Citations de Jacques Chessex (173)
[...] j'ai compris très tôt que si je veux vivre en paix avec moi, je dois être en paix avec les autres qui m'en oublieront plus sûrement. Me laisseront à mes vagabondages.
Autrefois on sculptait les nains de jardin dans le bois pas brûlé de l'hiver. Aujourd'hui on les fabrique en ciment. Moule à nains. Ciment à nains. On y perd la trogne artisanale et glorieuse en profondeur des petits crétins à bonnet.
C'est ce qui donne du sel aux choses. Le goût à l’ennui. L'odeur aux plats. Ah laissez-moi donc manger de ce qui me plaît et me convient.
De tous les suicides possibles la pendaison est le plus triste parce qu’il révèle un abandon pire qu’aucune autre mort. La balle dans la tempe tue un infréquentable adversaire. Répare un tort. Grandit le mort. Le feu le sanctifie. L'eau lui donne un nouveau baptême. Mais on se pend parce qu’on se méprise, vieille guenille, objet de rebut.
Le péché c’est le mépris. C'est de faire tort à l’autre. C'est de ne pas lui donner sa chance.
Je préfère l’effacement au paraître, et très tôt je me suis aperçu, pour rôder, pour fureter, qu’il valait mieux ne pas me faire voir.
.il ne fait pas bon d’être indépendant sous nos climats. Pas bon rester farouche et intraitable dans la ville…
“L’anus bée, ourlé comme un bijou fruité, couleur de braise, de framboise des bois, un rouge rosé sur l’ombre où il voudrait inviter. Le docteur Doucet s’interroge. Stupeur et admiration. Qu’a fait le marquis, que fait-il encore, pour arriver à ce trou étrange? Qui favorise ce vice? Quels monstrueux objets polis ou subtilement contournés perforent cette chair extasiée et rougeoyante? Cette lascivité porcine, râlante, grognante, ce tas de viande qui halète et se pâme sous le boutoir. Et tout cela qui sert d’enveloppe, de support corporel déchu, à l’esprit le plus aigu et le plus libre de son siècle.”
La mort a une gamme de parfums qu’elle distribue à sa guise.
Habitations souvent disséminées dans des déserts cernés d’arbres sombres, villages étroits aux maisons basses. Les idées ne circulent pas, la tradition pèse, l’hygiène moderne est inconnue. Avarice, cruauté, superstition, on n’est pas loin de la frontière de Fribourg, où foisonne la sorcellerie. On se pend beaucoup, dans les fermes du Haut-Jorat.
"L'homme crie, je m'essuie, avec les doigts, la paume de la main, le gluant sèche sur moi, et j'ai mal, j'ai encore saigné. Puis le fouet. Ou la ceinture, le bâton pour mener les cochons. L'homme tape, je suis à genouxn j'ai les fesses nues, l'homme tape et rentre encore sa grosse chose dans mon trou."
"Cependant, surtout à la nuit venue, ils pensent tous aux trois beaux corps ensanglantés et rapiécés au fond de leur nouvelle couche de terre dans leurs trois petits cimetières perdus, et ils savent que le monstre aura le dernier mot, dans cette vallée que Dieu nous donne, d'amères larmes et de ténèbres méritées."
"Cependant, surtout à la nuit venue, ils pensent tous aux trois beaux corps ensanglantés et rapiécés au fond de leur nouvelle couche de terre dans leurs trois petits cimetières perdus, et ils savent que le monstre aura le dernier mot, dans cette vallée que Dieu nous donne, d'amères larmes et de ténèbres méritées."
"La veuve Dubois a cinquante ans, ronde, noiraude, l'oeil allumé, elle passe sa langue sur ses lèvres quand elle croise les hommes jeunes, lance des oeillades, rit très fort. La fenêtre de sa chambre à coucher donne sur le bazar Chappuis; au dernier étage, de son galetas, Favez souvent l'a repérée et scrutée. Il l'a croisé dans le bourg, une fois même elle l'a attiré dans son escalier en riant, en se tordant, mais Favez a été pris de peur et il a fui. Dans ses taillis, ses chemins de traverse, il pense à la veuve Dubois, il revoit sa gorge offert, le cou blanc, les cuisses fermes sous le sarrau."
C'est parce que l'homme est seul, qu'il a si terriblement besin de symboles.
Combien de fois me suis-je efforcé de réécouter ces mots, ces phrases qui résonnent sourdement sur le fond de l'automne.
Ces mots, ces phrases qui se forment et qui résonnent, définitives, pourtant sans fin, sur le fond cotonneux de l'automne où ces phrases ont été dites, par moi affreusement écoutées, refusées, oubliées, enfouies, depuis quelque temps retrouvées dans leur précision intacte.
J'ai huit ans, c'est la guerre, mon père dirige les écoles et le collège, il fait beaucoup de bien autour de lui. p.18
Doucet lui applique à la seringue un sédatif anal, M. de Sade a présenté le siège, l'eau chargée de laudanum ruisselle entre les fesses du vieillard qui pousse maintenant de petits cris de chiot, des couinements, un incessant gargouillis de gorge qui répond au gargouillement rectal.
C’est une effrayante erreur : j’étais du côté de Dieu et j’ai choisi le camp de Satan pour satisfaire mon orgueil. p.175
Jeanne! Mes lunettes! Jeanne! Ma valise! Ma canne! Un pot de café! Et ces sales gosses que tu élèves mal. Et ces repas que je ne viendrai pas prendre. Attends-moi donc. tu es faite pour m'attendre. Jeanne. Tes mains omt tourné la soupe, cuit la viande, ouvert la bouteille. Je ne viendrai pas. Je rôde. Je suis le maître. J'ouvre des ventres, moi. Je fouille dans la chair. Je tranche. C'est moi qui menace, qui console, qui guéris, moi qui donne l'espoir, moi qui veille à la porte de l'empire de la mort. Elle n'ose pas se montrer, la mort, la pauvre! Elle recule quand j'arrive, elle bat en retraite, elle se terre dans ses domaines! Je coupe, je pince, je fouille, je redresse, j'attache, j'arrache, je recouds, je suis un soldat infatigable, un mercenaire, un légionnairey, allez la mort, tu ne me fait pas peur. Alors, vous avez compris, foutez-moi la paix avec vos horaires et vos airs minables, j'ai tous les droits, moi le guerrier, le maître de la vie, vous n'avez qu'à m'attendre et me subir. (p.89).
Il revit les très fins ongles aux orteils que Thérèse tend vers lui du fond du lit : "Mords-moi, dit-elle, prends mes doigts de pieds dans ta bouche, c'est comme quand j'étais petite avec mon père, il criait, ça chatouillait, il mettait mon pied nu dans sa bouche