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Citations de Marguerite Duras (2401)


-Il faut vous dire, dit Suzanne, que c'est pas de la terre, ce qu'on a acheté...
- C'est de la flotte, dit Joseph.
- C'est de la mer, le Pacifique, dit Suzanne.
- C'est de la merde, dit Joseph.

(p.47)
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J'ai eu cette chance d'avoir une mère désespérée d'un désespoir si pur que même le bonheur de la vie, si vif soit-il, quelquefois, n'arrivait pas à l'en distraire tout à fait.
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Je pense à toi. Mais je ne le dis plus.
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De temps en temps ma mère décrète : demain on va chez le photographe. Elle se plaint du prix mais elle fait quand même les frais des photos de famille. Les photos, on les regarde, on ne se regarde pas mais on regarde les photographies, chacun séparément, sans un mot de commen­taire, mais on les regarde, on se voit. On voit les autres membres de la famille un par un ou rassemblés. On se re­voit quand on était très petit sur les anciennes photos et on se regarde sur les photos récentes. La séparation a encore grandi entre nous. Une fois regardées, les photos sont rangées, avec le linge dans les armoires. Ma mère nous fait photographier pour pouvoir nous voir, voir si nous grandis­sons normalement. Elle nous regarde longuement comme d'autres mères, d'autres enfants. Elle compare les photos entre elles, elle parle de la croissance de chacun. Personne ne lui répond.
Ma mère ne fait photographier que ses enfants. Jamais rien d'autre. Je n'ai pas de photographie de Vinhlong, aucune, du jardin, du fleuve, des avenues droites bordées des tamariniers de la conquête française, aucune, de la mai­son, de nos chambres. [...]
Elle ne faisait jamais de photos de lieux, de paysages,. rien que de nous, ses enfants, et la plupart du temps elle nous groupait pour que la photo coûte moins cher. Les quelques photos d'amateur qui ont été prises de nous l'ont été par des amis de ma mère, des collègues nouveaux arri­vants à la colonie qui prenaient des vues du paysage équatorial, cocotiers et coolies, pour envoyer à leur famille.
Mystérieusement ma mère montre les photographies de ses enfants à sa famille pendant ses congés. Nous ne voulons pas aller dans cette famille. Mes frères ne l'ont jamais con­nue. Moi, la plus petite, d'abord elle m'y tramait. Et puis ensuite je n'y suis plus allée, parce que mes tantes, à cause de ma conduite scandaleuse, ne voulaient plus que leurs filles me voient. Alors il ne reste à ma mère que les photogra­phies à montrer, alors ma mère les montre, logiquement, raisonnablement, elle montre à ses cousines germaines les enfants qu'elle a. Elle se doit de le faire, alors elle le fait, ses cousines c'est ce qui reste de la famille, alors elle leur montre les photos de la famille. [...] C'est dans cette vaillance de l'espèce, absurde, que moi je retrouve la grâce profonde.
Quand elle a été vieille, les cheveux blancs, elle est allée aussi chez le photographe, elle y est allée seule, elle s'est fait photographier avec sa belle robe rouge sombre et ses deux bijoux, son sautoir et sa broche en or et jade, un petit tron­çon de jade embouti d'or. Sur la photo elle est bien coiffée, pas un pli, une image. Les indigènes aisés allaient eux aussi au photographe, une fois par existence, quand ils voyaient que la mort approchait. Les photos étaient grandes, elles étaient toutes de même format, elles étaient encadrées dans des beaux cadres dorés et accrochées près de l'autel des an­cêtres. Tous les gens photographiés, j'en ai vus beaucoup, donnaient presque la même photo, leur ressemblance était hallucinante. Ce n'est pas seulement que la vieillesse se res­semble, c'est que les portraits étaient retouchés, toujours, et de telle façon que les particularités du visage, s'il en restait encore, étaient atténuées. Les visages étaient apprêtés de la même façon pour affronter l'éternité, ils étaient gommés, uniformément rajeunis. C'était ce que voulaient les gens. [...] Et cet air qu'avait ma mère dans la photographie de la robe rouge était le leur, c'était celui-là, noble, diraient certains, et certains autres, effacé.
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Marguerite Duras
Oh, je pourrais en faire un en quinze jours, des livres comme ça. J'ai cette vulgarité en moi, je l'ai. C'est une sorte de facilité que j'ai, que j'avais à l'école, vous savez, la même. Je peux torcher un livre en trois semaines, n'importe quoi. La Musica, qui s'est jouée dans le monde entier, elle est de cette veine-là.
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C'est ça l'écriture. C'est le train de l'écrit qui passe par votre corps. Le traverse. C'est de là qu'on part pour parler de ces émotions difficiles à dire, si étrangères et qui néanmoins, tout à coup, s'emparent de vous.
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M.Jo était l'enfant dérisoirement malhabile de cet homme inventif. Sa très grosse fortune n'avait qu'un héritier, et cet héritier n'avait pas une ombre d'imagination. C'était là le point faible de cette vie, le seul définitif, on ne spécule pas sur son enfant. On croit couver un petit aigle, et il vous sort de dessous le bureau un serin. Et qu'y faire ? Quel recours a-t-on contre ce sort injuste ?

(p.52)
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L'homme aurait été assis dans l'ombre du couloir face à la porte ouverte sur le dehors.
Il regarde une femme qui est couchée à quelques mètres de lui sur un chemin de pierres. Autour d'eux il y a un jardin qui tombe dans une déclivité brutale sur une plaine de larges vallonnements sans arbres, des champs qui bordent un fleuve. On voit le passage jusqu'au fleuve. Après, très loin, et jusqu'à l'horizon, il y a un espace indécis, une immensité toujours brumeuse qui pourrait être celle de la mer. [...]

Devant eux, les larges vallonnements immuables qui donnent sur le fleuve. Des nuages arrivent, ils avancent ensemble, se suivent à une lenteur régulière. Ils vont dans la direction de l'embouchure du fleuve vers l'immensité indéfinie. Leurs ombres ternes sont légères, sur les champs, sur le fleuve.
De la maison de la plate-forme ne parvient aucun bruit. [...]

Le soleil aurait été sur lui jusqu'à la ceinture. Je vois sa forme dans le couloir, elle est dans l'ombre, sans presque de couleurs. Sa tête est tombée sur le dossier du fauteuil. Je vois qu'il est exténué d'amour et de désir, qu'il est d'une extraordinaire pâleur et que son coeur bat à la surface de tout son corps. Je vois qu'il tremble. Je vois ce qu'il ne regarde pas et qui cependant se devine et se voit face au couloir, ces vallonnements si beaux avant le fleuve et cette immensité mauve toujours noyée de brume qui devrait être celle de la mer. La nudité de la plaine, la direction de la pluie qui devrait être celle de la mer. Et cet amour si fort. Je le sais, de cet amour si fort. La mer est ce que je ne vois pas. Je sais qu'elle est là au-delà du visible de l'homme et de la femme.

Il l'aurait regardée arriver vers lui la revenante du chemin de pierres.[...]

Au-delà d'eux je vois encore que c'est un pays sans arbres, un pays du nord. Que la mer devrait être étale et chaude. C'est une chaleur claire aux eaux décolorées. Il n'y a plus de nuages au-dessus des vallonnements, mais il y a toujours ce brouillard lointain. C'est un pays qui fuit devant soi, qui ne laisse pas de le voir et le voir encore, un mouvement où ne jamais s'arrêter, ne jamais connaître la fin. [...]

Je vois que la couleur violette arrive, qu'elle atteint l'embouchure du fleuve, que le ciel s'est couvert, qu'il est arrêté dans sa lente course vers l'immensité. Je vois que d'autres gens regardent, d'autres femmes, que d'autres femmes maintenant mortes ont regardé de même se faire et se défaire les moussons d'été devant des fleuves bordés de rizières sombres, face à des embouchures vastes et profondes. Je vois que de la couleur violette arrive un orage d'été.

Je vois que l'homme pleure couché sur la femme. Je ne vois rien d'elle que l'immobilité. Je l'ignore, je ne sais rien, je ne sais pas si elle dort.
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«  C’est drôle le bonheur, ça vient d’un seul coup comme la colère . »
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Marguerite Duras
À Trouville pourtant il y avait la plage, la mer, les immensités du ciel, de sables. Et c'était aussi , ici, la solitude. C'est à Trouville que j'ai regardé la mer jusqu'au rien.Trouville c'est la solitude de ma vie entière.
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ELLE : Je suis d'une moralité douteuse, tu sais.
(Elle sourit.)
LUI : Qu'est-ce que tu appelles être d'une moralité douteuse ?
(Ton très léger.)
ELLE : Douter de la morale des autres.
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J'écrivais tous les matins. Mais sans horaire aucun. Jamais. Sauf pour la cuisine. Je savais quand il fallait venir pour que ça bouille ou que ça ne brûle pas. Et pour les livres je le savais aussi. Je le jure. Je n'ai jamais menti dans un livre. Ni même dans ma vie. Sauf aux hommes. Jamais. Et ça parce que ma mère m'avait fait peur avec le mensonge qui tuait les enfants menteurs.
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Des pensées, un fourmillement, toutes également frappées de stérilité une fois la promenade terminée - aucune de ses pensées jamais n'a passé la porte de la maison - viennent à Lol V. Stein pendant qu'elle marche. On dirait que c'est le déplacement machinal de son corps qui les fait se lever toutes ensemble dans un mouvement désordonné, confus, généreux.
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Il va venir vers moi, il m'embrassera, il m'embrassera et je serai perdue.
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Dans le livre que je n'ai pas écrit, il n'y avait que toi.
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Marguerite Duras
La solitude, c'est ce sans quoi on ne fait rien. Ce sans quoi on ne regarde plus rien.

"Écrire"
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Marguerite Duras
Il restera la mer quand même, les océans... et puis la lecture.
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Tatiana, elle, s'inquiétait autrement que les autres à propos de Lol : qu'elle ait si bien recouvré la raison l'attristait. On ne devait jamais guérir tout à fait de la passion.
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Quand il y avait du monde j'étais à la fois moins seule et plus abandonnée.
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" Je crois que c'est ça que je reproche aux livres, en général, c'est qu'ils ne sont pas libres. On le voit à travers l'écriture : ils sont fabriqués, ils sont organisés, réglementés, conformes on dirait. Une fonction de révision que l'écrivain a très souvent envers lui-même. L'écrivain, alors il devient son propre flic. J'entends par là la recherche de la bonne forme, c'est-à-dire de la forme la plus courante, la plus claire et la plus inoffensive. Il y a encore des générations mortes qui font des livres pudibonds. Même des jeunes : des livres "charmants", sans prolongement aucun, sans nuit. Sans silence. Autrement dit : sans véritable auteur. Des livres de jour, de passe-temps, de voyage. Mais pas des livres qui s'incrustent dans la pensée et qui disent le deuil noir de toute vie, le lieu commun de toute pensée. "
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