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Citations de Curzio Malaparte (230)


Tandis qu'il parlait, j'observais un panier d'osier posé sur le bureau, à la droite du Poglawnik. Le couvercle était soulevé : on voyait que le panier était plein de fruits de mer. Tout au moins c'est ce qu'il me sembla : on eût dit des huîtres, mais retirées de leurs coquilles, comme on en voit parfois exposées sur des grands plateaux, dans les vitrines de Fortnum and Mason, à Piccadilly, à Londres. Casertano me regarda et me cligna de l'œil :
- Ça te dirait quelque chose, hein, une belle soupe d'huîtres ?
- Ce sont les huîtres de Dalmatie ? demandai-je au Poglawnik.
Ante Pavelic souleva le couvercle du panier, et me montrant ces fruits de mer, cette masse d'huîtres gluante et gélatineuse, il me dit avec un sourire, son bon sourire las :
- C'est un cadeau de mes fidèles oustachis ; ce sont vingt kilos d'yeux humains.
(fin du chapitre XIII).
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C'est la civilisation moderne, cette civilisation sans Dieu, qui oblige les hommes à donner une telle importance à leur peau. Seule la peau compte désormais. Il n'y a que la peau de sûr, de tangible, d'impossible à nier. C'est la seule chose que nous possédions, qui soit à nous. La chose la plus mortelle qui soit au monde. Seule l'âme est immortelle, hélas! Mais qu'importe l'âme, désormais? Il n'y a que la peau qui compte. Tout est fait de peau humaine. Même les drapeaux des armées sont faits de peau humaine. On ne se bat plus pour l'honneur, pour la liberté, pour la justice. On se bat pour la peau, pour cette sale peau.
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Si bien qu'on vit en ces jours s'accomplir des actes abjects et des très beaux, avec une aveugle furie et avec une froide raison , presque avec une merveilleuse désespérance, tellement sont fortes, dans les âmes simples, la peur et la honte de ses propres pêchés.
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Quand on est lâche, il faut être lâche jusqu'au bout.

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Ce qu'il y a de singulier dans le caractère des Italiens, c'est que leur conscience morale ne se manifeste qu'en présence du sang, car ils subordonnent tout au respect de la vie.


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J'ai honte d'avoir été enfant.
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Les autres officiers, les camarades de Fréderic, sont jeunes aussi : vingt, vingt-cinq, trente ans. Mais tous portent sur leur figure jaune et ridée des signes de vieillesse, de décomposition, de mort. Tous ont l'œil humble et désespéré du renne. Ce sont des bêtes, pensé-je ; ce sont des bêtes sauvages, pensé-je avec horreur. Tous ont, sur leur visage et dans leurs yeux, la belle, la merveilleuse et la triste mansuétude des bêtes sauvages, tous ont cette folie concentrée et mélancolique des bêtes, leur mystérieuse innocence, leur terrible pitié.
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Un banc de jardin public, peint en vert, le siège et le dossier en bois, les pieds de fer recourbés, terminés en forme de patte de chien. Un vrai banc : solitaire, paresseux, mélancolique. De ces bancs, qui patients et sans espoir, attendent à l’ombre d’un platane, sur la petite place de tous les bourgs et villages de France. Un platane seulement, un réverbère, un pan coupé de mur avec la sentence Défense d’afficher suffiraient peut-être pour faire de ce banc, le témoin d’une civilisation provinciale fatiguée, le signe précis d’un ordre ancien et noble.
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“Le plus grand Malaparte est en effet dans ces pages poétiques et rapides : tantôt il se presse, faufile les scènes, comme on dit en couture, les couds à peine d’un bout de chemin esquissé ; tantôt il s’arrête, et son œil cinématographique suggère un combat estompé dans la brume, passe au plan serré pour dénoncer les trafiquants qui achèvent d’affamer le peuple, puis au plan large, presque lyrique, pour l’arrivée du cortège dans une ville de Naples bruissante de prières et de cris d’enfants. Ainsi progresse Le compagnon de voyage , au fil des stations d’une longue procession, celle de la Passion du peuple des perdants, des vaincus de l’Histoire, des frères Malaparte.”
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Curzio Malaparte
Jamais je n’ai aimé une femme, un frère, un ami comme j’ai aimé Febo. C’était un chien comme moi. (...) C'était un être noble, la plus noble créature que j'aie jamais rencontrée dans ma vie. Il était de cette rare et délicate famille de lévriers, venus des rivages de l'Asie, avec les premières migrations ioniennes, et que les bergers de Lipari appellent cerneghi. Ce sont ces chiens que les sculpteurs grecs sculptaient dans les bas-reliefs des tombeaux. "Ils chassent la mort", disent les bergers de Lipari.
Sa robe était couleur de lune, rose et dorée, la couleur de la lune sur la mer, la couleur de la lune sur les sombres et luisantes feuilles des citronniers et des orangers, sur les écailles de ces poissons morts que la mer, après les tempêtes, laissait sur le rivage, devant la porte de ma maison. (...) Je l'appelais Chienlune.
Il ne s'éloignait jamais de moi. Il me suivait comme un chien. Je dis bien qu'il me suivait comme un chien. Sa présence, dans ma pauvre maison de Lipari, flagellée sans répit par le vent et la mer, était une présence merveilleuse. La nuit, la tiède clarté de ses yeux lunaires éclairait ma chambre nue. Il avait les yeux d'un bleu pâle, de la couleur de la mer au déclin de la lune. Je sentais sa présence comme celle d’une ombre. Il était comme le reflet de mon esprit. Sa seule présence m’aidait à retrouver ce mépris des hommes qui est la première condition de la sérénité et de la sagesse dans la vie humaine. Je sentais qu'il me ressemblait, qu'il n'était rien d'autre que l’image de ma conscience, de ma vie secrète. Le portrait de moi-même, de tout ce qui existe de plus profond, de plus mystérieux en moi : mon subconscient, pour ainsi dire, mon spectre.
De lui, bien plus que des hommes, de leur culture, de leur vanité, j’ai appris que la morale est gratuite, qu’elle est une fin en soi, qu'elle ne se propose même pas de sauver le monde (même pas de sauver le monde !) mais seulement d'inventer toujours de nouveaux prétextes à son propre désintéressement, à son libre jeu. La rencontre d’un homme et d’un chien est toujours la rencontre de deux libres esprits, de deux formes de dignité, de deux morales gratuites. La plus gratuite et la plus romantique des rencontres. De celles que la mort illumine de sa pâle splendeur, semblable à la couleur d'une lune morte sur la mer, dans le ciel vert de l'aube.
Je reconnaissais en lui mes plus mystérieux mouvements, mes instincts les plus incertains, mes doutes, mes épouvantes, mes espoirs. Sa dignité devant les hommes, c'était la mienne, son courage, son orgueil devant la vie, c'étaient les miens, son mépris pour les sentiments faciles de l'homme était le mien aussi. Mais bien plus que moi, il était sensible aux obscurs présages de la nature, à la présence invisible de la mort, qui rôde toujours, taciturne et méfiante, autour des hommes. Il sentait venir de loin dans l'air de la nuit les tristes larves des rêves, semblables à ces insectes morts que le vent apporte on ne sait d'où. Certaines nuits, couché à mes pieds, il suivait des yeux une présence invisible qui rôdait autour de moi, qui s'approchait, s'éloignait, restait de longues heures à me guetter derrière la vitre de la fenêtre. Par moments, si la mystérieuse présence s'approchait de moi jusqu'à effleurer mon front, Febo grognait menaçant, le poil hérissé sur son dos, et j'entendais un cri plaintif s'éloigner peu à peu, mourir dans la nuit.
C'était le plus cher de mes frères, mon véritable frère, celui qui ne trahit pas, celui qui jamais n'humilie. Le frère qui aime, le frère qui aide, qui comprend, qui pardonne. Seul celui qui a enduré de longues années d'exil dans une île sauvage, et, revenant parmi les hommes, se voit fuir comme un lépreux par tous ceux qui un jour, le tyran mort, joueront aux héros de la liberté, seul celui-là sait ce que peut être un chien pour un être humain.
Febo me fixait souvent avec un reproche noble et triste dans son regard affectueux. J'éprouvais alors une honte étrange, presque un remords, de ma tristesse, une sorte de pudeur devant lui. Je sentais que, dans ces moments, Febo me méprisait : avec douleur, avec un tendre amour ; mais il y avait certainement dans son regard une ombre de pitié et, en même temps, de mépris. Il était le gardien de ma dignité et je dirai, avec l'ancien mot grec, mon doruphoréma.
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Vous ne pouvez pas imaginer de quoi est capable un homme, de quels héroïsmes, de quelles infamies il est capable, pour sauver sa peau.
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Et je jugeais qu’il était bon, que l’élément fondamental de son caractère était une humanité simple et généreuse, faite de timidité et de charité chrétienne. J’eus l’impression d’un homme capable de supporter sans sourciller d’atroces souffrances physiques, des fatigues et des tortures terribles, mais absolument inapte à endurer la moindre douleur morale. Un homme bon, voilà ce qu’il me parut, et cet air de stupidité me sembla de la timidité, de la bonté, de la simplicité, une façon à lui - toute paysanne - de se placer en face des faits, des gens et des choses comme en face d’éléments physiques, concrets et non point moraux, en face d’éléments de son monde physique, non pas de son monde moral.
[…]
- Le peuple croate, disait Anton Pavelic, veut être gouverné avec bonté et avec justice. Et moi, je suis là pour garantir la bonté et la justice.
Tandis qu’il parlais, j’observais un panier d’osier posé sur le bureau, à la droite du Poglawnik. Le couvercle était soulevé : on voyait que le panier était plein de fruits de mer. Tout au moins c’est ce qui me sembla : on eût dit des huîtres, mais retirées de leurs coquilles, comme on en voit parfois exposées sur de grands plateaux, dans des vitrines de Fortnum and Mason, à Piccadilly, à Londres. Casertano me regarda et me cligna de l’œil :
- Ça te dirait quelque chose, hein, une belle soupe d’huîtres ?
- Ce sont des huîtres de Dalmatie ? demandais-je.
Ante Pavelic souleva le couvercle du panier, et me montra ces fruits de mer, cette masse d’huîtres gluantes et gélatineuses, il me dit avec un sourire, son bon sourire las :
- C’est un cadeau de mes fidèles oustachis : ce sont vingt kilos d’yeux humains.
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Les Allemands nus sont extraordinairement désarmés. Sans mystère. Ils ne font plus peur. Le secret de leur force n'est pas dans leur peau, dans leur os, dans leur sang, mais dans leur uniforme. Ils sont tellement nus qu'ils ne se sentent vêtus qu'en uniforme. Leur véritable peau, c'est l'uniforme. Si les peuples d'Europe savaient la nudité flasque, sans défense et morte qui se cache sous le feldgrau de l'uniforme allemand, l'armée allemande n'effrayerait pas le peuple le plus faible et le plus désarmé. Un enfant oserait affronté tout un bataillon allemand. Il suffit de les voir nus pour comprendre le sens secret de leur vie nationale, l'histoire de leur nation. Ils étaient nus devant nous comme des cadavres timides et pudibonds.
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Ce qui pousse l’Allemand à la cruauté, aux actes les plus froidement, les plus méthodiquement, les plus scientifiquement cruels, c’est la peur des opprimés, des désarmés, des faibles, des malades; la peur des vieux, des femmes, des enfants, la peur des Juifs. Bien qu’il s’efforce de cacher cette peur mystérieuse, il est fatalement amené à en parler et toujours aux moments les plus inopportuns. A table en particulier (…)
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Pourquoi ne déclarent-ils pas aussi la guerre aux mouches à Naples ? Dans le nord de l'Italie, à Milan, à Turin, à Florence, même à Rome, les municipalités se sont organisées pour lutter contre les mouches. Il n'y a plus une seule mouche dans ces villes.
Il n'y a plus une mouche à Milan ?
Non, pas une mouche. Nous les avons toutes exterminées. C'est une mesure d'hygiène, elle évite les infections et les maladies.
Eh bien, même à Naples, nous avons combattu les mouches, nous leur avons même déclaré la guerre. Nous faisons la guerre aux mouches depuis trois ans maintenant.
Alors comment se fait-il qu'il y ait autant de mouches à Naples ?
Et que puis-je dire, Monsieur, les mouches ont gagné !
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Aucun vin n’est aussi terrestre que le rouge vin de Bourgogne ; dans le reflet blanc de la neige, il avait la couleur de la terre, cette couleur pourpre et or des collines de la Côte-d’Or au coucher du soleil. Son souffle était profond, parfumé d’herbes et de feuilles comme un soir d’été bourguignon. Et aucun vin n’accompagne aussi intimement l’approche du soir que le vin de Nuits-Saint-Georges, n’est autant l’ami de la nuit que le vin de Nuits-Saint-Georges, nocturne jusque dans son nom, profond et semé d’éclairs comme une nuit d’été en Bourgogne. Il brille d’un éclat sanglant au seuil de la nuit comme, au bord cristallin de l’horizon, le feu du couchant. Il allume des lueurs rouges et bleues dans la terre couleur de pourpre, dans l’herbe et dans les feuilles d’arbres, encore chaudes des saveurs et des arômes du soleil mourant. Les bêtes sauvages, à la tombée de la nuit, s’acagnardent profondément dans la terre, le sanglier rentre dans sa bauge avec des claquements précipités de branchages, le faisan au vol court et silencieux nage dans l’ombre qui déjà flotte au-dessus des bois et des prés, le lièvre agile se laisse glisser sur le premier rayon de la lune comme sur une corde raide d’argent. C’est là l’heure du vin de Bourgogne.
À ce moment-là, par cette nuit d’hiver, dans cette pièce éclairée du lugubre reflet de la neige, l’odeur profonde du Nuits-Saint-Georges nous rappelait le souvenir des soirées d’été en Bourgogne, des nuits endormies sur une terre encore chaude de soleil. (p. 300-301)
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Dès que les ombres du soir rasaient les murs et que le grand souffle noir de la mer éteignait le vert feuillage des arbres, une foule morne, lente, silencieuse débouchait des mille ruelles de Toledo et envahissait la place. C’était la misérable, antique, mythique foule napolitaine : mais quelque chose en elle était mort, la joie de la faim ; même sa misère était triste, blême, morte.
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Nous étions au sommet d’un volcan éteint. Le feu qui, pendant des milliers d’années, avait brûlé les veines de cette montagne, de cette terre, de toute la terre, s’était éteint tout à coup, et, maintenant, peu à peu, la terre se refroidissait sous nos pieds. Cette ville là-bas, au bord de cette mer recouverte d’une croûte luisante, sous ce ciel encombré de nuages de tempête, était peuplée non point d’innocents et de coupables, de vainqueurs et de vaincus, mais d’hommes vivants, errant en quête d’un peu de nourriture, et d’hommes morts ensevelis sous les ruines des maisons.
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Même les drapeaux des armées sont faits de peau humaine.
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Les plus courageux et les plus patients étaient les enfants. Ils ne pleuraient pas, ne criaient pas, mais tournaient autour d’eux des yeux clairs pour regarder l’effroyable spectacle, et souriaient à leurs parents, avec cette merveilleuse résignation des enfants qui pardonnent à l’impuissance des grandes personnes et ont pitié d’elles qui ne peuvent pas les aider.
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