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Citations de Curzio Malaparte (230)


A un certain moment, l'officier s'arrête devant l'enfant, le fixe longtemps en silence, puis lui dit d'une voix lente, basse, remplie de contrariété :
- Écoute, je ne veux pas te faire de mal. Tu n'es qu'un mioche; je ne fais pas la guerre aux mioches. Tu as tiré sur mes soldats. Mais je ne fais pas la guerre aux enfants. Lieber Gott ! ce n'est pas moi qui l'ai inventée, la guerre ! L'officier s'arrête, puis dit au garçon avec une douceur étrange : écoute, j'ai un œil de verre. Il est difficile de le reconnaître du bon. Si tu peux me dire tout de suite, sans réfléchir, lequel des deux est l'œil de verre, je te laisse partir, je te laisse en liberté.
- L'œil gauche, répond aussitôt le garçon.
- Comment as-tu fait pour t'en apercevoir ?
- Parce que des deux, c'est le seul qui ait une expression humaine.
(fin du chapitre XII).
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La rencontre d’un homme et d’un chien est toujours la rencontre de deux libres esprits, de deux formes de dignité, de deux morales gratuites. La plus gratuite et la plus romantique des rencontres. De celles que la mort illumine de sa pâle splendeur, semblable à la couleur d’une lune morte sur la mer, dans le ciel vert de l’aube.
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Le vent noir commença à souffler vers l’aube, et je me réveillai, trempé de sueur. J’avais reconnu dans mon sommeil sa voix triste, sa voix noire. Je me mis à la fenêtre, je cherchai sur les murs, sur les toits sur le pavé de la rue, dans les feuilles des arbres, dans le ciel au-dessus du Pausilippe, les signes de sa présence. Tel un aveugle, qui marche à tâtons, caressant l’air et effleurant les objets de ses deux mains tendues, le vent noir ne voit pas où il va, il touche tantôt ce mur, tantôt cette branche, tantôt ce visage humain, et tantôt le rivage, tantôt la montagne, laissant dans l’air et sur les choses la noire empreinte de sa caresse légère.
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Ici, interrompant le rire des convives, la porte s'ouvrit, et sur le seuil apparurent quelques valets en livrée, soulevant à deux mains d'immenses plateaux d'argent massif.
Après les carottes à la crème, assaisonnées de vitamines D et désinfectées dans une solution à 2 % de chlore, l'horrible spam arrivait sur la table, le pâté de viande de porc, gloire de Chicago, disposé en tranches couleur pourpre sur une épaisse couche de maïs bouilli. Je reconnus que les valets étaient Napolitains, moins à leur livrée bleue, aux revers rouges de la maison du duc de Tolède qu'au masque d'épouvante et de dégoût imprimé sur leur visage. Je n'ai jamais vu de visages plus méprisants que ceux là. C'était le profond, l'antique, l'obséquieux, le libre mépris de la valetaille napolitaine pour tout maître étranger et rustre. Les peuples qui ont une antique et noble tradition d'esclavage et de faim, ne respectent que les maitres qui ont des goûts raffinés et des grandes manières. Il n'est rien de plus humiliant, pour un peuple réduit à l'esclavage, qu'un maître aux manières frustes, aux goûts grossiers. Parmi ses nombreux maîtres étrangers, le peuple napolitain n'a conservé un bon souvenir que de deux Français, Robert d'Anjou et Joachim Murat : le premier savait choisir un vin et apprécier une sauce, le second non seulement savait ce qu'est une selle anglaise mais savait aussi tomber de cheval avec une suprême élégance. A quoi bon traverser la mer, envahir un pays, gagner une guerre, couronner son front du laurier des vainqueurs, si l'on ne sait pas se tenir à table? Qu'étaient donc ces héros américains qui mangeaient du maïs comme les poules?
Spam frit et maïs bouilli! Les valets portaient les plateaux à deux mains, en détournant leur visage comme s'ils apportaient sur la table la tête de Méduse. Le rouge violacé du spam, qui, une fois frit, prend des tons noirâtres, de viande pourrie au soleil, et le jaune du maïs, tout veiné de blanc, qui à la cuisson se défait jusqu'à ressembler au maïs dont est parfois gonflé le gésier d'une poule noyée, se reflétaient faiblement dans les grands miroirs de Murano embués, qui sur les murs de la salle alternaient avec d'anciennes tapisseries de Sicile.
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Au fond de ce paysage de sons, de couleurs, d'odeurs, dans une déchirure de la forêt, on voyait l'éclair d'on ne savait quoi de terne, d'on ne savait quoi de luisant comme le tremblotement d'une mer irréelle : le Ladoga, l'immense étendue gelée du Ladoga.
Enfin, nous sortîmes du bois sur la rive du lac, et nous apercûmes les chevaux.
(...)
Le troisième jour, un immense incendie flamba dans la forêt de Raikkola. Enfermés dans un cercle de feu, les hommes, les chevaux, les arbres poussaient des cris terribles (...). Fous de terreur, les chevaux de l'artillerie soviétique -ils étaient presque mille- se lancèrent dans la fournaise, brisèrent l'assaut du feu et des mitrailleuses. Beaucoup périrent dans les flammes; mais une grande partie atteignit la rive du lac et se jeta à l'eau (...).
Pendant la nuit, ce fut le vent du nord (...). Le froid devint terrible. Tout à coup, avec un son vibrant de verre qu'on frappe, l'eau gela (...).
Le jour suivant, quand les premières patrouilles de sissit, aux cheveux roussis, au visage noir de fumée, s'avançant précautionneusement sur la cendre encore chaude à travers le bois carbonisé, arrivèrent au bord du lac, un effroyable et merveilleux spectacle s'offrit à leurs yeux. Le lac était comme une immense plaque de marbre blanc sur laquelle étaient posées des centaines et des centaines de têtes de chevaux. Les têtes semblaient coupées net au couperet. Seules elles émergeaient de la croûte de glace. Toutes les têtes étaient tournées vers le rivage. Dans les yeux dilatés, on voyait encore briller la terreur comme une flamme blanche. Près du rivage, un enchevêtrement de chevaux férocement cabrés émergeait de la prison de glace.
(chapitre III).
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Il y a d'innombrables familles d'oiseaux magnifiques, en Ukraine. C'est par milliers qu'ils volent en gazouillant dans le feuillage des acacias, qu'ils se posent légèrement sur les branches argentées des bouleaux, sur les épis de blé, sur les cils d'or des tournesols pour becqueter les graines de leurs grands yeux noirs. On les entend chanter sans répit au-dessous du tonnerre du canon, au milieu du crépitement des mitrailleuses, à travers le vrombissement puissant des avions sur l'immense pleine ukrainienne. Ils se posent sur les épaules des soldats, sur les selles, sur la crinière des chevaux, sur l'affût des pièces d'artillerie, sur le canon des fusils, sur la tourelle des panzers, sur les souliers des morts. Ils n'ont pas peur des morts. Ce sont des oiseaux de petite taille, vifs et joyeux. Certains sont gris, d'autres verts, d'autres rouges, d'autres encore jaunes. Certains n'ont de rouge ou de bleu que la poitrine, d'autres le cou, d'autres la queue. Il en est de blanc avec la gorge bleue, et j'en ai vu certains (tout petits petits et très fiers) entièrement blancs, immaculés. Le matin, à l'aube, ils commencent à chanter doucement dans le blé et les Allemands s'éveillent de leur triste sommeil et lèvent la tête pour écouter leur chant heureux. C'est par milliers qu'ils volent sur les champs de bataille du Dniester, du Dnieper et du Don ; ils gazouillent librement, joyeusement. Ils n'ont pas peur de la Guerre, ils n'ont pas peur de Hitler, des S.S, de la Gestapo. Ils ne s’arrêtent pas sur les arbres pour contempler le massacre mails ils planent en chantant dans l'azur et suivent de haut les armées en marche dans l'interminable plaine.
Ah ! ils sont vraiment beaux, les oiseaux de l'Ukraine !
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Les autorités italiennes ! Une bande de salauds qui, jusqu’à la veille, avaient jeté en prison les pauvres gens au nom de Mussolini, et maintenant les mettaient en prison au nom de Roosevelt, de Churchill, de Staline. Une bande de lâches qui, jusqu’à la veille, avaient fait les maitres et les héros au nom de la tyrannie, et maintenant faisaient les maitres et les héros au nom de la liberté.
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« Dans cette rue, sous ces arbres verts, sous le ciel haut et blanc de Moscou, parsemé de taches de rousseur ainsi que l'épiderme d'une femme blonde, face à ce paysage de monastères antiques et de palais gigantesques en ciment et en verre, la langue française, sur leurs lèvres, paraissait ancienne et étrangère, avec ce son de langue morte que l'oreille d'un lecteur moderne perçoit dans le français des personnages de Guerre et paix. […] Toute la malveillance, le soupçon, la rancune, la méfiance, l'envie, la cruauté sénile que cette langue exprimait sur leurs lèvres donnait à ce français des accents d'une antiquité poignante et infiniment belle, une dignité de langage inhumain, incorporel, désintéressé, d'une abstraction et d'une transparence merveilleuses, plein de cette grécité alexandrine, lasse et douce, que l'on sent sur les lèvre d'André Chénier, dans les vers de la Jeune Captive, ce Proust d'un Côté de Guermantes dont la grâce mélancolique conservait, comme un dernier souvenir, le goût altier de la mort. » (pp. 97-98)
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Je me trouvais à Varsovie, au Café Europeiski. L'orchestre jouait de vieux chants polonais et des lieds viennois.
(...) À la table voisine de la mienne, des soldats allemands étaient assis les yeux écarquillés et ne changeaient pas de visage. Au milieu de leur œil fixe, je voyais la pupille se dilater et se rétrécir de façon bizarre. Je m'aperçus qu'ils ne battaient pas des paupières. Cependant, ils n'étaient pas aveugles : quelques-uns lisaient le journal, d'autres observaient attentivement les musiciens de l'orchestre, les gens qui entraient et sortaient, les garçons qui s'activaient autour des tables et, à travers les vitres embuées des grandes fenêtres, l'immense place Pilsudzki déserte sous la neige.
Tout à coup je m'aperçus avec horreur qu'ils n'avaient pas de paupières. (...)
Brûlée par le froid, la paupière se détachait comme un morceau de peau morte. J'observais avec horreur, à Varsovie, les yeux de ces pauvres soldats du Café Europeiski, cette pupille qui se dilatait et se resserrait au milieu d'un œil écarquillé et fixe, dans un vain effort fait pour éviter la lumière.
(chapitre XII).
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Le soldat visa un trou, creusé dans le mur à fleur de terre. Un autre soldat, agenouillé derrière lui, surveillait par-dessus l'épaule de son camarade. Tout à coup, celui-ci tira. La balle atteignit le mur juste au bord du trou. "Manqué", s'écria gaiement le soldat en rechargeant. Franck s'approcha des deux soldats et demanda sur quoi ils tiraient.
- Sur un rat ! répondirent-ils en riant bruyamment.
- Sur un rat ? ach so ! dit Franck en s'agenouillant pour regarder par-dessus l'épaule du soldat.
Nous nous étions rapprochés, nous aussi, et les dames riaient et se trémoussaient en relevant leurs jupes à mi-jambes comme le font habituellement les femmes quand on parle de rats.
- Où est-il ? Où est le rat ? demanda Frau Brigitte Franck.
- Achtung ! dit le soldat en visant. Par le trou creusé au pied du mur, on vit paraître une touffe de cheveux noirs ébouriffés : puis deux mains émergèrent du trou, se posèrent sur la neige. C'était un enfant.
Le coup partit. Cette fois-là encore, il manqua le but de peu. La tête de l'enfant disparut.
- Donne ça, dit Franck d'une voix impatientée. Tu ne sais même pas te servir d'un fusil ! Il s'empara du fusil - et visa.
La neige tombait dans le silence.
(fin du chapitre VII).
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- La guerre est le plus noble des sports, dit Schmeling.
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Puis il me demandait pourquoi le peuple italien, avant la guerre, n’avait pas fait la révolution pour chasser Mussolini. Je répondais : « Pour ne pas faire de la peine à Roosevelt et à Churchill, qui, avant la guerre, étaient de grands amis de Mussolini. » Tous me regardaient étonnés, s’écriant : « Funny ! » Puis il me demandait ce qu’était un État totalitaire : « C’est un État, répondais-je, où tout ce qui n’est pas défendu est obligatoire. » Et tous me regardaient étonnés, s’écriant : « Funny ! »
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Pourquoi voudriez-vous que je pleure ? Peut-être parce qu’aux bals, que vos WACs organisent pour amuser les officiers et les soldats américains, vous invitez gentiment nos femmes, mais vous interdisez à leurs maris, à leurs fiancés, à leurs frères, de les accompagner.
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Tout le monde sait combien les morts sont égoïstes. Il n’y a qu’eux au monde, tous les autres ne comptent pas. Ils sont jaloux, envieux ; ils pardonnent tout aux vivants, sauf d’être vivants.
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On n’entendait pas de voix, pas même les pleurs d’un enfant. Un étrange silence pesait sur la ville affamée, imprégnée de l’âcre sueur de la faim, semblable à ce merveilleux silence qui se répand dans la poésie grecque, lorsque la lune se lève lentement sur la mer.
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Les hommes, quand ils luttent pour ne pas mourir, s’accrochent avec la force du désespoir à tout ce qui constitue la partie vivante, éternelle, de la vie humaine, l’essence, l’élément le plus noble et le plus pur de la vie : la dignité, la fierté, la liberté de leur conscience. [...] Les hommes sont capables de n’importe quelle lâcheté, pour vivre : de toutes les infamies, de tous les crimes, pour vivre.
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Mais quelque chose dans leurs visages, dans leurs regards, m’humiliait. Quelque chose, en eux, me blessait profondément. C’était un orgueil insolent, le vil orgueil de la faim, l’orgueil à la fois humble et impudent de la faim. Ils ne souffraient pas dans leur âme, mais seulement dans leur chair. Ils n’enduraient d’autre sorte de peine que celle de la chair. Et tout à coup je me sentis seul, étranger, dans cette foule de vainqueurs et de pauvres Napolitains affamés. J’eus honte de ne pas avoir faim. Je rougis de n’être qu’un « italian bastard », un « son of a bitch », et rien de pire.
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Folio page 409
« Connaissez-vous l’origine du mot kaputt ? C’est un mot qu’il vient de l’hébreu koppâroth, qui signifie victime. »
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Des paroles cruelles me montaient aux lèvres, et je m'efforçais en vain de les étouffer. C'est ainsi que, presque inconsciemment, je me mis à parler des prisonniers russes qui mangeaient les cadavres de leurs camarades, dans le camp de Smolensk, sous les yeux impassibles des officiers et des soldats allemands.
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C'est l'heure de notre mort quotidienne, l'instant où chaque homme aperçoit son destin comme une loi étrangère à sa vie.
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