Si je ne recevais pas le bimestriel "Le carnet et les instants" (1), j'ignorerais probablement l'existence de cet auteur gaumais dont on on y rappelle régulièrement l'existence. À force de zapper son patronyme dans le magazine, il se logea dans quelque circonvolution neuronale et finit par se manifester, il y a peu, quand ce nom de friandise wallonne tomba sous mon oeil en quête, dans le dédale de la bibliothèque provinciale, dont une main solidaire avait astucieusement placé un roman dudit poète sur présentoir.
Je confesse ma négligence coupable:
Guy Goffette s'est fait une place dans le territoire littéraire et il n'y a pas tant de belges qui en tiennent une aussi méritoire. Son oeuvre poétique a été reconnue par l'Académie française et le Goncourt, par d'autres prix aussi, et à défaut de l'avoir encore bien découverte, j'ai englouti son premier roman, édité chez Gallimard en 2001.
Il y a en tout lecteur cette part intime, un peu limbique, qui le pousse à regarder par le trou des serrures, à devenir voyeur. C'est sans doute celui-là qui lui fera courir ces pages pour refermer le livre avec un brin de confusion pour abus d'intimité.
Guy Goffette ne manifeste aucune gêne et il écume : "...j'enrage, j'enrage encore de voir ce qu'une éducation approximative et brutale fait d'un enfant gauche, timoré, précocement pubère et d'une curiosité crasse,..." À douze ans Simon perd ses illusions dans les doigts d'une femme instable et perverse. Il ne rencontrera pas la jeune fille aux jambes nues, la douce qui l'accompagnera; celle-là l'a mal initié. Il dit ses faiblesses (sont-ce des torts ?), la naïveté, l'attirance précoce pour les sens. le récit est sans nul doute une peu de l'enfance de
Guy Goffette, qui d'autre pourrait si bien raconter cela, de si secret, sans l'avoir un peu vu ? "... ; si seulement elle me les avait montrés avec un brin de retenue, de la délicatesse, que sais-je, en rougissant un peu, au lieu de me les enfourner comme un paquet de linge sale dans la gorge ;...."
La distance est prise grâce à la troisième personne, vrai-faux double, ce gamin Simon. "Et s'il existe une autre façon de récupérer son enfance, de la replacer dans sa vie comme la pièce manquante du puzzle, que de se la raconter sans cesse, sans cesse, qu'on me le dise,...." La narration oscille entre je et ce gamin que, pathétiquement, il voudrait autre que lui. L'enfant vit sous la colère d'un père autoritaire, buveur, le "roi-tabac", et la tendresse maladroite d'une mère, Tili, un nom de chat ou d'oiseau, qui connaît les désillusions et le manque d'argent des gens d'en bas.
L'essayiste et poète
Yves Leclair, dans son récent
Guy Goffette, sans légende(2), écrit avec empathie: "....écrivain public des gens de peu, le Rom du langage, un cycliste du vers,... (...) ...un poète commun des mortels, mendiant d'amour, rose à jamais amoureux de la femme,..." Une opportunité d'approcher les obsessions, les ancrages et la rhétorique lyrique de l'ancien instituteur.
Voilà un livre attachant et sincère, où les soldats de plombs sous la table s'émeuvent de blancheurs troublantes de salle de bain. La confession, la complainte d'un exilé de l'amour. Goffette a l'image forte — c'est un poète —, rien que le titre déjà, cet été comme un bas noir de femme autour du cou.
(1) L'abonnement à ce magazine bimestriel des lettres belges est gratuit sur demande écrite. Toutes les informations sur
http://www.promotiondeslettres.cfwb.be/index.php?id=1588
(2) Éditions
Luce Wilquin, collection "L'oeuvre en lumière", 2012
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