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Citations de Charles-Ferdinand Ramuz (534)


Car l'amour même n'empêche rien. On tient un moment sa femme entre ses bras : tout à coup elle vous échappe. [...] Elle glisse loin de moi de son côté, moi de mon côté loin d'elle, et les immensités viennent se placer entre nous.

[C.F. RAMUZ, "Le Cirque", éd. Georg & Cie (Genève), 1925 — rééd. Du Lérot éditeur (Tusson), 2011]
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Il ne me reste qu’à attendre et à vivre de mon mieux jusqu’au terme fixé. Car l’essentiel est qu’il faut vivre quand même et il faut mourir encore vivant. Il y en a tant qui sont déjà morts quand la mort de la chair vient les prendre. Ils sont morts dans leur cœur depuis longtemps déjà, quand arrive la mort du corps ; et c’est sur ce cœur que je veille, afin qu’il dure jusqu’au bout.
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" Et brusquement j'entrai dans le brouillard. J'allais à sa rencontre, et lui, il venait à la mienne ; alors, derrière moi, le soleil s'éteignit ; et il me sembla que toute la terre avait été tout d'un coup recouverte (...) "

(C. F. RAMUZ, "L'homme perdu dans le brouillard" -- initialement parue dans "Nouvelles et morceaux", 1910, Lausanne, Payot & Cie)
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Il aimait à raconter cette histoire, étant devenu vieux, étant même si vieux qu'il ne savait pas l'âge qu'il avait.
Il ne pouvait plus bouger de la galerie de son chalet, où on l'asseyait le matin dans un fauteuil de paille, et on lui étendait les jambes, bien enveloppées dans des couvertures, sur une chaise devant lui. C'est qu'il était tout noué par les rhumatismes, comme beaucoup de vieux à la montagne, de ceux qui ont trop chassé le chamois, par tous les temps, dans la neige et le froid -- passé trop de nuits à l'affût.

(C. F. RAMUZ, "L'homme perdu dans le brouillard", incipit -- initialement parue dans "Nouvelles et morceaux", 1910, Lausanne, Payot & Cie)
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C’est l’histoire d’un berger qui a été pris sous les pierres, et voilà qu’il retourne aux pierres comme s’il ne pouvait plus s’en passer.
C’est l’histoire d’un berger qui a disparu pendant deux mois, et il a reparu, mais il disparaît de nouveau ; et, à présent, il y a sa femme qui va disparaître avec lui.
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La nature ne va pas droit, l'homme cherche à aller droit. L'homme prétend à aller de plus en plus droit et à mesure qu'il avance à projeter devant lui, à l'intention d'une vitesse qu'il accroît sans mesure, des lignes de plus longue portée : la nature a tout le temps, on voit que l'homme au contraire est avare de son temps ; l'homme est pressé, la nature paresseuse. Oh ! comme cette Seine apparaît nonchalante, vue du haut de nos trois cents mètres, avec les méandres de son cours à quoi l'homme n'a rien pu changer, et il la laisse aller, et il va de son côté.

(C.F. RAMUZ, "Paris. Notes d'un Vaudois", 1938, Mermod (Lausanne) -- pages 72-73 de l'édition Gallimard (Paris), 1939 [pages "d'En haut de la Tour Eiffel"... ] )
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C'est vers ces temps-là qu'il a commencé à se hasarder jusque dans les rues de la petite ville, ce qu'il n'aurait pas osé faire auparavant, mais il y avait des choses qui n'étaient pas permises et, à présent, elles l'étaient.
Il y avait des choses qui avaient semblé impossibles et qui ne semblaient plus impossibles.
Vers ce temps, c'est-à-dire vers le milieu de mai, il a commencé à s'aventurer jusqu'en plein centre de la ville ; comme il faisait chaud déjà, il portait des vêtements en toile blanche.
Il tenait à la main une branche qu'il avait cassée en passant dans une haie et ayant encore ses feuilles ou même toute fleurie, quand c'était une branche d'aubépine ou de fusain.
On n'a guère fait attention à lui, les premiers jours, sauf que ceux qui n'avaient pas encore eu l'occasion de le rencontrer se retournanient sur son passage, demandant : "Qu'est-ce que c'est que ce particulier-là ?" mais on leur disait :
-- Comment, vous ne savez pas ? C'est le pensionnaire du docteur Morin...
-- Ah !
-- Il croit qu'il est Jésus-Christ.
On riait. Et lui, continuait sa route, sa branche de feuilles à la main, comme quand on portait autour de Lui des palmes (...)

C.-F. RAMUZ, "L'Amour du Monde", 1925, éditions Séquences (1990) : chap. I (incipit)
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Lausanne, auprès d’Arsens, parut à Émile une grande ville. Elle n’a pourtant guère plus de cinquante mille habitants. C’est la capitale du canton de Vaud, le plus considérable de la Suisse romande. Il est limité à l’ouest par la Franche-Comté, au nord par le canton de Neuchâtel, à l’est par ceux de Fribourg, de Berne et du Valais ; enfin le lac Léman fait sa frontière sud, et de l’autre côté du lac se trouve le Chablais ; de sorte que nous sommes enfoncés dans le pays de France, séparés cependant de lui par des montagnes et des eaux, et une autre religion. Une colline vient après une autre et elles descendent ensemble depuis le Jura jusqu’au lac, étant une troupe nombreuse. On voit un clocher parmi les noyers ; des taches brunes ou rouges qui sont les villages ; et d’en haut tout à coup on découvre le lac, qui est une grande surface plate. Il ressemble, pour la forme, à la lune dans son premier quartier, avec deux pointes égales…
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Comme il accourait, elle lui tendit son bras. Elle s'était égratignée à des épines, et sur la fine peau une goutte de sang perlait ; il mit un long baiser dessus. Et il vit que l'espoir ne l'avait pas trompé. Subitement changée, elle s'appuya contre lui. Elle le regardait et ses yeux étaient purs. Ils allèrent ensemble, il l'avait prise par le bras. Lentement ils allèrent, et ils n'avaient plus qu'un désir : aller ainsi longtemps, toujours. Au hasard des sentiers, ils arrivèrent à une terrasse d'où on domine la Seine, et au loin Paris étalé. Il y avait un banc, ils s'y assirent côte à côte. De nouveau ils ne parlaient plus ; mais comme c'était un autre silence ! Quand il n'y a plus qu'une chose à dire, auprès de quoi toutes les autres semblent pauvres et ridicules : et cette seule chose à dire, elle n'a même plus besoin d'être dite.
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Et le sens de tout m'apparaît. Ce qui m'avait fait peur m'encourage à moi-même. Ce qui avait été une cause d'accablement est maintenant une cause de force ; j'appelle ce que j'avais fui ; je languis après es obstacles, et il n'y en a plus parce que surmontés, mais j'en réclame des nouveaux ; je veux que mon fardeau soit encore plus lourd ; je dis : «Voyez, je ne plie pas dessous ; il fortifie mes reins, il m'endurcit à la fatigue. Vous croyiez m'avoir abattu, voyez comme je me redresse ; vous croyiez m'avoir tout ôté, vous me retrouvez enrichi ; vous m'aviez dépouillé de moi-même, c'est un nouveau moi-même et un meilleur moi-même qui se relève d'à vos pieds ; plus vous me priverez et plus je serai riche ; plus vous m'aurez diminué, plus je me sentirai grandi.»

[in "Résurrection"]
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Le printemps était là, mélangé comme il est de bleu et de noir, avec des jours de beau soleil, puis des averses et du vent. Mais qu'est-ce que cela lui faisait ? il trouvait plaisir à la pluie, il trouvait plaisir au soleil. Il y avait eu les anémones violettes, les crocus qui aiment l'eau, les hépatiques des haies, les primevères comme des assiettes. Alors viennent les gentianes. Il semble qu'on voit le blé pousser : tout d'un coup, il a un pied de haut. Et, le soir, l'air qui passe a un goût de pain frais. Jean-Luc ouvrait la bouche, il disait : « C'est bon ! »
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Puis voilà qu’on constate encore qu’on est de deux ou trois ceps en retard déjà sur ses voisines ; on a un petit mal de dos, on a un petit mal de tête ; on a encore la bouche pleine de l’épaisseur sucrée de trop de raisins avalés la veille et qui se mêle au goût du mouton aux raves qu’on a mangé pour le dîner (c’était le traditionnel repas des vendanges) ; une grande envie de dormir, et terriblement exigeante, venait flotter par là-dessus ; – pourtant il faut qu’on avance, il faut même qu’on se dépêche sans quoi les femmes vont se moquer de vous ; on empoigne sa seille par ses deux oreilles de bois, on la soulève, qui est lourde ; on la monte d’un pas ou deux, on la pose à nouveau dans l’argile où elle s’enfonce ; – et le brouillard en s’élevant découvre devant vous l’infinité des feuilles, le bizarre brouillard de ces pays déjà à demi montagneux, où il s’amuse à descendre et monter plusieurs fois de suite, cachant les rochers, les pâturages, les forêts, puis seulement les rochers ; puis, de nouveau, toutes choses et encore une fois les vignes elles-mêmes ; avant que définitivement il se défasse et il s’éparpille, comme quand on déchire entre ses doigts, en mille petits morceaux, une feuille de papier.
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Jean-Daniel



XIV

Marianne a pleuré, il faisait du soleil,
la cuisine était rose.
Ses larmes coulaient sur ses joues.
Elle a pris son mouchoir, elle a pleuré dedans,
elle s’est assise, n’ayant plus de force.

«Est-ce que c’est vrai que tu l’aimes tant? »
Marianne n’a rien répondu.
«J’aurais voulu pour toi quelqu’un d’autre. »

Marianne a secoué la tête.
«J’ai la raison que tu n’as pas,
j’ai connu la vie, je suis vieille.
Il n’y a pas que l’amour,
l’amour est beau, mais l’amour passe,
tandis que l’argent, ça dure une vie
et qu’on en laisse à ses enfants.»

Marianne a pleuré si fort
qu’on l’entendait depuis dehors.

« Mais maintenant que je t’ai dit ce que je pensais,
je ne voudrais pas te faire de la peine.
Prends ton amoureux si tu l’aimes… »

Marianne a levé la tête
et elle a cessé de pleurer.
« Je crois que c’est un bon garçon,
il aura soin de la maison,
il ne boit pas, il est sérieux,
eh bien, puisque tu le veux,
mariez-vous et soyez heureux. »

Elle a embrassé sa mère sur le front,
elle l’a prise par le cou:
«Tu permettras que je te l’amène?…
Tu verras que j’avais raison. »
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Les Filles



Le dimanche soir, les filles se promènent dans
leurs belles robes, bras dessus bras dessous, en
grandes bandes sur la route ;
elles vont jusqu’au bois, elles s’en reviennent,
les oiseaux se couchent dans les cerisiers.

On entend leurs rires : de quoi rient-elles ?
Ah ! les filles qui n’ont pas vingt ans,
ça ne sait que rire et de tout le monde,
mais c’est pour faire voir qu’on a de jolies dents.
Alors, les garçons vont à leur rencontre ;
elles, elles les voient venir, elles cessent de
chanter; elles rient en dedans, les regards baissés,
on les voit qui se serrent les unes contre les autres
comme sous un arbre quand il pleut.
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Le grand événement de cette fin de juillet fut qu’on avait cambriolé, pendant la nuit, la boutique des époux Menu, dans la Grand-Rue.
De bonne heure, le juge d’instruction était arrivé avec la police et son secrétaire, pour procéder aux constatations. Il avait été facile de se rendre compte que le ou les cambrioleurs devaient connaître parfaitement l’état des lieux, parce qu’ils avaient passé par derrière.
Il y a là plusieurs petites cours qui communiquent, et on arrive ainsi sans peine à une porte de bois plein qui n’était jamais que poussée, et ouvrait elle-même sur une porte vitrée, laquelle donnait accès dans l’arrière-boutique.
Les voleurs étaient exactement renseignés. Ils n’avaient eu qu’à découper au diamant le carreau placé à côté de la poignée et, passant la main par le trou, tourner la clé qui était restée dans la serrure, à l’intérieur.
Il y avait de la négligence, il faut bien le dire, dans le cas des époux Menu, mais la mère Menu disait : « Qui est-ce qui se serait attendu à une chose pareille ? »
Quoi qu’il en soit, une fois qu’ils avaient été dans l’arrière-boutique, les voleurs avaient pu opérer tout à leur aise, ayant sans doute une lampe de poche, ce qui leur avait permis de se glisser sans faire de bruit et sans rien déranger entre les tonneaux, les bidons vides, les sacs superposés, les caisses empilées, jusqu’à la boutique elle-même où une porte volante donnait accès.
C’était une boutique où on vendait de tout, une de ces boutiques de village, où il y a sur des rayons des boîtes de thon et de sardines à côté d’écheveaux de laine dont la couleur se montre par une déchirure du papier ; une de ces boutiques où on peut acheter aussi bien pour deux sous de caramels qu’une paire de pantoufles chaudes, aussi bien du pétrole ou du sucre que des aiguilles ou des boutons.
Dans le bout du comptoir, une caisse enregistreuse toute neuve était posée au-dessus d’un tiroir-caisse de sapin.
Rien n’était plus facile que de le forcer, ce qu’on avait fait.
On n’avait eu qu’à introduire l’extrémité d’un tournevis entre sa partie supérieure et le bâti ; il avait suffi alors d’une simple pesée pour faire sauter la planchette mince qui le fermait sur le devant.
— Et combien y avait-il dedans, savez-vous ?
Le père Menu :
— Au moins six cents francs.
La mère Menu :
— C’était l’argent de la semaine... Ah ! j’y disais bien, à mon mari, qu’il serait peut-être plus prudent de monter chaque soir la recette de la journée ; mais que voulez-vous ? depuis trente ans... Depuis trente-sept, trente-huit ans qu’on est là et il ne nous était jamais rien arrivé. Mon Dieu, dans quels temps vivons-nous ?

[C.F. RAMUZ, "Le Lac aux demoiselles et autres nouvelles", 1943-1947, éditions Zoé (Chêne-Bourg), coll. "Zoé Poche", 246 pages, 2021]
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« C'est comme si je te parlais du haut d'une montagne et, toi, tu serais dans le bas. C'est comme si je t'appelais d'un côté de la vallée et, toi, tu serais de l'autre côté. Est-ce qu'on est si loin l'un de l'autre en même temps qu'on est si près ? »

[C.F. RAMUZ, "Si le soleil ne revenait pas", éditions Mermod (Lausanne) 1937 — Chapitre IV]
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L’obscurité était quelque chose de profond et d’épais comme une fourrure à poils noirs.
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Il pouvait être midi. Le ciel faisait ses arrangements à lui sans s’occuper de nous. Dans le chalet, ils ont essayé encore d’ouvrir la bouche aux bêtes suspectes, empoignant d’une main leur mufle rose, introduisant les doigts de l’autre main entre leurs dents, tandis qu’elles meuglaient ; – et, là-haut, le ciel faisait ses arrangements à lui. Il se couvrait, il devenait gris, avec une disposition de petits nuages, rangés à égale distance les uns des autres, tout autour de la combe, quelques-uns encapuchonnant les pointes, alors on dit qu’elles mettent leur bonnet, les autres posés à plat sur les crêtes. Il n’y avait aucun vent. Le ciel là-haut faisait sans se presser ses arrangements ; peu à peu, on voyait les petits nuages blancs descendre. De là-haut, le chalet n’aurait même pas pu se voir, avec son toit de grosses pierres se confondant avec celles d’alentour, et les bêtes non plus ne pouvaient pas se voir, tandis qu’elles s’étaient couchées dans l’herbe et faisaient silence.
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Est-ce qu’il nous faudra nous sauver tout nus, comme on a lu qu’on faisait dans les pays où on se bat ; est-ce qu’il nous faudra mourir de faim, quand même on a été précautionneux et prévoyants ?
Si rien ne tient plus ! Si on ne peut compter sur rien ! Mais quel mal a-t-on fait pour qu’on soit traité de la sorte ?
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Quand on ne peut pas avoir, on détruit.
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