Citations de Hervé Guibert (262)
Mes rapports avec mes parents se sont réduits à des formules d'attentions, de craintes, d'inquiétudes réciproques. Je suis d'une froideur extrême avec eux, ils n'osent même plus me poser de questions. Mais je pense : les laisser juste me voir, et toujours vivant, est le plus grand don - le seul - que je puisse leur faire.
Mais les photos que je trouve bonnes, moi, sont toujours les photos loupées, floues ou mal cadrées, prises par les enfants, et qui rejoignent ainsi, malgré elles, le code vicié d'une esthétique photographique décalée du réel.
Aucune oreille de sourd ne pouvait transmettre un silence mais une absence de silence ou de stridence.
Mon souci principal, dans cette histoire, est de mourir à l'abri du regard de mes parents.
J'ai senti venir la mort dans le miroir, dans mon regard dans le miroir, bien avant qu'elle y ait vraiment pris position. Est-ce que je jetais déjà cette mort par mon regard dans les yeux des autres? Je ne l'ai pas avoué à tous. Jusque-là, jusqu'au livre, je ne l'avais pas avoué à tous. Comme Muzil, j'aurais aimé avoir la force, l'orgueil insensé, la générosité aussi, de ne l'avouer à personne, pour laisser vivre les amitiés libres comme l'air et insouciantes et éternelles. Mais comment faire quand on est épuisé, et que la maladie arrive même à menacer l'amitié?
La maladie d’avoir toujours à dire quelque chose de quelque chose, à écrire comme pour ne rien perdre (une maladie de la mesquinerie ou de la postérité?). Le risque aussi, à un moment de l’écriture, d’un empoisonnement subi, inconscient, peut-être pire que la perte totale [...].
"(...) Désormais, tu m'entends, je t'interdis de laver ton sexe. C'est moi qui en ferai la toilette, consciencieusement, avec ma bouche, ma langue et mes lèvres, à tes pieds, je veux manger le gel de ton sperme et de ton urine, et tout le remugle de ce ventre duquel tu sors, je veux qu'à travers ta bite son jus vaginal me coule dans la gorge. Je ne veux plus que ton sexe soit lisse et inodore, presque savonneux contre ma langue, je veux qu'il ait un grain, une épaisseur, l'odeur de vos sexes mélangés."
Hervé GUIBERT, Les chiens, 1982, éditions de Minuit (p. 24).
"Forcément, ton livre à du succès, les gens aiment le malheur des autres."
page 105
Je suis dans une zone de menace ou je voudrais plutôt me donner l'illusion de la survie et de la vie éternelle. oui il me faut bien l'avouer et je crois que c'est le sort commun de tous les grands malades, même si c'est pitoyable et ridicule, après avoir tant rêvé à la mort, j'ai horriblement envie de vivre . ( p 191)
description soin massage en début de livre
(...) je prends un papier pour écrire quelque chose, je me suis complètement déshabillé, j'écris et ça me fait bander, je me branle d'une main (...)
Ce journal, qui devrait durer quinze jours, peut s'arrêter d'un jour à l'autre, pour cause de découragement absolu.
Mon valet prétend que cette nuit, en dormant, j'ai hurlé, et que j'en appelais à Satan, "tantôt à Satan, a-t-il dit, tantôt à Allah, en tout cas pas au bon dieu". Il m'a fait la tête pendant toute la journée. Il dit : "Moi je ne suis pas croyant, mais on offense pas Jésus."
Dans mon village, ce qui me donnait un sentiment de mort effroyable, c'était un quotidien sans croche-pied. (...)
Heureusement qu'il y avait des morts pour rompre la monotonie. (p.11)
La première lettre anonyme arriva chez la doctoresse. Elle avait été postée à Lille. Selon la coutume, avec des lettres découpées dans des magazines. Elle disait : "Le curé couche avec la femme du maire." La doctoresse s'empressa de l'apporter à Hélène, qui eut une crise de fou rire.
J'ai une grande tendresse pour ceux qui réagissent, même maladroitement, à cette société. Je ressens l'éducation bourgeoise comme un crépi de mensonge, comme un tissu de vulgarité plus ou moins bien masqué qui s'approprie la soit - disante bonne culture et qui finalement nous rend aveugles, non disponibles et complètement bouchés?. Avec la méfiance, on tue tout ce qui peut naître. Parfois j'ai l'impression d'être une herbe folle dans un champ. Et il y a toujours quelqu'un qui sous le prétexte de la bonne pensée ou de sa vérité essaye de me mettre un coup de sécateur.(p.43)
Je voudrais que cette sorte d'héroïsme qui consiste, sans geindre et sans crier, sans l'appeler, à contenir le manque plus ou moins tolérable de son corps et d'une étreinte fabrique en contrepartie, comme un maléfice inversé, un manque intolérable qu'il ressentirait alors de cette étreinte, et le ferai courir à moi.
Détenir une petite quantité de drogue, quand je passe une soirée avec Vincent, même si je ne m'en sers pas, c'est me munir d'un balancier pour aller jusqu'au bout du fil lui ravir son corps.
Ecrire sur lui est un assouvissement.
Oui, l'attendre est délicieux; me soûler en l'attendant est délicieux (je suis, comme toujours dans l'écriture, à la fois le savant et le rat qu'il éventre pour l'étude).