J'avoue avoir été déçu par ce roman avec lequel je découvre Javier Cercas. Pourquoi faut-il attendre la page 141 pour lire ce qui me semblait être la motivation essentielle de ce récit :
«Parce que nous ne sommes pas omniscients. Parce que nous ne savons pas tout. Quatre-vingt ans se sont écoulés depuis la guerre, et toi et moi on a dépassé la quarantaine, alors pour nous c'est du tout cuit, on sait que la cause pour laquelle Manuel Mena est mort n'était pas juste. Mais est-ce qu'il pouvait le savoir à l'époque, lui, un gamin sans aucun recul et qui, en plus, était à peine sorti de son village ?»
Javier Cercas ne se réjouit pas de compter parmi ses ancêtres un grand-oncle qui fut phalangiste, combattit contre les troupes républicaines et fut tué durant la bataille de l'Ebre. La plus meurtrière de la guerre civile espagnole.
C'est la raison pour laquelle, tout au long du récit il tourne autour de l'idée «dois-je ou non écrire ce livre sur mon grand-oncle ?»
Tantôt il fait oeuvre d'historien en rapportant avec la plus grand précision le détail des offensives et contre offensives des Républicains et des Franquistes.
Tantôt il se défend d'‘être un «littérateur» et se refuse à imaginer ce qu'a pu être la vie de Manuel Mena...
« Un littérateur pourrait répondre à ces questions car les littérateurs peuvent affabuler, mais pas moi : l'affabulation m'est interdite. Certaines choses, pourtant, sont avérées. Ou presque avérées.»
Tantôt il fait état de ses références littéraires en appelant à Drogo du désert des Tartares,à Hanna Arendt à Danilo Kis, à l'Achille du chant XI de l'Odyssée, ou à l'Ulysse qui lui rend visite dans la chambre des morts... héros de l'I
Tantôt il se perd dans des divagations comme lorsqu'il décrit par le menu ce voyage en voiture avec son ami David Truebas au cours duquel la radio passe une chanson de Bob Dylan ou un imitateur de Bob Dylan...
Certes il ne s'agit pas ici de défendre Manuel Mena ou de lui trouver des excuses pour son engagement aux côtés des Franquistes, mais une comparaison me vient à l'esprit, la façon dont Alice Zeniter dans l'art de perdre a traité l'histoire de son grand-père dont elle ignorait qu'il fut Harki, donc du «mauvais» côté, et la stratégie de dissimulation de son fils, le père d'Alice.
Il y a dans le roman de Zeniter un souffle, un réalisme, une absence de mise en scène de son mal-être face à ce qu'elle a découvert, que l'on ne retrouve pas chez Cercas...
Je m'attendais, naïvement peut-être, à une mise en perspective de cette histoire familiale dans laquelle il apparaît que le petit neveu d'un phalangiste peut défendre des idées totalement opposées à celle de son ancêtre.
J'attendais aussi une analyse plus profonde du mécanisme de l'engagement comme le laissait supposer ce qui est écrit p 83 et sur lequel le récit ne revient jamais :
« (...) la Phalange était un parti qui, avec sa vocation anti-système, son irrésistible aura de semi clandestinité, son refus de la distinction droite et gauche, son pari simultané et impossible sur le nationalisme patriotique et la révolution égalitaire et sa démagogie captivante, semblait être fait sur mesure pour séduire un étudiant (...) qui, à seize ans à peine, rêverait à l'occasion de ce moment historique décisif d'assener un coup brutal et libérateur à la peur et à la pauvreté qui tourmentait sa famille, et à la faim, l'humiliation et l'injustice qu'il voyait quotidiennement dans les rues de son enfance.»
Le roman hésite entre plusieurs genres ce qui à mon sens le dessert.
Dernier point à mettre au débit des éditions Actes Sud, la mauvaise qualité des reproductions des documents originaux est incompréhensible...
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