AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Paul Greveillac (134)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées


L'étau

En 1997, à Prague, une enseignante est vilipendée par des étudiants gauchistes qui, exhumant une photo de son père sur un panzer, manifestent pour exclure les « nazis » de l'université. Nad'a, aidé par son frère Andel, enquête alors sur leur passé familial et sur Fermak dont leur père était PDG durant la guerre.



Cette société Fermak, fondée par Viktor Jelinek et Viktor Ferman, est présente dans « Art Nouveau » le précédent roman de Paul Greveillac, à l'orée du siècle, quand l'usine « Europa » sort de terre… Nous la retrouvons ici, dans les années folles de l'entre guerres, et il est évident que Fermak c'est le masque de SKODA fondée par Vaclav Klement et Vaclav Laurin.



C'est l'époque où l'aviation civile décolle, où Guillaumet, Mermoz, Saint Exupéry développent l'Aéropostale, où Nungesser et Coli disparaissent, le 9 mai 1927, en essayant de traverser l'Atlantique, 12 jours avant que Charles Lindberg emporte le prix Orteig en volant de New York à Paris … la veille de la tentative de l'Alkonost conçu par Fermak.



Les fondateurs de Fermak / Skoda, laissent alors « Le Pape », brillant ingénieur, assumer la direction de l'entreprise, alors que la Tchécoslovaquie se désagrège sous les pressions du III Reich, et que la compagnie et ses produits (automobiles, avions, motos, side-cars) sont courtisés par la Wehrmacht qui lui commande des matériels.



L'étau se met alors en place et l'auteur se focalise plus particulièrement sur ses mâchoires, nazis et collaborateurs, qui serrent progressivement Fermak pour l'asservir au profit du Reich et produire des blindés. Reinhard Heydrich devient vice-gouverneur de Bohéme-Moravie jusqu'à son exécution le 4 juin 1942 par un commando parachuté par la RAF. Progressivement des prisonniers capturés sur le front de l'est sont mis en esclavage chez Fermak et les avions alliés ciblent l'usine pour annihiler son potentiel.



Quelle attitude adoptent, au fil des mois, les dirigeants, les ingénieurs, les travailleurs, les déportés de Fermak ? Paul Greveillac décrit les positions, les nuances, les évolutions, les dits et non dits, des mors et des condamnés à mort. Les frontières entre collabos et résistants sont poreuses ; les postures souvent mensongères car passer aux yeux des allemands pour un fidèle collaborateur aiguille vers des zones sensibles indispensables à la résistance …



L'originalité de ce récit est de se focaliser plus sur les salauds que sur les héros, sur les compromissions, sur les lâchetés, et ce dans un pays qui après le nazisme eut à subir le communisme sans jamais réécrire son histoire, sans juger les coupables ni réhabiliter vraiment les victimes des procès de Prague.



L'histoire est frôlée par les ombres rappelle l'auteur qui n'est pas dupe : accuser Fermak / Skoda de collaboration facilite sa nationalisation en 1945. Une étatisation synchrone à celle du groupe Renault, suite à l'inculpation et au décès de son fondateur en octobre 1944… En refermant ce livre, se pose la question : aujourd'hui dans quel étau serait pris un petit fils de Louis Renault à l'université de Nanterre ou de Vincennes ?



Un excellent roman où l'auteur oppose René Bondoux à Reinhard Heydrich dans une extraordinaire « Phrase d'armes ».



PS : ma lecture de « Phrase d'armes » :
Commenter  J’apprécie          1052
Art Nouveau

°°° Rentrée littéraire 2020 #23 °°°



Les premières pages m’ont happée d’emblée tant j’ai été sous le charme de l’écriture superbe de Paul Greveillac, à la fois classique par sa structure et ses procédés, que moderne par son travail sur la ponctuation et le rythme. L’auteur prend tout son temps pour installer minutieusement son récit, cadre et personnages, ce qui immerge aisément le lecteur dans la Budapest de la fin du XIXème siècle.



Ce roman ample et riche retrace le destin de Lajos Ligeti, jeune juif viennois, apprenti architecte, débarquant à Budapest chez un vieil oncle misérable, plein de rêves, d’ambition et d’audace, lui qui a osé fuir le confort de la pharmacie familiale pour imposer ses projets architecturaux visionnaires, sans contact ni argent. Assez rapidement, on pense fort à Balzac ou Maupassant dans la façon remarquable qu’à l’auteur de raconter le destin de ce jeune ambitieux avec force de détails, de reconstitutions urbaines ou de descriptions physiques et morales aiguisées. Espoirs, ascension, gloire, déchéance, on devine assez vite le schéma classique que suivra son personnage.



Malgré ces grandes qualités, j’ai cependant été moins enthousiasmée par la deuxième partie du livre, lorsque Lajos Ligeti a fait sa place dans un cabinet d’architecte en vue, comme si les chapitres perdaient en richesse romanesque une fois les présentations faites. Peut-être que les longues descriptions architecturales ainsi que les enjeux autour des concours urbanistes m’ont un peu assoupie, même si les personnages sont au prise avec des sentiments forts de jalousie, rivalité et orgueil. Je me suis ennuyée. Peut-être également que j’aurais aimé que l’arrière-plan historique passionnant d’un empire austro-hongrois sur la fin, avec son pluralisme ethnique et la montée de l’antisémitisme soit plus approfondi.



Il m’a manqué assurément de vibrer, l’émotion n’a jamais vraiment jailli lors de cette lecture, ou trop peu, par exemple lorsque est évoqué l’oncle serrurier chez qui Lajos vivra les premières années : sa tristesse, son fatalisme, son amour intérieur pour son neveu en font un superbe personnage, à la père Goriot.



Il n’empêche que ce roman parle juste et intelligent lorsqu’il explore la question de l’art comme représentation de la société, mettant en avant l’opposition frontale et douloureuse entre le temps long de transformation d’une société hongroise marquée par l’inertie et l’instantanéité de la pensée fulgurante de l’artiste impatient, ici l’architecte, qui doit accepter d’être d’abord un sujet avant de devenir un acteur. Cette tension fondamentale et quasi philosophique transparait de façon limpide sous la plume de Paul Greveillac.



Lu dans le cadre des Explorateurs de la rentrée 2020 Lecteurs.com

Commenter  J’apprécie          10411
Phrase d'armes

René Bondoux, avocat méconnu, a l'honneur d'être cité 3 fois (pages 348, 349, 352) par Jean-Christophe Notin dans « Les vaincus seront les vainqueurs » au chapitre « Ach ! il y a aussi les français ! », où l'on lit que le Général de Lattre de Tassigny est accompagné par son son chef d'état major et son chef de cabinet lors de la signature de la capitulation allemande à Berlin, la nuit du 8-9 mai 1945.



Fleurettiste, champion olympique aux JO de Los Angeles en 1932, médaille d'argent aux JO de Berlin en 1936, René retrouve par hasard en 1937 à Paris, Virginia Mitchel, qu'il avait croisé lors d'une réception à Los Angeles cinq ans plus tôt … Mariage aux USA le 20 aout 1938, voyage de noces, retour juste à temps pour être mobilisé, puis démobilisé lors des accords de Munich.



En 1939, c'est la guerre, René est fait prisonnier et interné en Allemagne, Virginia et leur bébé filent aux USA, René bénéficie d'un libération médicale, habilement négociée par son père avec la complicité de quelques médecins amis de la famille, part vers l'Espagne en prétextant une plaidoirie dans le midi, passe par la case prison, puis en Afrique du Nord où il rejoint l'armée.



Débarqué en Provence, son unité, le 2e régiment de dragons, enrôle Bernard de Lattre de Tassigny, le fils du Général. le jeune garçon (16 ans) est sérieusement blessé à Autun, le 8 aout 1944, hospitalisé au Val de Grace, il s'échappe et rejoint le front … le Général profite de l'occasion pour déjeuner avec René Bondoux, et observe qu'un avocat, connaissant l'anglais, marié à une américaine et pratiquant le small talk , pourrait être un atout pour lubrifier une relation parfois tumultueuse avec l'US Army. Il en fait son chef de cabinet.



Lors de la traversée du Rhin, le Commandant Bondoux plaide pour que les américains laissent passer une partie de notre armée, négocie quelques rectifications de zones avec eux, puis décolle avec le Général le 8 mai vers Berlin, et rédige l'ébauche du discours que de Lattre prononce dans la nuit du 8 mai à Berlin lors des toasts échangés avec les vainqueurs.



Quel roman que ma vie, a peut-être dit René Bondoux en paraphrasant Napoléon à Saint Hélène … défi que Paul Greveillac relève avec talent. Phrase d'armes, avec son titre accrocheur, enchaine les actions avec les anecdotes et offre une véritable épopée.



Beaucoup de camarades de René Bondoux n'ont pas captivé les lecteurs avec leurs mémoires, et notamment le Lieutenant Jean-Claude Servan Schreiber, qui partage l'honneur d'être cité 3 fois (pages 111, 167, 178) par Jean-Christophe Notin, dont « Tête haute : Souvenirs » ne trouva pas son lectorat et incita Andreï Makine à publier « Le pays du lieutenant Schreiber » pour rendre leur vraie densité aux mots qu'on n'ose plus prononcer : héroïsme, sacrifice, honneur, patrie…



Paul Greveillac, avec son style épuré, dans un découpage cinématographique, restitue superbement René Bondoux, ses silences et son petit sourire en coin, qui ont séduit Virginia un soir de fête foraine en 1932, et le lecteur en 2023.



PS : le pays du lieutenant Schreiber
Lien : https://www.babelio.com/livr..
Commenter  J’apprécie          883
Maîtres et Esclaves

Tian Kewei, fils de paysans moyen-riches, est repéré par le chef des gardes rouges qui, après la famine liée au Grand Bond en avant, sévissent dans son village. Laissant sa famille et l'Himalaya pour rejoindre les Beaux-Arts de Pékin, le jeune artiste talentueux va connaître un destin exceptionnel.



Comme dans tout bon régime autocratique dans la République Populaire de Chine, fondée par Mao Tse Toung en 1949, règne l'arbitraire, la délation, la corruption, les exécutions sommaires, les tortures, qui broient l'individu et réduisent sa marche de manoeuvre à peu de chose. Un monde où soumission et compromission permettent à certains comme Kewei, peintre paysan devenu peintre du régime pendant la révolution culturelle, de passer du statut d'esclave à celui de membre du Parti, en participant à l’édification de l’art prolétaire dévoué tout entier au régime.



Après un début difficile (un style trop alambiqué à mon goût) j'ai aimé l'histoire de Tian qui rappelle, avec réalisme et poésie, la terrible mise au pas des Chinois par Mao Tse Toung. L'application d'une idéologie à l'origine de la « rééducation » et la mort de paysans — affamés par la collectivisation — et de citoyens soupçonnés d'être des « droitiers ».



Inutile de dire que les victimes ont été multiples, comme pendant la révolution, nommée assez ironiquement culturelle qui en 1966, avec les gardes rouges, a consolidé le pouvoir de Mao, en éliminant des milliers d'intellectuels, élites et cadres du Parti. Une violence à laquelle l'État chinois n'a pas renoncé, comme l'attestent les événements de la place Tian'anmen.



Assurément, un roman d'un grand intérêt pour qui veut tenter de comprendre un pays qui n'a pas fini de nous étonner.

 
Commenter  J’apprécie          874
Art Nouveau

La frustration de l’architecte.

Ancien traumatisé du rapporteur, perforateur en série de papier millimétré, lanceur de compas repenti, j’ai néanmoins accepté de lire ce roman de bâtisseur pour une masse critique. Merci à Babelio pour cette thérapie.

Des plans plein la tête, crac du croquis, Lajos Ligeti, jeune édificateur viennois, s’installe à Budapest à la fin du 19 ème siècle pour donner corps à ses visions monumentales. Passer du coup de crayon au coup de truelle.

La ville est en chantier, son apprentissage, aussi. Il intègre un cabinet dirigé par deux personnages qui rejoignent ici la fiction après avoir fréquenté la réalité. Il s’agit de l'architecte célèbre Ödon Lechner, génie à l’origine du style national hongrois qui associa l’Art Nouveau à des techniques Magyares et de son associé, Gyula Partos, autre pionnier du style « Sécession Hongroise » de l’époque. C’était le paragraphe Wikipédia, trousse de l’architecte de ces mots dont les seules constructions notables furent d’éphémères cabanes buissonnières dans ses jeunes années. Créateur incompris.

Trop indépendant pour s’encombrer de pygmalions, Lajos Ligeti découvre que la réussite ne passe pas uniquement par la planche à dessin. Il doit apprendre à louvoyer, séduire des promoteurs, convaincre les donneurs d’ordre, pactiser avec des financiers. La concurrence est féroce, les déconvenues sont la règle, les projets qui se concrétisent l’exception.

Lajos Ligeti va connaître le succès et l’échec, l’amour et la solitude, la reconnaissance et la déchéance, dans une Europe qui prépare le pire. Son obsession de bâtisseur le rend aveugle au frimas de sa vie et de l’histoire. Un comble pour un visionnaire.

Paul Greveillac dresse un portrait très intéressant de cette époque de transition faite d’imagination et d'audace. Il va mettre sur la route de son héros le compositeur Bartok et le peintre Schiele, dans des rencontres trop fugaces, mais aussi des escrocs, des industriels et des inventeurs. La grande guerre signera hélas la fin des géniales fantaisies de l’Art Nouveau.

La prose de l’auteur est très soignée, d’une rare élégance mais je n’ai hélas pas réussi à m’attacher au personnage, à ressentir pour lui une quelconque empathie. Difficile de se laisser subjuguer par un roman quand le sort du héros indiffère. Impossible de le plaindre quand le mauvais sort s’acharne. J'ai ressenti plus d'émotions pour les autres personnages, moins présents mais plus carnés.

Obnubilé par son travail, le héros souffre d’une carence d’humanité. Il délaisse une épouse qui fut sa muse, se préoccupe peu de son enfant, s'éloigne de ses parents, néglige l’amitié et les avis de son associé et maître d’œuvre. Lajos n'est porté que par son œuvre et la trace qu’il souhaite laisser au monde. Seules ses frustrations et son ambition portent son sang à ébullition.

J’ai donc vécu ce roman comme un tableau doté d'un joli cadre et de beaux paysages mais dont le personnage central aurait été peint sans visage. Une nature un peu trop morte pour moi.

Commenter  J’apprécie          800
Art Nouveau

En 1896, le jeune Autrichien Lajos Ligeti, passionné d’architecture, quitte la majestueuse Vienne pour la bouillonnante Budapest, alors en pleine fièvre bâtisseuse. Apprenti au sein d’un grand cabinet d’architectes, il découvre les réalités du métier : la difficulté de séduire commanditaires et maîtres d’oeuvre, les rivalités et les manœuvres déloyales des concurrents, la nécessité de louvoyer et de pactiser avec les puissants … Il lui faudra des trésors de détermination pour percer et imposer son style, au cours d’une carrière qui lui fera connaître grandeur et décadence.





Classique et soigné, le récit ressuscite de façon vivante et crédible l’atmosphère optimiste et insouciante de la Belle Epoque, ces quatre décennies de paix qui ont favorisé la croissance économique et d’extraordinaires progrès techniques. Vienne, alors considérée comme l’une des plus splendides capitales d’Europe, affirme son prestige au travers d’une architecture devenue reine des arts, réinventée dans de nouveaux développements décoratifs en rupture avec l’académisme. Budapest, la seconde capitale dédaignée de l’Empire austro-hongrois, ville en profonde transformation, cherche à renforcer son identité nationale, et trouve également dans l’Art Nouveau un symbole de son affirmation et de son émancipation.





Dans cet âge d’or où se multiplient les grands chantiers publics, de nombreux architectes autrichiens et hongrois acquièrent une renommée internationale. Au milieu de ces personnages réels, l’auteur a imaginé l’apprentissage d’un jeune homme passionné et idéaliste, qui va tout sacrifier à son art. Et c’est presque dommage, tant la restitution soignée du cadre historique et le récit aux allures de biographie appelaient à la résurrection d’un de ces hommes aujourd’hui presque oubliés, plutôt qu’à l’invention romanesque d’un héros au final bien moins crédible et consistant que le riche univers pour lui si précisément recréé. Lajos Ligeti, peint dans son unique obsession professionnelle, manque globalement d’âme et d’émotions pour réellement s’incarner et convaincre.





Au bémol près de son personnage central un peu trop monolithique pour être à la hauteur du reste du roman, Art Nouveau restitue, avec force détails fascinants, un moment particulier de l’Histoire qui permit, en Europe Centrale bien plus qu’ailleurs, le bref fleurissement d’un art moderne et réformateur.


Lien : https://leslecturesdecanneti..
Commenter  J’apprécie          792
Art Nouveau

Quel bonheur de visiter Budapest, sur les pas de Lajos et Katarzyna Ligeti, et de remonter le temps jusqu’à ces années charnières 1894-1913, où les progrès techniques ouvrent aux architectes de nouvelles perspectives.

Louis Vicat invente, dès 1818 en France, le ciment artificiel que l’anglais Joseph Aspdin brevette en 1824 avec son « ciment Portland ». D’abord employé dans des ouvrages d’art, ce matériau prend progressivement ses lettres de noblesse et l’architecte Anatole de Baudot conçoit l’église Saint Jean de Montmartre (1894-1904).

Budapest est alors le vaste chantier d’une capitale qui rivalise avec Vienne et louche vers Londres et Paris. L’architecte Ödön Lechner se donne pour objectif de créer un style national hongrois et de bousculer le clacissisme d’Ignác Alpár. En Europe Auguste Perret et Le Corbusier posent leurs premières fondations.

Dans ce tourbillon culturel, social et politique, Bella Bartok compose à Budapest et Adolf Hitler vend ses premiers tableaux à Vienne.

Les automobiles prennent la route, les avions décollent, les usines poussent et croissent, des industriels bâtissent des phalanstères inspirés des théories de Fourier ainsi à Guise, Jean-Baptiste Godin bâtit un familistère à proximité de son usine de poêles.

C’est dans ce décor que Paul Greveillac crée Lajos Ligeti, architecte ambitieux, d’origine ashkénaze, qui part conquérir Budapest, via un détour à Paris pour élever une église, et dessine l’ambitieux projet Europa, pour loger les salariés d’un constructeur automobile.

Rédigé d’une plume élégante et enseignante, ce roman débute comme un conte de fées, mais s’embourbe dans le chantier Europa et les ornières creusées par des concurrents ou des collègues jaloux, voire rivaux, et Lajos se noie progressivement mais inexorablement.

Mais il est vrai que, le mieux étant l’ennemi du bien, un architecte qui ne respecte pas les délais et dérive dans les budgets, ne peut durablement être respecté par ses prospects ou clients.

Lorsque Lajos est mis sur la touche par son associé, qui a les pieds sur terre a défaut d’avoir le moindre talent artistique, il se révèle incapable de rebondir et dérive sur le plan familial et professionnel.

L’auteur semble ne pas croire en son héros qu’il laisse se noyer dans l’alcool et la dépression et l’intrigue fluctuant entre fiction et réalité égare le lecteur dans un univers de bric et de broc.

D’où une certaine déception en ce qui me concerne bien que j’aie apprécié le tableau de l’empire austro-hongrois riche d’une multitude de nations aux rêves hétérogènes et aimé cette esquisse d’un « Art nouveau ».



PS : je préfère nettement Phrase d'armes
Lien : https://www.babelio.com/livr..
Commenter  J’apprécie          784
Maîtres et Esclaves

Une découverte impromptue, époustouflante, au fil des flâneries de cette rentrée littéraire, et je n'ai pas résisté à ce roman, mettant en scène la Chine des années 50,avec au centre l'enfance et l'existence d'un paysan-peintre, Kewei...





Son propre père, paysan était doué et passionné par la peinture... Il eut une

existence terrible car il n'était pas assez docile avec le nouveau régime

de Mao...mais il aima son fils, lui transmis ce qu'il pût... car même sa

femme trouvait que c'était un malheur , une fatalité que leur fils aime

dessiner comme son père !!



"Xi Yan répondait que ça ne servait à rien, l'école , qu'on n'y enseignait pas comment devenir un bon paysan. Yongmin regardait tristement son fils. Il pensait au contraire que l'éducation était importante. Qu'il fallait que son fils apprît à lire et à écrire. Pour mieux savoir peindre et atteindre à la "Triple perfection "- alliage de la peinture, de la calligraphie et de la poésie". (p. 43)





Un roman d'une grande force dramatique et documentaire sur la longue période de bouleversements et de terreur distillée par Le Grand timonier, des années 50 aux années 70...



Cette histoire ne peut que marquer les lecteurs tellement elle est terrible, sans la moindre ouverture vers un ailleurs !!! Le périple de cet enfant de paysan doué pour le dessin nous prend "aux tripes " !...

Il parviendra à survivre juste grâce à ses dons, mais il ne connaîtra jamais la liberté, ni la possibilité de gouverner son destin !



Cette année particulièrement... j'ai lu plusieurs textes sur la Chine, le régime de Mao, la politique de l'enfant unique... mais celui-ci, écrit par un écrivain français est un véritable uppercut ...

Nous , lecteurs, avons froid dans le dos... de lire cette surabondance de barbaries, d'exactions provoquées par un parti ou un système politique, qui s'érigent en "Vérité unique" , pendant de si longues années !!...



Au nom d'une seule idéologie, tout est permis pour annihiler la liberté de penser... de chaque Chinois !! Très peu de livres en dehors du Petit livre rouge, qu'il faut savoir par cœur... sans parler de l'art qui ne sert qu'à célébrer le culte de la personnalité de Mao...



Très égoïstement, en parcourant ces destinées individuelles broyées par un système, nous ne pouvons que louer d'être né dans un pays démocratique, où les individus sont libres, et possédant un minimum de droits !



L'impression d'étouffer dans cette toile d'araignée, cette propagande constante du grand timonier, du soir au matin... qui dénie tout libre- arbitre à son peuple. Notre peintre-paysan n'a pas le moindre choix. Il opte pour le moindre mal... Il obéit en évitant de réfléchir, juste pour "sauver sa peau" !!!...



Un roman d'une très grande densité... impossible à oublier. Même si j'ai infiniment apprécié, je serai contente, après cette lecture, de me plonger dans un univers plus léger!!!



Notre héros ou anti-héros, Kewei, au fil d'années de souffrances, humiliations, vexations, dressages intensifs, parviendra grâce à sa docilité et ses talents de peintre ,au sommet du Parti; Cela sera à son tour de juger, rejeter , réprouver ou censurer telle ou telle oeuvre !!.



Comme il arrive dans des circonstances extrêmes... Les victimes deviennent à leur tour des bourreaux... Kewei... n'en arrivera pas là, et encore...la propagande maoïste, la peur et parfois la terreur, la misère...le broiera, lui fera oublier l'indépendance et la bienveillance contre-révolutionnaire de son père paysan-peintre, "moyen-riche"...Pour atteindre les honneurs et la considération sociale, plus de sentiments, ni de réactions aux injustices...Un individu, talentueux, brisé par un système totalitaire...



Et quelle sombre ironie que ces termes proclamés à chaque instant du quotidien des chinois , pendant de longues années: cette fatidique "Révolution culturelle prolétarienne", qui assujettira tout un peuple, et massacrera la culture à coups de censure , d'embrigadement, de morts et d'emprisonnements... ...sous le joug d'un seul homme , Mao Zedong !!



"Kewei, dans Pékin, vaquait désormais avec l'assurance de qui est devenu intouchable. Du statut d'exécutant, il avait accédé à celui de mandataire. Il avait partout l'illusion de s'être extirpé de sa condition de subalterne. Et partout, il le montrait... Sommes-nous maîtres de nos destins, esclaves de nos egos ? Maîtres de nos rêves, esclaves de ce qui les concrétise ?

Le printemps ne réchauffait pas encore le monde dans ses paumes que Kewei, dans la foulée de son acceptation au Parti, intégrait déjà le département de la Propagande. (...)

mais ici, on ne peignait pas. On décidait ce qu'il fallait peindre. Ici, on gouvernait l'art. "(p. 299)



Bravo à l'auteur... le style, les multiples informations, les personnages bien campés, et attachants, la poésie lorsqu'il est question de la beauté, de la peinture, de la nature ou de l'enfance...etc. On peut également "saluer" la connaissance très approfondie de l'auteur pour son sujet ...



Inutile de préciser mon grand intérêt pour ce roman, vu l'abondance des citations déjà transmises , et encore, ...en me freinant...!!



Je reste très curieuse des écrits et des thématiques de cet écrivain, auquel

je trouve un talent certain et des sujets passionnants , "compacts"... comme la censure, la perte de liberté, la culture enrégimentée... Je pense que ma prochaîne lecture sera "les âmes rouges" , sur la période post-stalinienne, où la censure sévit sur la culture , et plus spécialement sur le Cinéma et la Littérature ! "Les âmes rouges" sont parallèlement, à la fois une ode à l'Amitié et à la dissidence !!...



Des sujets brûlants et universels...
Commenter  J’apprécie          7710
Phrase d'armes

« Phrase d’armes : désigne en escrime l’enchaînement des actions réalisées lors d’un assaut. »



Jusqu’à la lecture de « Phrase d’armes », René Bondoux m’était totalement inconnu. Quant à l’auteur de ce roman, Paul Greveillac, je ne m’étais jamais penchée sur un de ses romans. La dernière masse critique m’a ainsi permis de découvrir l’histoire de ce fleurettiste de talent dont la vie aura été étroitement liée aux grands évènements du 20ème siècle ainsi que l’écriture et le style de Pierre Greveillac. Je tiens à remercier les Editions Gallimard ainsi que l’équipe de Babelio pour cette intéressante découverte. Ce titre a d’autant plus suscité ma curiosité que mon petit-fils de onze ans pratique l’escrime et qu’il est classé sur le plan national dans sa catégorie.



René Bondoux est né en 1905. Il se destine à la profession d’avocat. Homme du monde, issu d’une famille proche des Doumer, nous faisons sa connaissance sur le pont du Lafayette en route pour New York. Champion d’escrime, fleurettiste reconnu, il a intégré l’Equipe de France. Il est en route pour les Jeux Olympiques de Los Angeles en compagnie des athlètes français.



Il reviendra de ces Jeux Olympiques de Los Angeles en 1932 avec une médaille d’or.



Les années 30 voient sa renommé d’avocat s’établir. Il est à noter qu’il deviendra, dans les années soixante, Premier Secrétaire de la Conférence et Bâtonnier de France.



Le travail ne manque pas dans cette période où la France va très mal. Il y a aussi cet épisode Stavisky qui cristallise les rancœurs. Les affaires se succèdent pendant que l’état de l’Europe se dégrade. René trouve son rythme de travail, « ses trois-huit ». Seize heures de boulot pour huit heures d’escrime et de sommeil.



Berlin 1936, nous retrouvons René Bondoux, défilant avec l’Equipe de France pour la cérémonie d’ouverture devant Hitler. Mais voilà que les athlètes olympiques français font le salut olympique, « le salut de Joinville », que le public allemand confond avec le salut nazi. C’est un déferlement de hourras qui se produit. Cet incident regrettable voire tragique servira la propagande nazie. Dans cette atmosphère oppressante, René est de plus en plus mal. Ses résultats vont s’en ressentir. L’Equipe reviendra avec une médaille d’argent des JO de Berlin en 1936.



Il croise, à Paris, Virginia Mitchel, la fille de ses hôtes américains à Los Angeles dont il tombe amoureux, Un mariage s’en suit. Malheureusement, la seconde guerre mondiale éclate. Il se retrouve mobilisé. Prisonnier sur les plages de Dunkerque, Il s’évade. René Bondoux est plutôt un légaliste eu égard à sa profession mais ses valeurs humanistes vont le pousser à chercher à rejoindre Londres.



On le retrouve prisonnier dans les cellules de Franco, de Figueras à Gérone. Il fait jouer ses connaissances espagnoles notamment un Gouverneur de Franco. Sa lettre passe la censure et il n’est pas très loin de la libération. Malgré les difficultés qui se dressent devant lui, il parvient enfin à embarquer en décembre 1943 sur Le Gouverneur Général Lépine pour l’Afrique du Nord battant pavillon de la Croix-Rouge. Casablanca, Alger, il rencontre Pierre-Mendès France, Joseph Kessel. Retour à Sig au 2éme dragon, où sont débarqués les chars d’assaut. Capitaine au deuxième dragon, sa division est incorporée à la Division Leclerc. Remarqué par le Général De Lattre de Tassigny, Il devient son chef de cabinet. Il débarquera en Provence et sera présent à la capitulation de l’Allemagne nazie à Berlin.



J’ai beaucoup aimé me plonger dans la vie de René Bondoux. J’ai vibré aux Jeux Olympiques de Los Angeles, souffert aux Jeux Olympiques de Berlin, palpité avec lui afin de pouvoir rejoindre De Gaulle, découvert le portrait intéressant du Maréchal De Lattre de Tassigny et les coulisses de la capitulation allemande en 45 à Berlin où l’opiniâtre De Lattre de Tassigny finira par imposer la présence de la France mais je n’en sais pas plus sur la personnalité profonde de René Bondoux. Paul Greveillac jette un coup de projecteur sur la destinée de René Bondoux. Il relate les périodes les plus exceptionnelles, rend hommage à un homme discret qu’il fait sortir de l’ombre tout en restant concentré sur les évènements. J'ai regretté cette mise à distance quant à la personnalité de René, cela donne une sensation d’incomplétude mais peut-être ne pouvait-il faire autrement par manque d'éléments.



L’auteur a eu accès aux archives de René Bondoux ainsi qu’aux mémoires du Maréchal De Lattre de Tassigny. Le style est moderne, rythmé. Il ne présente pas d’intérêt particulier. Par contre, Paul Greveillac sait voir immédiatement le côté humoristique de chaque situation, Il en joue très bien et c’est avec plaisir que j’ai pu savourer son ironie. La malice qui en découle permet une lecture détente tout en abordant avec sérieux ce qui se déroule dans les coulisses de l’Histoire. L’atmosphère des JO de 1936 est oppressante ce qui n’est pas sans rappeler certains aspects de notre société d’aujourd’hui.



Je ne connaissais pas du tout si ce n’est que de nom, Paul Greveillac. Ce jeune auteur de quarante deux ans m’aura fait passer un excellent moment de lecture avec « Phrase d’armes ». Je ne me suis jamais ennuyée et j’ai été tenue en haleine de la première à la dernière page !



J’ai trouvé ce lien : « René Bondoux raconte la signature de la capitulation allemande le 8 mai 1945 » article du Figaro.

Commenter  J’apprécie          7017
Phrase d'armes

Il est avocat, et chose pas si fréquente, champion de fleuret. Il s'appelle René Bondoux. Aux Jeux olympiques de 1932 à Los Angeles, les fleurettistes français décrochent la médaille d'or. Mais René n'a pas été le plus brillant de l'équipe. Trop de soucis à cause du procès de Gorgulov, l'assassin du président Doumer, dont il n'a pas eu la défense qui aurait fait décoller sa carrière. Ou peut-être plus prosaïquement parce qu'il pense à la jeune Virginia qu'il a rencontrée dans un de ces dîners mondains, où les athlètes français fument, et boivent du vin en pleine prohibition.



À Berlin en 1936, c'est une autre paire de manches. Hitler et ses sbires sont aux manettes et les athlètes français ne sont pas à l'aise (un euphémisme). D'ailleurs Léon Blum n'a autorisé leur participation qu'à reculons. Cette fois-ci les escrimeurs finissent en seconde place. Un résultat déprimant. À l'image de ce qu'ils ont pu voir à Berlin et leur fait craindre la suite des événements. Et ils n'ont pas tort. Déjà se profile la guerre, bientôt suivie de l'armistice.



Entre-temps René s'est marié avec son Américaine, dont il a eu un fils. Mais René ne peut accepter de ne pas résister à l'ennemi. Sa femme et son fils attendront en Amérique, c'est plus sûr. Mais d'abord c'est la captivité qui attend René. La suite, je vous laisse la découvrir, espérant que cette histoire vous plaira autant qu'à moi. Car, sans aucun doute, René Bondoux méritait bien cette sortie de l'ombre, historique, romanesque et pleine d'ironie réalisée par un Paul Greveillac décidément plein de ressources…



Merci à Babelio et aux Éditions Gallimard pour cette lecture plaisante qui m'a donné l'occasion d'écrire cette millième critique 😊

Commenter  J’apprécie          6912
Maîtres et Esclaves

Je me suis levée très tôt ce matin pour terminer les soixantes pages restantes de ce roman qui m'a scotché du début à la fin.

Je pensais écrire mon avis dans les jours à venir, mais je n'ai pu me résoudre à partir au travail sans parler de ‘Maîtres et esclaves' qui est pour moi un coup de coeur.



L'histoire se déroule dans la Chine des années 50, au moment de la construction de la République Populaire. Les communistes ont enfin le pouvoir et leur travail de propagande peut commencer : façonner les gens pour les rendre esclaves de l' idéologie communiste, confisquer les propriétés sans se soucier de la pauvreté extrême, utiliser l'art et la littérature pour ‘ attaquer et détruire l'ennemi'…

C'est Kewei, un garçon doué pour le dessin qui leur fournira l'occasion. Fils d'un paysan moyen- riche, il doit peindre pour servir la grande cause. Ce sera un long et douloureux voyage pour Kewei, mais ainsi pour d' autres personnages dont le lecteur fera la connaissance au fur à mesure de l'histoire.

Maîtres et esclaves est un roman poignant et très documenté qui mêle avec habilité la fiction et la réalité historique. Il y a des passages d'une grande beauté poétique, des extraits qui expriment tout ce que je ne peux pas écrire dans cette chronique spontanée. Je posterai probablement quelques unes des citations restantes, si l'opportunité se présente…

A lire sans tarder !

Commenter  J’apprécie          620
Maîtres et Esclaves

Je ne peux que rajouter ma voix au concert de louanges qui a salué ce roman depuis sa parution en librairie.

Richement documenté sur la vie quotidienne, Paul Greveillac nous offre une Histoire de la Chine à travers la peinture au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, art de propagande ou art de résistance.



Tian Kewei naît en 1950 dans un petit village du Sichuan.

Dès son plus jeune âge, le garçonnet n’a qu’une obsession, dessiner inlassablement du matin au soir, suivant en cela les traces de son père, propriétaire terrien, jugé gravement subversif par la République populaire. Soucieux de se libérer de l’emprise paternelle, Kwei s’emploie à rester dans le moule afin de ne pas déplaire aux autorités.

Les idéologies, le régime totalitaire, la peur, les dénonciations, l’asservissement, tout est détaillé et raconté avec force et puissance tout comme les conséquences de la Révolution culturelle.



« Maîtres et esclaves » est roman dense, parfaitement documenté, servi par une écriture précise et agréable.

Kewei et les personnages secondaires sont complexes, souvent sombres, parfois tendres, mais tellement attachants que l’on a envie de les plaindre même si parfois on les déteste, ils ne laissent jamais indifférents. Ils sont décrits avec cynisme et un soupçon de cruauté, mais tellement de réalisme, qu’ils semblent être là, tout près, et nous font réagir en voyeur de leurs tourments ou de leurs turpitudes.



Paul Greveillac a le talent rare de mêler la grande histoire à la petite, sans jamais perdre le lecteur ni le lasser tant son propos est limpide.

En ce qui me concerne, arriver à me passionner avec un roman ayant pour toile de fond la Révolution culturelle chinoise n’était pas gagné.

C’est pourtant totalement réussi.











Commenter  J’apprécie          570
L'étau

Prague dans les années 30, alors qu’Hitler part à la conquête du pouvoir en Allemagne, Viktor Jelinek et Viktor Forman sont à la tête de la société prospère Fernak qui fabrique des avions et des voitures. Ils nomment comme P.D.G. Bohus Zdrazil que l’on surnommera le pape. A la recherche de nouveaux marchés, les États-Unis ne s’avèrent pas un investissement rentable. Ils se tournent vers l’Allemagne en pleine expansion. L’Histoire va vite rattraper L’usine Fernak lorsque les nazis lancés dans une guerre totale en Europe obligent la société tchécoslovaque à fabriquer des tanks. Alors se dessinent deux camps, celui des collaborateurs et celui des résistants.

C’est cet étau qui se referme petit à petit sur les personnages du roman de Paul Greveillac que l’auteur décrit avec beaucoup de talent. Il mélange les acteurs de la seconde guerre mondiale avec les personnages de fiction issus de son imagination. Cela donne au récit toute la vraisemblance de son histoire. Comme la société Fernak, beaucoup de sociétés ont été contraintes d’adhérer au projet fanatique barbare nazi.

On comprend parfaitement le cheminement de chacun des personnages forcés pour les uns, endoctrinés pour les autres, ou tout simplement embarqués mal grès eux dans le projet d’une assemblée de fous, Hitler et ses sbires, ou motivés par une ambition égoïste et personnelle.

« L’étau » est un roman de plus sur la seconde guerre mondiale et sur le fascisme fanatique, pourrait-on dire, mais il a cette singularité qu’il se passe en Tchécoslovaquie et qu’il montre le cheminement qui conduit certains hommes à l’horreur. Il témoigne enfin des erreurs commises à la libération en jugeant coupables de collaboration des hommes et des femmes qui n’avaient pu qu’assister impuissants aux agissements de l’envahisseur. Cette injustice va jusqu’à condamner les enfants innocents, coupables des agissements présupposés de leurs parents.

Une lecture vraiment passionnante ! C’est presque un livre d’Histoire.

Editions Gallimard, coll. Blanche, 317 pages.

Commenter  J’apprécie          484
Maîtres et Esclaves

[Lu dans le cadre d'une opération Masse critique Babelio]



Né en 1950 dans une famille de paysans « moyens-riches », Kewei dessine et peint, d'instinct, depuis sa plus tendre enfance. En 1958 (Kewei a 8 ans), le « Grand Bond en Avant » - qui fera 45 millions de morts - s'abat sur la Chine, suivi, quelques années plus tard (1966) de la Révolution culturelle : époque de terreur absolue avec les Gardes Rouges puis la guerre civile, le bannissement des « quatre vieilleries » (les vieilles idées, les vieilles coutumes, les vieilles habitudes, la vieille culture), le petit Livre rouge, les dénonciations entre voisins et au sein des familles, les autocritiques et humiliations publiques, les lynchages, les jugements expéditifs et les exécutions sommaires…



Repéré par un Garde Rouge pour son talent de dessinateur, Kewei, désormais pensionnaire au « centre culturel pour l'édification des masses » apprend la peinture à l'huile et le portrait de propagande ; il sera ensuite étudiant en agronomie, avant d'intégrer les Beaux-Arts de Pékin, sur ordre du pouvoir. Ostracisé par ses camarades et ses professeurs en raison de ses origines sociales « suspectes » de paysan moyen-riche, il apprend à étouffer sa sensibilité d'artiste, à dissimuler sa tristesse et sa nostalgie (la nostalgie est un sentiment « bourgeois »), pour réussir à s'intégrer et, tout simplement, à survivre.



L'une de ses estampes, « La mariée parle », repérée par l'épouse de Mao, change son destin : c'est le début d'une ascension qui conduira jusqu'aux plus hautes sphères du pouvoir celui qui est « devenu l'aspirant dignitaire aux dents longues » (p. 264), celui qui, à force de reniements, de trahisons, de bassesse et de flatterie, saura se construire au sein du Parti une position inattaquable d'impitoyable censeur pour toute une génération d'artistes… quitte à y laisser son âme et son coeur, pour son plus grand malheur.



Du "Grand Bond en Avant" jusqu'à nos jours, Paul Greveillac dresse avec ce roman extrêmement documenté et saisissant de réalisme le portrait d'un monde d'une violence inouïe où règnent en maîtres la peur, le fanatisme, la corruption, l'arbitraire, la lâcheté et l'absence de toute forme de loyauté et d'honneur. Mais au-delà de ce parcours historique - que j'ai trouvé assez époustouflant - des heures les plus sombres de la Chine communiste, il explore également deux thématiques extrêmement riches et complexes : d'une part le dévoiement d'une vocation soumise à la terreur de la dictature et la destruction d'un talent confronté aux nécessités de la survie ; d'autre part le processus de manipulation des consciences qui transforme une victime a priori innocente en serviteur zélé et consentant de ses persécuteurs, au point de devenir elle-même, à son tour, un bourreau entièrement dévoué au régime qui l'a détruite.



« Maîtres et esclaves », ou comment faire partie des uns ou des autres, au gré des caprices des puissants et des fous, de la destinée et de l'Histoire, au gré, également, de ce qui, au plus profond, tisse la trame de nos êtres… "Sommes-nous maîtres de nos destins, esclaves de nos ego ? Maîtres de nos rêves, esclaves de ce qui les concrétise ?" (p. 299)



Avec ce grand et beau roman que j'ai beaucoup aimé, Paul Greveillac nous immerge dans un univers terrifiant qui donne matière à réfléchir et nous offre, de surcroît, un excellent moment de littérature.



Merci à Babelio et aux éditions Gallimard pour cette belle découverte de la rentrée littéraire 2018 !
Commenter  J’apprécie          484
Les âmes rouges

Je me suis précipitée à la médiathèque afin d'emprunter le premier roman de cet écrivain talentueux, après avoir été captivée par son dernier opus "Maîtres et esclaves"...Une histoire très dense et dramatique se déroulant dans la Chine maoïste des années 50 aux années 70...On accompagne le parcours des plus éprouvants, d'un peintre-paysan, fils lui-même d'un peintre-paysan, qui ne se laissera pas embrigader par le nouveau régime...mais il y perdra la vie !



Son fils, jeune recrue, douée pour le dessin , servira la propagande de

Mao-Zedong, deviendra le censeur des autres artistes, reniera son père, ses amis, ses proches pour juste "sauver sa peau" !... échapper à la misère, aux humiliations et à la peur constante...générée par le régime. La vie d'un individu surdoué en dessin et peinture, broyé par un système, alors que dans "Les âmes rouges", se faufile un peu d'oxygène, de l'espoir, avec Vladimir Katouchkhov,responsable de la censure des livres...qui va finir par "regimber"...



Un fils sincèrement épris de littérature, embauché, tout jeune , au sein du Glavlit [ département étatique qui statue sur tout ce qui est publié sur le territoire russe] se chamaille avec sa mère, avec laquelle il vit. Cette dernière, ancienne institutrice, regrette les fonctions restrictives de son "rejeton"... Elle lui réclame le célèbre roman de Pasternak , "Le Docteur Jivago", qu'elle voudrait relire, qui est interdit...

Il refusera... et finalement , il découvrira par hasard, que sa mère a réussi à le dénicher; il le dévorera en cachette, avec enthousiasme... se demanda bien pourquoi ce texte a été censuré....



Il fera, près de 35 années, sa carrière de "censeur" au sein du Glavlit, mais on le voit se transformer au fil de ses années d'exercice, parrallèlement aux transformations du régime...du terrible Staline, aux années Khrouchtchev à celles de Gorbatchev (qui fera une loi, pour l'abolition pure et simple de la censure !!) en passant par la rude période Brejnev...





"Ce livre séminal -printed in the United States of America-, que Katouchkov lit sans se presser, est sorti des presses new-yorkaises en 1952. Il a mis plus de neuf ans à parvenir entre les mains du censeur, et son périple mérite à lui seul un roman. Ainsi Katouchkov en savoure -t-il chaque mot, en palpe-t-il chaque phrase, en soupèse t-il chaque chapitre - ici appelé "Note". Il prolonge le plaisir parce qu'il prolonge la transgression, le danger. Et dans ce danger, il est lié à sa mère. Olga Katouchka ignore qu'il a lu son - Docteur Jivago- Mais elle est dangereuse, comme lui, parce que portée par l'insatiable curiosité de l'esprit, par l'ardeur farouche de l'intelligence qui ne sait pas trouver le repos. Pour Olga Katouchkova, pour Vladimir Katouchkovv, pour des millions de Soviétiques, les années Khrouchtchev devaient rester comme un âge d'or relatif (...) Et ce court âge d'or suffit à semer le germe de l'impertinence. (p. 83)"





Chapeau bas à cet auteur, qui a le don de la narration, tout en nous offrant une profusion d'informations sur la littérature russe, ainsi que sur sa production cinématographique ! Un roman tout à fait époustouflant, fort documenté, qui nous fait re-parcourir l'histoire de l'U.R.S.S. sur plusieurs décennies



Entre autres, des passages jubilatoires sur les samizdats...pour lesquels notre "censeur" se prend d'une vraie curiosité passionnée !!

[Le samizdat (en russe : самиздат) était un système clandestin de circulation d'écrits dissidents en URSS et dans les pays du bloc de l'Est, manuscrits ou dactylographiés par les nombreux membres de ce réseau informel.]



"Plus il lisait de samizdats, et plus Katouchkov aimait cela. Pour une raison simple : ils le faisaient rire. D'un rire un peu cruel, dirigé contre le monde, mais surtout contre soi- comme quand on rencontre un réverbère parce qu'on a suivi du regard une femme. D'un rire empoisonné, parce qu'il vous forçait à vous regarder dans la glace. Et à ne plus vous raconter d'histoires, ni à prendre "tout ça" très au sérieux. Il ne reprochait donc plus à Agraféna ses lectures. Il les guettait même avec impatience, ces précieux feuillets de toutes sortes, bientôt plus beaux à ses yeux que toutes les bibliothèques reliées d'U.R.S.S." ( p. 202)"



Bref , entre véritables écrivains, véritables artistes et personnages inventés... nous apprenons une foule de choses, de l'Histoire russe et des restrictions gigantesques empoisonnant la vie culturelle de ce pays, enfermé dans les propagandes communiste et socialiste, et le long chemin... qu'il fallut pour que ces bureaux de la Censure disparaissent....!!



Un seul bémol, mais tout à fait infime, qui m'a parfois légèrement "embrouillée" : une abondance de personnages, dont certains que l'on ne croise que très fugitivement , et qui disparaissent...aussitôt !!!



"Si Katouckhov a recours à la littérature interdite, c'est parce que la littérature "officielle" , à cause de la bureaucratie culturelle, vient au monde au compte-gouttes. Au forceps. Et qu'elle est, à vrai dire, bien pâlichonne. Dénuée en tout cas du pouvoir révolutionnaire du verbe voulu, de l'émotion ressentie- et non projetée. Pâlichonne, parce que si elle se regarde en face, "miroir qui se promène une grande route", elle est surtout en U.R.S.S. un miroir sans tain. (...) Katouchkov a donc faim de livres qui ne l'infantilisent pas, de livres substantiels." (p. 84)



Un hommage à la Dissidence, et à la Liberté de penser, d'écrire, de lire...La conscience universelle et toujours présente dans certains régimes totalitaires : le courage de penser, de s'exprimer, au péril de sa liberté ou de son existence...



Un moment captivant de lecture. Bravo et Merci à l'auteur...!



Commenter  J’apprécie          448
Art Nouveau

Merci à l’opération Masse critique de Babelio et aux éditions Gallimard pour m’avoir fait découvrir ce roman de Paul Greveillac.

***

Dans Maîtres et esclaves, Paul Greveillac nous présentait la condition des artistes peintres dans la Chine de Mao. Dans Art nouveau, il va nous proposer de suivre la carrière d’un jeune architecte, Lajos Ligeti, dans l’Autriche-Hongrie d’avant la Première Guerre mondiale. En 1896, le jeune homme quitte la pharmacie familiale de Vienne pour s’installer à Budapest, récente deuxième capitale de l’Empire, où tout est à construire. Il s’installe chez son ours d’oncle qu’il ne connaît pas, Jakob Lakatos, serrurier de son état, et où il est accueilli sans enthousiasme. Après quelques années dans un cabinet prestigieux où on reconnaît son talent, mais où il joue les utilités, Lajos rencontre un maître d’œuvre ambitieux et malin avec lequel il s’associe. Sa carrière démarre vraiment. Il connaîtra succès et échecs ainsi que joies et déceptions dans ce curieux empire qui réunit tant de populations diverses que, n’importe où ailleurs que dans votre coin de pays, vous êtres un étranger. N’empêche, nombre des difficultés de Ligeti ainsi que la condescendance (au mieux…) affichée par ses collègues ne sont assurément pas étrangères au fait qu’il est juif.

***

J’ai les mêmes admirations et les mêmes réserves pour ce roman que pour celui que j’ai déjà cité. Le cadre de vie, l’époque, la rare générosité, les intenses rivalités et les vraies mesquineries entre les bureaux d’architectes sont parfaitement rendus. Les enjeux de cet Art nouveau, le refus de certaines outrances, l’invention de nouveaux styles ou l’utilisation de matériaux modernes (l’aventure du béton armé !), promesses d’avenir, se révèlent passionnants. En revanche, je n’ai pas réussi à connaître les différents personnages. Leur psychologie m’échappe et ils me restent par conséquent étrangers. Le choix des différents points de vue du narrateur est peut-être en partie la cause de mon détachement. Ainsi, au début du roman, le narrateur nous donne à voir par les yeux d’un personnage très secondaire, le cocher, alors que, tout de suite après, le personnage principal est décrit par un narrateur omniscient, ce qui crée une certaine distance. Le procédé sera repris plusieurs fois. De plus, j’avoue ne pas être enthousiasmée par le style de Paul Greveillac. Je suis même plutôt agacée par la recherche du mot rare, de la comparaison la plus surprenante possible, de la tournure de phrase alambiquée. Je ne relèverai qu’un exemple parce que la quantité de petits signets posés au fil de ma lecture me décourage à l’avance : « En ligne de fuite se devinait un bureau dont la porte était entrouverte. De la porte aveuglait par instants, en fonction du mouvement des branches, dehors, qui oblitéraient plus ou moins les rayons du soleil, une plaque dorée » (p. 54). Bref, bien que convaincue de la qualité de ses romans, je passe en grande partie à côté de cet auteur...

Commenter  J’apprécie          370
Maîtres et Esclaves

Immersion dans la Chine de Mao jusqu'aux évènements de la Place Tian'anmen. Maîtres et esclaves est un roman sur fond historique qui nous fait vibrer grâce à une écriture limpide et riche "croquant" des personnages attachants qui "s'adaptent" plus ou moins, ou pas du tout au régime politique de leur pays.



Une très belle découverte que je vous invite à partager. Au plaisir de lire vos prochains billets !
Commenter  J’apprécie          362
Maîtres et Esclaves

Après Les Âmes Rouges, immersion dans le système totalitaire soviétique, Paul Greveillac m’a de nouveau conquise avec ce dernier roman qui donne des visages à la grande mutation sociale que fut la République populaire de Chine en 1950.



Par la vie de son personnage principal, petit paysan du Sichuan doué pour le dessin, c’est une projection documentée qui s’associe à un souffle romanesque maîtrisé. Traversant les soubresauts de la Révolution culturelle, Tian Kewei poursuit une route personnelle semée d’embûches (famine, misère, famille bouleversée, dénonciations, persécutions), à travers 50 années de communisme, où la violence du terrorisme d’Etat est toujours au coin du chemin.



Artiste à la fois reconnu, ignoré puis à nouveau sorti du placard aux hasard des fluctuations politiques, Tian poursuivra vaille que vaille une adhésion au système jusqu’à devenir membre du Parti, plus par instinct de survie pour lui et ses proches que par idéologie.

C’est son fils qui ouvrira la porte à la contestation pour le meilleur et le pire, reniant ainsi les choix de ses ainés.



Captivant du début à la fin, Paul Greveillac est un conteur à la plume aisée, lyrique, capable de raconter la violence des faits et la détresse des êtres, tout en parsemant son récit d’aphorismes assez bien troussés et de fulgurances comiques. Au-delà de l’immersion dans la Chine de Mao et dans la politique de ses successeurs, s’ ouvre aussi une réflexion sur l’utilisation de l’Art comme arme de propagande.



Un excellent livre romanesque sur fond historique qui se démarque dans le panorama éditorial actuel, trop tourné sur l’autofiction à mon goût.

Commenter  J’apprécie          350
Les âmes rouges

Les destins croisés d'un fonctionnaire de la censure et d'un projectionniste sous chape de plomb communiste.



Si peu de retours lecteurs pour ce livre!

J'ai donc eu quelques craintes et au résultat, c'est une excellente lecture, une immersion passionnante dans le quotidien des "camarades" soviétiques, traversant les années de dégel sous Kroutchev et d'immobilisme de Brejnev.



Livre foisonnant de multiples personnages réels ou fictifs, bourré de références littéraires, parsemé de rappels historiques de la guerre froide, parlant de créations cinématographiques et de littérature dans tous leurs états, censurées, manipulées, tronquées, et bien entendu dissidentes. On peut caler sur l'aspect intellectuel du propos mais le contexte d'une société prise en otage par un système politique ubuesque constitue le meilleur de la narration.



Dans la foulée des fonctionnaires du pouvoir, censeurs, éditeurs, écrivains, le lecteur doit tenir la distance. Les patronymes russes demandent un effort de mémorisation. L'âme slave se décline dans ses excès de rapports humains, entre brutalité et convivialité. Peu de bonheur dans les destinées individuelles mais un esprit de résistance, de contestation et de stoïcisme chevillé au corps de homo soviéticus, derrière le renoncement libertaire et l'idéologie de façade.



Me restera l'image du hangar-mouroir de la parole écrite, le "goulag des mots", bibliothèque secrète et poussiéreuse des livres interdits par un régime paranoïaque, où voisinent Sade et Dieu sur la même étagère.



Je conseille vraiment!
Commenter  J’apprécie          355
Maîtres et Esclaves

Un roman qui débute pendant les atrocités de la révolution culturelle et qui se poursuit jusqu'en 1989 en Chine.

On suit le destin de Kewei.

C'est sombre comme l'époque ; il est question de pauvreté, de violence, de misère, de famine, de froid, de délation, de dictature, de culte de la personnalité, de lavage de cerveau et de grande solitude aussi.

Il est très difficile de s'attacher aux personnages tant tout cela est réaliste.

L'écriture est ciselée, élégante et sans jugement dans sa description de la brutalité des faits.

Il y a néanmoins quelques longueurs surtout sur la fin.

Cela reste un roman puissant.
Commenter  J’apprécie          300




Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Paul Greveillac (463)Voir plus

Quiz Voir plus

Katherine Giebel ou Barbara Abel

Je sais pas ?

Katherine Giebel
Barbara Abel

10 questions
11 lecteurs ont répondu
Créer un quiz sur cet auteur

{* *}