-Cerisaie/37484/critiques/377986



Pièces en un acte :

http://www.babelio.com/livres/Tchekhov-Pieces-en-un-acte/83296/critiques/728145
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Une Demande en Mariage et autres pièces en un..

Cette courte pièce en un acte ne contient que trois personnages. Heureusement d'ailleurs car ce sont trois forts caractères ! Il y a donc le père, Stepan Stepanovitch Tchouboukov, sa fille, Natalia et le voisin, Lomov. Ce dernier voudrait l'épouser et, pour ce faire, il vient demander, comme la coutume l'exige, sa main. Cependant, la principale concernée n'est pas au courant. Tchouboukov donne sa bénédiction à son futur gendre. Il appelle alors Natalia pour lui faire part de la nouvelle mais il n'en a pas le temps car la conversation tourne au vinaigre à propos d'un morceau de terrain que Lomov s'attribue. Comment Natalia réagira t-elle lorsqu'elle apprendra que celui qu'elle vient d'insulter copieusement était là pour lui faire sa demande en mariage ?



On passe son temps à sourire face au quiproquo, aux insultes balancées. On ne s'ennuie pas un seul instant, d'autant plus que la pièce est originale dans la mesure où elle joue sur l'effet de surprise. Découvrez ou redécouvrez Tchekhov !
Lien : http://www.lydiabonnaventure..
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La Cerisaie

Un monde disparaît, inexorablement chassé par un autre qui prend sa place et le pouvoir...

Une œuvre achevée au crépuscule de la vie de Tchekov, cataloguée comédie, certes, mais une définition réductrice, plutôt une comédie sociétale amère voire prémonitoire.

La classe gouvernante aristocratique russe fin 19ème siècle, décrite déliquescente, humaniste et idéaliste, est supplantée par une bourgeoisie montante, financièrement agressive et arrogante lors de sa prise de pouvoir, symbolisée par ce dernier discours de Lopakhine, représentant de cette caste montante.

La classe definissable en prolétarienne, serviteurs et étudiants, sous estimée et oubliée, restent sur le bord de ces bouleversements sociétaux ; Tchekov, alors prémonitoire, ne subodore t-il pas leur avènement, historiquement marquée par la révolution bolchevique ? C'est certes un tantinet extrapoler, mais rien au travers de l'oeuvre n'empêche de l'envisager.

Si l'écriture est légère, le sujet abordé est grave et profond.



Nous nous éloignons donc de la simple comédie de mœurs pour une subtile étude sociétale russe de cette période. Chaque personnage a une charge symbolique propre, tous représentants d'une facette de cette société, et l'ensemble peut donner une pièce de théâtre vive sur scène, à plusieurs niveaux de "lecture". Il reste à assister à une digne représentation théâtrale de l'œuvre pour complètement l'appréhender.



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Une banale histoire : Fragments du journal ..

Le professeur de médecine Nicolaï Stépanovitch se sait condamné. Dans le grand désarroi qui est le sien, alors que sa propre personne lui renvoie l'image de ses défaillances liées à l'âge et à la maladie, qu'il observe ses proches et qu'il ne voit que médiocrité, la désillusion du vieil homme imbu de lui-même est immense. Seule Katia sa fille adoptive, déprimée pour d'autres motifs, semble avoir grâce à ses yeux. Mais l'homme usé est bien incapable d'aider la jeune fille en quête de réponses. Une banale histoire qui n'est pas sans faire penser à La mort d'Ivan Illitch de Tolstoï. Nicolas Stépanovitch et Ivan Illitch apparaissant comme deux hommes dont la richesse, la renommée et le raisonnement se révèlent inutiles face aux tourments, aux ténèbres et à la profonde désespérance d'une existence proche de son terme.
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Les groseilliers et autres nouvelles

Les quatre nouvelles du recueil sont aussi dures et acides que des groseilles à maquereau à l'exception de L'étudiant. Cette nouvelle d'inspiration chrétienne est étonnante dans ce recueil d'un pessimisme radical. Il n'est vraiment pas tendre avec ces congénères ce Tchekhov des dernières années, en particulier avec les petits propriétaires terriens. Tous les principaux personnages baignent dans le mensonge, l'illusion et la solitude intérieure. Mais alors quel conteur ! Quel savoir faire ! En quelques pages, il nous plonge dans la psychologie des personnages, les met à nu, révèle leur peur, leur frustration, leur médiocrité, leur facticité avec une ironie légère et désenchantée.

Conclusion : " La vie est effrayante, alors il n'y a pas à se gêner pour elle, brise-la et prends tout ce que tu peux lui arracher avant qu'elle ne t'écrase ".



1) La Peur (1892)

Le narrateur rend visite par désoeuvrement à Siline une de ses connaissances qui a fui la ville pour s'installer à la campagne. Siline a apparemment tout pour être heureux notamment une femme aimée que le narrateur trouve charmante. Mais Siline avoue au narrateur qu'il vit dans la peur...





2)L'étudiant (1894)

Voir billet dédié.





3) Les groseilliers (1898). La nouvelle fait normalement partie d'une trilogie avec l'Homme à l'étui et de l'amour.

Ivan Ivanovitch raconte au narrateur et à l'un de ses amis l'histoire de son frère Nikolaï. Celui-ci devenu fonctionnaire à Moscou regrettait sa jeunesse à la campagne et voulait absolument acquérir une propriété où pousseraient des groseilliers. Il économisa sou par sou, se priva, se maria avec une riche veuve très laide qu'il mena au tombeau en deux ans à force de privations. Arrivé à la cinquantaine...



4) Ionytch (1898)

Ionytch est un jeune médecin qui arrive à S. à la campagne. Il est invité par une famille en vue. le père se pique de théâtre, la mère écrit des nouvelles et des romans, la fille Ekatérina surnommée Kotic joue du piano. Ionytch en tombe illico amoureux et lui tourne autour. Elle lui donne alors rendez-vous au cimetière...

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Pièces en un acte

Les pièces en un acte d'Anton Tchékhov se répartissent pour trois d'entre elles en études dramatiques et pour six d'entre elles en farces. Il convient, je pense, de bien distinguer ces deux ensembles ; les premières étant, selon moi, de bonne voire très bonne qualité, et les secondes très moyennes à franchement mauvaises.



Les trois études dramatiques sont, dans l'ordre de cette édition : Sur La Grand-Route, Le Chant Du Cygne et Tatiana Répina. Les six farces étant : Des Méfaits Du Tabac, L'Ours, La Demande En Mariage, Le Tragédien Malgré Lui, La Noce et Le Jubilé.



Sur La Grand-Route me semble être à la fois la plus ambitieuse et la plus intéressante de ces pièces en un acte. C'est en tout cas ma préférée et de très, très loin. On y perçoit une claire, nette et évidente annonciatrice et inspiratrice de la célèbre pièce de Maxime Gorki, Les Bas-Fonds.



C'est un théâtre rare pour Tchékhov. Lui qui nous a plutôt habitué à faire frayer ses drames parmi la petite aristocratie ou la bourgeoisie, il nous transporte cette fois-ci dans une taverne franchement mal famée et peu recommandable des bords de route où s'y croisent des pèlerines hors d'âge, des voyous patentés, des ivrognes de toute espèce, des vieillards à l'article de la mort, des voyageurs tombés en panne, etc.



La langue n'y est pas fleurie et les vies sont abîmées, frappées du sceau du destin. On y retrouve les mêmes appels messianiques que dans Les Bas-fonds, les mêmes hors-la-loi, les mêmes empoignades verbales qui peuvent à chaque instant devenir physiques. L'omniprésence de l'alcool, la précarité et la promiscuité.



Et, comme dans Les Bas-Fonds, on y rencontre un personnage surprenant, Bortsov, un ancien propriétaire foncier opulent, c'est-à-dire, un aristocrate, désormais ruiné, sali, mis plus bas que terre, plus mendiant que le dernier des mendiants, plus ivrogne que le dernier des ivrognes. Je vous laisse découvrir son histoire qui arrive même à attendrir les rudes gaillards de la taverne.



Le Chant Du Cygne nous présente la grande remise en question d'un acteur âgé, sur le déclin, qui s'interroge sur son art et sur le sens qu'il a donné à sa vie durant toutes ses années de scène. Cette pièce fait écho, mais de façon plus faible, à La Mouette, où cette thématique est mieux développée.



Enfin, dernière étude dramatique, Tatiana Répina est une variation sur le thème du mariage orthodoxe. On assiste donc à une cérémonie en bonne et due forme, qui assomme tout le monde d'un puissant ennui et le décalage est donc réalisé par les voix et commérages en coulisses, sur les bancs de l'église, les remarques du marié à son témoin qui croule sous le poids de la couronne et... sur les murmures qui s'opèrent lorsqu'il semble à chacun que Tatiana Répina a fait son apparition à la cérémonie...



Viennent alors les six farces qui m'ont cordialement ennuyée sauf peut-être L'Ours, à un degré moindre.



Des Méfaits Du Tabac est selon moi une pièce creuse où l'auteur n'a rien ou à peu près à nous dire, tout comme son protagoniste principal. C'est un monologue, un peu comme Le Tragédien Malgré Lui, où un mari, complètement phagocyté par sa femme, tenancière d'un pensionnat-école de musique, est mandé par son épouse pour faire une énième conférence de bienfaisance. Le brave factotum va donc s'exécuter, en ayant bien évidemment pas la moindre idée de ce dont il va pouvoir parler devant un auditoire qui, de toute façon, ne l'écoutera pas. Or, accablé par la férule de sa despotique épouse, il pète un câble et balance à l'assemblée les secrets du caractère de sa femme et de ses pitoyables relations avec elle. Bref, il parle de tout, sauf peut-être des méfaits du tabac...



L'Ours nous met en présence un créancier qui vient réclamer une somme d'argent à une jeune veuve. Cette dernière, plutôt prude et de belles manières, lui confesse qu'elle ne pourra recouvrer sa créance que dans quelques jours. Or, lui, a un besoin urgent de la somme aujourd'hui même. S'ensuit donc une empoignade verbale de toute beauté où fourmillent quelques belles répliques pour se finir d'une façon quelque peu inattendue.



Une Demande En Mariage surfe sur l'éternelle âpreté au gain et l’étroitesse d’esprit de ces propriétaires terriens que fustige souvent Tchékhov. Toujours est-il que toute la pièce est un crêpage de chignon sur des peccadilles, qui interdisent même au fiancé de formuler sa demande auprès de la jeune fille convoitée. Très faible intérêt selon moi.



Le Tragédien Malgré Lui, c'est encore pire, du gros, lourd et gras qui tache... Un quasi monologue où un citadin de la classe moyenne, qui vient passer son été en datcha à la campagne, égrène les mille misères que cette vie de villégiature lui cause auprès de son épouse tyrannique. On est au fond du trou de Tchékhov d'après moi.



La Noce, un peu à la manière d'Une Demande En Mariage, se prétend une caricature des classes moyennes qui veulent faire comme les " grands ", en mettre plein la vue, mais qui n'en ont ni les moyens ni les manières. Le passage avec le capitaine de frégate, assez drôle au tout début, devient catastrophique et d'un lourdingue absolu vers la fin.



Le Jubilé nous transporte dans une banque où, là encore, Tchékhov s'en prend au vernis derrière lequel se cachent les personnages " respectables " et essaie de l'écailler. Mais c'est encore de la grosse mécanique redondante, pas drôle et qui ne présente pas beaucoup d'intérêt à mes yeux.



En conclusion, un recueil très inégal, qui vaut essentiellement pour Sur La Grand-Route, très intéressante si l'on souhaite comprendre l'ontogenèse des Bas-Fonds de Gorki. Pour le reste, vous pouvez sans doute passer votre route, mais ce n'est que mon avis, c'est-à-dire, vraiment pas grand-chose.
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La steppe

La trame de cette longue nouvelle de Tchekhov est ultra simple : un jeune garçon de neuf ans, Iégorouchka, en compagnie de son oncle et d’un pope, quitte sa ville natale et sa mère, et entreprend un voyage en calèche pour rejoindre une grande ville où il fera ses études.



La Steppe n’a donc rien d’un récit d’action !

Son intérêt - et sa force - se trouve ailleurs : il nous fait découvrir la steppe ukrainienne et russe, les descriptions sont remarquables, et ne génèrent aucun ennui pour le lecteur. On ressent l’amour de l’auteur pour ces grandes étendues.

Nous accompagnerons Iégorouchka dans ce voyage et y découvrirons les paysages, les nuits à la belle étoile, les rencontres avec de nombreux personnages. Iégorouchka nous apparaîtra comme un petit enfant pleurant la séparation d’avec sa mère et son environnement familier, curieux de ce qui l’entoure, effarouché souvent devant des plus grands, terrifié par un violent orage qui le rendra malade.

Le récit s’achève une fois le but de son voyage atteint.

je ne peux m’empêcher de vous en faire partager les dernières lignes :

“Iégorouchka sentit qu’avec eux tout ce qu’il avait vécu jusqu’à maintenant s’en allait en fumée et pour toujours. Il s’assit, épuisé, sur un banc, et accueillit avec des larmes amères la vie, nouvelle, inconnue, qui commençait pour lui à cet instant…

À quoi ressemblerait-elle, cette vie-là ?”
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Une plaisanterie et autres nouvelles

La présentation dans la collection "Rivages Poche, Petite Bibliothèque" de 5 nouvelles du grand maître russe, Anton Tchekhov (1860-1904), après une belle préface de Maël Renouard et une contribution exceptionnelle "Vu de Russie" par une autre grande dame de la littérature, Virginia Woolf de 1925, a de quoi séduire les lectrices et lecteurs les plus sceptiques.

En plus, ce petit ouvrage d'exactement 155 pages contient sa toute dernière nouvelle "La Fiancée", publiée l'année avant son décès.



Je dois dire que c'est le titre de la première nouvelle "Une plaisanterie" qui m'a intrigué, car ce n'est pas le terme que l'on associe spontanément à la vie de ce géant russe, qui, en dépit d'une santé fragile, de nombreuses cures thermales à Yalta et en Allemagne, ainsi qu'une mort prématurée, causée par la tuberculose, à seulement 44 ans, a laissé une oeuvre absolument prolifique. J'ai tenté de compter le nombre de ses nouvelles et après m'être gouré à 3 reprises, j'ai laissé tomber.



Résumer une nouvelle n'a bien sûr aucun sens. Je vais essayer de vous situer le contexte de ses nouvelles tout en me gardant bien d'en décliner la chute.



Dans "Une plaisanterie" nous voyons la jeune Nadiejda Petrovna, morte de frousse en plein hiver installée sur une luge avec son ami descendre une pente d'une profondeur insondable. Au-dessus du hurlement du vent et du vrombissement inquiétant de la luge qui développe une vitesse affolante, la demoiselle entend les mots magiques : "Je vous aime, Nadia !" Or, notre Nadienka n'est pas sûre qui a prononcé ces paroles fantastiques : son ami ou le vent ? La seule façon de savoir signifie une remontée et.... une redescente et donc vaincre sa trouille et sa terreur !



Dans la seconde nouvelle nous rencontrons un jeune homme "irascible" qui ne pense qu'à finir sa dissertation sur "Le passé et l'avenir de l'impôt sur les chiens", seulement sa belle voisine Machenka a des projets d'un genre tout différent ! Et notre Nikolaï Andreïevitch restera-t-il irascible ou, au contraire ?



3) "Le baiser". Un soir, un homme en civil assis sur un isabelle (petit cheval) invite, au nom de son maître, les officiers d'une troupe de passage pour la soirée au château. Parmi les 19 invités, il y a le capitaine en second, Riabovitch, que la nature n'a pas gâté : il est petit, légèrement voûté, il porte des lunettes et a des "favoris de lynx". Par ailleurs, il souffre de cécité psychique et est d'une timidité maladive, aussi bien qu'il n'a jamais connu de femme. Après avoir bu quelques cognacs et pendant que les autres dansent, notre homme se balade et s'égare dans la vaste demeure. Il entre dans une pièce obscure, entend des pas rapides, le froufrou d'une robe et une voix féminine qui chuchote "enfin !" avant de recevoir un baiser et d'entendre la dame qui s'écarte en poussant le petit cri de quelqu'un qui s'est manifestement trompé.



Il faut se nommer Anton Tchekhov pour décrire l'impact et les effets de ce premier baiser dans la vie de notre pauvre Riabovitch : sublime !



De la nouvelle suivante, je préfère m'abstenir de commentaire car il s'agit d'un récit policier, intitulé "L'allumette suédoise" et dans lequel il y a un assassinat et un Sherlock Holmes ou un inspecteur Lecoq (le détective d'Émile Gaboriau) pour élucider ce crime.



La dernière nouvelle "La Fiancée" est la plus sombre des 5. Écrite une bonne quinzaine d'années après les autres, à un moment où il a dû savoir que la fin était proche et qu'il souffrait abondamment. Dans cette histoire, du reste, un personnage meurt de phtisie.

Nadia est fiancée à Andreï Andréïevitch, le fils de l'archiprêtre, mais elle commence à avoir des doutes sur ses sentiments et un avenir d'oisiveté, déjà tout tracé. Elle rêve de partir à Saint-Pétersbourg et y entreprendre des études.

Quelle sera sa décision ?



Je laisse le mot de la fin à Virginia Woolf : "L'âme est malade ; l'âme est guérie, ou ne l'est pas. Voilà les points saillants de ses récits". Et l'écrivaine conclue : "Aussi, lorsque nous lisons ces petits récits sur rien du tout, l'horizon s'élargit-il : l'âme y acquiert un incroyable sentiment de liberté".

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Oncle Vania

Avec une table et deux chaises, Anton Thekhov livre un drame inextricable.

Avec de simples dialogues, l’auteur raconte l’origine de l’histoire, le paroxysme de la crise et son issue.

Anton Thekhov donne peu d’éléments scéniques ; il offre beaucoup de liberté au metteur en scène et aux acteurs.

Je découvre Tchekhov, et les situations de frustrations pour ses personnages m’ont plu.

La pièce a encore un coin obscur : Quel est le rôle de Ilia IlitchTéléguine, propriétaire foncier ruiné ?

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Le moine noir

“Ô le plus fou de tous les hommes, toi qui aspires à la sagesse!”

(Erasme, "Eloge de la Folie")



L'admirable Anton Pavlovitch nous a légué plusieurs pièces dramatiques de renommée mondiale et une impressionnante pile de proses, qui démontrent toutes son étonnant talent d'observateur. Il possédait l'art et la manière pour brosser le portrait de la société de son époque avec beaucoup de finesse psychologique ; son métier de médecin y était sans doute pour quelque chose.

Une nouvelle fantastique semble pourtant s'écarter de ses thèmes habituels, du moins à première vue : "Le moine noir" (1894).



On raconte que l'écrivain et son frère Mikhaïl ont un soir observé un mémorable coucher de soleil sur le domaine de Melikhovo, tout en discutant des mirages et de la possibilité de leur matérialisation. C'est peut-être là qu'il faut chercher la base de l'intrigue de la nouvelle, que Tchekhov a située dans le cadre agréable de la propriété campagnarde des Pessotski, avec son vaste verger et ses parterres fleuris. C'est ici que Kovrine, universitaire surmené, arrive pour se reposer.

On peut presque y voir Tchekhov lui-même : lui aussi a longtemps souffert de tuberculose et du sombre désespoir grandissant face à cette maladie quasi incurable.

Le sort de Kovrine est comme une préfiguration de sa propre mort dans la station thermale de Badenweiler en 1904.



La nouvelle met en scène le mystérieux "moine noir", qui apparaît une fois tous les mille ans pour transmettre le message que tous les génies sont en réalité des fous élus, qui doivent vivre différemment des gens ordinaires et de leurs aspirations banales.

Le moine noir apparaît à Kovrine et l'enchante complètement. Il se sent pousser des ailes de géant, et il n'a plus peur de critiquer avec passion la médiocrité qui l'entoure, la petitesse des ambitions humaines et la stupidité collective, ni l'utilité toute relative de la science médicale... et bien sûr, dans les yeux de ses proches, son comportement devient tout à fait anormal.

À travers Kovrine, Tchekhov pose de nombreuses questions, mais ne donne pas de réponses claires. Comme à son habitude, il laisse les conclusions à l'intelligence de ses lecteurs.

Kovrine vit merveilleusement bien avec ses hallucinations (?) du moine noir, qui apaise son intranquillité et nourrit son égo. La présence du moine lui devient nécessaire, et sa vision du monde va radicalement changer, quand son entourage aimant et soucieux de son bien le lui enlève par une thérapie médicale. Il devient irritable, désagréable, et rejette tout ce qui a autrefois compté dans sa vie. Quand il s'en rendra compte, il sera trop tard...

Jusqu'où peuvent aller les tentatives d'entasser les gens différents dans les moules de la "normalité" ? Qu'est-ce que le génie et qu'est-ce que la folie, et où se situe la fragile frontière entre les deux ?



Tchekhov a su construire ses nouvelles avec maestria est sans détours superflus. Ses histoires sont toujours captivantes et modernes, même si elles datent de plus d'un siècle. Son style économe, ses gradations dramatiques et son sens du détail sont devenus un exemple à suivre pour bien des écrivains du 20ème siècle, notamment pour Hemingway, un autre géant de la prose courte, où encore pour les romans noétiques de Karel Čapek.

Sans une once de compassion, il nous montre les facettes les plus absurdes et les plus grotesques de ses personnages, mais, paradoxalement, on ne peut pas en rire si facilement. Chez Tchekhov tout est comédie, et en même temps pas du tout...

Il savait très bien que ce qu'on appelle communément "la vérité" peut très facilement varier selon l'angle de vue... et en tant qu'écrivain ingénieux, il nous propose toujours plusieurs de ces angles. Tout en laissant entendre qu'il y a autant de vérités que d'individus qui parcourent la planète ; une approche qui fait de lui (même si, une fois de plus, cela peut paraître drôle) un loyal frère d'armes du tragicomique Cervantès.



Si vous cherchez de la bonne lecture, prenez sans crainte Tchekhov. C'est un auteur que vous allez aimer et apprécier pour toujours, car ses livres sont un miroir de la vie réelle, et non pas des visions pseudo-intellectuelles de quelque vérité unique. 5/5
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Oncle Vania - Les trois soeurs

Ceux qui me connaissent un petit peu savent que j’aime, de temps à autres, me faire l’avocate soit du diable, soit des causes perdues. Et bien que j’aie déjà proposé un commentaire pour chacune des deux pièces qui composent cet ouvrage, j’aimerais amener votre attention sur cette édition en particulier.



Nous savons tous que les très vieilles éditions du « Livre de Poche » ont auprès de beaucoup une réputation de ringardise absolue, esthétiquement, surtout, mais aussi pour la piètre qualité du papier ou de la reliure, ou encore pour l'appareil critique inexistant, et cætera, et cætera, j’en passe comme vous pouvez vous le figurer. En somme, à l'heure du tout numérique, du high-tech, du flashy, du supersonique, ces vieux livres jaunis ne valent même pas le coup de talon qu'ils suscitent dans l'esprit de certaines et certains.



Nonobstant, au risque d’en surprendre quelques uns, j’ai une affection toute particulière pour ces mal-aimées chez les classiques de poche.



Premièrement, elles conservent totalement ce qui fit leur succès en leur temps, à savoir une extrême modicité de coût quasi imbattable sur le marché de l’occasion.



Deuxièmement, et on ne le souligne jamais (ou jamais assez), je constate que ces vieilles reliques du Livre de Poche n’ont à rougir devant personne quant au nombre des coquilles, surtout pas devant Folio ni même la pourtant fort prestigieuse Pléiade.



Troisièmement, et là encore on n’en fait guère de cas, je veux parler de la pertinence des choix éditoriaux, souvent copiés par la concurrence, mais dont tout le mérite devrait revenir en premier lieu à cette collection.



Ceci nous ramène à ces deux pièces de Tchékhov. En effet, quelle bonne idée de les proposer ensemble, ces deux-là, et non deux autres. Certes, on peut toujours plaider en faveur du hasard qui, pour le coup, aurait été heureux. On ne peut l’exclure, mais je n’en crois pas une lettre. Ces deux pièces ont évidemment des rapports multiples qu’il est très intéressant de mettre en miroir.



L’une comme l’autre ont pour cadre une grosse maison à la campagne où les personnes qui y résident se sentent perdus loin de la vie de la ville. Les deux ont comme dénominateur commun d’avoir pour héros des êtres ratés, frustrés, dont le potentiel se délite et n’aura jamais été reconnu à sa vraie valeur. Dans les deux, l’auteur témoigne de l’aspect fugace, fragile et dérisoire d’une seule existence humaine à l’échelle des temps.



Ces pièces sont aussi radicalement symétriques ou de forme inverse. Dans l’une, le personnage du médecin, cher à Tchékhov, est le seul à sembler être lucide, dans l’autre, c’est le plus égaré et le plus profondément altéré de tous.



Dans l’une, la femme qui est la pièce rapportée de la famille provoque l’explosion de l’assemblée, dans l’autre, cette même femme joue l’implosion par un travail de sape souterrain et maintenu pendant plusieurs années. Dans une pièce, le scientifique raté qui a épousé la femme-piège quitte le noyau familial avec son épouse, dans l’autre, c’est le noyau familial qui finalement quitte le couple du scientifique raté et de la femme-piège.



On pourrait multiplier de la sorte et pendant un bon moment les analogies et les dissemblances symétriques rigoureusement opposées, mais je pense que le constat est clair. C’était rudement bien vu, mesdames et messieurs les éditeurs de cette époque du « Livre de Poche », d'avoir choisi ce rapprochement-là, et je vous tire mon chapeau.



Mais ce chapeau, vous le savez, n'a sans doute pas beaucoup d'allure, il ne taille pas bien grand, car il n’épouse que mon avis, c’est-à-dire bien peu de chose…
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La steppe

Le malheur de l'art contemporain - outre d'être devenu largement spéculatif - est d'avoir oublié qu'il n'y a rien de plus difficile que de faire simple. Pourtant, Tchekov est là pour montrer la voie. Bâtir une pièce de théâtre sur une cerisaie qu'on abat, un vieil homme fatigué d'entretenir son beau-frère, une tentative de séduction à coup de mouette morte ? C'est avec si peu de matériaux qu'il a fait ses chefs-d'oeuvre. Qu'attendre alors de ce roman, qu'il considérait comme son meilleur texte ?



Rien.



Il ne s'y passe strictement rien. Un adolescent effectue un petit voyage jusqu'à la ville la plus proche, où il va entrer au collège. Son oncle et le pope de son village, associés dans une petite affaire de commerce de laine, l'ont pris avec eux. Devant faire un détour, ils le confient provisoirement à un convoi de marchandises. Il passe ainsi quelques jours en compagnie des charretiers, partageant leur vie simple. Un orage, une pêche à main nue, quelques rencontres, brisent la monotonie du quotidien. Il arrive à bon port, on lui trouve un logis. Et voila tout.



Et il n'y a besoin de rien de plus. Chaque chose est à sa place. Reculez-vous. Regardez un peu l'oeuvre dans son ensemble. Vous le voyez maintenant, n'est-ce pas ? C'est un hymne d'amour. A la steppe.
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Le moine noir

Le souvenir d’une lecture lointaine, « Le moine », la réécriture par Antonin Artaud du chef d’oeuvre gothique de Matthew Gregory Lewis, m’est revenu tel un fantôme, lorsque j’ai commencé la lecture de la nouvelle de Tchekhov, « Le moine noir ». Ce roman qui transgresse tous les interdits, convoque le diable, et conduit son lecteur sur les traces d’un moine s’adonnant à la luxure et au satanisme, fait partie de ces quelques ouvrages qui laissent une impression tenace, à peine atténuée par le passage des ans.



Le titre peu engageant de la nouvelle de Tchekhov, la vision d’une littérature russe traversée par la mystique enfiévrée de l’âme slave, l’écho lointain du roman de Lewis, me conduisaient à envisager « Le moine noir » comme un récit violent, diabolique, hyperbolique et terrifiant, convoquant un être maléfique dissimulant un sourire méphistophélique sous sa bure ébène.



Dès les premières pages, j’ai compris qu’il était difficile de se tromper plus lourdement. Tchekhov n’est pas Dostoïevski et encore moins un écrivain gothique tel que Matthew Gregory Lewis. Comme l’indique Daniel-Rops dans la préface du recueil de nouvelles où « Volodia » et « Une morne histoire » accompagnent « Le moine noir » : « On fait un pas dans la connaissance de Tchekhov en observant qu’il n’y a en lui rien de violent, de fracassant. »



L’intrigue nous conduit sur les traces d’André Kovrine, un intellectuel brillant et travailleur, promis à une chaire à la Faculté. Il part se reposer à la campagne, dans le domaine de son ancien tuteur Pessotzki, grand jardinier devant l’éternel. C’est dans un cadre bucolique, entre la maison immense de son hôte, un vieux parc à l’anglaise, et le verger de trois hectares qui fait la fierté de Pessotzki, qu’André Kovrine coule des jours heureux en compagnie de Tania, la fille du maître jardinier.



Malgré le caractère bucolique des lieux, Kovrine continue de mener « une vie aussi nerveuse et agitée qu’à la ville ». Il travaille intensément, bavarde chaque soir avec les invités des Pessotzky, boit beaucoup de vin et fume des cigares de prix. Un soir, il raconte à la jeune Tania, devenue sa confidente, une légende qui le préoccupe depuis le matin. Cette légende un peu confuse rapporte l’histoire d’un moine vêtu de noir qui allait dans le désert en Arabie.



« Et à quelques lieux de l’endroit où il allait, les pêcheurs avaient vu un autre moine en noir qui s’avançait lentement sur la surface du lac. Ce second moine était un mirage. (...) Ce mirage a suscité un second mirage, puis un troisième, de telle sorte que l’image du moine noir continua à se transmettre d’une couche de l’atmosphère à une autre. (...) Finalement il sortit des limites de l’atmosphère terrestre, et à présent il erre à travers l’espace interplanétaire. »



Toujours selon la légende, le mirage est supposé revenir à nouveau sur terre, exactement mille ans après que le moine noir a marché sur la terre. Il se pourrait que les mille ans soient bientôt révolus et que le moine noir fasse sa réapparition d’un jour à l’autre.



« Mais ce qui est le plus remarquable, dit en riant Kovrine, c’est que je n’arrive pas me souvenir comment j’ai appris cette légende. L’ai-je lue quelque part ou me l’a-t-on contée ? A moins encore que j’aie rêvé de ce moine noir. »



« Le moine noir » est un petit bijou de concision où le minimalisme de Tchekhov fait merveille. A l’opposé de l’image fantasmée d’un récit traversé par une fièvre métaphysique que j’avais imaginé. Le lecteur est frappé par l’absence de grandiloquence, par la simplicité, et la bonhommie trompeuse qui émane de la nouvelle inspirée d’un rêve que Tchekhov avait lui-même eu. L’auteur réussit le prodige de conférer à son récit un réalisme saisissant, alors même qu’il convoque le fantastique lors que le moine noir apparaît bel et bien au sémillant André Kovrine, que Tania appelle affectueusement « Andrioucha ».



Le classicisme épuré de l’intrigue ne doit pourtant pas occulter la noirceur extrême de la nouvelle. Paradoxalement, l’absence de toute violence outrancière d’un texte dominé par un réalisme froid, fait du « Moine noir » une nouvelle absolument glaçante, dans laquelle l’auteur critique en creux les conventions bourgeoises d’une société guindée qui ne vit que pour sauver les apparences.



La folie qui gagne peu à peu Kovrine est décrite avec une distance glacée qui ne la rend que plus effrayante. Le « moine noir » qui lui apparaît est un être chenu, et plutôt avenant qui n’inspire aucune crainte au héros, bien au contraire. Le ton badin de leurs échanges rappelle toute la pertinence de la phrase de Baudelaire : « La plus belle des ruses du diable est de vous persuader qu'il n'existe pas ».
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Ivanov, suivi de neuf pièces

Ce volume de l'ancienne édition du Livre de Poche regroupe les dix dernières pièces de Tchékhov (les autres ayant été publiées précédemment dans des volumes antérieurs avec des rapprochements de pièces intéressants). Ici, ils ont pris ce qui restait d'où une certaine hétérogénéité de l'ensemble. Je vais donc distinguer nettement Ivanov des neuf pièces en un acte.



1) IVANOV.

Bien que cette pièce en quatre actes soit précoce dans la production de l'auteur, tous les ingrédients qu'il affectionne y sont déjà : la vie de campagne ennuyeuse à mourir, les amours non partagées, la mesquinerie, l'envie, la bêtise, l'avarice, la médisance, sans oublier quelques belles âmes qui se consument pour rien parmi cette moisissure, cette flétrissure et le tout couronné d'une extrême sensation de " voie sans issue ".



C'est une pièce brève, peut-être un peu trop vite expédiée quant à la forme, mais elle est forte et profonde sur le fond. Anton Tchékhov nous sert un trentenaire, naguère riche, brillant et très en vue mais qui s'est laissé cuire dans le jus de ses désillusions. Ajoutons à cela le filtre de la vision des gens ordinaires, qui interprètent tous ses agissements à leur sauce, lui prêtant des visées ou des sentiments qu'il n'a pas.



Il est vrai qu'il peut paraître tentant de conjecturer car Ivanov s'est marié à une juive de famille riche. Sa charmante et follement amoureuse Sarah n'a pas hésité à tout abandonner pour lui : famille, religion, identité, richesse. Les parents juifs ayant très mal vécu la spoliation culturelle et identitaire de leur fille ont refusé de lui léguer leur magot.



Et la pauvre Sarah, devenue entre temps Anna Pétrovna, a été bien mal payée en retour de tant d'amour : Ivanov la laisse dépérir dans son coin. Il est toujours fourré chez les Lébédev où, comme un fait exprès, l'unique fille de la famille, Sacha, seule héritière de la fortune de sa mère, lui fait les yeux doux. Étrange coïncidence, n'est-il pas ? On comprend que les cancans aillent bon train et que le comportement d'Ivanov soit jugé trouble par ses plus proches voisins...



Tchékhov sait nous brosser un portrait subtil, ambigu, complexe et dense de son héros, en proie au doute et au nihilisme. le contraste entre ce que l'on sait d'Ivanov, ce qui se déroule sous nos yeux et ce que les autres en disent est, de mon point de vue, le grand point fort de la pièce.



Ce serait mentir, probablement, que de prétendre que cette pièce n'a pas de défauts ou qu'elle est la meilleure de son auteur, mais peut-être serait-ce mentir tout autant que d'arguer qu'elle ne vaille pas le coup d'être lue ou vue.



Personnellement, je l'ai trouvée particulièrement réussie quant à la densité et aux multiples facettes du personnage central. En revanche, certaines ritournelles comiques ou supposées telles, (à l'image de ce qui nous attend pour les pièces en un acte) m'ont paru un peu lourdes, inutiles et loin de la grande finesse de propos de l'ensemble.



2) LES PIÈCES EN UN ACTE.

Ces pièces en un acte se répartissent pour trois d'entre elles en études dramatiques et pour six d'entre elles en farces. Il convient, je pense, de bien distinguer ces deux ensembles ; les premières étant, selon moi, de bonne voire très bonne qualité, et les secondes très moyennes à franchement mauvaises.



Les trois études dramatiques sont : Sur La Grand-Route, le Chant du Cygne et Tatiana Répina. Les six farces étant : Des Méfaits du Tabac, L'Ours, La Demande En Mariage, le Tragédien Malgré Lui, La Noce et le Jubilé.



SUR LA GRAND-ROUTE me semble être à la fois la plus ambitieuse et la plus intéressante de ces pièces en un acte. C'est en tout cas ma préférée et de très, très loin. On y perçoit une claire, nette et évidente annonciatrice et inspiratrice de la célèbre pièce de Maxime Gorki, Les Bas-Fonds.



C'est un théâtre rare pour Tchékhov. Lui qui nous a plutôt habitué à faire frayer ses drames parmi la petite aristocratie ou la bourgeoisie, il nous transporte cette fois-ci dans une taverne franchement mal famée et peu recommandable des bords de route où s'y croisent des pèlerines hors d'âge, des voyous patentés, des ivrognes de toute espèce, des vieillards à l'article de la mort, des voyageurs tombés en panne, etc.



La langue n'y est pas fleurie et les vies sont abîmées, frappées du sceau du destin. On y retrouve les mêmes appels messianiques que dans Les Bas-fonds, les mêmes hors-la-loi, les mêmes empoignades verbales qui peuvent à chaque instant devenir physiques. L'omniprésence de l'alcool, la précarité et la promiscuité.



Et, comme dans Les Bas-Fonds, on y rencontre un personnage surprenant, Bortsov, un ancien propriétaire foncier opulent, c'est-à-dire, un aristocrate, désormais ruiné, sali, mis plus bas que terre, plus mendiant que le dernier des mendiants, plus ivrogne que le dernier des ivrognes. Je vous laisse découvrir son histoire qui arrive même à attendrir les rudes gaillards de la taverne.



LE CHANT DU CYGNE nous présente la grande remise en question d'un acteur âgé, sur le déclin, qui s'interroge sur son art et sur le sens qu'il a donné à sa vie durant toutes ses années de scène. Cette pièce fait écho, mais de façon plus faible, à La Mouette, où cette thématique est mieux développée.



Enfin, dernière étude dramatique, TATIANA RÉPINA est une variation sur le thème du mariage orthodoxe. On assiste donc à une cérémonie en bonne et due forme, qui assomme tout le monde d'un puissant ennui et le décalage est donc réalisé par les voix et commérages en coulisses, sur les bancs de l'église, les remarques du marié à son témoin qui croule sous le poids de la couronne et... sur les murmures qui s'opèrent lorsqu'il semble à chacun que Tatiana Répina a fait son apparition à la cérémonie...



Viennent alors les six farces qui m'ont cordialement ennuyée sauf peut-être L'Ours, à un degré moindre.

LES MÉFAITS DU TABAC est selon moi une pièce creuse où l'auteur n'a rien ou à peu près à nous dire, tout comme son protagoniste principal. C'est un monologue, un peu comme le Tragédien Malgré Lui, où un mari, complètement phagocyté par sa femme, tenancière d'un pensionnat-école de musique, est mandé par son épouse pour faire une énième conférence de bienfaisance.



Le brave factotum va donc s'exécuter, en ayant bien évidemment pas la moindre idée de ce dont il va pouvoir parler devant un auditoire qui, de toute façon, ne l'écoutera pas. Or, accablé par la férule de sa despotique épouse, il pète un câble et balance à l'assemblée les secrets du caractère de sa femme et de ses pitoyables relations avec elle. Bref, il parle de tout, sauf peut-être des méfaits du tabac...



L'OURS nous met en présence un créancier qui vient réclamer une somme d'argent à une jeune veuve. Cette dernière, plutôt prude et de belles manières, lui confesse qu'elle ne pourra recouvrer sa créance que dans quelques jours. Or, lui, a un besoin urgent de la somme aujourd'hui même. S'ensuit donc une empoignade verbale de toute beauté où fourmillent quelques belles répliques pour se finir d'une façon quelque peu inattendue.



UNE DEMANDE EN MARIAGE surfe sur l'éternelle âpreté au gain et l'étroitesse d'esprit de ces propriétaires terriens que fustige souvent Tchékhov. Toujours est-il que toute la pièce est un crêpage de chignon sur des peccadilles, qui interdisent même au fiancé de formuler sa demande auprès de la jeune fille convoitée. Très faible intérêt selon moi.



LE TRAGÉDIEN MALGRÉ LUI, c'est encore pire, du gros, lourd et gras qui tache... Un quasi monologue où un citadin de la classe moyenne, qui vient passer son été en datcha à la campagne, égrène les mille misères que cette vie de villégiature lui cause auprès de son épouse tyrannique. On est au fond du trou de Tchékhov d'après moi.



LA NOCE, un peu à la manière d'Une Demande En Mariage, se prétend une caricature des classes moyennes qui veulent faire comme les " grands ", en mettre plein la vue, mais qui n'en ont ni les moyens ni les manières. le passage avec le capitaine de frégate, assez drôle au tout début, devient catastrophique et d'un lourdingue absolu vers la fin.



LE JUBILÉ nous transporte dans une banque où, là encore, Tchékhov s'en prend au vernis derrière lequel se cachent les personnages " respectables " et essaie de l'écailler. Mais c'est encore de la grosse mécanique redondante, pas drôle et qui ne présente pas beaucoup d'intérêt à mes yeux.



En conclusion, un recueil très inégal, qui vaut selon moi essentiellement pour Ivanov et, dans une moindre mesure, Sur La Grand-Route (très intéressante si l'on souhaite comprendre l'ontogenèse des Bas-Fonds de Gorki). Pour le reste, vous pouvez sans doute passer votre route, mais ce n'est que mon avis, c'est-à-dire, vraiment pas grand-chose.
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Je m'appelle .............?..........." je suis un jeune homme de dix-sept ans, laid, maladif et timide", je passe mes étés dans la "maison de campagne des Choumikhine", et je m'y ennuie.

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