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Citations de Charles-Ferdinand Ramuz (534)


Je ne vis qu'en autrui. Je ne vis tout à fait que quand je vis en autrui. Je ne suis heureux que quand je vis en autrui.

[C.F. RAMUZ, "Journal", 17 février 1909]
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Cependant tout à coup il se dit : « Et moi ? - Moi, se dit-il, je suis ruiné ; je suis brouillé avec mon frère ; ma femme m'a trompé avec un autre ; et à présent elle est partie. » Il regarda devant lui. Il vit qu'il était triste, fatigué, brisé ; il vit qu'il n'avait plus rien à espérer nulle part ; il vit qu'il avait eu tout le bonheur qu'on peut avoir, et c'était bien peu de chose, mais que ce serait tout, parce qu'il est donné aux hommes en quantité variable ; et qu'ensuite les uns en jouissent plus tôt et les autres plus tard, mais que jamais personne ne va au-delà de sa part. Et qu'ainsi il allait vivre de nouveau, parce qu'il le fallait, non par goût, ni avec désir ou courage, et que vivre ainsi n'est pas vivre. On va longtemps dans une vallée, et marcher est peut-être dur ; toutefois il y a des pentes couvertes d'arbres, de la mousse, des sources fraîches, on peut se dire : « Ce sera plus beau de l'autre côté. » De sorte qu'il reste quand même un peu de joie au fond du cœur, laquelle excite à avancer. Mais on se trouve tout à coup devant une plaine de sel, et on sait qu'aussi loin qu'on pourra aller ce sera toujours cette même plaine, cette même stérilité ; qu'est-ce qui nous reste ? plus rien. 
Page 287, IIème partie, chapitre IX - Éditions de la Pléiade, tome 1.
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Il m'a fallu du temps, je sais bien, puisque c'est même là toute mon histoire, mais est-ce qu'il est jamais trop tard? Chaque pas que j'ai fait a été comme quand, avec les yeux, on va d'une lettre à l'autre dans les livres; prises séparément, elles ne sont rien, et les mots eux-mêmes ne sont rien; on doit aller jusqu'au bout de la phrase: c'est au bout de ma route que le sens est venu.
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Ils disent des choses qu'ils n'auraient jamais osé, ni su dire, dans l'autre vie (c'est la fausse vie). Rien de ce qui nous importe n'y est dit, rien de ce qui est l'essentiel, rien de ce qui compte, rien de ce qu'on aime; et il y a partout entre nous les murs du secret non percés de portes, parce qu'on ose pas ; ils ont osé (...)
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— Tu as pourtant refait les calculs et tu es arrivé au même résultat que moi… Eh bien, je vais te dire, parce que tu n’as pas compris. Eh bien, dans le livre, il y a une guerre ; – il y a justement une guerre à présent. Mais il y a aussi une guerre dans la région du soleil. 1896 et 41, ça fait le compte. Il est dit aussi, dans le livre, que le ciel s’obscurcira de plus en plus et, un jour, le soleil ne sera plus revu par nous, non plus seulement pour six mois, mais pour toujours.
Revaz demande :
— Rien que pour nous ?
— Pour tout le monde.
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Et cette maladie est une maladie terrible à laquelle on ne connaît aucun remède. Elle se met d'abord dans les sabots des vaches et dans leur bouche, puis la fièvre les prend, elles maigrissent, elles perdent leur lait ; elles crèveraient bientôt, si on ne prenait les devants sur la mort. Il y a ordre de les abattre sitôt que la maladie est constatée, et il y a aussi des règlements pour les enfouir ; il faut que le trou ait deux mètres de profondeur au moins ; on tâche ainsi à diminuer, sinon à supprimer, les chances de contagion, malgré la perte qu'on fait, mais il vaut mieux perdre quelque chose que tout perdre.
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il faut mourir encore vivant
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Le jour de notre noce, j'y pense tout le temps,
il fera un soleil comme on n'a jamais vu ;
il fera bon aller en char
à cause du vent frais qui vous souffle au visage,
quand la bonne jument va trottant sur la route
et qu'on claque du fouet pour qu'elle aille plus fort.

On lui donnera de l'avoine,
en veux-tu, en voilà ;
on l'étrillera bien qu'elle ait l'air d'un cheval
comme ceux de la ville ;
et trotte ! et tu auras ton voile qui s'envole,

et tu souriras au travers
parce qu'il aura l'air
de faire signe aux arbres,
comme quand on agite un mouchoir au départ.

On se regardera, on dira : « On s'en va,
on commence le grand voyage ;
heureusement qu'il n'y a pas
des océans à traverser. »
Et quand nous serons arrivés,
la cloche sonnera, la porte s'ouvrira,
l'orgue se mettra à jouer ;
tu diras oui, je dirai oui ;
et nos voix trembleront un peu
et hésiteront à cause du monde
et parce qu'on n'aime à dire ces choses
que tout doucement à l'oreille.
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- Sais-tu comment ça s’appelle, là-haut ? … Oui, tu vois bien, l’arête et l’entaille qu’il y a dedans… D…I…A… Il a réussi son coup, cette fois…
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Borchat venait justement de sortir, ce jour-là, de chez Fanchette Centlivres ; et il rentrait chez lui par le chemin du bas (l'autre traverse le village). Il n'était pas dans de très bonnes dispositions : il marchait lentement les mains dans les poches ; on doit dire qu'il faisait triste, ce jour-là, qui était un jour de la fin de l'hiver. Borchat avait fini par s'asseoir au bord du chemin sur un tronc de noyer récemment abattu : c'est que Borchat n'était pas pressé (et Borchat n'est jamais pressé) ; et puis il retournait sans fin ses mêmes vieilles idées dans sa tête, continuant à la hocher : Borchat, Daniel-Jean-Etienne, ancien soldat, 42 ans. " Elle n'a plus de dents, mais moi non plus.

(C.-F. RAMUZ, "La guerre aux papiers", 1942, chapitre I -- incipit)
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Sa hotte a fait clair dans les vignes, le jour où il est venu.
Il avait dit qu'il s'appelait Besson ; il était vannier. L'affaire a été alors seulement qu'on était pas très sûr qu'il y aurait suffisamment d'ouvrage pour lui dans le pays, comme on lui a dit ; et les gens à qui il s'était adressé secouaient la tête :
" On ne croit pas. "

(C.-F. RAMUZ, "Passage du Poète", 1923, chapitre I -- incipit)
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Un pâtre, qui avait disparu et qu’on croyait mort, avait passé plusieurs mois enseveli dans un chalet, se nourrissant de pain et de fromage…
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Ah ! comme elle est pourtant bien à sa place ! Le soleil n'a point fait de distinction entre et eux, quand il est venu. Le soleil l'aime autant que nous, ses vieux habitués, ses compagnons de chaque jour. Elle est frappée sur une joue, à une tempe ; elle est frappée sur une partie de ses cheveux où il y a des mèches plates qui brillent comme des lames d'acier. Le grain de sa peau sur son cou, sur le côté de son cou, et par-devant, à la naissance de la gorge, se marque. Elle s'accordait bien avec la lumière où ce qui est rond s'arrondit. elle se tournait en arrière vers le soleil montant tout rond au-dessus de la montagne qu'il quittait par secousses comme si la montagne le retenait et il lui disait : " Lâche-moi !". déjà l'air tiédit et déjà, à cause de cette tiédeur, une grande odeur de poisson se fait sentir autour de vous, pendant qu'elle a sur le côté de la jambe cette poussière de lumière et il y a des taches de lumière sur son épaule, le long de son corps.
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Là où il n'y a plus rien, là où il n'y a plus personne, là où il n'y a plus d'arbres, ni de buissons, ni même d'herbe, rien qui soit en vie, sauf quelques mousses rouges et jaunes qui font comme de la peinture sur la roche, à certaines places ; - et une pierre roulait, puis Joseph avance le pied, cherchant un appui sûr pour le tranchant de la semelle. Déjà, si on avait pu le voir, il n'aurait pas été plus gros qu'un point, vu du bas du glacier, puis il n'aurait plus été vu du tout, et il aurait été comme s'il n'était pas... On ne sait toujours pas où il va. C'était une levée de rocs noirs d'humidité et frangée de blanc dans le haut, et toujours personne. Personne ne semble être venu ici depuis le commencement de la terre et n'y avoir jamais rien dérangé, sauf qu'à présent un homme continuait d'écrire les preuves de son existence, comme quand on met des lettres l'une à côté de l'autre, pour une phrase, puis encore une phrase, dérangeant ainsi le premier la belle page blanche par ces traces qui se voyaient de loin. Où est-ce qu'il va ? De nouveau, on se demandait :"Où est-ce qu'il peut bien aller ?" car il ne semblait pas qu'il pût y avoir sur ce point aucun passage, pourtant Joseph allait toujours. Et, un instant après, en effet, on a compris ; il n'y a eu qu'à prolonger de l’œil la ligne déjà tracée par Joseph pour qu'on la vit venir se heurter à la partie d'en bas d'une sorte de long et étroit couloir rempli de neige, aboutissant dans le haut à une entaille carrée : une fenêtre, tout à fait une fenêtre par la forme, avec une vitre de ciel, et on l'appelle la Fenêtre du Chamois. C'était là-haut, entre deux dents, et le couloir qui y menait montait directement, mis debout avec sa blancheur contre la paroi, comme une échelle. Le Pas du Chamois, c'est le nom qu'il a, et en haut du pas est la Fenêtre du Chamois, qui est le nom qu'on lui donne ; qui est le nom qui lui a été donné par les quelques-uns du moins qui s'y sont risqués, des chasseurs ; - et on tourne par là la chaîne sans trop de peine, ni de détours.

Ils mettent le fusil au travers de leur dos, car ils ont besoin de se servir des mains et des pieds ; ils ont un sac avec leurs provisions dedans, ils ont des jambières de cuir ; - maintenant c'est le tour de Joseph, mais lui sans sac, ni jambières, ni fusil ; en habits du dimanche, un bâton à la main. Ils ont un cornet pour s'appeler en cas de besoin, ils sont plusieurs ; - lui était seul, n'ayant pas de cornet, n'ayant personne à appeler, marchant dans la neige pâle et dans l'espèce d'ombre que l'arête d'ardoise portait en avant d'elle...
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On admira beaucoup les chrysanthèmes. Ils étaient aussi hauts que des personnes et serrés par une ceinture d'osier, si bien qu'on aurait dit des dames en robe verte et à chapeaux de couleur. Ce sont des couleurs en dehors des autres ; du roux comme du vieux cuir, du jaune comme le miel, du blond comme une peau de femme ; certaines fleurs avaient le cœur plus foncé et les pétales plus clairs ; d'autres étaient d'un blanc pur, comme du duvet de cygne.
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Il était de ceux dont on dit : « Il est solide comme un chêne. » On en disait autant de la tante Sabine. Pourtant, tous les deux s'en allèrent, à un an de distance, presque le même jour. Par la belle saison d'été qui semble conserver la vie, et avoir l'amour de la vie, et défendre à la mort d'entrer. Mais elle sut quand même entrer.
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C'est un de ces matins d'octobre ; octobre a été annoncé par les calendriers. Octobre grince dans d'autres régions aux pressoirs, octobre a été introduit par la lune dans son premier quartier. Ailleurs, octobre pend en doré contre le crépi des murs et au-dessus des perrons ; ici, c'est inutilement qu'ils ont allumé, ce matin, leur lampes à pétrole, leurs falots tempête. Des fois, il semble que le bon Dieu soit resté endormi dans ses Demeures, ayant oublié, lui, d'allumer sa Grande Lampe ; alors d'autres lampes ne sont pas en état de la remplacer. Qu'est-ce qu'il arriverait (pense-t-il) si la Grande Lampe ne s'allumait pas, pour finir, quand Satan de dessous vos pieds souffle ses vapeurs à la figure par des fissures ; si l'Autre Lampe ne venait pas avec sa lumière lui faire peur.

[extrait de la nouvelle "Trajet du taupier", 1920]
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Jean-Daniel



V

Car, moi, je suis pauvre et sa mère est riche.
Elle a une ferme et des champs,
elle a de l’argent
tout plein son armoire.

Elle a des chevaux, des bœufs et des vaches,
deux domestiques toute l’année,
des ouvriers quand l’ouvrage est pressant;
sa grange est pleine, ses étames de même;
et elle veut un gendre qui soit riche comme elle.

Il faudrait sans doute qu’on vienne
et qu’on lui dise: «Donnez-moi
votre fille, j’ai du bien
autant que vous;
j’ai comme vous des prés, des vaches et des bois,
alors c’est à égalité, n’est-ce pas ? »
Mais qu’on aime sa fille, elle n’y pense même pas.

Elle aura pour gendre un coureur d’auberges,
une espèce de beau parleur
qui fait briller ses écus
pour qu’on sache qu’il a de quoi…
Et je n’ai que mon amour, moi.

Seulement aussi amenez-m’en un
qui travaille davantage,
qui boude moins à l’ouvrage,
qui se lève de plus grand matin.

Je dis que des bons bras, c’est de l’argent comptant;
et je porterais des montagnes,
si on me disait: C’est pour Marianne.
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Il n'y a plus de solitude là où est la poésie.

La poésie est dans l'extrême précision. On dit « épouser les contours » : c'est trop de pudeur. Il faut faire infraction ; il faut épouser tout court.

[C.F. RAMUZ, "Remarques", 1928 — rééd. aux éditions L'âge d'Homme (Lausanne), coll. "Poche Suisse", 152 pages, 1987 — le second paragraphe est une citation déjà faite par par coco4649]
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["CHANSON"]

Vivre, c’est un peu
comme quand on danse :
on a plaisir à commencer —
un piston, une clarinette —
on a plaisir à s’arrêter —
le trombone est essoufflé —
on a regret d’avoir fini,
la tête tourne et il fait nuit.

[C. F. RAMUZ, "Le Petit Village", Ch. Eggimann éditeur (Genève), 1903 — réédition avec les illustrations de Marfa Indoukaeva et une préface de Jil Silberstein, éditions Héros-Limite (Genève) 104 pages, 2010]
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