AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Jacques Chessex (173)


C'est le soir que commença son tourment.
Tout d'abord, il se découvrit étrangement seul quand il fut installé devant le menu qu'il venait de commander au bar de l'Hôtel d'Angleterre. Aux autres tables on riait, des femmes épanouies et brunies répondaient à des hommes beaux. Des jeunes gens se tenaient les mains. Jean Calmet, crispé, morose, déplaçait minutieusement trois filets de perches dans son assiette, encore une fois il les aspergeait de citron, puis sa fourchette poussait un petit poisson pour l'aligner ironiquement contre les deux autres sans qu'il se décidât à le porter à sa bouche. Le vin tiédissait dans son verre. Depuis une heure une image le persécutait. Jean Calmet hésitait à la regarder, il la repoussait, il l'enfonçait dans les couches opaques de sa mémoire parce qu'il savait qu'il allait souffrir au moment où il se la représenterait avec précision.
Commenter  J’apprécie          50
I. PRIMEVÈRES ET VERTÈBRES

AUBE

― Que racontes-tu, mésange ?
― Ah tu es pur et sans tort
Vis de l'air matutinal
Chante avec la voix des morts

― Mais ici quel chemin suivre ?
― Descend dans l'automne en cuivre
Par l'or et l'air des corolles
Viens je te donne l'obole
Charon rit déjà dans la barque
Approche sans peur de la Parque

― Aussi rit-elle ?
― crois dans mon aile
Je suis ta voix de l'au-delà
Tu n'es plus chargé ni las
L'orée est proche avec les anges
Que nul fardeau ne dérange !

p.10
Commenter  J’apprécie          50
L'AVEUGLE

J'ai vu tes filles, Dieu des armées
Et tout de suite j'ai aimé leurs yeux de brume
J'ai aimé leur chevelure de fougère nocturne
Et l'odeur de la menthe des ruisseaux à leurs tempes

J'ai respiré tes filles, ô Éternel
J'ai bu les gouttes de sueur à leur aisselle
La poussière de l'été à leur cou
J'ai bu leurs larmes à leurs paupières

J'ai mangé tes filles, Dieu jaloux
J'ai tenu la pointe de leurs seins entre mes lèvres
J'ai tenu leur pulpe entre mes dents
J'ai pressé ma bouche sur leur bouche noire et sur leur
bouche blanche
J'ai happé le serpent charnu de leur langue avec ma
langue

Maintenant je suis vieux et je suis aveugle, Dieu vainqueur
Je n'ai plus ma force d'arbre et mes mains tremblent
Que me reste-t-il de tes filles innombrables ?
Que me reste-t-il de leur rire sous mes doigts morts?
Commenter  J’apprécie          50
Jacques Chessex
L'automne est une demeure d'or et de pluie
Commenter  J’apprécie          50
Quand cette histoire commence, en été 1814, Donatien Alphonse François, marquis de Sade, est enfermé depuis onze ans à Charenton, dans le Val-de-Marne, à la limite sud-est de Paris, un hospice d'aliénés placé sous la surveillance vétilleuse du ministère de l'Intérieur. M. de Sade est gros, accablé de toutes sortes de maux qu'une vie d'aventure, d'emprisonnement, d'obscénité et d'imagination scandaleuse a accumulés dans son corps vicié, en même temps brûlé dedans et dehors.
Commenter  J’apprécie          50
... Dans sa cellule, Favez a peur. Pourquoi le gardien ne lui a-t-il pas encore apporté sa soupe ? Pourquoi n'entend-on plus les chevaux de l'escadron de gendarmerie devant sa geôle ? C'est bien ça. Avec le soir les gendarmes se sont retirés dans leur poste, laissant le champ libre à la fureur des hommes et des garçons de Ropraz. Ils vont briser sa porte, ces durs, ils vont le rosser au bâton, lui casser les os et les dents, puis ils le traîneront dans la cour, ils lui planteront un pieu dans le coeur et ils le brûleront vif. Ou ils le ramèneront à Ropraz, un bûcher sera dressé à la chapelle et il grillera, lui, Favez, nu, hurlant, devant tout le village vengé. ...
Commenter  J’apprécie          50
...il leva les yeux vers la petite chambre qu'il venait de quitter, et ce qu'il vit le déchira, achevant de remplir sa blessure de nostalgie tendre et rageuse: sur le rebord de la fenêtre il y avait une bouteille de lait pareille à une première image de l'enfance.Quand il monta dans sa voiture, des larmes roulaient sur son visage.
Commenter  J’apprécie          40
Les Grandes croix

Le peuple qui ne fait pas la guerre
Regarde les puits souillés
Les mares pleines de sang
Les ruisseaux couverts de pustules
Le peuple qui ne fait pas la guerre
Scrute épouvantablement les grandes croix
Au profil noir des collines
Ces branches dressées
Tous ces perchoirs à corbeaux
Dit l'hérétique dénoncé
Car je ne pense plus qu'à ma mort
Brisé moulu jeté en braise
Quand les oiseaux à capuchon de bure tourne en
[couronne
Sur la persécution des Parfaits
Commenter  J’apprécie          40
Un après-midi de fin avril, par temps doux, Jean Calmet suivit un chat sur le sentier du bord du lac. Ce chat lui parla de beaucoup de choses :
- Tu n'as rien compris, dit le chat. Tu es un con, Jean Calmet, un pauvre type qui erre de mal en pis. Je t'aime bien, Jean Calmet, tu es bourré de qualités, mais pourquoi ne cesses-tu pas de faire l'imbécile de jour en jour?
Jean Calmet, à cette heure-là, marchait tranquillement derrière l'oracle, il l'écoutait avec une attention claire.
- Regarde-moi, dit le chat. Est-ce que je me fais du souci? Est-ce que je macère dans le remords ou la tristesse?
- Tu n'as pas de père, dit Jean Calmet, qui chouta un caillou blanc sur le sentier.
- Bernique, dit le chat. Et il dressa sa queue vers le ciel sans nuage, on voyait son anus rose dans ses fesses noires.
Jean Calmet se sentait bien. Tout au long du petit chemin il y avait des haies et des murs tièdes, à droite, et à main gauche le lac qui commençait à rougir sous le crépuscule.
Commenter  J’apprécie          40
L'hiver attise ces violences sous la longue neige amie des fous, les ciels rouges et bistre entre nuit et aube déshéritée, le froid et la mélancolie qui tend et ronge les nerfs.
Commenter  J’apprécie          40
.....L'abbé n'est pas un innocent. Il a derrière lui dix-huit siècles d'une Eglise arc-boutée sur le dogme et le pouvoir charbonneux.
Pour l'abbé Geoffroy, sans répit, le monde se résout dans un affrontement : le diable contre Dieu.
Et M. de Sade, c'est le diable.
Commenter  J’apprécie          40
Vendredi 20, neige et immobilité. On peut croire que la mort de Rosa et l'ample cérémonie au cimetière ont assommé les esprits et étourdi le paysage dans une silencieuse hébétude.
Commenter  J’apprécie          40
.....Sans répit déchiffrer la menace venue du fond de soi et du dehors, de la forêt, du toit qui craque, du vent qui pleure ; de l'au-delà, d'en haut, de dessous, d'en bas : la menace venue d'ailleurs. On se barricade dans son crâne, son sommeil, son cœur, ses sens, on se verrouille dans sa ferme, le fusil prêt, l'âme hantée et affamée.
Commenter  J’apprécie          40
II. ÉLÉGIE DE ROPRAZ

J'AI VOLONTÉ À RAFFERMIR

Ce matin te voyant luire
O muse quoi vouloir que bouche à bouche
des mots de toi me soient donnés
comme viande au corps affamé

Aussi j'ai volonté à raffermir
et noire fatigue à laver
Ah ne tarde à venir dans mes ratures
Si le doute les fauche comme touffes

Ici est une herbe peu sûre
De mots clairs ou tôt brûlés
Garde-les de hâte ou de vanité
Donne-leur conseil pour la guerre au-dehors
Et gîte contre le tremblement dedans

Ici est une herbe en cendre sous les clarines
Fais-la reverdir après le désert
Que ta viande occupe un corps, et ma narine
En attendant ma vraie mort sous le pré bouclé

p.22
Commenter  J’apprécie          40
L’hiver allait être doux et long. Jean Calmet s’imaginait renard, martre, perpetuel sauvage au chaud dans son terrier tandis qu’au dehors la neige tombe, tombe sur la campagne et les forêts.
Commenter  J’apprécie          40
La bête ( un hérisson) avait un conseil à lui donner. Tous les sens de Jean Calmet se tendaient vers elle.- Vers cette tête solide et fine qui se détachait, nettement éclairée par la lune, sur son fond de feuilles noires. Il y eu un crissement dans cette ombre et le corps apparut, souple et long, porté par un ventre rond d’une sensualité étrange.
Les petites pattes courtes coururent quelques centimètres, le nez flaira le sol, le ventre ondula, rond et dfourni, sous l’armure hérissée de piquants dont les pointes blanches faisaient un halo argenté qui allégeait, en la spiritualisant, cette apparition prodigieusement terrestre.
Jean Calmet écoutait monter dans sa chair l’avertissement qui le boulversait. Parfaitement immobile, il se sentait soudain criblé d’odeurs de chemins enfois, d’herbemouillée, d’humus pourrissant, de traces de limaces, d’insectes pattus, de rongeurs malins et craintifs, comme si des gouttes de vigueur vilolemment avaient jailli en lui du plus profond du sol secret, le soûlant, le secouant, l’emplissant d’une exitation fraîche et neuve. La sauvagerie de l’animal était extraordianire parmi les jardins soignés, les violla cossues. Sortie de terre intacte et puissante, la bête pure, merveilleusement innocente sous sa couronne d’épines d’argent, était le signe primitif que Jean Calmet attendait depuis toujours, le symbole d’une liberté gaie et sauvage, le preuve qu’aucune domination ne soumet jamais les grandes forces telluriques qui sourdent, qui jaillissent, qui se coulent au milieu des constructions.
Commenter  J’apprécie          40
Jacques Chessex
Il faut croire que les écrivains fascinent. Même ceux qu’on n’a pas lus. C'est la littérature qui séduit, la rumeur, le soufre, la figure dans sa légende.
Commenter  J’apprécie          40
Qu'est-ce que l'horreur ? Quand Jankélévitch déclare imprescriptible tout le crime de la Shoah, il m'interdit d'en parler hors de cet arrêt. L'imprescriptible. Ce qui ne se pardonne pas. Ce qui ne sera jamais payé. Ni oublié. Ni prescrit. Aucun rachat d'aucune espèce. Le mal absolu, à jamais sans transaction.
Je raconte une histoire immonde et j'ai honte d'en écrire le moindre mot. J'ai honte de rapporter un discours, des mots, un ton, des actes qui ne sont pas les miens mais qui le deviennent sans que je le veuille par l'écriture. Car Vladimir Jankélévitch dit aussi que la complicité est rusée, et que rapporter le moindre propos d'antisémitisme, ou d'en tirer le rire, la caricature ou quelque exploitation esthétique est déjà, en soi, une entreprise intolérable. Il a raison. Mais je n'ai pas tort, né à Payerne, où j'ai vécu mon enfance, de sonder des circonstances qui n'ont pas cessé d'empoisonner ma mémoire et de m'entretenir, depuis tout ce temps, dans un déraisonnable sentiment de faute. (p. 73)

Commenter  J’apprécie          40
On a tué ce Juif et on l'a débité exactement comme un cochon à l'abattoir de la ferme
Commenter  J’apprécie          40
Mère tu m'habites. Où es-tu dans ta mort, ce matin ? Ô mère où écoutes-tu ces mots que j'écris en toi comme si nous ne faisions qu'un dans cette aube, pourtant je sais que tu es morte et que cet étrange mot, l'au-delà, s'est alourdi et éclairé depuis que tu y vis ta nouvelle vie si loin et si prés de moi ?
Commenter  J’apprécie          30



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Listes avec des livres de cet auteur
Lecteurs de Jacques Chessex (1009)Voir plus

Quiz Voir plus

LES LIVRES DE JACQUES CHESSEX

Un ...........pour l'exemple

camarade
suicidé
fusillé
juif
prêtre
allemand

10 questions
12 lecteurs ont répondu
Thème : Jacques ChessexCréer un quiz sur cet auteur

{* *}