AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Anton Tchekhov (652)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées


La Dame au petit chien et autres nouvelles

« Une nuit en sortant du Cercle des médecins en compagnie de son partenaire, un fonctionnaire, il n'y tint plus et dit :

- Si vous saviez de quelle femme ravissante j'ai fait la connaissance à Yalta !

Le fonctionnaire monta dans son traineau qui démarra, mais soudain il se retourna et l'interpella :

- Gourov !

- Quoi donc ?

- Vous aviez raison tout à l'heure : l'esturgeon sentait !



Ces paroles si banales l'indignèrent soudain, lui parurent avilissantes et sales. Quelles moeurs de sauvages, quels êtres ! Quelles nuits stupides, quels jours dépourvus d'intérêt et de sens ! Jouer aux cartes avec frénésie, bâfrer, s'enivrer, parler constamment de la même chose ! Des activités vaines et des conversations oiseuses toujours sur les mêmes sujets absorbent la meilleure partie de votre temps, le meilleur de vos forces, et, au bout du compte, il ne vous reste qu'une vie étriquée, aux ailes rognées, une vie de pacotille, et aucun moyen de s'en échapper, de fuir, c'est comme si l'on était enfermé à l'asile ou dans un pénitencier. »



À côté de Tchékhov le dramaturge, il ne faut pas oublier le Tchékhov nouvelliste, tout aussi brillant et tout aussi essentiel. Je suis parvenue à cette rencontre, par le biais de l'Américain Ray Carver, un autre immense nouvelliste, surnommé d'ailleurs par certains le Tchekhov américain.



C'est un Tchekhov extrêmement lucide qu'on découvre derrière ses personnages souvent désabusés. Des personnages qui disent la difficulté d'être au monde, car soit on est sans le sou et on s'échine à gagner sa croute sans pouvoir profiter de la vie, soit on est plein aux as et on s'ennuie ferme. Ses personnages disent l'impossible bonheur et la mélancolie qui en résulte. Ce sont des gens troublants de sincérité et de fragilité.



Mais là où Tchekhov, le grand Tchekhov, excelle, c'est quand il nous parle d'amour :



« Regardez ces Allemands assis près du rouf. Quand des Allemands ou des Anglais se rencontrent, ils parlent du prix de la laine, de la récolte et de leurs affaires personnelles; mais nous autres, Russes, quand nous nous rencontrons, nous ne parlons que de femmes ou de sujets élevés. Mais surtout de femmes. »



L'amour, cette quête sans fin et toujours vouée à l'échec. Il nous parle de l'inaccessible amour et de l'inexplicable beauté, aussi fragiles que les ailes du papillon qu'on ne peut attraper sans en détruire la beauté :



« Bien sûr une femme est une femme et un homme un homme, mais les choses sont-elles aussi simples de notre temps qu'avant le déluge, et moi, qui suis un homme cultivé, pourvu d'une organisation mentale complexe, dois-je expliquer le vif attrait que j'éprouve pour une femme par la seule différence de forme de son corps et du mien ? Ah que ce serait affreux ! Je veux penser que, dans sa lutte avec la nature, le génie humain a aussi lutté avec l'amour physique comme avec un ennemi et que s'il ne l'a pas vaincu, il a du moins réussi à le couvrir d'un voile d'illusions de fraternité et d'amour; et, pour moi du moins, ce n'est pas une simple fonction de mon organisme animal, comme chez le chien ou la grenouille, mais un amour véritable et chacune de mes étreintes est spiritualisée par un élan du coeur et le respect de la femme. […]

Il est vrai qu'en poétisant l'amour nous supposons chez l'être aimé des qualités que souvent il ne possède pas, bien sûr, et que c'est pour nous une source d'erreurs et de souffrances constantes. Mais, à mon avis, mieux vaut qu'il en soit ainsi, c'est-à-dire mieux vaut souffrir que se consoler en proclamant qu'une femme est une femme et un homme un homme. »



Tchekhov nous convie, à travers la vie de ses contemporains, à regarder nos vies, à oser les questions fondamentales et à tenter des réponses sincères – et du coup probablement douloureuses. L'air de rien, il nous invite à la profondeur et au ralentissement, denrées devenues exception dans la littérature contemporaine futile et expéditive. Un auteur qui nous invite à lutter et à ne pas « [nous] borner à critiquer, à dénoncer la médiocrité du monde, oubliant que [notre] critique même tourne peu à peu à la médiocrité.»



Tchekhov, un maitre essentiel de la nouvelle, à garder à porter de main, sur la table de chevet, aux côtés de Ray Carver.

Commenter  J’apprécie          454
Kachtanka

Kachtanka, c'est un magnifique et court récit d'Anton Tchekhov touchant qui pourrait nous rappeler un conte de Charles Dickens.

Touchant, ne veut pas forcément dire triste pour autant... Disons que c'est une gaieté mêlée de tristesse.

C'est une sorte de conte pour enfants, d'ailleurs il en a été tiré des spectacles de marionnettes, des dessins animés et même un magnifique album jeunesse. Mais on peut le lire avec le regard d'un adulte, - enfin presque devrais-je préciser pour être sincère et vous faire une confidence, d'ailleurs c'est le texte original que j'ai lu ou plutôt écouté dans sa version audio...

Je vous invite à entrer dans ce récit à la hauteur d'une petite chienne, Kachtanka.

C'est une jeune chienne au pelage roux, nous décrit l'auteur, un mélange de teckel et de vulgaire cabot, dont la gueule rappelle beaucoup celle d'un renard. Son maître, c'est le menuisier Louka Alexandrytch

J'ai appris de source sûre que Kachtanka vient de kachtann, qui signifie en russe la châtaigne, le « ka » final indique qu'il s'agit d'une petite chienne.

Elle dort sur les copeaux, dans l'odeur de la colle à bois. Elle n'est pas forcément malheureuse, bien qu'elle soit le souffre-douleur du fils du menuisier, Fédiouchka, qui lui donne souvent des coups de pieds, mais c'est pour s'amuser n'est-ce pas ? D'ailleurs, que sait-elle du bonheur ?

Elle aime suivre son maître lorsqu'il se rend chez un client, et lorsqu'il revient tard le soir il va dans la rue de gauche à droite, puis de droite à gauche. Ah oui ça tangue pour le bonhomme qui va d'estaminet en estaminet, mais c'est pour reprendre des forces car le trajet du retour est long. Et si par malheur la petite Kachtanka se met à courir après un autre chien, le menuisier ivre ne manque pas de lui tirer les oreilles et de l'injurier.

Mais voilà que ce soir, l'ivrogne a fini par tomber dans un fossé et Kachtanka ne le retrouve plus. Elle croit qu'il l'a abandonnée. Elle avance dans la nuit épaisse, dans la rue couverte d'une neige molle. C'est dans cette nuit noire qu'un inconnu la recueille chez lui. Sa voix est cordiale, affectueuse, il lui donne à manger, séduit par sa physionomie qui lui évoque celle d'un renard. Il se trouve que cet homme abrite également chez lui un jars, un chat et une truie, et il leur donne même des noms comme à des humains : c'est ainsi que j'ai moi aussi fait connaissance avec Fiodor Timofiéïtch le jars, Ivan Ivanytch le chat et Khavronia ivanovna la truie. Voilà les présentations faites. L'homme décide de rebaptiser la petite chienne Tiotka.

Le lendemain matin, voici la chienne enrôlée dans la troupe où elle va devoir apprendre un nouveau rôle car l'homme travaille dans un cirque, - clown à l'occasion, et présente des numéros d'animaux dressés sur le sable de la piste aux étoiles... Voilà la ménagerie savante qui s'active sous les consignes de son nouveau maître, prête à réaliser toutes les pirouettes qu'on lui demande, sauter, faire la révérence, la pyramide… une vraie école ; mais devenir une petite chienne acrobate n'est pas aisé... C'est dur la vie d'artiste, pourtant, elle se sent bien parmi ces nouveaux amis...

Mais...

Je n'en dirai pas plus ni sur la fin qui pourra surprendre plus d'un lecteur...

J'ai été emporté par la prose imagée et suggestive d'Anton Tchekhov, qui m'a plongé dans une bulle de tendresse et de nostalgie le temps de quelques pages immersives. Aborder ces tranches de vies à partir du point de vue d'un chien est ici dépeint avec beaucoup de justesse et de dérision. Mais ne nous trompons pas, c'est une manière aussi pour l'écrivain russe d'observer avec beaucoup d'acuité, de compassion et d'ironie ces contemporains, leur humanité, leurs espoirs, leurs lâchetés, leurs illusions...

Commenter  J’apprécie          4522
La steppe

Je ne m’égare que très rarement dans la littérature russe du 19ème siècle. Ces prochains mois, je vais peut-être y établir une résidence secondaire, la faute au nouveau challenge littérature slave orientale de Fifrildi (allez-y voir 😊) !



Premier arrêt dans la steppe russe, à peu près entre la mer d’Azov et le Don. La steppe d’Anton Tchekhov. Le jeune Iégorouchka doit se rendre à la grande ville pour faire des études. Il voyage avec les moyens du bord, d’abord dans la calèche de son oncle puis sur un chariot d’un convoi de négociants. Tout est nouveauté, parfois magnifique, parfois effrayante, toujours matinée de regrets de son enfance qui s’achève.



J’ai été pénétré de l’indolence de ce voyage, lisant à la même vitesse que les animaux de trait. Ce n’était pas de l’ennui, plutôt le sentiment que c’est la vitesse qui s’accordait le mieux au voyage de Iégorouchka. Profitant de la découverte de cette mer d’herbe, savourant ces mots inconnus tels que canepetière (une outarde) ou kourganes (des tumuli qui font ondoyer la steppe), partageant la compagnie de ces personnages si grégaires et pourtant si solitaires, enfermés dans leur propre expérience, s’exprimant étrangement et se comportant avec ce qui m’a semblé être une forme de folie douce et hallucinée. Les riches, les nobles, sont considérés à l’égal de personnages mythologiques. La force de la religion imprègne les actes quotidiens. J’ai pu constater mon ignorance sur cette église orthodoxe, découvert l’iconostase par exemple. Et appris un proverbe russe : « Sept manquements, un châtiment » signifiant quel que soit le nombre de fautes commises, on n’en répond finalement qu’une fois.



Un voyage en lecture aussi dépaysant qu’un vrai.

Commenter  J’apprécie          452
La Dame au petit chien

Que c'est beau, inactuel et immortel, une oeuvre de Tchekhov ! Voici, parmi les 649 "récits et nouvelles" écrits au cours d'une existence si brève (1860-1904), "La Dame au petit chien" (Дама с собачкой)... Une nouvelle tenant en quelques pages (et quatre chapitres) qu'Anton Tchekhov publia en 1899, dans la revue "La Pensée russe"...



Aussitôt connus de nous, ces deux "mal mariés" que sont Dmitry Dmitritch Gourov et Anna Sergueïevna von Dideritz nous deviennent attachants tout en s'attachant immanquablement l'un à l'autre... car bientôt indissociables... Deux âmes soudées... avec la complication de se découvrir inséparables malgré le contexte conjugal réciproque.



"Accidentellement inséparables", donc : à l'instar des créatures mêlées de "The Thing" [1982], le célèbre film fantastique de John CARPENTER puis de celles, plus impressionnantes encore, de sa "prequel" éponyme [2011] par Matthijs VAN HEIJNINGEN Jr....



Mais rien de "monstrueux" dans le fusionnel, ici ! Juste du sensible, de l'imprévisible, de l'accidentel, de la perte de contrôle de soi, du "vécu" à l'issue incertaine... Les sentiments, comment ça fonctionne ? Le soudain "besoin" de l'Autre, l'attraction réciproque, comment "ça" marche ? L'habitude, comment se crée-t-elle ? De quelle texture secrète sont donc faits l'attachement, l'affect, l'amour ?



C'est successivement à Odessa, à Moscou, à S... (la ville résidentielle d'Anna) que nous aurons peu à peu la réponse. Nous la partagerons d'ailleurs avec nos deux "héros" ou "anti-héros"... Comment les qualifier ? A la fois "banaux" et uniques. Irrémédiablement seuls dans leurs individualités irréductibles, non superposables à aucun "autre"... Beaux, à force de "banalité" mutante, de sentiments qui se transforment et nous transforment...



Nous découvrons Gourov & Anna dans un certain état (tels deux êtres incertains qui s'ignoraient tels) et nous les quitterons dans un état bien différent (mais toujours autant indéterminés quant à leur futur)...



Nous aurons vécu avec eux pendant quelques pages.



Pour l'apprendre, il nous aura donc fallu nous intéresser à... "D'autres vies que la mienne", pour citer ce titre pathétique et révélateur de l'ouvrage de quelque Narcisse contemporain, semblant (re-)découvrir accidentellement "la poutre", c'est-à-dire l'essence (et la force "égocentrifuge") de tout art littéraire...



Comment dire ? On peut ici se permettre de se moquer royalement de "l'intrigue", de "l'histoire que ça raconte" - qui est d'ailleurs "une banale histoire"... Beaucoup trop de livres (donc d'auteurs, puis de lecteurs) semblent aujourd'hui se contenter de "ce que ça raconte" en nous offrant leur style bâclé, vulgaire ou paresseusement "standardisé"... Tout à l'opposé, on conçoit donc combien une personne comme Tchekhov avait un niveau d'exigence artistique totalement insensé !



Seules comptent, en fait - surtout ici - , la langue inventée (peu à peu) par un auteur et cette "science" infinie qu'il a développée , qui lui permet d'accéder ainsi à l'intimité (infiniment nuancée et subtile) de tous ses personnages...



C'est beau, pur, indémodable, inimitable, sans doute immortel : TOUT Tchekhov (théâtre, récits et nouvelles) sans doute mérite d'être lu.



[traduction de Vladimir VOLKOFF, 1993, pour le compte des Editions L'âge d'Homme, Lausanne - reprise pour l'édition L.G.F.-"Livre de Poche", collection "Libretti"]





Commenter  J’apprécie          457
La steppe

" La Steppe" est une longue nouvelle , d' Anton Tchekhov .Elle fut publiée , en1888.A cette époque , l' auteur est quasiment inconnu dans le monde littéraire .Lors de sa publication , la nouvelle reçue un accueil mitigé de la part des critiques littéraires russes .Cet accueil mi-figue mi-raisin , ne découragea point l 'auteur qui continuera à écrire .

La Steppe est le récit d' un jeune garçon , Légorouchka , âgé de dix ans ,à peu près .Il quitte sa ville natale , Taganrog pour une autre pour aller au lycée .Le voyage , il le fait en compagnie de son oncle maternel ,Ivan Ivanytch Kousmitchov , et d' un prêtre , le père Kristophor Syrisky .Ce dernier est aussi un marchand ambulant , il vend la laine .

Dans ce livre , Tchekhov , décrit de fort belle manière la nature qu 'observe ,le jeune garçon , émerveillé .La steppe est omniprésente dans ce récit .

L 'auteur , nous raconte , par l' intermédiaire de Legorouchka ,ses souvenirs d' enfance . A cette époque , il parcourait la campagne et nous décrit la nature dans toute sa diversité , la campagne , la beauté des paysages traversés .Le garçon est enchanté et il nous transmet sa joie de découvrir la nature , les arbres , la pureté du ciel . On partage la jouissance du garçon

Ce dernier , nous décrit à sa façon les gens qu' il rencontre : leur simplicité ,leur rudesse des fois aussi .

Ce récit est un hymne à la nature , à la beauté des paysages , à la création et à la jouissance de la vie .

Une lecture agréable. Beaucoup de poésie aussi .J ai apprécié ce récit et je découvre un grand auteur qui sera comparé aux écrivains russes de son époque .











Commenter  J’apprécie          452
Les trois soeurs

Un texte qui ressemble a une séance de thérapie aussi bien pour les lecteurs que pour les personnages et pourquoi pas l'auteur lui même...on attend qu'il se passe quelque chose entre les trois sœurs et leur belle sœur, hautaine, leurs amis, il ne se passe rien...ils sont passifs comme le jour qui vient, comme être entre quatre murs, comme la routine, comme le rêve, l'illusion, comme la vie tout court et on se demande pourquoi vivre?



L'auteur nous partage l’ennui, celui de la vie, celui de l'homme, Tout tourne autour d'un carrefour, on croit évoluer, après des années, en fait, on se rend compte qu'on n'a fait que tourner autour d'un même point... puis on a perd la force d’espérer, d'agir, on se laisse aller par le vent, on ne peut plus briser la glace d'où cette question ''où est-il, mon passé, où a-t-il disparu ?''...un quadragénaire, en lisant ce texte, aura plus la facilité de le comprendre!

Commenter  J’apprécie          452
La Cerisaie

‘La Cerisaie’ et l’une des seule pièce de Tchékov où personne ne meurt. Une tragédie sans décès ! Imagine-t-on un roman policier sans crime ? On pourrait arguer que c’est la cerisaie elle-même qui meurt, puisque ses arbres sont abattus. Mais c’est la conséquence de la tragédie, et non son origine.



Le drame est dans l’incapacité d’Andréïevna à gérer ses affaires, et à comprendre que des vies dépendent de ses décisions. Celle de sa propre fille, Anya, qui se retrouvera un jour obligée d’en assumer les conséquences, et dont le futur mari aurait besoin au minimum d’être secoué un bon coup pour devenir bon à quelque chose. Celle de Varia, toujours coincée entre deux mondes et à l’avenir incertain, mais qui pourrait bien basculer dans la misère. Celle du brave et fidèle Firs, qui aimerait mourir en paix là où il a toujours vécu...



Son bon cœur et sa gentillesse lui servent surtout à d’excuse à son irresponsabilité complète, et à incapacité à se débarrasser du cortège de parasites qui mangent le peu d’argent qui lui reste : son frère, Charlotta, son gigolo qu’elle part finalement retrouvé…



Mais c’est aussi une pièce prophétique. Les autres se terminent par la restauration de l’équilibre, soi que les personnages acceptent leur destin (‘L’oncle Vania’, ‘Les trois soeurs’), soi que les éléments perturbateurs de l’ordre social soient éliminés, écrasés sous son poids (‘Platonov’, ‘La mouette’). Mais ici, la pièce se termine sur une situation qui ne peut que se dégrader. Les aristocrates n’ont peut-être plus rien, ni biens ni responsabilités, mais ils sont toujours là et squattent toujours le devant de la scène, et Lopakhine reste encore et toujours un inférieur. Leur chute définitive et totale semble donc prévisible, et en parallèle leur remplacement par la bourgeoisie.



Pas une seconde Tchekov n’a l’air d’envisager une insurrection populaire. Pour lui, la Russie semble promise à une révolution libérale à la française, sous l’influence de la bourgeoisie impatiente de remplacer la noblesse. Les révolutionnaires comme Trofimov sont des rêveurs, pas même fichus de faire une demande en mariage correcte.



Voila qui est étrange à dire, mais quelle chance pour Tchekov qu’il n’ait pas vécu jusqu’en 1917 !
Commenter  J’apprécie          442
La Dame au petit chien et autres nouvelles

L'avantage des recueils de nouvelles c'est qu'on peut l'ouvrir pour en lire quelques unes quand ça nous chante, le refermer et le reprendre à n'importe quel moment sans qua cela nous perturbe. Par contre, quand vient le moment d'en faire une critique, c'est bien plus délicat !



C'est la première fois que je lisais Tchekhov, cet écrivain qui porte le titre de "Maître de la Nouvelle". Ah oui, mais pourquoi ?

On m'avait plusieurs fois vanté les mérites de la fameuse "Dame au petit chien", maintenant c'est mon tour d'expliquer ce qu'il y a de si spécial et de si marquant dans cette œuvre.



Cette nouvelle, comme toutes les autres nouvelles qui constituent ce recueil parle d'une femme. Les femmes... un grand mystère pour les hommes !

Blague mise à part, Tchekhov nous dresse des portraits très souvent saisissants de vérité et de justesse sur les femmes. Des pestes les plus insupportables par leur égoïsme et autres travers, en passant par celles envahies par leur solitude aux amoureuses passionnées ; les observations et la beauté avec laquelle l'auteur a transcrit les sentiments et les aventures de ses héroïnes m'ont laissées sans voix ! Le tout de façon si simple parfois ; c'en est tout simplement déconcertant parfois !



Il est vrai que toutes les nouvelles ne se valent pas, loin de là ... Je ne retiendrai que la moitié des nouvelles, à savoir : "La Pharmacienne" , "Le récit de Melle X...", "Les Garces", "La Princesse", "La Cigale", "De l'amour", "Douchetchka" et bien sûr "La Dame au petit chien" !

C'est bien à cause (ou grâce ?) à cette nouvelle que j'ai mis les 4 étoiles à ce livre.
Commenter  J’apprécie          443
La Mouette

C'est un monde, tout de même ! Il y a un décalage flagrant entre ce que je crois que je devrais ressentir en lisant des oeuvres russes telles que celle-ci ou L'accompagnatrice de Nina Berberova, et ce que je ressens effectivement. Ça colle pas.

L'absence d'action, l'absence d'humour (ou alors très énième degré), les personnages concentrés sur leur petite personne et leurs problèmes existentiels ; normalement, là, je fuis.

Mais non en fait. Ici, il y a un rythme dans le déplacement de ces nombreux personnages que j'ai eu du mal à bien identifier (pas évident les noms russes, et ils ont des diminutifs, en plus). Pourtant, la scène les limite à une zone spatiale plutôt étroite, mais ils peuvent entrer, sortir à leur guise ; il n'y a pas de découpage en scène qui entraine une coupure, seulement une continuité. Il y a aussi un rythme dans la traduction du texte russe qui apporte une certaine forme d'exotisme, de parler français qui étonne.



Toute « l'action » de La mouette se passe sur la propriété campagnarde de Piotr Nikolaievitch Sorine, dans un endroit différent selon l'acte : ici un salon, là un coin du parc… Des personnages liés par des liens familiaux, des liens de travail ou d'amitié (voire) se croisent, se parlent, jouent ensemble, mangent ensemble. Pourtant, chacun semble enfoncé dans sa propre détresse, n'écoutant le voisin que d'une oreille. La solitude de chacun, quand elle s'exprime, est suffocante. La détresse peut être amoureuse, un dépit professionnel, un regret. L'instituteur Medvedenko, d'une nature plutôt optimiste, veut se marier avec Macha qui traine son désespoir jusque dans ses habits éternellement noirs. Macha ne vit que pour Treplev qui ne la voit pas. Treplev est fou dingue de Nina qu'il ne parvient pas à retenir. Il est désabusé par l'absence de compréhension du public envers ses nouvelles ou ses pièces de théâtre abstraite. C'est d'autant plus douloureux quand il s'agit de l'opinion de sa mère, Irina, ancienne actrice qui ne comprend pas plus que les autres les oeuvres de son fils. Il y a de l'Oedipe là-dedans.

Nina idéalise le monde des écrivains et des artistes qu'elle dessine comme des dieux. Elle ne peut que tomber amoureuse de l'écrivain Trigorine qui cède un temps à sa jeunesse. Confrontée à la routine du métier d'actrice, elle verra s'écrouler ses illusions et germer ses regrets. Trigorine est « arrivé », dans un sens. Il a « réussi ». Mais il sait qu'il ne sera jamais qu'un médiocre qui ne soutient pas la comparaison avec un Tolstoï.

Irina vit dans son passé. Son frère Sorine regrette ses actes manqués. Son médecin est blasé de l'attirance qu'il a toujours provoquée chez les femmes, et trouve que soigner un vieux comme Sorine, si près de la tombe, n'a pas vraiment de sens.



C'est gai, pas vrai ? Pourtant, il y a des contrastes. Les conversations mondaines, les sujets superficiels qui permettent de faire diversion des affres de chacun, sont rafraichissants. le parc et le lac sont reposants. Il y a aussi beaucoup de culture européenne chez ces gens qui emploient de nombreuses expressions « en français dans le texte », évoquent Hamlet et rappellent que Maupassant détestait la tour Eiffel.

Et La mouette alors ? Que vient-elle faire dans cette galère ? Je me le demande encore. Analogie vivante d'une personne aimée qui se veut libre, et que l'on tue pour se l'attacher ? Animal empaillé pense-bête pour une histoire que l'on pourrait écrire ? Je ne sais, je ne sais plus, je suis perdu…

Bon ben je vais faire comme l'oiseau alors. Conclusion qui ne veut rien dire, mais je trouve que ça sonne bien.

Commenter  J’apprécie          427
Le violon de Rothschild

Iakov Ivanov, dit « le Bronze» fabrique des cercueils

Son cœur est dur

Sa femme, Marfa, il n’en a cure

Jusqu’à son deuil

A présent il est seul

Petite vie, à quoi bon tout ça !

Le Violon, sa seule richesse

Une lueur dans sa détresse

A quoi bon tout ça !

Iakov HAIT ce petit flûtiste…

…ROTHSCHILD

Pourquoi ?

Son NOM…c’est comme ça !

Et Pourtant… De son Violon

Sa seule richesse dans son isba

Iakov lui fera don

Pour implorer son Pardon

Peut-être

Coup de tête

Rédemption

Désespoir

Allez savoir !

A quoi bon tout ça !

Commenter  J’apprécie          420
La steppe

C'est dans une « charrette », en compagnie de paysans et juché sur un ballot de coton que Iégorouchka fait un long voyage pour se rendre au lycée ; nous découvrons la steppe à travers son regard.

La nature est omniprésente dans ce roman qui est un hymne à la beauté, à la création et à la jouissance de la vie : on observe, on écoute, on furète, on touche, on palpe, on goûte à la nature. Tchekhov met tous nos sens en éveil c'est terriblement romantique et sensuel, aussi loin que notre regard se pose on est étreint par l'effervescence de la vie dans l'infini de la steppe …

Les sons et les bruits sont omniprésents dans toutes les scènes, la vie grouille, les chevaux mâchonnent, les dormeurs ronflent, « un vanneau solitaire gémit, les bécasses piaulent et le « ruisseau murmure en grasseyant doucement » la steppe chante sa mélopée ! (J'en deviens lyrique !)

Les personnages que nous croisons sont hauts en couleurs admirablement mis en scène et dépeints avec une extrême minutie. Nous avons un foisonnement de tableaux vivants dans lesquels la nature tour à tour calme et apaisante ou violente et déchainée joue un rôle prépondérant.

Nous côtoyons l'âme slave avec ses croyances, ses superstitions, sa généreuse présence et sa mélancolie. Les interrogations, les peurs, l'admiration de ce petit garçon, sont les nôtres. Nous sommes happés par cet extrême réalisme et transportés au milieu de la steppe, hypnotisés par le chaleureux feu de camp et bercé par les chants.

J'ai adoré cette épopée des grands espaces, il faut la lire lentement écouter l'échos des mots qui se perd dans l'immensité de la steppe.

Commenter  J’apprécie          421
La steppe

La steppe qui est plus une longue nouvelle qu’un roman et qui va à sa parution asseoir la notoriété de Tchekhov.

c’est à la fois un récit de voyage et un récit autobiographique. Tchekhov disait de ce récit « c’est mon chef d’oeuvre »



Un enfant de 9 ans Iégorouchka quitte sa famille « un matin de juillet » pour aller au lycée. Un long voyage de plusieurs jours dans une brika au cours duquel il va traverser la steppe russe. C’est l’été, le soleil est brûlant, il y a des orages violents mais parfois les nuits sont froides

La plus grande partie du voyage il la fait assis sur un tas de foin où parfois il s’ennuie un peu.

L'enfant va tout observer le travail des moujiks dans les champs, les bergers et leurs troupeaux, les oiseaux, les convois de marchands.

C’est un voyage d’est en ouest de quatre jours à travers les herbes verdoyantes de la steppe qui ondulent sous le vent et provoque l’émerveillement de l’enfant.

Un chant qui s’échappe d’une isba, une baignade, les petits pains aux pavots à l’auberge, « les repas à même le chaudron » tout est nouveau.

La peur aussi quand la calèche roule de nuit, c’est à la fois excitant et inquiétant et l’enfant devine des « images brumeuses et inquiétantes ».



C’est un poème en prose que Tchekhov voulait qu’on lise « comme un gourmet mange les bécasses »

Voici ce qu’en dit Vladimir Volkoff le traducteur :

« On ne pourrait ajouter ou soustraire une phrase sans rompre l’équilibre miraculeux de l’ensemble »



Si vous ne l’avez jamais fait je vous invite à essayer de traverser la Steppe avec ce livre audio.


Lien : http://asautsetagambades.hau..
Commenter  J’apprécie          420
Les méfaits du tabac

Après ses nouvelles, que j'ai beaucoup appréciées, Il était temps que je découvre le théâtre de Tchekhov, d'autant plus que c'est le domaine où il est le plus connu. J'ai volontairement choisi de commencer par l'une de ses pièces les moins connues, et qui avait aussi l'avantage non négligeable d'être la plus courte. Ça me semblait idéal pour assouvir rapidement ma curiosité. Par expérience, je sais que quand mes attentes sont exacerbées (et elles l'étaient, Vassili Grossman et Maxime Gorki m'ayant bien alléchée), je suis souvent déçue. En cela, cette pièce a efficacement rempli son rôle : mes attentes se sont nettement assagies !



Pour être tout à fait honnête, j'ai plus été captivée par la progression entre les deux textes proposés que par les textes en eux-mêmes. (Mon édition regroupait en effet deux versions de la pièce : la version définitive de 1902 et, en complément, la première version écrite en 1888). J'avoue que cela m'a amusée d'observer comment le traitement d'un sujet identique pouvait aboutir à deux finalités et deux ressentis différents selon que certains détails étaient accentués ou occultés.



Le contexte est plus ou moins identique dans les deux textes : Nioukhine doit faire une conférence sur les méfaits du tabac. Mais du tabac, il n'en parlera pas ou peu…



La différence majeure entre les deux textes tient selon moi au point de départ qui change la trajectoire : dans la version de 1888, Nioukhine, notre orateur n'a pas été contraint par sa femme de faire cette conférence, il a même choisi le thème lui-même et tente de l'aborder maladroitement à plusieurs reprises. Dans la version de 1902, il monte déjà sur sa tribune à contrecoeur, presqu'à bout de nerf et craque dès le début de son intervention. L'axe de d'évolution et le ton sont donc modifiés.



En ce qui concerne les textes en eux-mêmes, toujours de mon point de vue, la version définitive de 1902 a tendance à verser un trop dans l'absurde. En soi, cela ne me dérange pas. le problème c'est qu'elle ne m'a pas fait rire, ni même sourire. Manquerais-je d'humour ? Cela a créé un décalage par trop disproportionné pour susciter mon intérêt. Certes, elle se laisse lire car elle est très courte (à peine quelques pages), et très bien écrite, mais cela ne va pas plus loin.



La version de 1888 est plus spontanée et plus alerte que sa consoeur mais sans doute aussi moins approfondie et plus indécise. Cela provoque un certain flou et une ambigüité et c'est probablement la raison pour laquelle elle a ma préférence.



Bon, eh bien, je vais maintenant enchainer avec une pièce un peu plus connue, en espérant avoir une belle surprise cette fois…

Commenter  J’apprécie          406
La Mouette

La diversité des grands auteurs russes ne cessera jamais de m'éblouir.

Pour Tchekov, que je découvre un peu plus après Oncle Vania, c'est sa modernité qui m'interpelle de nouveau. Modernité de ton, de moyens avec une scénique très épurée et des thèmes abordés dans La Mouette que, si j'avais découvert le texte sans connaître l'auteur et la date, j'aurais placé dans l'univers littéraire de l'entre deux guerres, voire aujourd'hui tant les sujets sont éternels : la soif de notoriété, le feu intérieur qui consume les artistes véritables opposé à la tiède médiocrité des compositeurs médiatiques, l'indolence méprisante des nantis, l'adultère, la violence des amours malheureuses... une richesse sidérante dans une pièce courte et percutante dont il faut je pense plusieurs lectures pour en faire le tour.

Commenter  J’apprécie          400
La Cerisaie

Entre Tchekhov et moi, c'est décidé, le divorce est définitivement consommé. "La cerisaie" était la seule pièce de la tétralogie (avec "La mouette", "Oncle Vania" et "Les trois sœurs") que je n'avais pas encore lue. Maintenant que c'est fait, et bien fait, le diagnostic est, je le crains, sans appel. Je l'ai même lue deux fois pour arriver à mettre clairement le doigt sur ce qui me dérangeait. La pièce a beau être courte, c'est dire le mal qu'elle m'a donné. Je suis à peu près certaine que la tradition du jeu français héritée de Stanislavski, un jeu emphatique, morne, qui met uniquement l'accent sur le tragique, a bien aidé à me dégoûter de Tchekhov. A dix-huit ans, je trouvais ça terriblement séduisant. Aujourd'hui, ça me fatigue. Mais je vois bien, à relire l'auteur de plus près, qu'on ne peut pas imputer mon peu d'enthousiasme aux seules mises en scène.



Pourtant, je reconnais volontiers que "La cerisaie" brasse une thématique et un réseau de motifs intéressants. de même que je reconnais que Tchekhov a innové dans le langage théâtral, dans la création de ses personnages, et, plus simplement, dans l'approche du théâtre. La cerisaie, c'est d'abord la fin d'un monde, celui d'une élite sociale oisive, ce qui est appuyé par de nombreuses allusions continuelles à des spectres. C'est aussi le retour fugace au monde de l'enfance (la chambre d'enfants, la voix d'enfant de Gaev, les sucreries, etc.). Surtout, c'est le lieu des rendez-vous manqués et de l'impossibilité de communiquer : on manque deux trains, on organise le bal au mauvais moment, les histoires d'amours sont des ratages complets, chacun courant après l'autre qui lui-même court après un autre (motif récurrent chez Tchekhov). Et tous ces gens parlent sans s'écouter ; il n'est pas rare que la série de répliques d'un personnage retombent dans le vide, tandis que l'interlocuteur censé lui répondre parle uniquement pour lui-même. La cerisaie est le lieu d'un perpétuel décalage, comme le montre la façon dont les personnages passent du rire aux larmes, et inversement. Et le lieu d'un échec vers lequel s'est dirigée toute sa vie et de toutes ses forces Lioubov Andreevna Ranevskaïa.



Mais tout cela ne me touche pas, sans doute pour des raisons formelles. Pour commencer, je n'arrive pas à percevoir le côté vaudeville que Tchekhov prétendait impulser à sa pièce (et que Stanislavski, encore lui, a proprement foulé aux pieds). Bon, oui, les personnages et les situations donnent plus ou moins dans le ridicule, comme Epikhodov parlant d'aller se tuer d'un coup de fusil (allusion ironique à La mouette, j'imagine). Pourtant, rien à faire, ça ne me fait pas rire, et ça m'arrache rarement un sourire. le fait est que les changements d'humeur des personnages me portent plus sur les nefs qu'autre chose. Et je crois que je suis finalement complètement insensible à l'aspect novateur du théâtre de Tchekhov, qui se trouve dans une sorte d'entre-deux : ce n'est plus le théâtre d'Ibsen, ce n'est pas encore celui de Beckett. Et bon, pas de chance pour Tchekhov, mais je préfère le XIXème d'Ibsen avec ses personnages en quête d'identité et de liberté, et le XXème absurde de Beckett.
Commenter  J’apprécie          403
Oncle Vania

Le présomptueux Serebriakov et sa jeune épouse Elena sont retournés après des années passer quelques jours dans la campagne profonde de Kharkiv.



Résignation de son beau-frère Voinitski qui lui a sacrifié sa vie alors que Serebriakov se révèle un bien piètre savant.

Résignation du docteur Astrov devant les ravages de la déforestation (écrit en 1896!)

Résignation de Sonia, effacée par les charmes de l'éblouissante Elena.



C'est peut-être parce que c'est tout simple qu'on ne peut s'empêcher d'éprouver pour eux une profonde empathie.

Commenter  J’apprécie          395
Une banale histoire : Fragments du journal ..

"Une banale histoire" (Скучная история - "Skoutchanïa historia") s'avère une merveilleuse porte d'entrée dans l'univers puissant (puisque parlant aux lecteurs de tous temps et tous bains culturels) du nouvelliste et dramaturge Anton TCHEKHOV (1860-1904). On comprend dès lors pourquoi trois cinéastes aussi notables qu'universels, aussi discrets qu'intimistes comme le sont Wojciech Jerzy HAS (en Pologne), Nuri Bilge CEYLAN (en Turquie) et Andreï ZVIAGUINTSEV (en Russie) révèrent son art littéraire, aussi original qu'immortel...



HAS, justement, adapta en 1982 la nouvelle sous son titre "Une histoire banale" ("Nieciekawa Historia"), au sortir de l'inoubliable labyrinthe spatio-temporel kaléidoscopique de "La Clepsydre" ("Sanatorium pod Klepsydra", 1973) – une superbe adaptation des nouvelles du poète prosateur graphiste Bruno SCHULZ (1892-1942) ; il en tira à nouveau une oeuvre inoubliable, d'une puissance émotionnelle et picturale inégalable [Ces deux films étant accessibles sur leur support DVD, édités par Malavida].



La dépression du vieux professeur Nicolaï est donc incurable. Sa situation matrimoniale est peu enviable : Varia, sa femme, est devenue une petite bourgeoise matérialiste (pléonasme) et leur fille adorée Lisa une charmante bécassine férue de musique, élève du Conservatoire et sous le charme d'un fat dénommé Gnäcker ; le fils est cité simplement par Nicolaï (son père) comme "l'officier de Varsovie"... Nicolaï est au fond navré de mépriser son épouse – celle qu'il adulait jadis – et de supporter aux repas familiaux la fatuité et l'omniprésence du prétendant de sa fille...



Le récit (comprenant six chapitres, parfaitement clos) débute à la troisième personne du singulier avant que nous découvrions que le narrateur s'est introduit comme un être dont il parle comme de l'extérieur, presque sans affects : il devient alors "Je", irrémédiablement "je", et ce jusqu'à sa fin... Dans le film de HAS, c'est la voix off de l'acteur Gustav Holoubek qui nous introduira toujours plus profondément par la causticité critique et ses mille sarcasmes habituels, tout au fond des abîmes du vieux professeur "revenu de tout"...



On peut faire un parallèle avec la nouvelle la plus désespérée de Stefan ZWEIG : "Destruction d'un coeur" ("Untergang eines Herzens", 1927) au terme de laquelle le protagoniste meurt à quelques mètres des siens, dans l'indifférence d'une famille qu'il a gâtée et qui semble avoir "oublié" jusqu'à son existence... Autre constat poignant, d'une concision rare, à l'impact émotionnel considérable et d'une même noirceur irrémédiable.



Mais – tout comme dans la fameuse chanson de Brel ["Ces gens-là"] – il y a non pas "Frieda, qu'est belle comme un soleil" mais bien un espoir humain (d'apparences solaires) que constitue la fille adoptive du couple : la jeune Katia, actrice de théâtre en rupture de ban, anciennement amoureuse, fille-mère ayant perdu son enfant – et que nous découvrons cependant peut-être encore plus désespérée que Nicolaï : tous les humains lui insupportent, plus encore qu'à Nicolaï...



Katia habite donc seule une maison proche de celle de la famille Stépanovitch, meublée de bien étrange façon, succession d'innombrables divans et de tableaux encadrés dépareillés : le superbe plan-séquence onirique du film de HAS (de quelques minutes, commençant par la phrase en voix-off "Elle disait...") nous rendra tout son intérieur et sa silhouette filmés en clair-obscur proprement inoubliables.



L'orpheline et le vieux professeur sont unis par un lien affectif trouble : fait à la fois d'une compréhension muette, d'un profond recul vis-à-vis d'autrui (toujours si décevant) et d'attirance mutuelle qui ne dit pas son nom.



La scène finale – si lyrique et poignante dans l'adaptation cinématographique de HAS – en cette chambre d'hôtel nue de la "ville grisâtre" de Kharkov scellera leur ultime entrevue, en forme d'incompréhension définitive et d'impossibilité de fuite pour les deux personnages... Nicolaï est convaincu qu'il mourra dans quelques mois et Katia, dès lors, s'en va sans un mot (et sans se retourner) vers d'autres horizons désespérés. Elle n'a que 22 ans...



Katia ("Katarzyna" dans le film polonais) fut incarnée à l'écran par la lumineuse actrice Hanna Mikuć.



Insistons enfin sur l'excellence de ce délicat passage de la musicalité de la langue russe jusqu'à un français magnifiquement dépouillé, sans fioritures, au classicisme lapidaire : merci donc au duo de traducteurs Edouard Parayre et Lily Denis !



Mais cessons là : les quatorze critiques qui précédent la nôtre vous amèneront sans doute à lire ces "Fragments du journal d'un vieil homme" d'une seule traite !



Cette nouvelle fut écrite en 1889, alors que son auteur à l'extraordinaire maturité n'avait que 29 ans, se révélant capable d'incarner avec si grand crédit un personnage au crépuscule de son existence : Nicolaï, "LE" Professeur de Médecine au terme de sa brillante carrière, âgé de 62 ans durant ces quelques semaines de la nouvelle où nous partageons son intimité). On pense alors à cette autre génie de l'intériorisation, grand familier de la Psyché humaine que sera Georges SIMENON (1903-1989).



Mais sans doute (comme nous l'espérons...) vous précipiterez-vous pareillement sur le très beau film éponyme de Wojciech Jerzy HAS (1925-2000), toujours si incroyablement méconnu...



Cf. lien à notre critique publiée sur le site Critikat : https://www.critikat.com/panorama/analyse/une-histoire-banale/
Commenter  J’apprécie          395
La Cerisaie

Théâtre. Cette grande dame russe, Lioubov est partie en France pour oublier la noyade de son fils. Mais elle est dépensière, et en revenant en Russie couverte de dettes, elle a peu de solutions pour sauver sa belle cerisaie.

Lioubov est le pilier de la famille, mais un pilier bien faible.

Le vieux Firs représente le valet respectueux de l’ancienne aristocratie.

Maintenant que l’esclavage est aboli, les jeunes employés philosophent, jouent au billard, ou se prennent pour des demoiselles. Lioubov est dépassée, et seule sa fille Varia essaye de mettre un peu d’ordre, car la gouvernante Charlotta ne pense qu’à faire la grande dame, et le frère de Lioubov ne sert à rien, une sorte de « bobo » de l’époque.

Seul Lopakhine, le marchand, propose une solution concrète pour sauver le terrain de la cerisaie…

.

Personnages négatifs pour moi :

Gaev, Pichtchik, Charlotta, Epikhodov, Douniacha, Yacha.

Personnages positifs et négatifs :

Lioubov, Ania, Trofimov.

Personnages positifs :

Lopakhine, Varia, Firs.

.

Pièce agréable, où l’on peut cibler le caractère de chacun, beaucoup sont négatifs et quelques-uns, trop rares sont positifs et projettent leurs idées dans un avenir réaliste.

Commenter  J’apprécie          394
Les trois soeurs

En ces temps de confinement (et donc de lecture intense), et puisque les théâtres sont fermés et pas prêts d’être à nouveau accessibles au public, j’ai décidé d’entamer la lecture des grandes pièces classiques…. Je commence avec Tchekhov, bien sûr, dont j’ai déjà pu apprécier plusieurs fois les représentations de la Cerisaie, de la Mouette et d’Oncle Vania.



Trois sœurs dans une ville de province quelconque dans la Grande Russie fêtent l’anniversaire de la plus jeune, avec le désir , pour chacune d’elles, de quitter au plus vite cette bourgade pour retrouver Moscou et sa vie culturelle et cosmopolite. De nombreux invités, un ballet incessant d’allées et venues, des conversations à bâton rompus …



Une pièce avec pour seule intrigue la fuite – ou pas – de cette atmosphère asphyxiante et la possibilité d’un avenir. Quatre actes, à des temps différents, et très peu d’action. Énormément de personnages (quatorze !) pour des dialogues incessants mais superficiels. Quelques personnages sont certes enclins à discuter des grandes questions de la vie, mais très vite cela tombe soit dans des considérations creuses, soit dans la moquerie.



Peu à peu tout se délite, la culture des sœurs, les connaissances, les ambitions des uns et des autres … Une impression de malaise se dégage au fil de la pièce, car personne n’est vraiment heureux de sa situation, personne ne sait vraiment quel sens donner à sa vie, quel projet pour le futur. Pire, on ne voit pas vraiment d’issue à ce mal-être. Bon il y a bien quelques moments cocasses, le vieux serviteur sourd comme un pot, un lieutenant qui parle avec un fort accent, des ritournelles d’enfant qui ponctuent des sujets graves, … on est au théâtre, quand même, mais l’ensemble, je trouve, reste pesant.



Peut-être que ces trois sœurs n’était pas le choix le plus heureux pour une lecture. Beaucoup de personnages, difficiles à différencier les uns des autres à la lecture, dialogues à la fois denses (peut-on encore parler de dialogue à certains endroits ?) et pourtant superficiels, peu d’actions …



Ah décidément rien de tel que de voir une pièce incarnée par de bons acteurs, mise en scène et en espace ! Oui, le théâtre est – et doit rester - un art vivant, c’est une évidence avec cette pièce de Tchekhov.

Commenter  J’apprécie          392
Un royaume de femmes - De l'amour

Anna Akimovna, jeune femme sensible et romantique est l’héroïne de la nouvelle, elle a reçu en héritage l’usine de son père, une charge qu’elle essaie d’assumer mais trop lourde pour son jeune âge. A la veille de Noël, touchée de compassion par les conditions de vie des ouvriers, Anna veut aider les plus pauvres, c’est ainsi que Tchalikov retient son attention, ce sera l’heureux élu. Mais la honte et l’impuissance d’Anna ne seront pas pour autant soulagées, issue d’une famille d’ouvrier elle rêve de revenir avec ceux qui luttent pour leur existence. Ecrasée par le poids de la charge qui lui revient sa seule échappatoire est le mariage qu’elle voit comme unique porte de sortie, « Si je tombais amoureuse, pensait-elle en s’étirant, et cette seule pensée lui réchauffait la région du cœur. Et si je me débarrassais de l’usine…Elle rêvait, imaginant sa conscience débarrassée de tous ces ateliers qui lui pesaient, des baraquements, de l’école… »

Tchékhov est un portraitiste hors-pair, toujours avec cette pointe d’humour, il connaît et aiment ces gens laborieux des aciéries du XIX siècles, ces lieux sombres et, lugubres. Anna son héroïne est une femme généreuse, perdue à la tête de l’usine et Tchékhov, la remet à sa juste place, une femme épouse et mère, le monde des hommes n’est pas sa destinée, telle est sa conception il me semble.

Ces nouvelles de Tchékhov ont cette force et cette légèreté que j’aime tant chez lui.

Commenter  J’apprécie          393




Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Anton Tchekhov Voir plus

Quiz Voir plus

Le clafoutis de Tchekhov

Je m'appelle .............?..........." je suis un jeune homme de dix-sept ans, laid, maladif et timide", je passe mes étés dans la "maison de campagne des Choumikhine", et je m'y ennuie.

Nikita
Volôdia
Fiodor
Boris
Andreï

10 questions
26 lecteurs ont répondu
Thème : Anton TchekhovCréer un quiz sur cet auteur

{* *}