Citations de Marguerite Duras (2401)
La faim n'empêche pas les enfants de jouer.
(p.26)
« Ma vie est un film doublé, mal monté, mal interprété , mal ajusté , une erreur , en somme » .
Le livre fait ce miracle que très vite ce qui a été écrit a été vécu.
C'est donc pendant la traversée d'un bras du Mékong sur le bac qui est entre Vinhlong et Sadec dans la grande plaine de boue et de riz du sud de la Cochinchine, celle des Oiseaux.
Je descends du car. Je vais au bastingage. Je regarde le fleuve. Ma mère me dit quelquefois que jamais, de ma vie entière, je ne reverrai des fleuves aussi beaux que ceux-là, aussi grands, aussi sauvages, le Mékong et ses bras qui descendent vers les océans, ces territoires d'eau qui vont aller disparaître dans les cavités des océans. Dans la platitude à perte de vue, ces fleuves, ils vont vite, ils versent comme si la terre penchait.
Cette maison, c'est un lieu de solitude, pourtant elle donne sur une rue, sur une place, sur un vieil étang, sur le groupe scolaire du village. Quand l'étang est glacé, il y a des enfants qui viennent patiner et qui m'empêchent de travailler. Je les laisse faire, ces enfants. Je les surveille. Toutes les femmes qui ont eu des enfants surveillent ces enfants-là, désobéissants, fous, comme tous les enfants. Mais quelle peur, chaque fois, la pire. Et quel amour.
Que le monde aille à sa perte, c'est la seule politique.
"[...] même l'amour d'un chien, c'est sacré. Et on a ce droit-là - aussi sacré que celui de vivre - de n'avoir à en rendre compte à personne."
Un jour, j'étais âgée déjà, dans le hall d'un lieu public, un homme est venu vers moi. Il s'est fait connaître et il m' a dit : " je vous connais depuis toujours. Tout le monde dit que vous étiez belle lorsque vous étiez jeune, je suis venu pour vous dire que pour moi je vous trouve plus belle maintenant que lorsque vous étiez jeune, j'aimais moins votre visage de jeune femme que celui que vous avez maintenant, dévasté."
Le lendemain est là. Tatiana habillée d'une peau d'or embaume l'ambre, maintenant, le présent, le seul présent, qui tournoie, tournoie dans la poussière et qui se pose enfin dans le cri, le doux cri aux ailes brisées dont la fêlure n'est perceptible qu'à Lol V. Stein.
- Dieu ! Dix ans que je ne t'ai pas vue, Lola.
- Dix ans, en effet, Tatiana.
Elle. Hélène L. Hélène Lagonelle. Elle fera finalement ce que sa mère voudra. Elle est beaucoup plus belle que moi, que celle-ci au chapeau de clown, chaussée de lamé, infiniment plus mariable qu'elle, Hélène lagonelle, elle, on peut la marier, l'établir dans la conjugalité, l'effrayer, lui expliquer ce qui lui fait peu et qu'elle ne comprend pas, lui ordonner de rester là, d'attendre.
Hélène lagonelle, elle, elle ne sait pas encore ce que je sais. Elle, elle a pourtant dix-sept ans. C'est comme si je le devinais, elle ne saura jamais ce que je sais.
Son héroïsme c'est moi, sa servilité c'est l'argent de son père.
On se rencontre partout dans le monde. Ce qui importe, c'est ce qui s'ensuit de ces rencontres quotidiennes.
Elle me regarde, elle dit : peut-être que toi tu vas t’en tirer. De jour et de nuit, l’idée fixe. Ce n’est pas qu’il faut arriver à quelque chose, c’est qu’il faut sortir de là ou l’on est.
Que cachait cette revenante tranquille d'un amour si grand, si fort, disait-on, qu'elle en avait comme perdu la raison ?
Les oiseaux, c'est comme l'amour, ça a toujours existé. Toutes les espèces disparaissent, mais pas les oiseaux. Comme l'amour.
"...Abominable...un enfant qui refuse de vivre. Il n'y a rien de pire."
Ecrire quand même malgré le désespoir. Non : avec le désespoir.
Comment me serais je doutée que cette ville était faite
à la taille de l´amour ?
Comment me serais je doutée que tu étais fait
à la taille de mon corps même ?
Tu me plais. Quel événement. Tu me plais.
Quelle lenteur tout à coup.
Quelle douceur.
Tu ne peux pas savoir.
Tu me tues.
Tu me fais du bien.
J´ai le temps.
Je t´en prie.
Dévore-moi.
Pourquoi pas toi ?
Pourquoi pas toi dans cette ville et dans cette nuit pareille
aux autres au point de s´y méprendre ?
Je t´en prie…
Il était venu.
C'était lui, à l'arrière, cette forme à peine visible, terrassée.
Elle, elle était accoudée au bastingage comme la première fois sur le bac.
Elle savait qu'il la regardait.
Elle le regardait, elle aussi.
Elle ne le voyait plus mais elle regardait encore....
- Je n'ai jamais attendu autant ce jour où il ne se passera rien.
- Nous allons vers quelque chose. Même s'il ne se passe rien nous avançons vers quelque but.
- Lequel !
- Je ne sais pas. Je ne sais quelque chose que sur l'immobilité de la vie. Donc lorsque celle-ci se brise, je sais. [...]
Elle s'endort.
Sa main s'endort avec elle, posée sur le sable. Je joue avec son alliance. Dessous la chair est plus claire, fine, comme celle d'une cicatrice.