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Critiques de Jean-Christophe Rufin (3240)
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Le collier rouge

Que s’est-il passé pour que Jacques Morlac, un ancien poilu décoré de la Légion d’honneur, se retrouve emprisonné par la justice française dans une petite ville du Berry, dans l’attente de son procès ? C’est au juge Hugues Lantier du Grez que revient la tâche délicate d’évaluer qu’elle est la part de responsabilité de l’accusé dans cette étrange affaire… A son arrivée, il découvre un jeune homme de vingt-huit ans taiseux, méfiant et peu enclin à livrer son histoire, mais il fait aussi la connaissance de Guillaume, le chien de Morlac, un animal puissant, marqué par la guerre et qui attend patiemment son maître aux portes de la prison, aboyant sa peine sans discontinuer, quitte à rendre fou Raymond Dujeux, le geôlier. Tout de suite, le juge Lantier pressent la singularité chez cet animal qui a connu l’horreur de la guerre et la violence des combats, un chien abimé, fatigué, mais d’une fidélité à toute épreuve et dont on découvrira qu’il a joué un rôle déterminant dans ce qui est arrivé à son maître…







Dans ce court roman inspiré d’une histoire vraie, Jean-Christophe Rufin nous plonge au cœur d’une affaire bien délicate. Nous sommes en 1919 et la France sort tout juste de la guerre. Le pays est en pleine reconstruction et voit s’achever les derniers procès chargés de juger les soldats pour leurs méfaits envers la nation. Mais les gens en ont marre, trop de vies ont déjà été prises et il suffirait d’un rien pour que la rancœur accumulée s’embrase. Dans ce climat particulièrement tendu, on découvre donc un homme à fleur de peau, traumatisé par la guerre, révolté par son absurdité et trop conscient de son impuissance. Un paysan qui a lu Marx, Proudhon et Kropotkine et qui pense qu’il peut, peut-être, changer les choses… Mais c’est aussi et surtout un jeune père de famille et un homme amoureux… Entre histoires de cœur et histoire d’honneur, Jean-Christophe Rufin nous livre un magnifique texte sur la fidélité et le sacrifice. Le style est simple, sans fioritures et nous rapproche un peu plus de ce prisonnier énigmatique dont l’histoire nous est dévoilée par bribes, entretenant le suspense et la tension chez le lecteur. Les personnages sont attachants et débordent d’humanisme malgré leur étiquette sociale. Le chien et son attachement aveugle à son maître devrait en émouvoir plus d’un ! Un roman passionnant, redoutablement efficace et habilement mené à découvrir sans attendre !
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Le Grand Coeur

Cette critique est dangereusement subjective. J'ai en effet le privilège de connaître personnellement Jean-Christophe Rufin.

En poste au Sénégal, nous avions appris avec surprise sa nomination comme ambassadeur. Nicolas Sarkozy venait d'être élu et la tradition qui réservait aux seuls diplomates de carrière les postes d'ambassadeur était battue en brèche. Ecrivain déjà célèbre (il avait obtenu le prix Goncourt en 2000 pour "Rouge Brésil"), Jean-Christope Rufin a été accueilli à l'ambassade avec une certaine appréhension : ce non-professionnel allait-il prendre toute la mesure de la tâche ? ne considèrerait-il pas son séjour à Dakar comme une résidence d'écrivain ?

Nos réticences furent vite balayées. L'écrivain serait ambassadeur à temps complet. Et même son élection à l'Académie française ne le détournerait pas de sa tâche. Pendant trois ans il l'accomplit avec un zèle exemplaire et un courage peu courant. Il tint tête au président de la République Abdoulaye Wade, engagé dans une lente dérive autoritaire, et faillit à plusieurs reprises être rappelé à Paris. 3 ans après son départ, son souvenir reste vivace au Sénégal.



"Le grand Coeur" n'a rien à voir avec l'Afrique. Après quelques tentatives à mon sens peu réussies (quoiqu'appréciées du public) de polar écrit dans le style américain ("Le parfum d'Adam", "Katiba"), JC Rufin revient chez Gallimard et y retrouve la veine de "L'Abyssin" ou de "Rouge Brésil". Un ample roman historique, un héros charimatique au destin hors du commun, un style d'une extrême élégance qui ne verse jamais dans le maniérisme ...



Mais quand JC Rufin nous parle de Jacques Coeur, c'est aussi - c'est peut-être surtout - de lui-même qu'il nous parle. Et c'est dans cette mesure que son livre m'a intéressé et touché.



Ce qui le définit d'abord, c'est son attirance pour l'Ailleurs. Jacques Coeur - comme JC Rufin - est attiré par les confins du monde. Il en a une approche très sensorielle : les odeurs, les sonorités des langues, la physionomie des populations influncent sa perception. Du coup, ce personnage est parfois insaisissable : alors qu'on le croit ici, il est déjà en partance vers là-bas.

Autre trait caractéristique de Jacques Coeur (et de JC Rufin !) : c'est un touche-à-tout de génie qui réussit, avec une apparente désinvolture, dans tous les domaines. A lire la biographie de Jacques Coeur, on a l'impression que sa vie s'est jouée à son insu : la chance, les hasards ont fait de ce fils de pelletier l'Argentier du Roi, la plus grosse fortune de France, l'amant d'Agnès Sorel et l'ami du Pape. La vie de JC Rufin, qu'il relate dans "Le léopard sur le garot", est, si l'on croit celui qui la raconte, elle ausi, le résultat d'heureuses coïncidences. Aveu sincère ? pose faussement modeste ? ou suprême élégance à euphémiser les efforts et le travail sans lesquels il n'est pas de réussite ?

Jacques Coeur, comme JC Rufin, est un solitaire. Il ne fait partie d'aucune coterie, d'aucun clan. D'origine modeste, il n'a pas hérité ses titres de ses ancêtres. Il s'est fait seul, sans verser pour autant dans le carriérisme ou l'arrivisme. Il a une conscience aiguë de la fragilité des choses et de leur caractère éphémère. Il connaît la fragilité des honneurs.

Jacques Coeur (comme JC Rufin) est fasciné par le pouvoir et par les hommes qui l'exercent. Il les fréquente, il les connaît, il lui arrive même de partager leurs passions. Mais il ne leur sacrifiera jamais son indépendance. Il porte sur eux un regard amusé, distancié, souvent critique. Au fond il s'en méfie. leurs valeurs ne sont pas les siennes.



J'ai aimé Le Grand Coeur. Car j'y ai retrouvé un Grand Monsieur.
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Le collier rouge

Que dire de plus, après plus de 50 critiques détaillées et de qualité... ?

Plus grand-chose, si ce n'est faire des redondances inutiles.



Un moment de lecture plein d'émotion et de suspens, à partir d'un fait réel. A la fin de cette fiction, J.C Rufin rend hommage à son ami, photographe, Benoît Gysembergh, mort avant la publication de ce texte. Texte dont il avait été la source, en racontant l'histoire de son grand-père. Revenu en héros de la guerre de 14, décoré de la Légion d'honneur, il avait commis un jour de boisson un acte inouï pour l'époque, une trangression qui lui avait valu d'être arrêté et jugé.



Texte aux multiples thémes: la barbarie de la guerre, les sacrifices d'hommes anonymes... qui reviennent brisés... dans la difficulté de réintégrer la vie civile, la présence des animaux auprès des soldats; dans cette histoire, il s'agit d'une histoire incroyable entre un homme et un chien, prénommé Guillaume, la révolte légitime d'un homme qui revient de l'enfer, un homme qui a réfléchi, lu des textes de contestation, des écrits libertaires, qui a essayé de comprendre l'"intolérable"... et la "boucherie" décidée en haut lieu...



Une très belle lecture...



© Soazic Boucard- Tous droits réservés- 27 juin 2014

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Immortelle randonnée : Compostelle malgré moi

Jean-Christophe Rufin écrit sur son pèlerinage de Compostelle. J'aime l'auteur, j'aime la marche, je cède au succès de librairie, j'achète, je lis.

Je me régale.



J-C. (nommons-le ainsi) attaque avec un peu de morgue; "facile pour un alpiniste comme moi"; cool au début: beau paysage, solitude. Mais ça s'allonge, ça dure, ça s'arrête pas! La douleur s'insinue puis crie dans tout son corps, et faut pas lâcher, et le paysage n'aide souvent pas (bord d'autoroute, pipeline, banlieue crade, bord de mer bétonné).

Et son état d'esprit évolue, ses pensées commencent par s'effilocher, le vide s'installe dans sa tête, l'esprit religieux en profite pour s'installer avant d'être chassé par une spiritualité plus personnelle et un état que J-C. décrit comme proche du Bouddhisme. Ses descriptions sont très détaillées, et pourtant reconstruites à partir de souvenirs car Môssieur n'a rien écrit en route (ce sont les éditeurs Guérin qui l'ont convaincu). Correspondent-elles à la réalité du moment du coup? Sais pas...

Et il rencontre des gens rigolos (ou pas), des dragueurs et leur proie, des dragueuses dont il est la proie, des types plus ou moins bourrés qui se débrouillent toujours pour faire l'étape plus vite que lui, des moines convertis aux lois du marché, des chasseurs de photos qui circulent en bus, sa femme qu'il arrive à paumer sur ce qu'il croit être un raccourci...



Je suis moi-même marcheur, à un moindre niveau. Mon truc c'est plutôt les marches de nuit de 50km environ, genre Paris-Mantes. Et j'ai trouvé jouissif de retrouver des sensations ou réactions chez J-C. A moi aussi on me demande toujours "mais bon sang pourquoi tu fais ça? Y'a rien à voir la nuit! T'es maso ou quoi?" et moi non plus je ne sais pas vraiment quoi répondre. Moi aussi je suis dévoré par la douleur (car je ne suis jamais assez entrainé hé, hé!), sent le vide envahir ma tête et essaie de tenir bon jusqu'à l'arrivée où (quand je l'atteins) où je me dit qu'on ne m'y reprendra plus... et pourtant j'y retourne. Mais ce que je ne connais pas c'est la reproduction de ces sensations sur la durée. Moi après une nuit de galère je retrouve mon lit et c'est fini. Là il faut recommencer chaque matin. Gasp!



Faudra que je tente ce pèlerinage un jour... Ça me trotte dans la tête depuis longtemps. Le plus dur c'est de dégage assez de temps...



Un livre qui m'a procuré une émotion proche de la complicité. Rien que pour ça ça valait le coup.
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La princesse au petit moi

Avec La Princesse au petit moi, quatrième roman consacré aux aventures d’Aurel Timescu, Jean-Christophe Rufin réussit à se renouveler encore.

Son anti-héros m’avait surpris dans Le Suspendu de Conakry, Les Trois Femmes du Consul puis Le Flambeur de la Caspienne, histoire situées dans des lieux bien réels ; mais, dans La Princesse au petit moi, l’auteur ose créer un état imaginaire : la Principauté de Starkenbach.

Ici, Aurel Timescu ne subit pas une nomination visant à le rabaisser mais bénéficie de l’invitation du prince Rupert, époux de la princesse Hilda qui règne sur ce micro-état faisant penser au Liechtenstein, à Andorre, à San Marino ou encore à Monaco ou au Vatican.

Dans ce Starkenbach créé en 1428 par Sigismond 1er, une Première ministre ambitionne de renverser la dynastie princière au pouvoir. Seulement voilà : depuis trois semaines, la princesse, âgée de cinquante-quatre ans, a disparu et ne répond plus à aucun message. Où est-elle ? Que fait-elle ? Pourquoi ne répond-elle pas ?

Pour résoudre ces questions cruciales, un diplomate français, Jocelyn de Neuville, ami du prince Rupert, a vivement recommandé Aurel, le décrivant comme un enquêteur très subtil, capable de résoudre les énigmes les plus embrouillées.

Voilà donc notre Aurel Timescu dans le palais de Starkenbach. Il découvre les fastes princiers, se renseigne, s’informe, boit beaucoup de Tokay, joue du piano et sympathise vraiment avec Shayna Khalifa, une Kurde syrienne, orpheline de guerre, devenue collaboratrice personnelle de la princesse. Dans son pays, elle était une opposante héroïque au régime Assad. Son aide efficace sera très précieuse à Aurel qui reviendra en France car le couple princier possède un immeuble à Paris et une belle propriété en Corse, près de Bonifacio.

À Paris, le prince Rupert était client d’une psychothérapeute qui avait conseillé un confrère pour Hilda, très mal à l’aise dans son rôle de cheffe d’État. De plus, elle a du mal à assumer ses origines, son enfance et a besoin de se confier à une tierce personne.

Dans ce Starkenbach à la fiscalité attractive, la princesse Hilda se consacre donc à des œuvres humanitaires. Sa dernière initiative est destinée à venir en aide aux enfants-soldats. Pour cela, elle a décidé d’organiser une grande conférence internationale pour laquelle il lui faut de l’argent que refuse de lui accorder la Première ministre. Hilda cherche alors des mécènes et c’est là le nœud du problème que Jean-Christophe Rufin réussit à dénouer avec le talent qu’on lui connaît.

La Princesse au petit moi n’est pas satisfaite par la vie qu’elle mène à la tête de ce petit pays de 52 000 habitants et préfèrerait, de loin, vivre une vie tranquille à l’abri des regards maintenant qu’elle a élevé ses trois enfants et que, Helmut, l’aîné, est en âge d’assumer les plus hautes responsabilités.

Dans ce quatrième roman qui lui est consacré, Aurel Timescu surprend encore, même s’il est toujours aussi mal habillé, même s’il boit beaucoup de vin blanc. Ses maladresses sont largement compensées par ses inspirations inattendues et son entente avec Shayna se révèle très efficace.

Réussiront-ils à retrouver la princesse Hilda ? Parviendront-ils à ramener la sérénité dans la principauté de Starkenbach ? Pour le savoir, une seule solution : lire La Princesse au petit moi !


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Le collier rouge

Ce petit livre est une merveille délicatement ciselée, une histoire vraie,Jacques Morlac, durant l'été 1919, attend son procès dans un local transformé en prison militaire,il est le seul prisonnier, son chien aboie sans cesse, pourquoi?

La ville est écrasée de chaleur,une petite ville du Berry.

Cet homme est un héros de la Guerre :"Décoré","il a défendu la Nation en même temps qu'il la vomissait."

Son juge militaire: Hugues Lantier du Grez au passé commun d'armes et de fureur,Combattant comme lui, instille une intimité au début coléreuse puis complice malgré tout.

Il tente d'analyser et de comprendre les raisons profondes du geste fou qui a conduit ce soldat à risquer une condamnation....

Il fait preuve d'une grande part d'humanité,de finesse et de perspicacité face à l'homme qu'il interroge. Mais quel est l'outrage commis à la Nation?

Jacques Morlac se livre à la confidence lors du récit de son parcours de soldat du côté de Salonique où il découvre l'horreur des combats et les idées révolutionnaires.

Mais le personnage central de ce court récit c'est "Guillaume "le Chien blessé, couturé,maigre à faire peur, le poil abimé par d'anciennes blessures qui a accompagné son maître jusque sur le front de l'armée d'Orient,dans la tranchée,avec les Russes contre les Bulgares, un chien courageux,loyal, fidéle,extraordinairement fidéle.....

Pourquoi aboie-t-il sans arrêt?

Pourquoi Jacques Morlac est - il emprisonné?

Monsieur Rufin ménage ses effets, par des procédés habiles, sait nous faire patienter, écrit avec grâce et simplicité,la construction de son récit est d'une grande élégance, il faut attendre les dernières pages pour que nous soyons mis au courant de l'outrage.....

Un roman sur la fidélité avec des mots qui touchent, des mots justes,fidélité d'un homme à une femme, d'un chien à son maître, d'un homme à son idéal,d'un juge à son prisonnier, une construction rondement menée au rythme de l'enquête......







Une histoire courte et forte, vive et fine, pétrie d'intelligence , de fraternité et d'humanité qui dénonce la bêtise de la guerre, sa brutalité mais aussi l'apparence des choses, l'orgueil, le malentendu et la fausse appréciation.

On peut penser aux mots de Jacques Prévert :" quelle "connerie " la Guerre!

Cet ouvrage est aussi un vibrant hommage aux animaux qui accompagnaient les hommes pendant le conflit,notamment le chien Jacquot décoré en 1918 de La Croix de Guerre et qui figure sur la tranche du livre.





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Les énigmes d'Aurel le Consul, tome 1 : Le su..

Ce roman, c’est d’abord l’histoire d’Aurel, un français de fraiche date d’origine roumaine devenu par les hasards de l’existence consul de France à Conakry, et qui supporte avec fermeté et constance une vie bancale entre deux pays et deux cultures.

C’est un de ces personnages atypiques, éternels sujet d’étonnements et de railleries pour ses congénères.

Par sa faiblesse, son originalité, son extrême sensibilité, sa manière aussi d’être en permanence hors-sol, il est incapable de tenir tête aux balourds bien ancrés dans la réalité qui se dépêchent d’en faire leur tête de turc, leur souffre-douleur. Le genre de petit bonhomme dont les frasques innocentes sont moquées lors de ces diners où il n’est jamais invité.

Un pitre laissé sur le bas-côté, toujours tenu en lisière, par les ordinaires, les raisonnables, les pontifiants.

Justement ! Il suffira d’un meurtre spectaculaire dans un des ports de plaisance de la ville pour qu’Aurel sorte de ces lisières où il était retenu avec tant de condescendance. Il jettera toutes ses forces pour tenter de confondre le meurtrier. A sa manière bien sûr : iconoclaste, extravagante, fantasque et intuitive…

On rit de bon cœur à la chevauchée maladroite et désopilante d’Aurel, sans jamais se moquer de lui car, voyez-vous, Jean-Christophe Rufin a un gros penchant pour lui, et se garde bien de le tourner en ridicule…

Dans cette enquête, une femme lui fera confiance. Peut-être est-ce pour elle que ce Chevalier Servant d’un autre siècle bravera tous les interdits ? Grâce lui soit rendue !

Et pour finir, il y a le style Ruffin : fluide, académique, efficace. Du beau français.

J’ai adoré « Le suspendu de Conakry ».

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Les énigmes d'Aurel le Consul, tome 2 : Les t..

Retrouver Aurel Timescu pour le second volume de ses aventures consulaires a été un véritable plaisir.



En fait, c’est surtout la plume de Jean-Christophe Rufin qui me régale, son style tout en douceur, plein d’humour et toujours très au fait des pratiques de ces gens qui représentent la France à l’étranger, comme il en a fait l’expérience lui-même en tant qu’ambassadeur au Sénégal.

Après Le Suspendu de Conakry, en Guinée, c’est au Mozambique qu’a été nommé cet anti-héros extraordinaire, originaire de Roumanie où il a subi la dictature de Ceaucescu.

Ce musicien de talent, capable de passer du classique au jazz, sur son piano, se retrouve à Maputo, la capitale, adjoint d’un Consul général qui, pour une fois, tente de lui faire confiance.

Mais Aurel sait parfaitement endormir son monde, ne rien faire, jusqu’au moment où une cause le motive subitement. Lui, le solitaire, vaguement marié à une femme vivant à Paris, est très sensible au charme féminin même s’il se trouble facilement en présence de certaines femmes…

Voilà que dans la Résidence dos Camaroes où il avait logé à son arrivé au Mozambique, le propriétaire, Roger Béliot, un homme très désagréable, est retrouvé ligoté, noyé dans sa piscine. Or, sa première femme, Françoise, venait d’arriver de France pour exiger sa part d’héritage. C’est la coupable idéale aussitôt emprisonnée.

C’est pour elle, parce qu’il ne supporte pas l’injustice, qu’Aurel va tout faire. Enquêter alors qu’il n’est pas policier, il sait faire, endormir la vigilance du Consul, Didier Mortereau, il s’y emploie, mais les obstacles sont de taille dans un pays où la lutte contre les braconniers tueurs d’éléphants pour s’approprier leurs défenses, fait croire en son efficacité.

Aurel rencontre Fatoumata, la seconde femme de Béliot puis Lucrécia (19 ans), la troisième, qui attend un enfant, celle qui vivait avec la victime. Avec sang-froid, détermination, imagination, Aurel Timescu est impressionnant.

Il n’oublie jamais son verre de Tokay, voire plus, mais s’offre le luxe de remuer l’Ambassadeur de France, Jocelyn du Pellepoix de la Neuville, excusez du peu !



Modeste, efficace, toujours vêtu de son pardessus en tweed malgré la forte chaleur, Aurel Timescu m’a encore étonné, amusé et captivé jusqu’au bout de ce roman policier hors normes, qui est suivi, cette année par une troisième aventure que j’espère aussi délicieuse : Le Flambeur de la Caspienne.




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Les sept mariages d'Edgar et Ludmilla

Une fois de plus, lire Jean-Christophe Rufin a été un régal ! Avec Les sept mariages d’Edgar et Ludmilla, il a réussi à écrire un conte extraordinaire et profondément réaliste.

À partir du voyage de quatre jeunes gens en URSS, en 1958, à bord d’une Marly de la marque Simca, voiture luxueuse pour l’époque, l’auteur qui laisse s’exprimer un narrateur lui ressemblant beaucoup, présente d’emblée Edgar. Énergique et séducteur, il vient de Chaumont. Né de père inconnu, élevé par une mère travaillant dur sur les marchés, Edgar était garçon de courses chez un notaire.

Dans un village d’Ukraine, un attroupement au pied d’un arbre stoppe leur périple. Malgré l’hostilité de leur guide touristique imposé, un commissaire du peuple, ils assistent à un spectacle étonnant : une jeune fille est nue en haut d’un arbre ! Lorsqu’elle descend, elle croise le regard d’Edgar qui n’aura qu’un seul but au retour en France : aller chercher celle-ci, prénommée Ludmilla.

L’histoire, j’en conviens, débute de façon spectaculaire et, tout au long de son récit, le narrateur saura bien expliquer les faits les plus curieux, les plus étonnants. C’est dont l’année suivante, en 1959, qu’a lieu le premier mariage afin de permettre à cette jeune ukrainienne qui faisait partie des koulaks, la catégorie sociale la plus méprisée de la population soviétique, de quitter son pays pour venir vivre en France.

L’histoire est bien lancée et ne va pas manquer de rebondissements car les deux amants doivent d’abord apprendre à se connaître et affronter beaucoup d’obstacles.

Présentant son roman comme une enquête réalisée par un homme qui vit avec Ingrid, la fille d’Edgar et Ludmilla, le narrateur a donc connu ses deux héros alors qu’ils étaient très âgés. Il les a interrogés, a effectué de nombreuses recherches, visité les lieux où ils ont vécu afin de pouvoir écrire cette histoire extraordinaire.

Edgar tente de gagner de l’argent, monte des affaires, échoue, repart, prend d’énormes risques, connaît un succès foudroyant et une dégringolade spectaculaire avant de refaire surface. Au travers de ces expériences heureuses ou malheureuses, j’ai traversé toute une époque, celle nommée Les Trente Glorieuses (1946 – 1975), j’ai croisé des gens célèbres et ressenti toute l’inanité des gloires factices, politiques, médiatiques ou financières.

De son côté, Ludmilla affirme par hasard ses talents de chanteuse, s’impose, prend sa chance et entame une carrière lyrique. Dans ce monde d’agents, de chargés de communication, de rôles attribués au dernier moment, il faut avoir des relations. Elle n’hésite pas à se former, à travailler dur et, si elle finit par réussir, la voilà devenue une diva, avec tous les défauts inhérents à ce statut complètement artificiel. À cause de sa carrière à l’opéra, de ses tournées, elle se coupe de sa fille, Ingrid, qui préfère son père… quand il est là.

Je passe sous silence les circonstances des mariages et des divorces successifs pour ne rien divulgâcher mais je reste admiratif devant le talent de l’auteur rendant cette histoire crédible et, au final, passionnante. Tout cela est empreint d’une philosophie de la vie pleine de justesse malgré le caractère exceptionnel des expériences vécues par Edgar et Ludmilla.

Au final, j’ai beaucoup apprécié l’invitation de ces gamins venus en car du village ukrainien de Ludmilla et son attitude envers eux alors que l’âge a fait son œuvre sur elle et sur Edgar. Comme l’indique Jean-Christophe Rufin dans la postface, il s’est inspiré en partie de sa propre vie.

Malgré moi, dès qu’il y avait mariage, je me demandais quel serait le motif du prochain divorce puis comment il sera possible que les deux héros se remarient… Alors, même si certains épisodes paraissent incroyables, voire loufoques, ce qu’il décrit est parfaitement décrypté.


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Le collier rouge

Jean-Christophe Rufin est un raconteur d'histoires. Il n'utilise pas de phrases ampoulées, pas de méandres où l'on s'égare, pas de circonvolutions, pas de propos à double sens sujets à interprétation, pas de message hermétique, pas de prise de tête. Des phrases courtes, explicites, vivantes, armées. Un style simple, pur, élégant, racé. Il écrit des dialogues pour donner du relief et déroule son récit tranquillement, retenant ainsi l'attention du lecteur afin de ne jamais le lasser. du bel ouvrage qui invite toutefois à réfléchir.



Le collier rouge est inspiré d'une histoire vraie arrivée au grand-père de Benoit Gysembergh, ami de l'auteur, reporter photographe à Paris-Match, aujourd'hui disparu. Il raconte que son grand-père, au lendemain de la guerre 14-18, décore son chien un jour qu'il avait bu un coup de trop. Il défile dans son village avec l'animal décoré et se retrouve en prison.



Jean-Christophe Rufin interpelé décide d'écrire un roman. Il tient son personnage principal, Guillaume, un genre de briard « à l'allure de vieux guerrier ……..aux cicatrices témoignant de blessures par balles ou éclats d'obus ». Son maître va s'appeler Jacques Morlac. Il sera ancien membre de l'armée d'Orient, décoré de la Légion d'Honneur pour ses exploits sur le front Grec lors de la bataille des Dardanelles. Impulsif, écorché vif, rebelle il sera emprisonné dans un petit village du Berry pour avoir porté atteinte à la Nation.

Et puis deux personnages secondaires donneront du souffle et de la profondeur à l'histoire : Lantier du Grez, un juge militaire aristocrate, patient et attentif, chargé des interrogatoires et Valentine, militante pacifiste, au caractère entier, fidèle et impliqué, l'amour de Jacques Morlac.



Lors des interrogatoires, les échanges sont brefs, puis prennent corps, l'occasion pour l'auteur de nous conter certains pans historiques, de les rendre vivants bien loin des récits académiques. La mesure n'existe plus, en tous les cas elle échappe au lecteur. Nous ne sommes plus dans un fauteuil en train de lire, nous sommes au front. Les pages volent en éclats sous les obus. Ce que nous considérions comme des héros sont devenus des bêtes et nous rendons hommage aux chiens, véritables héros, seuls capables de fidélité.



Ecoutons Jean Christophe Rufin nous parler de son livre.

« C'est un petit hommage à ces chiens qui ont suivi leurs maitres. Il y en avait des centaines de milliers sur les tranchées. le combattant est un animal. Ce qu'on lui demande c'est d'être une bête, d'être d'une cruauté terrible à l'égard de ses ennemis. C'est tout le sujet du livre. Ce qui différencie l'animal de l'être humain c'est la fidélité. C'est toute l'histoire des guerres. La seule victoire, c'est aujourd'hui un siècle après, quand on a pu dépasser ça et faire alliance avec ses ennemis. On a dépassé notre part animale. Ce n'est pas un livre sur la guerre. C'est l'après-guerre. de la barbarie animale à la fraternité. »



Un roman court. Des relations humaines complexes mais décrites simplement. Un chien qui n'arrête pas d'aboyer. Un juge qui arrête de juger et met de l'ordre dans ses idées. Un héros qui n'en est plus un. Une nouvelle photographie de l'Histoire. Une histoire convaincante et réaliste. Une atmosphère très particulière. Une invitation à se remettre en question.



Peut se lire dès le collège à mon avis. L'auteur qualifie ce roman d'humaniste. Je ne peux que souscrire et conseiller cette lecture.

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Le Grand Coeur

Les armagnacs et les bourguignons ! Pensez que, si j’affectionne le marc de bourgogne un liquoreux pruneau d’Agen si tant est qu’il fut à l’armagnac ça me dit aussi. Mais que diantre !... pour la petite histoire, en ce début d’ouvrage je ne suis pas une érudite. Ne le sont pas davantage les jeunes personnes, des enfants, qui vivent comme moi, un réel éblouissement à l’apparition du beau chevalier et de sa monture. Nos prunelles s’agrandissent devant un jeu grandeur nature qui se met en place, tandis qu’une touche guerrière soudain claironne dans le paysage.

.

Et comme l’écriture s’y prête quelques rimes en ligne : (p.29)

.

Il y avait parmi nous un chef, c’était un gros garçon

Cheveux bouclés noirs comme fourrure de mouton

La victoire lui était acquise avant même le combat

Audaces et vantardises se jouant comme une feinte

De par une réputation usurpée qui forçait le résultat

Éloi, exerçait son ascendant en suscitant la crainte...

.

Le livre, il est consistant. Mais encore. Parfois, ça ne veut rien dire, ce n’est pas le nombre de pages qui compte. Non ! Là, j’ai vraiment quelque chose dans la main. Hum... dans l’œil ? Oui, si vous voulez. Premièrement, l’écriture me plait. Déjà, je sais que je vais le lire. Mais c’est peu dire, je suis déjà dedans. Ensuite, oui, parce que ce n’est pas le tout de papoter, il faut écrire...

Le Grand Cœur est un roman picaresque ou d’époque se situant au moyen-âge. Hormis les seules références à des personnages historiques, en l’occurrence Charles VII et plus loin Agnès Sorel qui illustrent brillamment le contexte, j’y découvre les pérégrinations d’un jeune homme, qui, d’abord installé dans un semblant d’existence en tout point conforme à son rang, s’en échappe au rythme de pulsions insoupçonnées qui le révèlent à lui-même ; les traits de son véritable caractère.

C’est après un voyage initiatique, en Orient, dont les merveilles rutilent à ses yeux comme autant de trésors qu’il prend conscience de l’incongruité des croisades. Des guerres coûteuses qui affament le peuple et s’en viennent contrevenir à la diversité d’une population que précisément, il admire. Il s’ensuit alors, un cheminement passionnant que je découvre en même temps que la transformation d’un homme livré à son destin. Il s’appelle Jacques Cœur. Et comme à Grand Cœur grande conséquence, je conclurai en disant : « coup de foudre » c’est bien, non !

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Le Grand Coeur

La postface du Grand Coeur atteste que Jean-Christophe Rufin a mis tout le sien… (oui, bon) dans cette biographie romancée sous forme de mémoires. On le comprend, la destinée extraordinaire de Jacques Coeur, négociant d'origine modeste devenu argentier du roi Charles VII, a bien de quoi susciter l'empathie et enflammer l'imagination.



L'Histoire au XVème siècle prend ici son essor à travers l'odyssée de ce rêveur humaniste et ambitieux. C'est la fin des croisades, la pacification progressive du royaume de France et l'ouverture des échanges commerciaux avec l'Orient sous l'impulsion visionnaire d'un Coeur vaillant à qui rien ne semble impossible (tiens, ça me rappelle un truc). Ses « mémoires » livrent aussi nombre de réflexions sur les fourberies du pouvoir et autres stratégies politiques pas si éloignées de nos contemporains et sans aucun doute familières à l'auteur (qui fut entre autres ambassadeur de France, faut-il le rappeler ?)



Les éléments sus mentionnés promettaient donc un récit passionnant…

D'où ma déception sans doute.

Longueurs, redondances et détails superflus m'ont poliment ennuyée et, une fois de plus, le style de JC. Rufin m'a laissée insensible. Recherché mais souvent factuel, il lui manque, à mon sens, le souffle et la puissance dignes d'une épopée de cette envergure.



Bref, aussi attachant soit-il, un grand coeur, en l'occurrence, ne fait pas tout à fait un grand livre. Dommage.




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Les Flammes de pierre

Guide de haute montagne, Rémy affiche un goût de plus en plus net pour l’hédonisme : loin de lui la recherche de l’exploit et le goût des grandes courses classiques, ce qui le motive est le plaisir immédiat de la grimpe pure, dont il a fait sa spécialité. Tout comme d’ailleurs les succès faciles auprès de ses clientes. Une rencontre vient toutefois troubler sa routine. Laure est parisienne, découvre l’alpinisme avec passion, mais évolue dans un milieu bourgeois à cent lieues du quotidien d’un village alpin. Amoureux, Rémy n’hésite pas à quitter ses montagnes pour la capitale...





Il n'aurait pu s’agir que d’une banale histoire d’amour, si elle n’était vouée à s’épanouir que dans l’atmosphère sublime et dangereuse de la haute montagne. Seigneur en ses terres, Rémy découvre en effet, à ses dépens, qu’il n’est personne sur la place parisienne, et que les différences de milieu et d’éducation, surtout en défaveur de l’homme, ont tôt fait de réduire un amour en cendres. Pour s’entendre, ces deux-là ont besoin d’altitude et de passion commune, et il leur faudra le naufrage d’une existence ordinaire pour mesurer à quel point ils dépérissent loin de leur vrai milieu d’appartenance : la montagne et son étrange alchimie, seule capable de les révéler à eux-mêmes en les affranchissant de tout faux-semblant social ou économique.





A travers ces deux personnages semblables à des fleurs coupées lorsqu’ils quittent leurs versants alpins, le roman oppose les artifices d’une société hiérarchisée par l’argent et aveuglée par les illusions qu’il procure, à l’impassible immobilité de la montagne, qui, par ses grandeurs, ses rudesses et ses dangers, a vite fait de vous ramener à la conscience de votre humilité et de dénuder votre véritable force d’âme. Dans cet environnement exigeant qui a toujours le dernier mot, il n’est point de mensonge ni de forfanterie qui tiennent, c’est l’homme dans sa plus simple expression qui prend conscience de la magie comme de la fragilité de la vie, et qui se met à en éprouver chaque instant avec davantage d’intensité.





Avec ce chant d’amour à la vraie montagne, celle de la périlleuse et âpre beauté des cimes, loin du clinquant et de la frime de certaines de ses stations, Jean-Christophe Rufin réussit son pari de renouer avec la littérature de montagne la plus pure, comme dans une version moderne de Frison-Roche. Et c’est avec le plus grand plaisir que l’on goûte avec lui cette ivresse des sommets, qu’il connaît si bien pour l’avoir expérimentée.


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Les énigmes d'Aurel le Consul, tome 3 : Le fl..

C’est toujours avec un brin de nostalgie que je tourne la dernière page du récit des aventures d’Aurel Timescu, personnage extraordinaire créé par l’excellent Jean-Christophe Rufin.

Après la Guinée et le Mozambique, notre héros si original se retrouve à Bakou, en Azerbaïdjan, sur les rives de la mer Caspienne.

Sur place, il est d’abord ravi, agréablement surpris par ce pays qu’il découvre et moi avec lui, évidemment, ce qui n’est pas un des moindres avantages des aventures d’Aurel.

Le Flambeur de la Caspienne, après Le Suspendu de Conakry et Les Trois femmes du Consul, renouvelle sensiblement ce style de roman et je trouve ce troisième opus encore plus riche en émotion, en suspense, en psychologie des principaux personnages et en enseignements politiques que les deux précédents.

L’accueil hostile que lui réserve Gilles de Carteyron, l’Ambassadeur de France à Bakou, ne décourage pas Aurel, au contraire. Justement, l’Ambassadeur est en deuil car Marie-Virginie, son épouse, vient de se tuer en chutant d’une haute muraille d’une forteresse où elle exerçait ses talents de photographe. Cela s’est passé dans l’enclave du Nakhichevan, république autonome d’Azerbaïdjan où il est très difficile de se rendre.

Aurel, comme à son habitude, va s’intéresser à ce triste événement, fouiner, se renseigner, jouer avec son style inimitable et s’attirer la sympathie des femmes travaillant à l’ambassade. Je n’oublie pas celui qu’il appelle « Petit oncle », Minha Timescu, un entomologiste passionné qui lui apporte une aide précieuse. J’ajoute aussi la visite officielle des trois sénateurs venus de France pour superviser des contrats commerciaux. Un certain Noël Gauvinier, sénateur du Tarn, est conquis par Aurel et cela donne quelques épisodes savoureux.

Au cours de ce roman, j’ai particulièrement apprécié que l’auteur affine la personnalité de son héros et me fasse découvrir encore d’autres facettes de son caractère.

Dans ce pays où le pétrole coule abondamment, il est difficile de faire entendre des voix discordantes au pouvoir en place comme le prouve le sort réservé au journaliste et opposant politique, Yskandar, un épisode éloquent bien traité par l’auteur.

Consul adjoint à l’ambassade de France, Aurel Timescu est aussi un excellent pianiste qui aime un peu trop le tokay. Ses distractions, ses étourderies, son humour au second voire au troisième degré se révèlent des atouts précieux quand il s’agit de faire éclater la vérité.

Alors, impossible de divulgâcher sans dénaturer tout plaisir de lecture mais si Jean-Christophe Rufin veut poursuivre les aventures d’Aurel Timescu en l’envoyant dans un autre coin improbable de notre planète, je suis pour !


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Le collier rouge

Ce plaidoyer contre l'absurdité de la guerre et la bêtise humaine, est un petit condensé d'humanité et d'animalité, qui s'appose au coin de l'œil comme un pansement.



1919, dans une petite ville du Berry écrasée par la chaleur de l'été :

-Un chien, Guillaume, hurle jour et nuit sans discontinuité.

-Son maitre Jacques Morlac, héros de guerre et décoré de la légion d'honneur est retenu prisonnier dans l'attente de son jugement. (Qu'a-t-il donc fait ?)

-Un juge militaire, Hugues Lantier du Grez, vient l'interroger avant de prononcer la sentence. (Il ne risque pas moins que la peine capitale!).

-Et une femme, Valentine, car il y a toujours une femme qui sommeille quelque part...



Un récit touchant, habilement construit et d'une redoutable efficacité ! L'écriture sobre et fluide sonne juste. Juste ce qu'il faut pour nous inciter à réfléchir sur la nature humaine et notre part d'humanité. L'évolution des personnages est également intéressante. Au fil des confidences, distillées par bride, les personnalités qui se révèlent ne sont pas forcement celles auxquelles on aurait pu s'attendre.



L'étendue des thèmes abordés ouvre sur une multiplicité de regards, sans pour autant se désunir. Guerre, barbarie, patriotisme, héroïsme, honneur, idéaux, sacrifice, malentendus, lendemains qui déchantent, orgueil, loyauté, fidélité, fraternité, amour (etc..) s'y côtoient sous des angles parfois trompeurs et en trompe-l'œil. Pourtant, l'auteur ne peint pas, il trace une ébauche. Mais quelle ébauche! Il allume la mèche avec ingéniosité. Et c'est ce chien, Guillaume, qui en est le comburant, cet étonnant chien, décharné, couvert de cicatrices, si aveuglement dévoué à ce maitre qui semble ne lui accorder qu'un profond mépris (!)



Ce billet ne sera jamais qu'un regard vu à travers le trou d'une serrure. Je ne peux qu'encourager ceux et celles qui ne l'auraient pas encore lu à parcourir les autres billets - Ok, je sais, 264 quand même! - Mais il y en a de très convaincants et pertinents . Il y en a une multiplicité de regards ! Et un regard supplémentaire ne sera jamais de trop pour cette très belle lecture.



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Les énigmes d'Aurel le Consul, tome 1 : Le su..

Que dire encore après plus d’une centaine de critiques, presque 400 évaluations et un prix Arsène Lupin — 2018 ?



J’en suis arrivée à lire ce livre par un très heureux hasard. Je l’avais repéré sur babelio et je l’ai trouvé, par la suite, dans la boite à livres (qui sert aux désherbages réguliers ou aux abandons divers) de ma médiathèque. Quelle chance ! Je tenais, en effet, beaucoup à découvrir Aurel Timescu, ce personnage assez improbable et si véridique à la fois, qui m’a fait bien rire. C’est chose faite à présent et je dois dire que j’ai beaucoup aimé. J’ai trouvé la fin intéressante, mais comme je n’ai pas l’intention de dévoiler l’intrigue, je vous propose simplement une « compil » (liste non exhaustive) de citations (certaines déjà présentes sur le site) qui contribuent à réaliser le portrait du consul et qui ont donc, en principe, un lien avec la Roumanie dont je suis également originaire (l’indication de page fait référence à l’édition poche folio n° 6676). Je trouve qu’elles en disent long sur la perception de ce pays par un Français. Je trouve également préférable de le publier dans sous cette forme « rassemblée » plutôt qu’en citations éparses :



Son patronyme se termine en « -escu », ce qui est typiquement roumain :

* – Je suis M. Aurel Timescu, dit-il en prononçant son nom à la roumaine. (p. 49)



Sur l’accent :



* Le problème, comme toujours, c’était l’accent. Avec sa voix qui déraillait, ses « r » roulés et ses intonations de paysan du Danube, Aurel savait qu’il était difficile de se présenter à un inconnu au téléphone sous le titre « consul de France ». Cela sentait le canular et on lui avait plusieurs fois raccroché au nez. (p. 49)



Sur son enfance en Roumanie et la nostalgie qu’elle suscite, malgré les « rigueurs » du communisme  :



* Il pouvait par exemple rester des heures devant une photo de classe qui représentait son aïeul, le père de sa mère, qu’on appelait le rabbin Kahen, avec ses élèves à l’école juive de Timișoara. Aurel regardait chacun des enfants, qui devaient être morts maintenant ou très âgés, et il imaginait leur vie. Parfois, c’était sa grande famille paternelle, assemblée autour du prêtre pour une fête catholique, qu’il regardait. Son père était facteur, huitième enfant d’une fratrie de douze. Tous les ans, il se rendait à la campagne près de Brașov et se devait de participer au grand rassemblement familial qui se tenait à la fin de l’année. La plupart de ces visages de paysans étaient inconnus d’Aurel mais il ne se lassait pas de scruter leurs traits rudes. (p. 73)



* Il avait été élevé dans un pays désorganisé où il fallait faire la queue à tout propos. Ce qui était difficile pour lui c’était de conserver dignité et volonté dans de telles ambiances. Son premier réflexe dans la foule était de retrouver la soumission et la passivité que le monde communiste exigeait de ses sujets. (p. 80)



* La vie l’avait doté, par la force des choses, d’une résistance inépuisable face à des vexations bien plus humiliantes. La Roumanie de Ceaușescu, où il avait grandi, était à cet égard une école d’une exceptionnelle rigueur, qui armait à jamais contre la bêtise et le mépris.



* Aurel comprit qu’une seule expression était de mise : l’admiration. Il s’était exercé très tôt, sous la botte de Ceaușescu à cet exercice et savait composer le visage qui convenait. Étonnement, approbation, soumission et terreur devaient être nettement perceptibles par l’interlocuteur, en sorte que celui-ci pût être assuré d’un complet triomphe. 



Sur le régime liberticide de Nicolae Ceaușescu qui peut expliquer sa soif de justice :



* Il avait eu une image fugitive des geôles de Ceaușescu, où, triste privilège, il avait été retenu plusieurs fois et accusé de « conduites antisociales ». (p. 141)



* En même temps, il avait la perspective de bien s’amuser et d’accomplir un acte de justice. Tout ce qu’il aimait dans la vie, en somme. (p. 241)



Sur son « addiction » au tokay (p. 76) : c’est très drôle, car il s’agit en principe d’un vin réputé en Hongrie, pays avec lequel les Roumains entretiennent des relations similaires à celle entre la France et la Belgique. En même temps il faut reconnaître que les meilleurs cépages roumains sont des vins blancs. Par ailleurs, il y a un peu de sang magyar qui coule dans ses veines (cf. p. 98)



Sur la perception de la mort :



* Aurel, par sa culture, croyait à la présence des morts. Dans la campagne roumaine où il était né, les défunts étaient là, attentifs, protecteurs ou malfaisants. La plupart des rites paysans visaient à les neutraliser, à les apprivoiser, à les conjurer. Dans sa famille, du côté de sa mère, on n’avait que mépris pour ses pratiques magiques. Mais dans la branche paternelle, à la fois valaque et magyare, on ne plaisantait pas avec ces choses. Aussi Aurel était-il persuadé qu’après avoir regardé Mayères en photo ces derniers jours, c’était le défunt qui, aujourd’hui, l’avait regardé. (p. 98)



Sur la perception (idéalisme naïf ?) de la France et de l’Ouest (l’Occident) par un Roumain :



* En Roumanie, quand il était jeune et qu’il rêvait de la France, Aurel s’était fait une certaine idée de l’élégance française. Celle des femmes, bien sûr, mais aussi celle des hommes. Il en était resté sur ce point à des notions tirées de romans de Maupassant, corrigées par les films des années trente. Il comprenait que cannes, chapeaux ou épingles à cravate aient disparu. Mais il imaginait toujours les Français amateurs de costumes de belle coupe et de tissus riches. Ce qu’il avait découvert en arrivant l’avait consterné. Il ne s’était jamais tout à fait habitué aux pantalons tire-bouchonnés, aux couleurs mal assorties, aux chaussures jeunes accompagnant des costumes bleus et autres hérésies qu’il avait sous les yeux tous les jours. (p. 133)



* – Quand je suis arrivé en France, je rêvais de devenir policier. C’est idiot, me direz-vous. Peut-être, mais il faut comprendre que là-bas, en Roumanie communiste, les seuls films qui venaient d’Occident étaient des histoires d’aventuriers ou de flics. On était nourris à Belmondo et Delon. (p. 175)



* Quand il vivait en Roumanie, Aurel s’était habitué à ce mariage permanent de la respectabilité et du crime. Les dignitaires communistes avaient tous l’air de mériter Marx sans confession. Et pourtant, ils cachaient sous ce masque la corruption, le mensonge, la violence. En arrivant à l’Ouest, Aurel avait voulu croire qu’il avait rejoint une terre de vérité où les méchants ont l’air de méchants et où l’on peut faire confiance aux braves gens. Au fond de lui, il savait que c’était faux. Mais il voulait y croire. (p. 219-220)



Sur la manière dont il est arrivé en France, il est vrai que la Roumanie « vendait » ses ressortissants qui voulaient quitter le pays, surtout les Juifs.



Enfin, une dernière, intéressante :



* Quand il était arrivé à l’Ouest, Aurel avait été pris en main brièvement par la DST. Les services français voulaient lui faire espionner la diaspora romaine. (p. 266)
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D'or et de jungle

Bandar Seri Begawan.

Au jeu des capitales, celui ou celle ou ça, qui est capable de sortir d'un air détaché le chef-lieu du sultanat de Brunéi lors d'un diner pour frimer mérite vraiment quelques pétrodollars et son poids en fécule de sagou (ne me demandez pas ce que c'est, je suis pas Brunéien ! )

Jean-Christophe Rufin, dont le passeport doit être plus tamponné que le corps de n'importe quel joueur de foot, a décidé de ne pas envoyer son petit consul jouer dans la niche dorée à Sultan mais de faire appel cette fois à l'Agence tous risques pour un plan presque sans accroc.

Un baroudeur à col blanc qui a trop lu de SAS de Gérard de Villiers, décide de proposer à un géant du numérique l'organisation d'un petit coup d'Etat pépère pour que le milliardaire puisse s'affranchir des lourdeurs administratives, impôts, lois d'éthique et tac, quotas et autres calamités paperassières du même genre, qui brident les profits. C'est quand même la classe à Dallas et plus tendance que des virées dans l'espace ou de s'afficher avec des amazones nées sous X.

Le sultanat coche toutes les cases et comme le temps des coups d'état avec des mercenaires à treillis et cigare un peu bedonnant est un peu démodé, une campagne de déstabilisation sauce fake news est montée à distance par une petite agence privée. Elle ne ressemble pas à ces consultants à Power point payés pour vous écrire ce que vous savez déjà mais que vous ne voulez pas trop assumer. L'agence est ici composée de petits génies de l'informatique, d'un théoricien du putsch et d'un faux couple dépareillé envoyé sur place, avec une ex championne de plongée et d'un gitan à guitare. Il ne manque que Looping et Barracuda. Je caricature à peine.

Dans sa construction, ce techno-thriller rappelle un peu « le parfum d'Adam », avec ce mélange d'aventures, de compote de complot et de prédictions avisées autour d'un globe que l'ancien « French Doctor » utilise comme une boule de cristal. L'horoscope n'est pas très engageant : les poissons barbotent en eaux troubles, les vierges peuvent craindre pour leur vertu, les balances perdent toute mesure, les scorpions apprécient le climat et les Sagittaires… j'en sais rien.

Comme je ne savais pas borner Bornéo sur une carte, la description du pays dans le roman est plus enrichissante qu'un voyage en auto-stop avec les têtes à claques de Pékin Express qui me font aimer les platanes, mais à l'exception de Flora (et non Carla à Brunéi...) la nageuse droguée à l'action, j'ai trouvé que les autres personnages manquaient d'épaisseur. J'aura ainsi aimé en savoir plus sur Ronald, le chef de bande et tacticien, mieux sapé que Deschamps mais que le récit laisse trop sur le banc de touche au fil des pages.

Ce scénario distrayant pourrait rejoindre les planches d'un bon Largo Winch et je me dis qu'avec de tels récits en tête, Jean-Christophe Rufin doit s'ennuyer ferme à l'Académie. Pendant que deux lettrés qui n'ont de vert que la tenue, sortent les épées pour un zeugma déplacé, j'imagine l'ex diplomate lever les yeux vers la Coupole et rêver de contrées lointaines.

Bézos muské.

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Les sept mariages d'Edgar et Ludmilla

C'est en 1958 que nous faisons connaissance avec Edgar. Il est l'un des quatre voyageurs qui, à bord d'une Marly couleur crème et rouge, tentent de se rendre à Moscou, depuis Paris. Un cinquième passager, "un guide touristique", qu'ils s'étaient engagés à transporter, les rejoint à la frontière.

Arrivés dans un village d'Ukraine où une agitation inhabituelle règne, le guide sent un danger et fait stopper la voiture et ils descendent. Sur la place centrale, un chêne, et à dix mètres du sol, sur une haute branche, est assise une femme complètement nue sur laquelle la foule a les yeux fixés. "Une voix d'homme retentit parmi les assistants : - Ludmilla !" Quand enfin, la fille est ramenée à terre, son regard se fiche sur Edgar, regard auquel il répond "en offrant ses yeux grands ouverts. Il les écarquillait comme on écarte les bras, pour qu'elle vienne s'y blottir, s'y réfugier."

C'est un Edgar bouleversé qui doit abandonner la jeune fille à la populace et rentrer à Paris. Il n'a plus qu'une idée en tête : retrouver et y ramener Ludmilla. Il repart donc en 1959 avec l'Orient-express. Après maintes difficultés, ils obtiendront l'autorisation de se marier, à Kiev, lors d'une brève cérémonie qui " se déroula dans une salle aux murs jaunâtres, mal éclairée par une fenêtre dont les carreaux étaient en verre dépoli, comme s'il eut fallu cacher aux regards indiscrets une scène impudique."

Voilà comment advint la rencontre et le premier mariage d'Edgar et Ludmilla ! Notre jeune couple s'installe à Paris. La barrière de la langue et les difficultés à communiquer liées à l'époque vont bientôt construire un mur de silence qui les conduira à se séparer. Il y aura ensuite d'autres mariages et d'autres divorces, six en tout, étalés sur un demi-siècle. Ils auront une fille Ingrid en 1975 qui deviendra en 2000, la femme du narrateur qui, à ce titre justement fera ainsi la connaissance des parents. Edgar, aventurier et charmeur se débrouille dans le milieu des affaires et Ludmilla parvient à faire une belle carrière de cantatrice. Ils connaitront des hauts et des bas, tantôt riches, tantôt ruinés.

C'est à la fois un roman sur l'intimité d'un couple, une saga amoureuse mouvementée qui démarre en Russie pour aller en Amérique puis du Maroc jusqu'à l'Afrique du Sud et une fresque sociale couvrant les quatre dernières décennies du XXe siècle.

Le voyage en URSS en 1958-59, au début du roman, très rocambolesque, décrit à merveille, d'abord les difficultés pour se rendre là-bas, puis la prise en charge, et une fois sur place, la difficulté pour ne pas dire l'impossibilité de se déplacer librement et enfin la vie dans les villages.

Jean-Christophe Rufin, en nous racontant la vie de ce couple, montre bien les difficultés et les contraintes que peuvent vivre deux êtres qui s'aiment, sur la durée. Les personnes changent, la société change et il faut beaucoup d'énergie, parfois de renoncement pour résister.

Dans ce roman, l'auteur flirte avec l'autofiction puisqu'il a connu plusieurs divorces et autant de mariages avec la même femme.

J'apprécie beaucoup cet auteur, mais je dois avouer que pour ce dernier roman, j'ai connu un peu de lassitude au cours de sa lecture. Cette succession de mariages et de divorces, notamment à partir du troisième divorce me faisant un peu penser à des caprices d'enfants gâtés, à des caprices de stars.

Le début et la fin resteront pour moi les meilleurs moments de ce périple.


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D'or et de jungle

Le sultanat de Brunei, jouit d’un or pétrolier qui offre à ses 500 000 habitants un PIB enviable. Membre du Commonwealth, sa monarchie a conclu avec le Royaume Uni un accord de défense concrétisé par la présence d’un régiment de Gurkhas qui le protège de la Malaisie et de l’Indonésie, ses voisins sur l’ile de Bornéo, et de la Chine. La doctrine Melayu Islam Beraja (MIB) qui définit l'identité brunéienne comme « malaise, musulmane et monarchique », est érigée en idéologie d'État. L’état d’urgence instauré en 1962 est toujours en vigueur et le Sultan de cet état indépendant depuis 1984 dirige par décrets.



Ses habitants sont à 80% musulmans, les religions animistes, bouddhistes et chrétiennes se partageant le solde.

La famille régnante profite de sa richesse sans toujours tenir compte des préceptes de l’Islam… alcool, débauche, jeu, orgies alimentent les rumeurs.

Les gisements d’hydrocarbures ne sont pas éternels ; la transition climatique menace leur exploitation.

La répression policière a contraint les opposants à s’exiler vers l’Australie, le Canada, etc. sans se désintéresser de leur patrie natale.



En jetant un peu de sel sur les plaies, en semant le doute sur la santé du Sultan, en opposant habilement les communautés religieuses et les identités culturelles, en inquiétant sur la pérennité de la manne pétrolière, il est possible de créer un climat de tension à l’intérieur du pays. En dénonçant la corruption et les crimes du régime et sa répression homophobe, il est envisageable de neutraliser toute intervention britannique et d’ouvrir des perspectives à une « alternative démocratique ».



C’est vieux comme le monde et l’histoire, ces dernières années, est riche d’exemples : révolution des Roses en Géorgie en 2003, révolution orange en Ukraine en 2004, révolution des Tulipes au Kirghizistan, révolution en jean en Biélorussie et révolution du Cèdre au Liban en 2005, « printemps arabe » tunisien en 2010, égyptien et syrien en 2011. Mouvements qui ont révélé la puissance subversive de Facebook, Twitter et autres réseaux sociaux.



Les géants du net, les GAFAM, sont contraints par les régulations votées par les états … d’où leur rêve de se doter d’un état indépendant … et, pourquoi pas, de conquérir Brunei pour y créer une Silicon Valley libre de toute contrainte ?



C’est ce projet que Jean-Christophe Rufin met en scène avec talent dans une intrigue quasi cinématographique qui coordonne des investisseurs californiens, des mercenaires coordonnés depuis notre cote d’azur, des exilés brunéiens, et déroule toute la palette des outils 2.0 : fake news (videos créées avec l’IA ; faux check up santé ; rumeurs financières) + influenceurs postant leurs révélations sur TikTok, Instagram, Youtube, Pinterest + intrusions dans les erreurs informatiques pour bloquer les infrastructures stratégiques ou en prendre le contrôle.



Le Sultan est renversé sans coup férir à la fin du Ramadan… et c’est alors que le romancier révèle son talent et sa connaissance des arcanes du pouvoir avec un twist final vraiment diabolique !



Chapeau l’artiste, et merci pour cette plongée dans les profondeurs opaques du Web qui nous alerte sur les risques que l’IA et les médias sociaux font peser sur nos démocraties, nos états de droit, et nos libertés.
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Les Flammes de pierre

Il est sans doute plus facile d’escalader le Mont Blanc que d’emprunter l’ascenseur social, de s’extraire de son milieu, constate Jean-Christophe Rufin dans cette allégorie, mais … sortir de sa caste conduit-il au bonheur ?



Trois personnages Rémy, Laure et Nadia, sont au centre de ce roman. Rémy, fils d’un ouvrier et d’une mère au foyer, est devenu, comme son frère Julien, guide à Chamonix. Un sportif apprécié par une clientèle féminine que Julien fait grimper au septième ciel. Cette vie de gigolo est bousculée par l’apparition de Laure, ravissante blonde, à l’attitude hiératique masquant la fille d’un odorant laveur de camion poubelle.



Laure s’est émancipée de son milieu à l’incitation de Nadia, immigrée algérienne déterminée à se libérer du carcan culturel qui finit par la tuer. Grâce à une bourse, Laure intègre une classe préparatoire et réussit le concours d’accès à une grande école puis est recrutée par une banque, intégrée aux équipes « Transactions Services », et contribue à des deals juteux qui lui valent des primes exceptionnelles de quelques centaines de milliers d’euros. Elle mêne une vie aisée et confortable s’approprie les codes des Bobos et, à chaque fois qu’elle doit prendre une décision vitale, s’interroge « que ferait Nadia » ?



Dans l'ensemble de l'OCDE, il ne faut pas moins de cinq générations en moyenne pour qu'un enfant issu d'une famille en bas de l'échelle des revenus arrive au milieu de celle-ci. En France il faut six générations, 180 années, pour parvenir au même résultat. Laure est une incarnation exemplaire de la « mobilité sociale » et de « l’école républicaine ». Une réussite qui intimide et paralyse un temps Rémy qui monte, tel Rastignac, à Paris retrouver Laure.



Commence alors la seconde moitié de l’ouvrage et la descente aux enfers qui, de casse en carambolage, foudroie Rémy et Laure et les oblige à s’interroger sur leurs vocations respectives. Le temps panse les plaies et les bosses, un avenir sobre et naturel, en montage, sera leur refuge.



Jean-Christophe Rufin, avec Les flammes de Pierre, se renouvelle et nous bouscule en mettant le doigt là où ça fait mal, sur les fractures de notre société, sur la démission du corps enseignant à promouvoir une élite intellectuelle, à faciliter ainsi la mobilité sociale, mais aussi, et surtout, nous oblige à réfléchir sur les valeurs qui hiérarchisent nos priorités personnelles.



Un roman qui interpelle tout en peignant une belle histoire d’amour dans un cadre alpestre ; un ouvrage auquel j’attribue cinq étoiles sans aucune hésitation ; un sommet littéraire et sociologique.
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