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Critiques de Herbjørg Wassmo (461)
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La chambre silencieuse

Où l’on retrouve Tora, fillette rencontrée dans La véranda aveugle, et qui, doucement, grandit. Son beau-père Henrik est en prison pour avoir mis le feu aux quais et aux cabanes de pêcheurs de l’Oncle Simon. Elle s’efforce de ne penser qu’à ça, l’absence salutaire de cet homme à l’origine du péril, cette sensation permanente de terreur et d’insécurité qui a investi la moindre parcelle de sa vie, le moindre repli de son inconscient. Une vie nouvelle commence, elle veut se laver de toute souillure, se débarrasser de son passé, devenir une autre. Elle ose, enfin, se considérer comme quelqu'un, s’exprime davantage, fait des projets. Elle espère quitter son île pour aller au cours complémentaire. Elle est la plus douée des filles de l’école de Vaeret, et l’Oncle Simon lui a promis de financer ses études.

L’intranquillité pourtant subsiste, sourde mais tenace.



Le soulagement lié à l’incarcération d’Henrik est nuancé par la maladie de la tante Rakel, dont elle s’est a priori remise mais qui a assombri l’éclat de cette femme toujours solide et rayonnante, et a laissé dans son sillage une sensation malaisante. Et puis son beau-père, autour duquel plane une chape de silence, et que seule sa mère va visiter en prison, reviendra un jour…



Le passé, enfin, l’a marquée de son empreinte, et Tora ne peut s’en libérer complètement : elle vit dans le mensonge et le silence, hantée par un secret qui la dévalorise sans cesse à ses propres yeux, et par les questionnements qui en découlent : comment survivre ? Vaut-il mieux pour cela être seule ou entourée ? Comment concilier l’innommable agression faite à son intégrité avec les commandements moraux et religieux qui gouvernent le monde ?



Je repense, en rédigeant ce billet, au commentaire laissé par Athalie suite à mon avis sur le premier volet de la trilogie de Tora : "Certaines publications qui fleurissent depuis quelques temps sur la problématique du féminisme me paraissent bien fades par rapport à son œuvre, qui ne rentre pas dans une catégorie, plus ou moins à la mode et où, parfois le propos "modernisé" de destins féminins tombe à plat. Ça m'agace et j'ai de plus en plus tendance à les fuir. Il vaut mieux lire Wassmo !"



Je le trouve très juste. La condition féminine est omniprésente, dans l’œuvre de Wassmo, mais elle nous y sensibilise et exprime sa révolte sans discours ni même l’once d’aucune digression d’ordre rhétorique.



Elle décrit des existences, dont elle extirpe, sans que la volonté de le faire transparaisse, le détail d’événements quotidiens, d’attitudes, qui disent la dureté, les humiliations, le ravalement au statut d’une infériorité qui contraint à la soumission et au silence. Chaque indice est criant, dit la difficulté d’être femme dans un monde où elles n’ont pas la parole. Et c’est aussi la violence d’une condition sociale qu’elle met ainsi évidence, dédiant par exemple de longues lignes à la description des mains de Soleil, qui à elle seules expriment la rudesse d’une vie dédiée aux autres et au travail.



Soleil que l’on retrouve donc en même temps que Tora, qui déjà semble adulte, et fait elle aussi des projets, pour fuir le foyer et la fourmillante fratrie que sa mère neurasthénique et maladivement pieuse laisse à son entière responsabilité. Soleil l’infatigable, qui économise en vue de financer une formation professionnelle, travaillant sans relâche, gérant des frères et sœurs incapables de se débrouiller sans elle, arrondissant son salaire en accordant à son patron des privautés dont elle ne mesure pas la perversion…



Et puis il y a Ingrid, la mère de Tora, solitaire et débrouillarde, qui trime pour un salaire de misère dans un atelier où ne règne aucune solidarité, que son mariage avec Henrik soumet au poids des jugements faciles.



Nous sommes ici dans une réalité qui n’est ni historique ni politique. Les temps modernes comme les temps anciens y semblent ridicules. C’est une réalité soumise à un quotidien qui impose jour après jour d’usants efforts pour assurer sa subsistance, aux saisons de pêche et d’élevage, aux caprices d’une nature qui peut d’un seul coup venir détruire le travail de toute une vie. Les habitants de l’île, taiseux réfractaires à tout ce qui sort de l’ordinaire, méfiants envers les plus instruits ou les plus riches, refont preuve alors pour un temps, d’un peu de solidarité.



Quant à Tora, pourra-t-elle s’émanciper de la terreur des hommes que le péril a ancré en elle ? Je vous laisse le découvrir mais sachez que, quelle que soit la réponse, le chemin sera très, très douloureux.
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La chambre silencieuse

En 1957 Tora, l'héroïne de La véranda aveugle, a 15 ans. Après l'incarcération d'Henrik pour incendie volontaire, Tora est libérée un temps du péril. Cette période de répit lui permet d'envisager de quitter l'île et de dire enfin sa haine de son beau-père même si la honte ressentie l'empêche d'avouer les abus à sa mère ou sa tante. Dans ce tome Herbjørg Wassmo développe aussi l'histoire de Soleil, voisine et amie de Tora, âgée de deux ans de plus qu'elle. Fille aînée d'une famille nombreuse, Soleil s'occupe de ses petits frères et soeur depuis son enfance. La mère est une illuminée qui passe ses journées à louer Dieu. Soleil a du arrêter sa scolarité mais travaille et gagne de l'argent par divers moyens avec l'objectif de se payer un cours de commerce puis de quitter l'île. Pour ces deux jeunes femmes le départ apparaît comme une occasion d'émancipation et l'autrice dit bien leurs espérances et la façon dont elles pourraient être brisées. Ingrid, mère de Tora, femme effacée qui subit habituellement sa condition, profite de l'absence de son mari pour soutenir sa fille.



J'ai beaucoup aimé cette lecture. Je trouve les personnages féminins très attachants. J'ai eu envie qu'il leur arrive du bien même si ce n'est pas gagné d'avance. Dans ce tome Tora subit encore de grandes violences mais malgré tout elle se relève, elle trace sa voie et a la force de profiter des bons moments pour en faire des réserves de souvenirs positifs pour les temps durs.



Herbjørg Wassmo réussit à merveille à exprimer les sentiments de cette adolescente, le regard qu'elle porte sur le monde et ses proches. L'analyse psychologiques est fine et approfondie. J'ai aussi été particulièrement touchée par la description d'une tempête qui frappe l'île. Il y a des images saisissantes. J'ai hâte de savoir quel dénouement me réserve le troisième tome.
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Fils de la providence, tome 2

Après des années à étouffer dans son petit village du cercle polaire, Dina a enfin mis à exécution son projet : quitter Reinsnes avec son violoncelle pour apprendre à vraiment jouer de cet instrument avec lequel elle fait corps. Benjamin a grandi sans cesser d'espérer le retour de sa mère, mais incertain de l'accueil qu'il lui ferait si elle rentrait enfin. À Copenhague, il suit des études de médecine et se lie d'amitié avec Aksel, fils d'un pasteur danois. Quand Bismarck attaque le Danemark, Benjamin s'engage dans les unités de soins et son enfance est désormais loin. « Reinsnes était comme un endroit décrit dans un livre. » (p. 40) Sur les champs de bataille, il rencontre Karna, beauté blonde dont il causera la perte. Dans les choses de l'amour, Benjamin est comme Dina : brûlant et insatiable. « Si seulement j'avais pu la prendre dans mes bras ! On ne devrait pas avoir besoin de parler de tout. » (p. 69) Il a de nombreuses amantes, dont Karna, mais s'éprend aussi d'Anna, la brillante fiancée d'Aksel. Mais toujours torturé par l'absence de sa mère, même après son diplôme de médecine, Benjamin reste finalement un enfant triste et perdu. « Elle n'écrivait pas ! Pourquoi, nom d'un chien, n'écrivait-elle pas ? Qu'est-ce que je lui avais fait ? Mis à part ce qui avait été involontaire : avoir été témoin de son acte ? » (p. 134) Le jeune Norvégien est déterminé à s'accuser du drame qui a emporté le Russe si cela peut lui ramener Dina.



Ce deuxième tome m'a moins plu que le premier. Dans l'égoïsme, contrairement à sa mère, Benjamin est agaçant (mais peut-être sont-ce ma sororité et mon féminisme qui parlent...). L'absence de Dina est écrite de telle sorte que la maîtresse de Reinsnes est omniprésente et comble tous les creux. Il me tarde de revenir dans les latitudes polaires avec la petite Karna, dans la trilogie intitulée L'héritage de Karna.
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Fils de la providence, tome 1

L'histoire de Benjamin commence exactement là où l'on avait laissé Dina dans Mon bien-aimé est à moi. L'enfant est désormais lié à sa mère par le drame dans lequel a péri le Russe Léo. Benjamin grandit, toujours fasciné par Dina et avide de la garder pour lui seul. « À mon avis, c'était quelqu'un qui abandonnait tout ce que l'on ne pouvait pas rendre immortel. » (p. 20) Lui aussi entend la voix des morts qui peuplent Reinsnes, mais contrairement à sa mère, cela ne suscite chez lui que des terreurs incontrôlables. Le garçon est envoyé à Tromso pour ses études : loin de Reinsnes, il commence à percevoir qu'il peut devenir quelqu'un, même sans sa mère.



Dans cette duologie, c'est la voix de Benjamin que l'on entend, et non celle de Dina. Dans le prologue, l'enfant devenu adulte part à Berlin chercher le violoncelle de Dina, toujours introuvable. C'est là que l'on comprend qu'elle a fini par quitter Reisnes. Et, entre les lignes, Benjamin laisse entendre qu'à son tour, il a tué quelqu'un par amour. Entre prétéritions, demi-vérités et doubles sens, Herbjorg Wassmo sait construire un récit haletant qui fascine pour longtemps.
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Le Livre de Dina

C'est dans les années 1830, à Reinsnes, ville du cercle polaire norvégien, que vit Dina. Sans le vouloir, quand elle n'avait que cinq ans, elle a tué sa mère. Depuis, enfermée dans le silence, elle porte en elle ce fantôme. Elle grandit presque comme une enfant sauvage, dure et têtue envers tout ceux qui voudraient l'approcher. « Aucune limite n'existait pour Dina. [...] Elle ne craignait le jugement de personne. [...] En un éclair, elle saisissait une situation et agissait en conséquence ! Et [...] elle avait un talent inné pour retourner sur les autres ce qui la frappait elle-même. » Quand elle épouse Jacob Gronelv, tout le monde pense que Dina va enfin s'assagir et devenir plus fréquentable. Mais Dina n'en fait jamais qu'à sa tête. « Il était inconvenant qu'une si jeune femme ne fasse pas ce que l'on attendait d'elle. » Quand elle devient veuve, meurtrière, mère et de nouveau muette, tout ça en presque une seule nuit, il est désormais évident que Dina restera indomptable et indépendante. Avec son cortège de fantômes et son violoncelle dont la musique fait presque trembler les murs de Reisnes, elle est maîtresse de son destin et ne se cache pas d'aimer qui elle veut. Son aura immense fait oublier ses excentricités. « Ce qu'on avait à faire, on le faisait. Sans demander de conseil à personne, tant qu'on pouvait se débrouiller seule. » Partout, on s'étonne que Dina Gronelv vive avec le fils de son mari décédé et ses enfants adoptifs. On ne comprend pas qu'elle ait embauché une Lapone comme nourrice pour son fils. Pourtant, on respecte son sens des affaires, son intelligence des chiffres et sa rigueur. Dina n'est pas une mère conventionnelle pour Benjamin, petit garçon qui grandit dans la soif constante d'un geste de tendresse. L'arrivée de Léo Zjukovskij, beau Russe aux activités obscures, contrebandier autant que poète, ébranle la puissante Dina : peut-elle accepter de laisser son cœur la guider ?



J'ai relu cette trilogie pour découvrir ses suites (Fils de la providence et L'héritage de Karna) et je n'ai pas boudé mon plaisir. J'avais le souvenir d'une héroïne aussi attachante que terrifiante et c'est bien elle que j'ai retrouvée. Dina est un personnage remarquablement construit. Pour parler rapidement, je pourrais dire qu'elle est une femme forte, mais elle est plus complexe que cela. Son sens aigu de la justice n'appartient qu'à elle, mais ses règles font loi dans son univers. « C'était toujours comme ça avec Dina. Elle fonçait comme un requin et frappait par tous les moyens là où l'on s'y attendait le moins. » Dina est capable de l'érotisme le plus sauvage et le plus bouleversant : c'est la preuve de sa sensualité affirmée et sans honte, mais aussi sa façon de lutter contre sa terreur d'être abandonnée. Dina, ceux qu'elle aime, elle les veut auprès d'elle pour toujours.



Je me lance sans attendre dans la duologie consacrée à Benjamin !
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Trilogie de Tora - Coffret 3 volumes

La véranda aveugle

La chambre silencieuse

Ciel cruel

Actes Sud, 1987, 1996, 1998



Tora, petite fille d'une dizaine d'années au début de l'histoire, vit au bord d'un fjord, dans un village de pêcheurs perdu sur une île au nord de la Norvège. Son père, soldat allemand de l'armée d'occupation, a été tué en tentant de s'enfuir avec sa petite famille. Après avoir été tondue, Ingrid, sa mère a tenté d'effacer la honte en épousant Henrik, handicapé de guerre et alcoolique, qui maintient toute la famille sous sa brutale emprise et viole la petite fille dans sa chambre, chaque fois que la mère travaille en équipe du soir à la pêcherie.

La rudesse du climat, la honte, le manque d'argent et la promiscuité teintent toute la première partie du récit.

En dépit de tout, des formes d'espoir apparaissent dans la vie de la petite Tora :

Soleil, sa meilleure amie, obligée d'élever tous ses frères et soeurs depuis que leur mère Elisif a sombré dans une folie religieuse, garde pourtant assez de force et de ruse au service de son projet d'en finir avec ce piège qui l'enferme et de quitter l'île.

Rakel, sa tante à qui elle ressemble avec ses flamboyants cheveux roux et Simon, son éternel amoureux, vont lui permettre de s'évader de temps en temps de la pesante atmosphère familiale. À l'aise financièrement, grâce à leur travail et leur courage, ils vont financer les études de Tora à Breiland, hors de l'île, lui permettant ainsi d'échapper à l'emprise physique d'Henrik.

Mais rien n'est pour autant résolu car « l'oisillon » mort ne se laissera pas oublier.

Herbjørg Wassmo construit lentement, à travers les ressentis de Tora, toute une ambiance sombre qui nous englue dans ses rets, nous menant d'une main de maître vers les méandres déchiquetés de la folie. Cette trilogie, fortement teintée d'autobiographie, ne laissera personne indifférent tant elle décrit en toute pudeur mais avec puissance le désespoir d'une petite fille que le viol répété d'un proche va martyriser.

Herbjørg Wassmo est un auteur majeur en Norvège et toute son oeuvre a été récompensée à de nombreuses reprises.

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Le livre de Dina, tome 1 : Les Limons vides

Norvège, XIXème siècle, Dina.



Dans un décor enneigé et montagneux, le parcours initiatique d’une jeune femme qui a su prendre conscience au fil du temps de sa condition d’esclave : esclave de son passé traumatisant, du poids d’une société marquée par l’hypocrisie et la médisance, de son mari dépravé de 48 ans auquel elle a été mariée alors qu’elle n’avait que 16 ans.



Le combat de Dina, enfant hyper-sexualisée dès son plus jeune âge en raison du lien puissant l’unissant à la terre et au vent, à cette sauvagerie tant décriée et faisant l’objet des fantasmes les plus sombres, et pourtant si pure et innocente.



« Elle était une enfant qui n’avait d’autre rôle que d’être la femme-enfant de Jacob »



Facile de rejeter la faute sur cette enfant dont personne n’a su offrir une éducation adaptée en prenant en compte ses besoins psychiques suite à la mort tragique de sa mère dont elle est injustement tenue responsable. Assimilée à un animal, on banalise son comportement alors que celui-ci est explicitement pathologique. Dina est alors dans l’incapacité de saisir les regards que l’on porte sur elle et de comprendre que son mari utilise sa fragilité et son impulsivité animale à des fins sexuelles. Les rapports charnels qu’elle entretient avec cet homme prennent la forme d’un jeu sauvage dont elle ne saisit ni l’enjeu ni l’atteinte physique et mentale que cela implique. Pour elle, avoir un corps-à-corps avec lui revient à grimper à un arbre ou jouer de son violoncelle. Dina n’a aucune notion de son rapport au corps et sa sensualité apparaît donc comme amorale, ce qui lui vaut l’image d’une femme-diablesse malgré elle.



On pourrait qualifier ce roman de conte initiatique à la manière de Chihiro qui encore enfant se retrouve piégée dans un monde d’excès. Certains pensent que Miyazaki a voulu aborder dans son œuvre le thème de la prostitution enfantine qui était chose commune dans le Japon de la période Edo (XVIIe – XIXe). Comme Dina, Chihiro devra mener à bien sa quête d’identité afin de s’affirmer et surmonter le passage à l’âge adulte comme il se doit.
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La Véranda aveugle

Dans les années 1950 Tora grandit dans une petite île située au nord de la Norvège. La prospérité n'est pas encore passée par là, la vie est rude, la famille pauvre qui vit bien souvent des seuls revenus de la mère, Ingrid, employée à la conserverie de poisson locale. Le beau-père, Henrik, est un invalide de guerre et un alcoolique, incapable de garder longtemps un travail. Surtout il est le péril, celui qui viole Tora quand Ingrid travaille de nuit. Herbjørg Wassmo dit très bien et sans voyeurisme l'horreur et les sentiments de l'enfant : la honte, le dégoût, la façon dont elle dissocie corps et esprit lors des agressions.



"- Tora... appela-t-il d'une voix incertaine et hésitante.



Elle ne répondit pas. Il n'y avait plus personne au monde à s'appeler Tora. Elle s'était envolée dans le néant. Il n'y avait plus qu'un grand silence. (...)



Lorsqu'il la quitta, les vêtements en désordre, il n'avait toujours pas de visage. Seul un ricanement figé vint traverser l'air entre lui et le ballot qui était sur le lit."



Comme son personnage, l'autrice est une victime de l'inceste. Autre point commun : Tora, comme l'autrice, est une "fille de Boche", née des amours de sa mère avec un soldat allemand pendant l'occupation. Ingrid a été tondue à la libération et certains camarades de classe se moquent de Tora à cause de son origine.



Malgré toute cette noirceur Tora peut aussi s'appuyer sur quelques femmes positives. Il y a la tante Rakel, forte et dynamique; Gunn, la gentille institutrice, et Randi, la mère de Frits, un jeune sourd-muet et un des seuls amis de Tora. Tora se protège aussi en se réfugiant dans le rêve. Elle s'invente des histoire où un père revient d'un pays lointain pour chercher sa fille, où elle voyage jusqu'à Berlin pour faire connaissance avec sa grand-mère. La lecture de Bonjour tristesse, offert par Randi, est une révélation : dès lors qu'il s'agit de décrire la réalité il n'y a pas nécessité d'avoir des personnages gentils dans un livre. "A partir du moment où l'on écrivait des livres sur des gens qui vivaient réellement, il fallait précisément que ce fût comme ça : laid !" J'ai trouvé très bien vue cette découverte de la littérature et de son pouvoir.



J'ai trouvé ce roman excellent, excellemment écrit. Je découvre qu'il s'agit du premier tome d'une trilogie. Je commande aussitôt les deux autres.
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La Véranda aveugle

Il y a dans "La véranda aveugle" une sorte de tour de passe-passe que j’ai encore du mal à m’expliquer, je crois. Voilà un texte qui prend un peu à froid par son aspect vaguement décousu, qui paraît même au départ un peu maladroit, jusqu’à ce que l’on comprenne que l’auteure nous place ainsi à hauteur de son héroïne et instille à son texte une forme de spontanéité qui finalement renforce sa véracité et son intensité.

Quand j’évoque la "hauteur" de l’héroïne, il est important de préciser qu’elle n’est guère élevée… Tora oscille entre la fin de l’enfance et le début de l’adolescence. Elle vit sur une petite île norvégienne au nord du cercle polaire, perdue au milieu du froid et de l’obscurité. La vie y est rude et austère, rythmée par les saisons de pêche, soumise aux calamités naturelles. On y mange peu de viande, et certaines familles nombreuses en sont réduites à envoyer leurs enfants à l’école par roulement, faute de pouvoir offrir une paire de chaussures à chacun. Nous sommes à une époque d’avant les réseaux sociaux et les téléphones portables, l’île semble à l’autre bout du monde, et tout y arrive avec cinq ans de retard.



Tora habite avec sa mère Ingrid et son beau-père Henrik dans la maison des Mille, orgueilleux bâtiment de trois étages en bois construit au début du siècle, désormais décrépit et plein de courants d’air, qui "abrite en grand nombre vermines humaines et détritus". C’est Ingrid qui assure le maigre revenu du foyer, s’échinant à l’atelier frigorique jusqu’à des heures indues, s’y imprégnant d’une odeur de poisson qui ne la quitte pas. Hendrik, tirant prétexte de son épaule invalide -"bousillée" à la guerre-, passe plus de temps à boire qu’à travailler, rentrant parfois tellement saoul que Tora doit l’aider à se mettre au lit.



Tora, donc, est petite. C’est du moins ainsi qu’elle se ressent, ayant l’impression de vivre au ras du sol, environnée d’adultes grands et menaçants, qui ne l’entendent pas, et la considèrent comme quantité négligeable. Elle a pris l’habitude de se faire encore plus petite, espérant ne pas se faire remarquer, et faire oublier qu’elle est une "fille de boche", ainsi que certains de ses camarades ne manquent pas de lui rappeler. Elle ne sait d’ailleurs pas vraiment ce que cela signifie, n’ayant pas connu son père, sujet hautement tabou parmi ses proches, comme l’est celui de la guerre, les deux semblant inextricablement liés.



Et puis, Tora vit dans l’idée permanente du péril, attentive à tous les signes qui l’annoncent : une humeur, une manière de rire, le poids d’un pas dans l’escalier… Le péril, comme une entité malveillante et dominatrice, se rappelle à elle dans les moindres détails du quotidien -voir les vêtements de son beau-père côtoyer les siens sur la patère, ou leurs deux assiettes posées l’une sur l’autre après le repas-, détermine la couleur de ses journées, la posture de son corps, son état mental. Car c’est bien Henrik qui en est à l’origine, de ce péril, Henrik et sa brutalité envahissante dont la manifestation est pourtant à peine évoquée, l’auteure, plutôt que de la mettre en scène, exprimant le traumatisme que les souvenirs (des coups et du reste), ont ancré dans le corps et l’esprit. Elle nous place dans l’angoisse permanente de l’expectative, en détaille les effets physiologiques : sensations de dilatation, battements de cœur… Bien qu’écrit à la troisième personne, les émotions et les réflexions de Tora sont livrées comme une matière brute, sous forme de fragments.



Cassée de l’intérieur, pétrie de honte, de crainte et de culpabilité, elle doit par ailleurs affronter les incompréhensibles transformations de son corps aux odeurs nouvellement puissantes, de ses seins qui poussent. Tout cela en ménageant sa mère, fatiguée en permanence, qui ne sait plus trouver des raisons d’être fière d’elle-même. Il faut dire que si la vie est rude en général pour les habitants de cette île perdue, elle est particulièrement éprouvante pour les femmes, qui souvent cumulent travail à l’extérieur et corvées à la maison, s’occupant des enfants, dont on estime que "c’est leur affaire", maintenant au prix de leur santé et de leur bonheur, la cohérence et l’ordre de la cellule familiale.



Les petites filles intègrent précocement cet ordre des choses. Ainsi Soleil -prénom qui sonne comme une dérision- l’amie de Tora, aînée d’une nombreuse fratrie vivant dans la maison des Mille, qui assume la tenue du foyer depuis que sa mère dépressive ne peut plus se lever, déjà prisonnière, à quatorze ans, d’un système dont elle a très peu de chances de sortir.



Une autre manière de vivre, et surtout de considérer l’existence, semble pourtant possible, comme le démontrent quelques figures lumineuses auxquelles Tora se raccroche : sa tante Rakel, débordante de vie, d’amour et d’optimisme, la jolie institutrice Gunn, qui a quitté la douceur de son sud natal pour se perdre dans ces contrées hostiles où elle affiche une inaltérable gaité, ou encore la gentille mère de Frits, le garçon muet dont Tora devient l’amie, et qui habite un foyer d’où tout péril est absent…



Sans doute n’est-ce finalement pas quelque magie, mais une extraordinaire habileté associée à une grande puissance d’évocation, qui permettent à Herbjørg Wassmo, avec ce texte que l’on dirait spontanément jailli de sa plume, de traduire avec autant de justesse le calvaire intérieur de son héroïne, mais aussi la force, discrète mais bien présente, qui lui permettra, peut-être, de se révolter…



Et sans doute est-ce aussi parce que "La véranda aveugle" est fortement inspiré de sa propre expérience…


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Cent ans

Il y a deux façons de procéder : soit on découvre H WASSMO par ses triades, et on décide de lire "100 ans" dont on sait qu'il est autobiographique , soit on "tombe" sur "100 ans" et on le lit sans initiation antérieure.

Il est certainement d'accès difficile ce livre en l'absence de toute lecture antérieure de H WASSMO.. car, comme souvent mentionné dans les critiques,

il est très compliqué de s'y retrouver à travers les différents cahiers : comprendre que chaque premier chapitre d'un cahier concerne l'auteure n'est pas immédiat et il est vrai qu'un arbre généalogique serait le bien venu . Surtout compte tenu de la confusion induite par le nom du deuxième mari de ELIDA , identique à celui du père de l'auteure.

Je ne saurais que conseiller de découvrir la magie de WASSMO à travers ses deux trilogies ( DINA et celle de TORA) avant d'aborder ce livre qui est initiatique à distance. il devient tout ce que l'on aime chez l'auteure, et on a la sensation d'être privilégié en comprenant tant de personnages déjà rencontrés. ce fut un grand bonheur, même si je me suis reprise à plusieurs fois, déroutée par les mélanges de générations et des noms.

Une très très grande auteure... des lectures que l'on quitte avec difficultés..

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Cent ans

Ce livre est une fresque familiale sur environ 1 siècle. L'auteure nous trace le portrait et nous relate les faits marquants de la vie de sa mère, sa grand-mère et son arrière-grand-mère (et même un peu celle d'avant ^^) et un peu la sienne.

4 femmes que la vie a forcé à être fortes, à se relever après chaque coup dur et la vie n'a vraiment pas été simple!

J'ai eu un peu de mal à rentrer dans l'histoire, les noms, les lieux, tout semblait compliqué et pourtant... j'ai eu énormément de mal à le lâcher une fois que ces femmes m'ont ouvert leurs univers. Anna et Elida m'ont profondément touché ! Les livres historiques se passant fin du 19ème/début du 20ème me plaisent de + en + et j'ai déjà hâte de voir sur quelle pépite je vais tomber pour le prochain !!!



Et puis franchement cette couverture est juste magnifique ! (Comme très souvent aux éditions 10/18 !!!)



Il vous tente ??? Des livres historiques nordiques à me conseiller ???
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Cent ans

A travers ce livre, l’autrice nous raconte l’histoire de son arrière-grand-mère, celle de sa grand-mère ainsi que celle de sa mère. On plonge alors avec passion dans cette famille où les femmes font preuve de courage dans une Norvège où le travail peut être rude.

J’ai beaucoup aimé ce récit car on apprend beaucoup sur les conditions de la femme à plusieurs époques mais aussi, sur le milieu du travail sur les îles Lofoten. Certes, la lecture demande une certaine concentration puisqu’on alterne entre la vie de l’arrière-grand-mère et celle de la grand-mère mais, on finit toujours par s’y retrouver.

Malgré certains de leurs agissements qui peuvent peut-être nous déplaire, tous les protagonistes sont attachants par leur force et leur courage. Leur vie nous est si bien dépeinte, qu’il se dégage tout au long des pages une certaine émotion qui nous rend ainsi ce récit très marquant.

Pour conclure, j’ai beaucoup aimé ce livre et malgré qu’il contient pas loin de six-cent pages, je ne me suis en aucun cas ennuyée.
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Le testament de Dina

Toujours ce style si musical, si mélodique que la lecture est un réel moment de plaisir. Wassmo nous berce de l'émotion de ses personnages. Sur ce dernier tome, l'histoire est centrée sur Anna, Karna et l'abnéguant Benjamin. J'ai peut-être été un peu déçue du manque d'interaction avec Dina, dont le premier chapitre est consacré à son enterrement et à l'effet funeste sur Karna, qui témoigne des actes de sa grand-mère et est durablement affectée. Le lien sur la folie que l'on sent de génération : la grand-mère, le père, la fille, m'a paru, peut-être, pas si exploité. Les mêmes tics relevés par l'auteur, sans plus (le russe, la marche). De même, la passion de Benjamin et Hannah n'est pas du tout développée. On sait juste qu'ils ont fauté. C'est un peu dommage, j'aurais aimé connaitre la place d'Hannah dans ce couple avant l'incendie. De même, nous ne savons pas pourquoi Dina s'est lancé dans le chantier naval. L'histoire se concentre, en fait, réellement sur les émotions de Anna, Karna, Benjamin et Joachim et leurs histoires d'amour. J'ai été aussi un peu déçue par la fin, un peu en mode "et paf la vitre", alors que Dina était une femme libre et forte, Karna et Anna ne le seront pas.
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Fils de la providence, tome 2

Benjamin est toujours au coeur de l'intrigue. Nous sommes désormais à Copenhague, en étude de médecine et en pleine vie étudiante. Des divergences politiques entre Danois et Norvégiens, quelques lâchetés... Les premières pages sur la guerre sont terribles. Benjamin reste toutefois un personnage un peu pâle par rapport à Dina. Je pense que le manque d'interaction entre les personnages, par rapport aux premiers tomes de la saga, m'a gêné. Et c'est là que je préfère l'auteur.
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Fils de la providence, tome 1

Au coeur de ce diptyque, désormais Benjamin, fils de Dina, le fils du bonheur du premier tome. Dina lui laisse la place vacante; heureusement seulement dans les premiers et derniers chapitres, car elle a une telle personnalité, une telle force qu'il m'a été difficile de passer à un petit adolescent en construction. Nous quittons également les paysages de Reinsnes pour Tromso. Pas mal de changements donc dans ces nouveaux tomes, mais le style reste et il est difficile d'abandonner de tels livres. La folie, que l'on sent chez Benjamin, m'a paru également beaucoup plus frontale, bizarrement plus violente que celle de Dina (qui n'en est pourtant pas dépourvue). de nouveau un grand évènement : une épidémie dans un contexte urbain. Bien que le traitement en soit peut-être un peu lapidaire, ces pages m'ont beaucoup plu.
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Le Livre de Dina, tome 3 : Mon bien aimé est ..

Je suis toujours, avec réjouissance, Dina. Titre assez génial "mon bien-aimé est à moi". Un texte qui fait écho, étrangement, dans le contexte international actuel. La farine russe déjà... "On ne pouvait, avec la meilleure volonté du monde, comprendre qu'une guerre se passant en Crimée, ait des répercussions jusque dans le Nordland". P:81 et 155
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Le Livre de Dina, tome 2 : Les Vivants aussi

Décidemment, je continue à bien aimer cette saga norvégienne. Quel style! Quelle façon de conter récit et personnages! Tous les personnages éveillent ma curiosité. Dina, libre sauvage, amoureuse des chiffres, bien plus certains, fiables, que les mots; Tomas, l'amoureux inquiet et asservi, Léo, l'étrange danseur... Toujours aussi ce lien avec ce livre noir (Benjamin, fils de Jacob), avec les vivants et les morts. On se demande où tout va se rejoindre.

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Le livre de Dina, tome 1 : Les Limons vides

J'ai ouvert et refermé les premières pages du prologue, calant sur l'écriture sèche, extrêmement ciselée de son auteur. Puis je l'ai repris avec bonheur, me délectant de cette prose. Pas un mot, pas un paragraphe de trop. Une maîtrise du récit impressionnante de l'auteur (avec une excellente traduction). Des personnages attachants et qui ont plusieurs nuances. Une héroïne libre qui a du tempérament et qui décide sa vie. L'auteur taille ses personnages avec une jolie finesse tout comme son texte.
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Le testament de Dina

J'ai aimé mais j'ai été un peu déçue par ce tome.

L'aphasie de Karna est envahissante. J'ai trouvé qu'elle durait trop longtemps, il n'y a pas vraiment d'explications claires concernant le pourquoi et le comment sa maladie a été guérie.

Ce que je reproche surtout à l'histoire, c'est que l'histoire de personnages secondaires est laissée de côté. On ne connait pas la fin, où l'on n'est pas sure. (Peder entre autres).











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Ciel cruel

La littérature scandinave est à la fiction ce que le piment d’Espelette est à la cuisine française. Une petite dose d’originalité et de piquant qui possède l’indéniable faculté de contraster la perception de nos sens élémentaires.



La trilogie de Tora nous transporte vers un monde différent, magique, au bord du cercle polaire, celui des Vikings et d’une terre hostile et sauvage ou l’on survit au sein de traditions millénaires. Mais ici point de grands guerriers (et de guerrières…) dans cette fiction contemporaine qui aborde le sujet délicat des enfants – 12 000, paraît-il – nés des amours entre soldats allemands et femmes norvégiennes durant l’occupation allemande. La très jeune Tora en fait partie, comme l’auteure, qui nous le révélera ensuite dans son roman « Cent ans », et devra vivre avec cette croix dans le petit village de Vaeret. Il n’y aura malheureusement pas que cela. Elle sera victime d’abus sexuels pendant son enfance – comme l’auteure, encore une fois, ce qui en fait une trilogie fortement autobiographique – et l’horreur de la situation la transformera mentalement à jamais.



Le résultat est très sombre, malgré l’apparente légèreté de ton, et l’ambiance fortement oppressante. La lecture s’effectue le souffle court et le malaise s’installe longtemps après la dernière page tournée.



Au-delà de cette horrible tragédie, qui nous montre à quel point les hommes peuvent être nocifs quand leurs pulsions écartent toute logique et toute humanité, en guise de triste rappel de nos faiblesses, l’œuvre de Herbjorg Wassmo est magnifique. Elle transpire d’une naïveté aussi simple que forte, aussi profonde qu’intelligente (les choses les plus simples ne sont-elles pas les plus perceptibles ?), ce qui lui permet de nous transmettre une culture à mille lieues de notre influence latine. Le chemin qu’elle s’emploie à suivre est tortueux, dérangeant, heurte notre puérile logique, mais reste conforme au contexte et à sa perception personnelle de l’épreuve. La violence des mots contrebalance la sublime beauté des paysages, et le résultat est époustouflant, la recette subtilement dosée. Le piment d’Espelette est raccord…



C’est sur ce point qu’elle fait mouche, à l’instar de l’immense Selma Lagerlöf ou le non moins excellent Pär Lagerkvist (« Le nain » me fait encore frémir…).

La littérature scandinave est à part. Ce monde est différent, il façonne les hommes à son image. La parole est courte, tranchante, percutante, rarement superflue, et les manières comme les regards ont autant d’importance. La nature, omniprésente, règne en maître, elle dirige la vie des personnes qu’elle nourrit, elle véhicule des légendes millénaires et nous fait vivre au rythme des saisons, ce que nous oublions parfois de suivre.

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