AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Régis Jauffret (544)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées


Dans le ventre de Klara

« Les mères demeureront toujours comptables des péchés commis plus tard par l'enfant qu'elles ont porté. On nous accusera d'avoir concocté neuf mois durant un assassin, un monstre, un être qui fera regretter Dieu d'avoir créé Adam et on nous reprochera d'avoir engendré ces fratries asphyxiées aux cendres dispersées, fumant la terre des potagers dont la récolte nourrira les bambins des bourreaux, et nous prêtant le pouvoir de divination des sorcières, on nous blâmera de n'avoir pas cousu nos vulves afin de les préserver de l'existence et du supplice. »



Le prologue est saisissant, le reste du roman le sera tout autant. Et le sujet l'est encore plus. Sans jamais le nommer, Régis Jauffret raconte la gestation d'Adolf Hitler à travers sa mère, Klara, la narratrice. Il fallait oser. Le résultat est un texte puissamment hors norme que j'ai lu avec une gravité estomaquée.



Hitler a toujours renié ses origines qui l'auraient desservi politiquement car l'histoire de sa famille, n'a rien de glorieux : misère, enfants illégitimes, consanguinité quasi incestueuse, ascendance douteuse du moins inconnu. Comme le montre la bibliographie fournie en fin de livre, Régis Jauffret s'est énormément documenté pour trouver les cadres concrets de son récit. Klara était une employée de maison au service d'un cousin ou oncle ( selon les versions ) qu'elle finit par épouser à la mort de sa deuxième épouse. Alois Hitler était agent de douanes dans l'empire austro-hongrois.



L'auteur navigue ainsi entre les éléments tangibles dont on dispose actuellement sur la généalogie de Hitler et la description réaliste d'un quotidien rude dans le Waldviertel, une des régions les plus reculées et inhospitalières d'Autriche. Au squelette de nos connaissances sur la famille d'Hitler, il ajoute de la chair. Dans sa solitude, Klara raconte un mari tyrannique et violent lui imposant un devoir conjugal proche du viol, une vie de labeur sans répit, l'omniprésence de la mort avec des épidémies qui déciment les foyers ( sur ses six grossesses, seulement deux enfants atteindront l'âge adulte ). Seule l'écriture clandestine de ses pensées semblent lui apporter un peu d'apaisement.



Dans ce déroulé factuel très sombre, j'ai apprécié que Régis Jauffret ne rajoute pas du psychologisant qui essaierait d'expliquer pourquoi Hitler est devenu ce qu'il était à cause de sa famille. C'était donc fondamental que le récit s'arrête à sa naissance ou plutôt son baptême.



C'est Klara qui mène le récit à la première personne. Elle parle beaucoup, presque sans filtre malgré la crainte d'être découverte par son mari. On est à la fois très proche d'elle par ce robinet ouvert de flux de pensée qui nous assaille, et en même temps, très loin d'elle, comme repoussée par les tourments qu'elle exprime.



« J'ai du mal à mettre de l'ordre dans cette cervelle. Tout caracole là-dedans. Je n'ai jamais vu un tel troupeau de pensées. Elles m'emportent l'une après l'autre, quand elles ne galopent pas vers les quatre points cardinaux comme des chevaux cravachés par le bourreau pour écarteler un condamné. »



Régis Jauffret a trouvé un formidable moyen narratif pour faire le pont entre les questionnements habituels d'une femme enceinte et ce qu'est devenu cet enfant en gestation, en la décrivant comme terriblement tourmentée par le péché originel, par l'enfer, persuadée qu'elle est une pécheresse qui pourrait transmettre son infamie à sa progéniture ou qu'une vengeance divine pourrait indélébilement tachée son bébé. Son confesseur est complètement dépassé par la violence presque blasphématoire des propos de son ouaille.



Ses confessions prennent aux tripes et mordent le ventre parce qu'évidemment, le lecteur ne peut s'empêcher de projeter sur le génocide à venir tant la Shoah est en chacun de nous parce que nous en savons.



Pour accroître cette tension, L'auteur a l'idée -géniale- de mêler aux divagations religieuses terrorisées de Klara des passages délirants qui s'invitent dans son récit malgré elle : ainsi surgissent sans qu'on s'y attende des paragraphes composées de phrases longues, sans ponctuation convoquant les gémissements de Juifs mourant de faim dans les rues des ghettos, les hurlements des enfants poussés dans les chambres à gaz, ou encore les prières s'échappant des wagons surchargés menant à Treblinka ou Auschwitz.



Des flashs hallucinés prémonitoires qui assomment et restent en suspens durant tout le texte jusqu'aux prochains, comme si Klara était contaminée par les idées de l'enfant qu'elle porte. Comme si Hitler était déjà Hitler lorsqu'il était en gestation. Comme si Klara portait en elle une bombe à retardement dont la déflagration exploserait près de cinquante ans après.



Un roman assez fou, d'une puissance évocatoire dérangeante et impressionnante. Troublant et marquant.





Commenter  J’apprécie          11239
Papa

Immense surprise pour Régis Jauffret, le 19 septembre 2018, lorsqu'il aperçoit dans un documentaire sur la police de Vichy, son père menotté entre deux gestapistes sortant de l'immeuble marseillais où l'auteur a passé toute son enfance. Après avoir zoomé maintes fois, il n'y a pas de doute, c'est bien lui et son visage exprime une grande terreur. Ces images auraient été tournées en 1943. L'écrivain va tenter d'analyser ce qui a pu se passer, en échafaudant tous les scénarios possibles. Son père Alfred, aurait-il fait de la délation, a-t-il été dénoncé, est-ce un film de propagande, donc une reconstitution, ces questions resteront sans réponse car, ni son père, ni sa mère n'ont jamais évoqué qu'il avait pu avoir affaire avec l'occupant. Les interrogations auprès de la famille ou des voisins n'apporteront rien. Personne ne sait. Ce sera l'élément déclencheur qui amènera Régis Jauffret à écrire ce superbe roman dans lequel il nous conte la vie de celui-ci, en l'appelant Papa, étant redevenu lui-même enfant.

Ce père Alfred, avait quatre frères. Il était marié à Madeleine et est décédé en 1987, l'année de ses 72 ans. Si Régis Jauffret a écrit ce roman maintenant, c'est aussi parce qu'il va bientôt atteindre l'âge auquel son père est mort et qu'avec le temps, c'est peut-être plus facile d'en parler aujourd'hui. Alfred ayant eu une vie, une vraie vie, courte, furtive, car atteint d'un gros handicap de surdité, suite à une méningite, a subi d'inutiles interventions chirurgicales, sans réelle anesthésie, plusieurs cures de sommeil, est devenu bipolaire et a dû prendre de l'haldol, un neuroleptique, le reste de sa vie. Un pharmacologue dira d'ailleurs à son fils que « l'haldol, c'est un médicament qui empêche de penser. » Si ce dernier lui en a voulu, enfant : " En réalité je n'avais guère eu de père, presque pas. J'avais dû me contenter dans mon enfance d'un petit bout de papa..." puis : "D'ailleurs, Alfred en ce temps-là me servait-il à autre chose qu'à me faire honte.", maintenant, il en va autrement et il avoue : "Si je n'avais pas vu ces images tu serais resté dans les égouts de ma mémoire. --- , Je n'ai peut-être écrit tout au long de ma vie que le livre sans fin de tout ce que nous ne nous sommes jamais dit."

J'ai eu un peu de mal à rentrer dans le roman, le début étant un continuel va et vient entre le présent et le passé, mais ensuite, je n'ai plus pu m'en détacher et ai été absolument conquise par le talent de Régis Jauffret. Il réussit à ouvrir comme il le dit "une case de l'enfance qu'il n'avait jamais ouverte" et à sauver cet homme qu'était son père, seule solution pour lui pour continuer à vivre. Comme il le fait bien ! Ce mélange de fiction et de réalité, la finesse la justesse et la poésie avec laquelle il nous raconte ce manque d'amour, cette souffrance, cette frustration dont il a souffert et la manière dont il fait revivre ce père plus beau qu'il n'a été et tente tout pour l'excuser. Ce que j'ai vraiment trouvé sublime, c'est lorsqu'il va recréer un souvenir éblouissant d'une journée qui en fait n'a pas existé. Comment ne pas être bouleversé ensuite par cette phrase : "Malgré tout, ce bonheur inventé restera dans ma mémoire pour illuminer le visage de ce père tant désiré dont la vie m'a frustré."

Un formidable et sublime cri d'amour, tel est pour moi, ce bouleversant roman !

Quelle plus belle conclusion que ces paroles prononcées par l'auteur lors de la grande librairie : "Grâce à la littérature, je suis arrivé à réparer mon père en moi".
Lien : http://notre-jardin-des-livr..
Commenter  J’apprécie          1092
Le dernier bain de Gustave Flaubert

Au matin de sa mort, le viking de Coisset partage l’eau de son bain avec les fantômes de ses personnages. A défaut de canard jaune, Régis Jauffret se glisse dans l’eau tiède de la baignoire pour en prélever l’écume des maux de Flaubert.

Bouvard et Pécuchet, inquiets de voir l’écrivain procrastiner la fin de leur aventure - qu’il n’aura pas le temps d’achever- et surtout Emma, très chafouine au sujet des choix de l’écrivain à son sujet, viennent hanter ses dernières heures. Si souvent femme varie,la Bovary aussi.

Regis Jauffret possède l’art de la ventriloquie. Tous les personnages de ses Microfictions peuvent l’attester. C’est le Tatayet des mots. Mais ici, la première partie du récit, intitulée sobrement « Je », ne relève pas du même exercice. Jauffret n’essaye pas d’écrire comme Flaubert, ce n’est pas un perroquet (celui de Julian Barnes) et le narcissisme a ses limites, son « je » est presque un « tu », celui d’un grand familier de l’œuvre qui connait si bien les romans de Gustave l’ermite, qu’il s’autorise une invasion de ses pensées des dernières minutes. Il s’agit selon moi d’un travail de reconstitution, pas d’usurpation.

Outre ses revenants de papiers, les hommes et les femmes qui ont traversé la vie de Flaubert, jalonnent les souvenirs de l’auteur dans un désordre chronologique qui fait tanguer l’eau de son bain davantage du côté du conte onirique que de la biographie certifiée conforme.

La seconde partie passe au « Il ». On change de pronom, mais le récit reste très autocentré. J’ai trouvé les échanges avec les personnages de ses romans plus réussis que les souvenirs rembobinés, trop sages et distanciés, de ses relations avec ses proches.

La dernière partie, intitulée « Chutier », regroupe des passages non retenus et rabotés par l’auteur. J’ai trouvé l’idée savoureuse et très originale mais la police d’écriture, taille « notes de bas de page » est une torture de lecture. Sortez les cluques et prenez un Doliprane. Cela gâche mon appréciation générale plutôt favorable. L’éditeur se rattrape un peu avec le joli bandeau de la couverture.

Ne m’étant pas encore glissé dans les célèbres correspondances de Flaubert, je ne lis jamais les courriers des autres, surtout quand ils ne le souhaitent pas (ce qui était le cas de Flaubert), et n’ayant pas encore lu Salammbô, je n’ai pas l’œil assez aiguisé pour développer une analyse plus critique de ce travail de reconstitution.

Ce que je sais, c’est que j’aime l’écriture de Jauffret, son inventivité et ses phrases impitoyables. J’apprécie moins le sujet de certains de ses romans, notamment quand il s’attaque à des faits divers scabreux.

Je ne suis pas davantage étonné que Régis Jauffret soit inspiré par Flaubert. Ils appartiennent à la confrérie des obsédés du style, aux allergiques de la répétition, aux pointilleux de la ponctuation.

Après le bain, j’attends une douche avec Emma Bovary et un pédiluve avec Maupassant.

Commenter  J’apprécie          971
Papa

« Malgré tout, ce bonheur inventé restera dans ma mémoire pour illuminer le visage de ce père tant désiré dont la vie m’a frustré. » Comment une simple phrase peut illuminer un livre ? Celle que je cite en préambule arrive au tout dernier chapitre de Papa, ce roman que Régis Jauffret a consacré à Alfred, son père.

Le hasard d’un documentaire diffusé à la télévision à propos de la police de Vichy, le 19 septembre 2018, déclenche une aventure littéraire riche, émouvante, frustrante, un peu angoissante aussi. Sur une scène du film tourné en 1943, il a reconnu l’immeuble où il a passé son enfance. En sept secondes, il a vu deux gestapistes embarquer un homme menotté dans une Citroën traction avant : son père !

À partir de là, l’écrivain reconnu qu’est Régis Jauffret – il dit même qu’à soixante-quatre ans, il figure dans le Petit Larousse illustré – se lance dans une quête émouvante, pleine de sensibilité, d’humour, de dérision parfois. Il n’hésite pas à être cru, à parler de la sexualité de ses parents, sujet tabou, s’il en est ! Lui, l’enfant unique, pousse un immense cri d’amour envers un père qui, enfermé dans une surdité devenue totale, n’a pas été le papa dont il rêvait.

Le récit est une recherche. L’auteur hésite, tente des explications, reformule des hypothèses principalement sur cette fameuse arrestation dont aucune trace ne figure ailleurs que dans ces images. Il ergote, se lance dans une hypothèse, reconnaît que c’est une impasse, revient en arrière, parle de Madeleine, sa mère, raconte sa famille, recolle peu à peu les pièces d’un puzzle afin de retrouver ce père victime d’une surdité grandissante, faisant de lui un homme à part et souffrant d’une profonde dépression.

Enfin, je l’ai mentionné au début, il y a ce chapitre qui illumine tout le livre. Régis Jauffret, comme à son habitude, écrit avec talent, utilise de temps à autre un tiret pour lancer une phrase, une réplique, une mise au point pour aboutir à un livre que beaucoup d’enfants auraient aimé écrire à propos de leur PAPA.


Lien : http://notre-jardin-des-livr..
Commenter  J’apprécie          844
Claustria

Il y a certains livres qu’on prend autant de plaisir à lire qu’à refermer la dernière page lue, que l’on clôt avec un soupir d’aise parce qu’ils sont géniaux et un soupir de soulagement parce qu’ils nous submergent. Certains livres que l’on voudrait entourer de hauts murs comme une demeure où d’abominables crimes auraient été commis, que l’on voudrait calfeutrer par une montagne de belles pensées.

Parce qu’ils ne sont pas uniquement des romans, parce qu’ils s’inspirent de la réalité, de la « vraie » vie, de celle qu’on ne voit plus en rose, de celle qui se joue à guichet fermé dans le secret des familles, dans la confidentialité d’un intérieur coquet, avec des acteurs tout ce qu’il y a de plus ordinaires mais qui se révèlent de véritables monstres. Parce qu’ils nous chamboulent, nous retournent, nous révoltent, nous laissent un profond sentiment d’impuissance et une piètre opinion du genre humain.



Après l’affaire Natacha Kampusch, l’Autriche a vu un autre cas sordide entacher sa réputation de belle patrie où hélas le beau Danube bleu n’est pas seul à couler !

L’histoire est récente ; tout le monde a entendu parler de Josef Fritzl, le père qui a séquestré sa fille pendant 24 ans dans la cave de la maison familiale, abusant d’elle, la brutalisant et au final lui faisant sept enfants ; l’un, bébé quasi mort-né fut brûlé dans la chaudière, trois furent remontés à la surface et trois grandirent avec leur mère dans les entrailles de la terre jusqu’à leur libération en Avril 2008. Josef Fritzl, petit ingénieur-électricien terne et sans histoire mais tyran domestique, cruel, pervers, incestueux, abominable, a été condamné à la prison à vie mais laisse derrière lui les traces ineffaçables de 24 années de claustration et d’esclavage.



Régis Jauffret s’est emparé du fait-divers pour écrire ce « Claustria » qui percute et qui malmène, qui bouleverse et qui secoue, qui captive autant qu’il révulse. Avec un art consommé de la narration, de l’image et de l’empathie, l’auteur de « Microfictions » ou de « Sévère », nous ouvre les portes de l’enfer, soulève les trappes d’un pandémonium de 50 mètres carré pour nous projeter au cœur de l’inqualifiable. « J’arrive à m’imaginer assassiné, mutilé, torturé ; Je n’arrive pas à m’imaginer 24 années dans un trou. Essayez, vous n’y arriverez pas non plus. Vous parviendrez à une semaine, peut-être quatre. La nuit suivante vous aurez peur de vous endormir. »

Après plusieurs mois d’investigation l’auteur a tenté d’imaginer comment les protagonistes de cette triste histoire ont réussi à survivre à l’enfermement d’une cave transformée en studette de l’horreur, avec pour seul horizon le mur d’en face, pour seul ciel le plafond à lattes, pour seul amant leur propre père, pour seule perspective d’avenir la menace de mourir gazés s’ils la ramenaient un peu trop.



Miracle des métaphores et du génie littéraire d’arriver, comme le fait Jauffret, à faire jaillir au cœur du sordide des fulgurances de bonheur, ces petits éclats de joies que l’esprit humain conçoit même en enfer, même dans l’abîme, même au fond du gouffre, puisant dans d’infimes satisfactions de quoi tenir bon, encore et encore ! Minuscules lueurs d’espérance dans le noir absolu permettant à un quart de siècle de viols, de brutalités et de vie souterraine, de s’écouler aux gouttes à gouttes comme en perfusion, mais de s’écouler malgré tout.

Mais il y a aussi les jours où la raison, striée des étoiles filantes de la démence, s’emballe et déraille quand la machine à douleur se fait insupportable, que l’oxygène manque dans le bocal à poisson sans aération, que les périodes de famine affaiblissent les corps et que les attentes du Dieu nourricier Fritzl se font trop longues.

Une humanité récréée avec d’autres normes, d’autres règles, selon les lois amorales et perverses d’un démiurge démoniaque, revendiquant une famille sans aucune goutte de sang mêlé !



Au-delà de la répugnance que nous inspire ce père immonde, certains comportements collectifs ou individuels nous laissent un goût amer : la mère, dont la peur de son mari et la haine ressentie envers sa fille ont muré dans une complicité abjecte ; les voisins et locataires, dont on ne peut que s’interroger face à la surdité et à la complaisance à l’ignorance; les mentalités arriérées de cette Basse-Autriche (tant égratignée par Thomas Bernhard) pour qui l’inceste est une peccadille et la famille un fief où le père vit en seigneur tout puissant ; et que dire de cette volonté pathétique et écœurante de l’Etat à toujours vouloir arrondir les angles pour ne pas abîmer davantage une image d’Epinal déjà bien écornée…

En évitant l’écueil du voyeurisme et dans un style puissant et percutant, Régis Jauffret réussit, dans ce texte brillant d’analyse et de sensibilité, à nous faire partager un peu de l’existence du « petit peuple de la cave ». Bienvenue en enfer...

Commenter  J’apprécie          845
Le dernier bain de Gustave Flaubert

J’avais entendu parler de cet auteur sans pour autant le lire. Voilà qui est fait et très honnêtement, je ne regrette pas d’avoir commencé par ce livre. Disons-le sans attendre : j’ai adoré ce bouquin ! L’auteur retrace de manière fictive les dernières pensées de Flaubert lors de son ultime bain. Il sera foudroyé quelques heures plus tard. Lors de ce moment de repos, ses personnages lui apparaissent.



Même si l’histoire est romancée, on l’a bien compris, il n’en reste pas moins que l’auteur s’est amplement documenté sur la vie de Flaubert. J’ai appris de façon très plaisante énormément de choses sur ce romancier que j’aime beaucoup. Il n’y a qu’une petite chose qui m’a déstabilisée et qui est, visiblement, une habitude chez Jauffret : l’emploi des tirets. Pour moi, il signifie qu’une personne parle mais là, ce n’est pas forcément le cas. Le plus souvent, il est là pour marquer une rupture dans les idées.



Quoi qu’il en soit, j’ai vraiment apprécié ce livre que l’on a du mal à quitter.



Un grand merci à Babelio et aux Editions du Seuil pour cette pépite !
Lien : https://promenadesculturelle..
Commenter  J’apprécie          730
Dans le ventre de Klara

Régis Jauffret nous fait ici le récit de la grossesse de Klara (la maman d'Hitler) . Le nom Hitler n'est jamais cité. C'est donc ces 9 mois de juillet 1888 à avril 1889 . Il n'a pu obtenir que de maigres documents officiels. Mais nous savons quand même qu'elle résulte du viol et inceste de l"oncle" sur Klara Il va ensuite pouvoir l'épouser avec l'absolution de l'église.Klara subit la religiosité étouffante et culpabilisante, et le souci des apparences. L'auteur est très virulent envers la religion .Pour se sortir de tout ce quelle subit Klara écrit. Nous sommes plongés dans sa tête et grâce à une superbe écriture Elle a des visions prémonitoires qui permet à l'auteur de rendre un puissant hommage aux victimes de la Shoah. Ce sont des lignes d'écriture sans ponctuation mais avec des majuscules ça et là. Une sorte de poésie morbide écœurante.

Ce livre est très puissant ,je ne suis pas prête de l'oublier. Il existe aussi une forte tension psychologique .

On ne ressort pas indemne cette lecture .

Bravo et merci Mr Jauffret .J'avais déjà ressentie un peu la même chose après la lecture de "Claustria".
Commenter  J’apprécie          6722
Le dernier bain de Gustave Flaubert

L’exercice audacieux de Régis Jauffret : le « bio-roman » de Flaubert.

Gustave Flaubert aura deux-cents ans le 12 décembre 2021, il se raconte sous la plume de Régis Jauffret…

Flaubert prend un bain. Au sortir il allume sa pipe et s’assoit à son bureau dans le cabinet de travail de sa maison de Croisset d’où sont sorties toutes ses œuvres et où il a passé des heures à les peaufiner, toujours à la recherche de la perfection, d’un idéal. La nef, comme il le nomme, est son tonneau de Diogène. Il ne le sait pas encore mais il vit sa dernière heure, heure pendant laquelle ses souvenirs vont remonter à la surface, ses fantômes vont se manifester. Est-il en train de faire une énième crise d’épilepsie ? Seul le crapaud-encrier posé sur son bureau pourrait le dire si sa salive noire n’avait pas séchée depuis belle lurette…

La première partie, « Je », est la confrontation de Flaubert avec sa vie, son enfance, ses rencontres, une personnalité qui s’élabore, ses correspondances.

La seconde partie, « Il », est la confrontation de Flaubert avec ses personnages, la schizophrénie de l’écrivain qui lui offre l’opportunité de dialoguer avec une Emma Bovary hystérique et revancharde, colérique pour la façon dont il l’a traitée dans son roman éponyme. Ses héros s’animent et le harcèlent, lui qui est au seuil de sa mort. Ils reprennent leur liberté.

La troisième partie, « Le chutier », dont la petitesse des caractères est un défi pour des yeux fatigués… Une grande frustration. Quelle absurde idée ?!?...

« Le dernier bain de Gustave Flaubert » est une biographie romancée, un « bio-roman », écrit avec le style de son auteur, Régis Jauffret, et dans l’esprit de son sujet, Gustave Flaubert. C’est un grand plaisir à lire pour qui a l’amour des mots et des phrases à la sonorité mélodieuse. Régis Jauffret a la plume libre. Il emporte le lecteur dans un récit dont la documentation est impressionnante et, sur la base de faits réels, l’amène dans son monde fantastique ou le héros parle à ses créatures imaginaires.

Même s’il vaut mieux se régaler de l’œuvre du maitre plutôt que d’entrer dans son intimité, n’hésitez pas une seconde à plonger dans « Le dernier bain de Gustave Flaubert » de Régis Jauffret.

Editions Du Seuil, 324 pages

Commenter  J’apprécie          634
Microfictions

C'est jubilatoire. Il faut le prendre comme un exercice de style et mettre son mouchoir (ou éclater de rire) sur les passages volontairement choquants.

Rien que le sixième texte, "Après la pitance", vaut les 25 euros. D'autant que si vous êtes un lecteur lent, cet opus peut vous faire 2 ans.

NB : il est toujours étonnant de voir les réactions de certains face au contenu d'ouvrages de littérature blanche, ils réagissent à la moindre phrase choquante, l'imputent à l'auteur, qui doit donc selon eux être taxé de raciste, pédophile, misogyne, etc... Au contraire, les mêmes ne s'offusquent pas lorsque dans un polar d'autres auteurs imaginent les pires sévices infligés par un serial killer, qui épluche ses victimes, les brûle ou les mange. Ce deux poids deux mesures est assez insupportable. Il faut comprendre une bonne fois pour toutes que si j'écris, là tout de suite, "je mange la cervelle de mon voisin", ce ne sont que des mots, ça n'illustre pas mes projets et mes desseins les plus sombres. Et je suis quand même libre de créer les aventures qu'il me plaît pour mon personnage principal. Imagine-t-on une littérature (blanche) où chaque personnage serait parfait, agréable, etc... ? Arrêtons-donc de gémir lorsqu'un auteur, Jauffret en l'espèce, nous décrit des personnages assez peu fréquentables. Le seul droit du lecteur est de trouver que d'autres types d’œuvres sont plus à son goût.
Commenter  J’apprécie          557
La ballade de Rikers Island

On connait l’attrait de Régis Jauffret pour les histoires glauques et sordides, et depuis « Sévère » ou « Claustria », vient s’ajouter la virtuosité à se servir de matières premières issues de la réalité pour bâtir un univers fictionnel sombre et éprouvant, exhalant les relents fétides d’une humanité écœurante, méprisable.

Qui mieux que lui alors aurait pu s’emparer de l’affaire DSK-Nafissatou, l’histoire peu ragoutante du président d’une haute institution financière accusé du viol d’une femme de chambre africaine dans un Sofitel de New-York en Mai 2011 ?



Relayée par les médias pendant de nombreuses semaines, ruinant les ambitions politiques d’un homme en lice pour la présidence de la France, cette sombre affaire de mœurs avait tous les attributs pour alimenter l’esprit tortueux du romancier et, après le magistral « Claustria », l’on espérait un roman sinon aussi puissant, du moins percutant et incisif.

La mayonnaise n’a pris hélas qu’à moitié ! « La ballade de Rikers Island » n’est pas une nouvelle « Ballade de la geôle de Reading » ! Trop d’accords plaqués sur une partition mince, beaucoup de remplissage alourdissant le tempo, la complainte éplorée des divers protagonistes de cette pièce en tierce mineure n’a pas suscité l’expression harmonique escomptée, quand bien même on tient l’auteur pour l’un des grands écrivains de ces trente dernières années.



On retrouve néanmoins dans cet opus, toute la puissance d’écriture de Régis Jauffret, ce style impérieux, cinglant, combiné à un art de la métaphore proprement exceptionnel. Des images aussi géniales qu’originales qui fusent comme des fulgurances, qui jaillissent avec la même énergie violente que la semence de l’homme incarcéré… Mais c’est cela aussi qui finit par excéder, cette volonté systématique de chercher la représentation et la métaphore à tous prix. Si l’on est admiratif de la facilité avec laquelle l’auteur puise les comparatifs et les allégories, arrive un moment où l’on en est saturé, où l’on a besoin de simplicité et de davantage de spontanéité.

Le trop-plein d’effets de style tend même à dénaturer les personnages en leur ôtant leur part de réalité, en les assignant à un rôle purement fictionnel qui finit par nous les rendre étrangers, éloignés du commun des mortels. Ainsi, la réaction viscérale que l’on a pu ressentir lors de la divulgation de l’affaire se noie dans la surenchère et dans une écriture trop travaillée pour qu’elle parle au cœur. Et si les personnages nous inspirent une compassion certaine, ils ne sortent pas de leur gangue parodique. Dessinés à la mine de plomb, ils ont les traits épais de la caricature, offrant une représentation outrée de leurs pensées et de leurs sentiments.



Si le personnage masculin se révèle pitoyable, grotesque et infantile, parangon d’égocentrisme et d’individualisme narcissique, les femmes, elles, sont les grandes figures d’un ouvrage leur rendant avec émotion dignité et intégrité. Malgré tout c’est bien trois victimes qui se débattent tout le long de ces pages où la noirceur s’inscrit davantage dans un rapport de fatalité que dans une réelle volonté de violence.

L’homme : victime d’une libido excessive, exacerbée par la prise intempestive de petites pastilles bleues qui font de son sexe un perpétuel quémandeur de rapports physiques…

Son épouse à la fois forte et fragile: victime d’un amour tragique auquel elle a tout sacrifié et tout donné (carrière, ambition, statut, richesse) et duquel elle ressort meurtrie, l’amour-propre aussi cruellement mutilé que le sexe excisé de la femme peul par qui le scandale éclate.

La femme de chambre enfin : victime d’être née femme dans un coin du monde où ce sexe n’est pas considéré, tout son être imprégné de la peur et de la honte des esclaves et du gibier. Marquée dès la naissance par le fer qui la désigne proie face aux matrones qui excisent son sexe entre deux pierres coupantes ; face aux soldats africains qui brutalisent et outragent son corps sans défense ; face au regard libidineux d’un blanc pansu à la verge tendue ; face à la police, face au regard des autres…Victime de cette peur du pauvre qui lui fait répéter comme un disque rayé « est-ce que je vais perdre mon travail ? »

C’est dur à dire mais on ne peut s’empêcher de penser que cette fellation non-consentie est peut-être la meilleure chose qui lui soit arrivée. L’acte immonde qui a brisé ses chaînes d’esclave et par lequel elle va désormais pouvoir vivre, avec l’argent du préjudice, une vie de femme libre.



Ces trois victimes racontent une histoire qui ne se construit hélas que sur la thèse du viol. Complot politique, chantage, prostitution, terrorisme….nulle autre piste n’est suivie ni même envisagée. Le fait divers ne sert qu’à disséquer la psychologie des personnages pour mettre à jour leurs émotions et imaginer l’impact d’une telle affaire sur leur mental. Le voyage en Afrique dans le village de Nafissatou de même que le séjour à New-York au Sofitel, ne servent nullement une quelconque enquête mais une démarche littéraire, celle de se lover dans le décor, d’éprouver les ambiances et les atmosphères afin que le romancier mène à bien son travail d’écriture. En résulte une vision pathétique et lugubre de la réalité, faite de médiocrité, de bassesse, de vils instincts ; la peinture d’un monde où règne toujours la domination du bourreau sur la victime, du gibier sur la proie, du riche sur le pauvre, du maître sur l’esclave et du blanc sur le noir dans un esprit colonialiste encore bien persistant.

Commenter  J’apprécie          541
Papa

Guérit-on jamais de son enfance ?...



Même si lu en quelques heures, je reste partagée et perplexe pour rendre compte comme je le souhaiterai de cette lecture étonnante et bouleversante... autant que dérangeante à certains moments !... Pour dire combien mes impressions sont comme le texte lui-même, aussi contrastées que contradictoires !!



Je savais la plume et l'esprit de Régis Jauffret mordants, grinçants, fort sombres... Ce livre est tout cela, et dans un même temps rempli de fulgurances lumineuses et d'une vraie tendresse pour un père, qui a manqué, faute de vraies paroles et complicités vécues entre un "père et un fils unique"......

Hommage au père, même si très tardif...et posthume. Il aura fallu très récemment à l'écrivain d'apercevoir dans un documentaire sur la police de Vichy son père sortant menotté, entre deux gestapistes, de l'immeuble marseillais où Régis Jauffrey a passé toute son enfance. Abasourdi en

reconnaissant le visage terrorisé de son père, il se met à enquêter, comprenant d'autant moins, que son paternel n'a jamais parlé de son vivant ,de cet incident ! Les images dataient de 1943....



A la lumière de ce silence paternel, aussi mystérieux que difficilement compréhensible, l'écrivain revisite son enfance, l'histoire familiale, mais surtout l'image de ce père présent-absent, dont il trouvait l'existence terne....Alors l'imagination du fils-écrivain s'emballe !...



"Si je n'avais pas vu ces images tu serais resté dans les égouts de ma mémoire. Les égouts, les jardins, le paradis perdu de mon enfance, souvent il faut aligner les mots sans en choisir aucun car chacun d'eux est le bon à condition de tous les citer. Je n'ai peut-être écrit tout au long de ma vie que le livre sans fin de tout ce que nous ne nous sommes jamais dit." (p. 133)



Un livre-coup de poing: sombre, violent, tendre, pathétique, mordant, rancunier, aimant, universel dans nos questionnements , nos culpabilités et regrets envers ceux qui nous ont donné la vie !



Je ne peux m'empêcher d'avoir , en fermant ce livre très personnel, le coeur très serré de savoir que ces deux-là ne n'ont pas réussi à vraiment se "rencontrer" du vivant du "Papa". Alfred, un homme plein de possibles, aimant la musique, jouant du piano, lisant, écrivant de la poésie" marchant dans les collines"... qui dans un même temps s'est enfoncé dans la dépression et des complexes, souffrant d'une surdité grandissante...lui ayant progressivement fait prendre la vie comme une fatalité , et s'isoler dans sa propre maison...!



Et l'un des derniers thèmes central de ce récit personnel: le pouvoir magique de transfiguration offert par la littérature...qui console, répare...exprime les sentiments, les mots que l'on n'a pas su prononcer aux très proches, aux bons moments....



"Seul le roman a le pouvoir de modifier ce qui a existé. Dans ce livre où je me suis fait violence pour ne pas aller à l'encontre de la réalité, je n'ai pas résisté en fin de parcours au plaisir d'inventer ces moments de plénitude. Je sais que ce souvenir de conversation, de mer et de symbiose est une création dont aucun instant n'a été. Malgré tout, ce bonheur inventé restera dans ma mémoire pour illuminer le visage de ce père tant désiré dont la vie m'a frustré.

La journée et les deux soirées que nous n'avons pas passées ensemble m'ont rendu heureux. Pendant que j'en écrivais le récit je me suis rapproché de toi. Toute cette joie inventée était pour moi réelle au fur et à mesure que les phrases tombaient des nues. Ce chapitre m'a offert tout le meilleur de toi. La part la plus tendre, la plus joyeuse, celle dont je n'aurais pas osé rêver de ton vivant. La littérature m'a comblé" (p. 199).



Commenter  J’apprécie          512
Cannibales

Assez déroutée au début par les propos émis par les deux rédactrices, j’ai très vite succombé à ce roman épistolaire d’une grande violence. Quel bagout ont ces deux dames, quel scandale de lire leurs propos virulents et pleins de haine, et pourtant quelle jubilation ! Parce qu’au début, si les propos tenus et pleins de hargne vont à l’encontre de l’une ou l’autre, bien vite elles s’allient pour se tourner vers la cible de leur haine, l’homme. Jusqu’à imaginer la mise en scène de sa mort. Et ici en l’occurrence, l’homme ciblé est le fils de l’une (enfant non désiré) et l’ancien amant de l’autre (indigne car non revenu supplier son amante de le reprendre après leur séparation).



Mais petit à petit, des révélations surprenantes, saugrenues, mettent la puce à l’oreille au lecteur. Est-ce du lard ou du cochon ? Sont-ce vraiment des propos échangés entre ces deux femmes ou une invention de l’esprit ? Goeffrey, l’homme ciblé, a-t-il lui aussi participé à ces échanges de courriers ?

Et notez bien au passage que ce sont de vrais courriers et non des mails, ces dames ne supportent absolument ces derniers, remplis d’espions, qui pourraient avaler, diffuser, mémoriser leurs propos. Deux femmes torturées, fortes de leur domination sur autrui, imbues d’elles-mêmes. Deux harpies.

Et c’est la fin, surprenante, qui m’a totalement dégagée de ces rumeurs affreuses, méchantes et bouffies de haine. Les esprits malades peuvent être redoutables.



C’est un roman d’une grande beauté, d’une grande richesse d’écriture et de style. De nombreuses citations méritent d’être relevées sur l’amour, la haine, le couple, la femme, l’homme, les enfants, sans oublier la religion. Quelques phrases assassines jalonnent également le récit. C’est riche de réflexions et de cynisme aussi. Mais surtout, c’est un très bel exercice sur la folie, la schizophrénie.

Mais c’est un roman qui n’aura pas emporté ma totale adhésion, cet humour cinglant, cynique, cruel est, pour moi, poussé à son paroxysme. L’excès m’a petit à petit détachée du propos.

Commenter  J’apprécie          5010
Microfictions

Vous ne trouverez pas moins de 500 microfictions dans cet ouvrage.

Elles sont rangées par ordre alphabétique dans 1010 pages et seront suivies d’un tome 2 de même taille.



En une page et demie, Régis Jauffret décline des aventures du quotidien, autonomes et aigres.

Ces nouvelles sont indépendantes mais cette qualification est-elle appropriée, la page de couverture annonçant “roman” ?

Même s'il y a des similitudes dans ces histoires, elles sont sans répétition si ce n’est celle du cynisme.

L'auteur nous surprend tout au long de sa déclinaison de l’alphabet.



Paru en 2007, ce pavé de 4,7 cm d’épaisseur, dont certains se servent pour caler une armoire dont je tairai la marque, mais qui a dû être mal montée, n’a pas de quatrième de couverture, ni de préambule, mais une épigraphe sous forme d’une auto-citation : “Je est tout le monde et n’importe qui”.

La présentation Babelio est par contre particulièrement bienvenue.



C'est un écrit de la folie et de la cruauté, acide comme des mots de tatie Danielle ! En effet nous dit ce misanthrope : “Je suis un écrivain dangereux, ma production est malfaisante, nocive, le poison que renferment mes livres tue les lecteurs, et durant leur brève agonie ils ont le temps de rendre leur entourage fou, infirme, incapable de joie de vivre à jamais”.



La taille des microfictions en a fait un livre de toilettes même si la couverture crème au liseré rouge détonne à côté des autres livres de ce lieu (Devos, Bedos père et fils, Goscinny, Antoine de Caunes, …).

Il m’a accompagné durant trois années et fut lu à petites doses pour éviter le risque d’overdose d’abjection.



C’est un livre qui érige le cynisme en œuvre littéraire.

Comme il y a le web et le dark web, Microfictions est une sorte de “dark littérature” qui suscite des réactions controversées.



Plutôt que de lire les avis – sauf à vouloir mesurer combien ce livre est clivant pour les lecteurs – allez faire un tour du côté des citations pour avoir un échantillon du genre et de la qualité d’écriture que je peine à vous expliquer.



Je me range du côté des avis 5* et j’emporterais volontiers ces fictions sur une île déserte. J

e complèterais mes bagages par “Le sel de la vie” de Françoise Héritier pour compenser le risque de dépression, malgré tout !

Commenter  J’apprécie          482
Le dernier bain de Gustave Flaubert

Commençons par remercier Babelio-Masse Critique et les éditions du Seuil qui m'ont permis de retrouver un Régis Jauffret dans un exercice littéraire extrêmement périlleux.

Car je connaissais cet auteur à travers, entre autres, des oeuvres comme - Claustria - ou - Sévère -, lesquelles exploitaient, à la manière d'un Emmanuel Carrère dans - L'adversaire -, un fait divers ayant marqué l'opinion publique.

- Claustria -, c'est l'affaire Josef Fritzl, qui séquestra sa fille pendant vingt-quatre ans dans le sous-sol de sa maison, la viola, la tortura, lui fit sept enfants... en toute impunité jusqu'à ce que... Une affaire qui fit grand bruit, fut connue du monde entier... et un livre qui scandalisa les autorités autrichiennes mises en cause dans le bouquin.

Dans cet exercice, j'ai apprécié le travail de documentation et le "produit fini".

Cette fois, R. Jauffret, pour fêter le bicentenaire de la naissance de l'auteur de - Madame Bovary - se réincarne en Flaubert qui, dit-il " campe dans sa tête ", et se lance à travers trois approches, le "je", le "il", et un "chutier", dans un récit biographique, historique échevelé, galopant, débridé, halluciné, délirant où le temps se moque de la chronologie, où les époques se croisent et se recroisent, où vérité et fiction se font des clins d'oeil malicieux.

Tout commence par la fin ; rien que de très logique. le 8 mai 1820, dans sa propriété du hameau De Croisset, Flaubert prend un bain bouillant, et meurt peu après dans son cabinet de travail, foudroyé par une hémorragie cérébrale.

Retour en arrière le 12 décembre 1821, jour où Anne Justine Caroline Fleuriot, épouse du chirurgien-chef Achille Cléophas Flaubert donne naissance à Gustave.

À partir de là, R. Jauffret est Flaubert, et nous donne sa vision de la vie familiale, amicale, sentimentale du grand homme.

Ses rapports avec son père, homme très occupé mais ayant autorité sur son fils, l'amour indéfectible pour sa mère, la relation très forte avec sa soeur Caroline, ses liens avec les domestiques Suzanne et Julie.

Son éducation, son entrée au collège, ses études de droit à Paris.

Sa passion pour la lecture, et celle exclusive pour la littérature qui, combinée avec ses crises d'épilepsie très impressionnantes, aura raison de la volonté de Cléophas de faire de son fils un notaire ou un magistrat.

Sa vie amoureuse où les garçons ont très souvent plus de place que les femmes.

Son oeuvre... et l'immixtion de ses personnages dans ce surprenant récit.

Son dernier bain avec Emma Bovary est un trip hallucinatoire qui vaut lecture.

Son crépuscule enfin, marqué par sa ruine causée par l'époux de sa nièce Caroline, sa légataire universelle... qui s'emploiera, pour des raisons vénales, à ne pas respecter certaines des volontés posthumes de son oncle.

On est immergé ( c'est le cas de le dire ) dans un XIXème siècle très réaliste, bien documenté où l'on croise des Louise Colet, des Elisa Schlesinger ( la scène de ses noces révélée par Jauffret-Flaubert, et les conséquences qu'elle aura sur la suite et la fin de sa vie sont bouleversantes), des Maxime du Camp, des Ernest Chevalier, des Alfred le Poittevin, des Juliet Herbert, des Louis Bouilhet...mais aussi des "people" comme George Sand, Théophile Gautier, Daudet, Balzac, Hugo, Zola etc etc mais surtout Maupassant, son fils spirituel.

Ce livre m'a permis de compléter mes connaissances sur le maître des maîtres de l'écriture.

Ainsi ignorais-je que son père était mort d'une septicémie contractée à la suite d'une autopsie pratiquée devant ses étudiants dans la salle d'amphithéâtre de l'Hôtel-Dieu de Rouen. Un coup de lancette qu'il se porta à la jambe fut le talon d'Achille de cet homme de constitution plus que robuste. " La lancette de mon père avait incisé vingt-cinq mille veines sans avoir été stérilisée depuis sa première utilisation en 1740...).

J'ai appris également que deux neurologues, grâce à la description laissée par un de ses amis d'une de ses crises d'épilepsie, avaient pu déterminer avec certitude que le foyer pathogène était situé dans le lobe occipito-temporal gauche du cerveau de Flaubert.

Que sa syphilis lui fut offerte par "la putain Kuchiuk-Hanem" qu'il rencontra lors de son périple en Orient.

Que durant ces dix-huit mois exotiques, il fréquenta les bordels et eut ce qu'on qualifie aujourd'hui des rapports pédocriminels.

La plaidoirie de maître Jauffret-Flaubert vaut là aussi d'être lue... je me demande ce qu'en penseront Vanessa Springora, Camille Kouchner, Matzneff et Duhamel...

On a beaucoup supputé sur les raisons pouvant expliquer l'AVC massif qui emporta l'écrivain.

Son travail acharné et maniaque pour venir à bout de l'énorme entreprise - Bouvard et Pécuchet - ( il a lu pour préparer le premier tome pas loin de 1500 volumes ), a souvent été mis en avant... associé à ses terribles crises d'épilepsie... le cocktail était déjà détonnant.

Ce qu'on oublie de dire, c'est que Flaubert mesurait 1,84m (très haute stature pour l'époque )... pour plus de 100 kg !!!

Il fumait dès son réveil... à jeun... et aimait la bonne chère ; le tableau idéal de l'apoplectique.

J'en viens à présent au pari ( un mot d'actualité ) de Jauffret de se mettre dans les bottes de Flaubert.

Là, l'élève ne pouvait rivaliser avec le maître du style qu'au risque de ne rester qu'un élève.

À vouloir penser et s'exprimer comme Flaubert, Jauffret ne m'a pas convaincu, au contraire il m'a même souvent agacé.

Une avalanche de participes présents, des phrases commençant par "de" suivi d'un infinitif, une sophistication maniérée, des répétitions à l'épate en veux-tu-en voilà : baguenauder, cadeauter, vitement, valetaille, ad libitum, cataracte, défalquer, renâcler... Bref, une prose à faire pâlir d'effroi de vrais stylistes comme Franck Bouysse ou Marie-Hélène Lafon...

À vouloir s'élancer pour franchir comme les vagues de la mer un rocher trop élevé pour son retour... R. Jauffret ne sera sauvé que s'il bénéficie d'un épisode de grande marée sur l'achat de son livre, certes pas banal, mais qui pour moi est de l'ordre du "mitigé", voire du surfait.

Un coup d'essai à saluer même s'il n'est pas un coup de maître.
Commenter  J’apprécie          482
Asiles de fous



Rarement, un roman aura si bien porté son titre !



Gisèle, 29 ans, et Damien,30 ans, vivent ensemble depuis quelques années.

Un matin où Damien est parti au travail, son père débarque chez eux sous prétexte de changer un robinet défectueux. Il vient en fait pour annoncer à Gisèle que Damien la quitte ... Il n'a pas eu le courage de l'annoncer lui-même alors c'est son père qui s'en charge. Ce dernier vient chercher les affaires de son fils (vêtements, disque dur de l'ordinateur) et veut même récupérer une garde-robe qu'il leur avait donnée, quitte à la jeter à la déchetterie ... Après avoir outrageusement fait des avances à Gisèle, il la conjure de descendre l'armoire avec lui ! mission qu'elle accomplit d'ailleurs ! Il passe aussi son temps à injurier son propre fils pour sa lâcheté et se demande comment Gisèle a bien pu l'aimer !



Ce roman est composé de 4 personnages : Gisèle, Damien, son père et sa mère, qui soit soliloquent, soit échangent des propos venimeux.



Après le passage du père lubrique, nous assistons à la conversation téléphonique entre la mère et Gisèle. La mère insulte copieusement la jeune femme, la jugeant bonne à rien, étant ravie que son fils l'ait quittée et l'enjoint à pleurer tout son saoûl et puis de refaire sa vie avec un moins que rien qui lui convienne ... Elle espère cependant que Gisèle soit profondément malheureuse, la rupture que son fils lui impose mérite bien ça et lui, en sera tellement fier, tout enorgueilli. Comme Gisèle ne donne plus signe de vie, elle tient absolument à la consoler de la perte de Damien, espérant bien que la jeune femme soit désespérée, elle pourra ainsi la consoler et peut-être s'en faire une amie ...



Damien est un être veule, lâche, alcoolique, sexuellement dérangé et ses parents ont honte de lui en leur for intérieur. Des désirs d'inceste mère-fils parasitent régulièrement ce fameux gaillard qui par ailleurs déteste sa mère et méprise son père mais qui est revenu chez eux se blottir dans un cocon douillet.



Les parents (surtout la mère) de Damien harcèlent de plus en plus Gisèle qu'elle veut absolument voir souffrir ... pour la gloire de son fils et la sienne.



Remarquablement écrit, il faut toute la plume déjantée de Régis Jauffret pour nous faire rire du burlesque de la situation. Humour noir, cynisme et burlesque se disputent la 1ère place : ce n'est plus un roman, c'est un sketch ! Mais ne y trompons pas, sous ses propos venimeux outranciers, l'auteur dénonce beaucoup de vérités familiales que connaissent la plupart des familles. Comme il le dit lui-même vers la fin du livre : "Vous avez dû trouver cette famille étrange, mais plus encore que les histoires d'amour, toutes les familles sont des asiles de fous"



Ce livre génial s'adresse aux lecteurs qui possèdent un sens de l'humour au 2ème voire au 3ème degré sinon passez votre chemin, il ne vous apportera rien que de l'incompréhension et de l'ennui ...



Et n'oubliez pas que si les sketches font rire, c'est parce qu'il se cache toujours un solide fond de réalité dramatique dessous !







Commenter  J’apprécie          484
Microfictions 2018

Une brique de plus de mille pages, divisée en plus de 500 chapitres de 2 pages dont les titres sont classés par ordre alphabétique (de « Aglaé » à « Zéro baise », voilà qui est original.

Originaux également les sujets de ces divers chapitres traitant de choses absolument ignobles, tout y passe : parricide, infanticide, vomissures, viols, pédophilie, inceste, scatologie et j’en passe...

Et pourtant, malgré ces sujets, on revient à ce livre, on en lit quelques chapitres, on abandonne, mais ce roman reste un aimant, il nous attire et on lit encore...

Je me suis souvent demandé pourquoi, je n’éprouve pourtant aucun attrait pour l’abjection ni même pour la lecture des faits divers...

Chaque chapitre raconte une histoire différente, avec des personnages différents, leur seul lien commun est l’horreur des situations.



J’ai lu le livre jusqu’au bout, je l’ai aimé et je n’ai même pas honte de l’avouer !

Pourquoi m’est-il arrivé même d’éprouver de l’empathie pour certains personnages ? Ils commettent des actes odieux, ils nous le racontent sans le moindre état d’âme mais ils sont aussi quelque part des inadaptés, des personnages pour qui on peut ressentir de la pitié.

Et puis, il y a la manière de raconter, sans fioritures, en deux pages tout est dit.

Commenter  J’apprécie          443
Le dernier bain de Gustave Flaubert

Je ou il

Flaubert personnage d'un roman.



Une enfance où il fait bon lire et observer. Gustave a le temps de s'émerveiller, de jouer avec sa soeur Caroline, de partir en vacances, de flâner dans la bibliothèque, d'écouter les histoires au coin du feu, de goûter les bons petits plats préparés par Julie. Il ne fait pas partie de ses enfants d'ouvriers qui usent déjà leur santé dans les usines, de ceux qu'il aperçoit, promenés en brouette comme des petits vieux dans l'hôpital de son père, par des bonnes soeurs en cornettes. Bien qu'il soit épileptique, il est chanceux.



Il peut même, à l'adolescence, jouer la comédie du désespoir. Peut-être fallait-il cela pour devenir un écrivain illustre. Regarder la réalité à travers la lunette des mots. La décortiquer, l'habiller de personnages, s'y prélasser, s'y fondre.

Il peut choisir son avenir. Le droit ou l'écriture. Le droit l'ennuie. Il préfère créer en toutes lettres une réalité de papier.



Mais que reste-t-il au moment de son dernier bain, de cette vie de voyage, toujours à la recherche de belles phrases, d'aventures amoureuses ? Parfois il perd le fil, son histoire se découd, la couverture gondole, les mots l'insultent. Les personnages lui demandent des comptes, ils se libèrent de leurs liens, de leurs boucles trop serrées, de leur boue d'encre noire, de leurs habits qui sentent le moisi entre les pages. Emma Bovary revient le plus souvent sur la scène de sa vie. Elle lui fait boire la tasse et bien plus encore. Emma c'est un peu lui, au fond. Elle veut vivre encore, à sa guise, quitte à n'être que pauvre, analphabète, vêtue de nippes, éleveuse de bovins.





Biographie romancée où Flaubert est ce personnage talentueux, frileux, boiteux, malmené. De sa baignoire sabot, il voit s'échapper sa vie.

Un regard en arrière :

« La vie au fur et à mesure effacée. Elle laisse une trace plus labile encore qu'une barque sur l'eau. »



Il se console à peine en pensant à ses romans qui continueront à le faire vivre à chaque fois qu'un lecteur en commencera l'histoire. C'est une part de lui. Un jour ou l'autre l'encre disparaîtra aussi. Les pages seront grignotées par le temps. Et puis les hommes n'auront plus le même langage. La morale le condamnera, (lui ce pédophile pour qui les petits garçons d'Orient comptaient pour rien), la mode le trouvera ennuyeux, se perdra au bout de ses phrases, de ses images jaunies.

« Non content de nous effacer le temps nous tourne en ridicule. »



Ce qui m'a plu dans ce roman, ce sont les voix de Flaubert et de Jauffret emmêlées, l'ironie à fleur de page. (Les lettres de leurs noms sont presque semblables). Régis Jauffret imagine les pensées de Flaubert, cet éternel jouisseur désespéré. Une vie de plume d'oie qui trempe dans la grenouille encrier, gratte le papier, oublie la réalité. Le lecteur voit se dessiner un Flaubert un peu agaçant tout de même, un peu barbant (avec ses longues phrases, parfois délirantes), égocentrique. Un homme illustre quoi, d'un autre temps.





Ce roman jette un regard incisif sur la vie et la mort, qui ne font qu'une dans un même cri de solitude.

« On passe l'infime ration d'années qui nous est consentie à pousser devant nous la cage où nous sommes enfermés. »



C'est aussi une réflexion sur la création littéraire, le talent, l'obsession du mot, de la perle.

« La réalité attend d'être écrite pour être. »

Mais au fond la réalité n'attend rien de nous, elle est, un point c'est tout. En l'écrivant on l'imite, en la lisant on tente d'en comprendre sa couleur. Elle fuira toujours quoique les mots en disent. Les hommes passent, illustres ou non.



Je remercie Les Éditions du Seuil et Babelio pour ce roman d'une forme originale. Il me reste à lire le "chutier", écrit un peu petit je prendrai mon temps.



Commenter  J’apprécie          430
Le dernier bain de Gustave Flaubert

Pour commencer, merci à Babelio et son opération Masse critique, et merci aux éditions du Seuil pour l'envoi de ce livre.



Gustave Flaubert prend un bain et ce bain qui sera le dernier lui donne l'occasion de nous livrer quelques souvenirs.

Au seuil de la mort, il a les idées plutôt confuses et raconte un peu en désordre.

Il ne s'agit pas d'une biographie à proprement parler, même si l'auteur s'est appuyé sur une vaste bibliographie.



Tout est fait pour me plaire : j'admire Gustave Flaubert dont une relecture récente de Madame Bovary m'a enchantée, et je suis ravie à l'idée de le retrouver dans ce livre qui s'annonce original et humoristique.

Je me glisse donc confiante dans l'eau.

Hélas, loin de me procurer la détente et le plaisir escomptés, ce bain m'a ennuyée, agacée, et a failli avoir raison de moi.



Sur le fond, j'ai trouvé que l'on tournait en rond et qu'il y avait beaucoup de redites. Ma curiosité initiale est donc assez vite retombée.

Sur la forme, j'ai peu aimé le style de l'auteur, en particulier la multiplication des tirets utilisés à contre-emploi et que la surabondance rend pénibles.



Vient maintenant mon plus grand reproche.

Le Gustave Flaubert de Régis Jauffret est obsédé par le sexe. Il bande à tout bout de champ, baise à tout-va hommes et femmes sans distinction, et ne pense qu'à ça.

Était-il réellement ainsi ? À ce point ? Je n'en sais rien, et à vrai dire, cela ne m'intéresse pas vraiment.

S'il l'était, oui il est légitime d'en parler, mais de là à truffer le texte d'éléments graveleux...

S'il ne l'était pas, le parti pris de l'auteur est encore plus incompréhensible.

Ces passages orduriers sont censés être drôles, je les ai juste trouvés vulgaires.

Leur accumulation entraîne l'indigestion.

Trop, c'est trop !



Pour son bicentenaire, Flaubert aurait mérité un meilleur cadeau d'anniversaire.

Il aurait mérité mieux que d'être présenté en vieux lubrique, et moi, lectrice, j'aurais mérité mieux que cette profusion de phrases salaces et de très mauvais goût.

Mieux que ce bain dans lequel j'ai failli me noyer.



C'est avec un immense soulagement que j'ai terminé ce livre que je n'aurais jamais achevé si je ne l'avais pas reçu par Masse critique : moralement, lorsque l'on reçoit un ouvrage dans cette opération, je trouve que l'on se doit de le lire jusqu'au bout.

Voilà, c'est fait ! Exception faite de la trentaine de pages du "chutier" rajouté à la fin du roman. Celui-ci est écrit dans une police d'écriture tellement ridiculement petite qu'il est illisible.

Soit ce chutier contient des choses intéressantes, et dans ce cas, pourquoi ce choix ?

Soit il n'en contient pas, mais alors, pourquoi le publier ?
Commenter  J’apprécie          407
Le dernier bain de Gustave Flaubert

Je me suis fait violence pour le terminer car c’est un livre que j’ai gagné lors d’une Masse Critique et dans ce cas j’estime normal de faire des efforts de lecture pour arriver au bout !



J’étais emballée à l’idée de le lire car comment pourrait-il en être autrement d’une autobiographie posthume ? La 4ème de couverture commençait de manière amusante et je pensais que ce ton allait être le même pour la totalité du livre ; ce qui n’a pas été le cas ! C’est à peu près le seul moment humoristique !!



La première partie s’intitule “je” et c’est Flaubert qui parle mais je devrais dire qui geint tant et plus, sur ce qu’il a fait, écrit, pas fait, pas baisé ou pas aimé, à moins que ce “je” soit l’auteur... allez savoir ! Quand ce n’est pas après les personnages et plus particulièrement après Emma Bovary qu’il(s) n’épargne(ent) pas !



Pour couronner le tout, les virgules sont quasi inexistantes et il me fallait parfois relire les phrases pour en comprendre le sens. Le début de chaque paragraphe se présente comme un dialogue avec un tiret en préambule mais non ce n’est pas un dialogue ! Plus j’avançais dans le livre moins ça me plaisait et ça ne faisait même plus sens, j’ai fini par ne plus y trouver d’intérêt.



La deuxième partie s’appelle “il” et pour dire la vérité, je l’ai lu en diagonale en m’arrêtant quand une phrase m’accrochait, je pensais qu’un autre point de vue me serait moins hermétique ! Il y a fort probablement des subtilités que je n’ai pas saisies, des messages qui me sont restés obscurs et pour ça je mets quand même 3 étoiles.



Quant au “chutier”, c’est illisible sauf à utiliser une loupe, à moins que ça ne soit là pour montrer que l’auteur a écrit beaucoup plus !



Rendez-vous manqué mais c’est plutôt avec l’auteur, dont c’est ma première lecture, qu’avec Flaubert ! Merci aux éditions du Seuil et à l’équipe Babelio grâce à qui je découvre des livres que je n’aurais pas imaginé lire, même si ça ne fonctionne pas toujours.



Challenge MULTI-DEFIS 2021

Masse Critique février 2021
Commenter  J’apprécie          396
Claustria

Vous avez tous entendu parler de l'affaire Fritzl ? Oui ? Très bien. Maintenant oubliez-la. Ceci est une œuvre de fiction. Et même si elle s'appuie et se nourrit de ce fait divers, cette histoire est un roman. Prenez Flaubert, il a assez répété que Madame Bovary n'était pas une simple transcription de l'affaire Delamare. Ces choses dites, voici le roman.



Autriche, ville d'Amstetten. Pendant 24 ans, Josef Fritzl a séquestré sa fille Angelika dans la cave de la maison familiale. Il lui a fait dix enfants, trois qu'il a élevés avec son épouse Anneliese dans la maison et les autres qui sont morts ou restés cloîtrés avec leur mère. C'est l'histoire du « petit peuple de la cave » qui nous est racontée. Mais c'est aussi les années qui ont précédé l'enfermement : l'adolescence violée d'Angelika, ses tentatives pour échapper à son père, l'enfance et la jeunesse de Josef et ce qui a forgé son goût pour la brutalité et le viol. Apparaît également une histoire qui n'existe que pour l'auteur, celle d'un des rescapés, Roman, plus de 45 ans après la sortie de la cave. Puisque je vous dis que ce texte est un roman – ou un Roman – croyez-moi ! Pas question de refaire le procès des voisins et des proches qui n'ont pas entendus les bruits venus du sous-sol.



La majeure partie du texte relate l'existence dans la cave, le quotidien rythmé par une absence de repères – ou ceux, évanescents, venus de la télévision – l'angoisse perpétuelle de manquer de nourriture ou d'être privé d'eau et d'électricité. Fritzl, seigneur capricieux, apparaît quand bon lui semble, approvisionne quand ça lui chante et reprend pour punir et mater. Selon le modèle et l'habitude autrichiens, il n'est qu'un tyran ordinaire qui bat femme et enfants. Mais sa volonté de dominer rappelle quelque peu l'hybris des Grecs antiques : Fritzl aime la terreur et la soumission qu'il provoque et il se moque de la folie qu'il cause. Brutal et jouisseur, il tire aussi son plaisir des affaires immobilières qu'il mène. Il rêve de s'annexer des morceaux d'Autriche et de bâtir un empire à sa mesure.



En arrière-plan se tient Anneliese, toute entière soumise au démon domestique qu'elle a épousé. Elle aligne son comportement sur le sien et bat sa fille avec autant de hargne. Elle ne s'interroge pas sur sa disparition, refuse d'y penser, oublie les possibles. « Anneliese passait son temps à renier ses oreilles, à se dire qu'elles perdaient parfois la raison. Ils étaient rares les instants où elles leur accordaient le bénéfice du doute. Plus rares encore ceux où elle se permettait d'évoquer timidement la bande-son de la cave à Fritzl. » (p. 307)



La libération, traitée sur quelques chapitres, n'apparaît pas comme un bienfait. « L'air libre les avait tués lentement comme une émanation délétère. » (p. 11) Sans cesse, les victimes et le bourreau répètent qu'il y a eu du bonheur. « Roman est allé respirer à la fenêtre. L'air lui manquait en se souvenant. Il regardait au loin. Il se sentait coupable d'avoir été si heureux dans la cave. D'aimer son père, aussi. » (p. 40) C'est là que surgit le plus insoutenable : de l'horreur est née une certaine forme de contentement et d'épanouissement. Les spectateurs et les étrangers ne peuvent le comprendre, eux qui n'ont que répulsion fascinée pour cette « poche de cauchemar sous la terre autrichienne » (p. 12 & 13). Il faudrait que les enfants aveugles crient leur reconnaissance d'avoir été sauvés, mais ils se terrent et cherchent sans cesse à retrouver le confort rassurant de la cave exigüe. « Il avait gardé la nostalgie du sous-sol. Cette conque, cette coquille qu'ils remplissaient toute entière comme jaune et blanc d'un œuf. » (p. 27)



L'auteur, qui se met en scène dans son enquête, imagine les suites de cette affaire, ses retombées médiatiques et ses exploitations par le cinéma ou l'édition. Il interroge l'horreur par le prisme du consommable. Il constate que, comme souvent, tout est bon pour vendre, même si la recette est mauvaise. « Les victimes sont décevantes, parfois les martyrs ne sont pas des héros. » (p. 32) Dans son enquête – réelle ou non – il visite la trop fameuse cave et c'est la que se déroule une des scènes les plus terribles du roman : son guide et lui sont assaillis par une foule de rats à laquelle ils n'échappent qu'en fuyant à toutes jambes. Voilà que l'horreur a tenté de s'emparer d'eux, de les recouvrir. En quittant ainsi les lieux, des questions sont restées sans réponse, mais c'est sûrement mieux ainsi. « Si comme dans l'Enfer de Dante il y avait des cercles dans la cave, tout le monde a préféré s'abstenir de les visiter tous. » (p. 83) Enfin, création ou vérité, une phrase lancée à l'auteur témoigne de l'ambivalence de son travail : « Au revoir, écrivain. D'après le site que j'ai regardé tout à l'heure, on vous prend pour un cinglé. Alors personne ne vous croira. » (p. 184) Est-ce vraiment de cela qu'il s'agit, savoir s'il faut croire ou non ce qu'écrit Régis Jauffret ? Mais puisqu'on vous dit que c'est un roman, c'est écrit sur la couverture.



Ce sur quoi il vaut mieux s'interroger, c'est sur notre capacité à nous enfermer nous-mêmes. Fritzl a poussé l'expérience à l'extrême. Mais bien fous serions-nous si nos pensions que nous sommes libres. « On habite toujours un espace clos, on ne court jamais bien loin, les voitures suivent des routes, les trains des rails, les avions, les fusées ne rejoindront jamais l'infini. On se cogne toujours quelque part. » (p. 321)



Ouvrir ce livre, c'est ouvrir la porte de la cave et suivre Fritzl dans le souterrain. C'est faire ce que chacun a fait après la révélation de cette funeste histoire : imaginer le spectacle de cette famille captive. S'il est bien impossible de partager et de ressentir ce que cela fut, il suffit de soulever la trappe pour respirer les relents du rêve étrange d'un homme ivre de domination. Mais tout cela, on le doit à l'imagination de l'auteur. Bien que très probable, la ronde des psychiatres, des journalistes et des enquêteurs est inventée. Inventée aussi l'étrange relation entre Fritzl et son avocat. Fantasmées les années obscures du petit peuple de la cave. « Leur histoire devenue bientôt un conte de sorcière, un mythe dont on doutera des origines. Angelika et les ombres sur l'écran de la caverne dont Socrate ne dira jamais rien. Les phrases inhabitées des médias, des causeurs, des fabricants de romans. La cohorte des apprentis Platon, des jongleurs, bateleurs de la syntaxe, la poudre aux yeux du . » (p. 535)



Claustria enferme le lecteur. Ne riez pas, ce n'est pas qu'une formule. Véritablement, j'ai été prise et captive de cette histoire. Elle s'est accrochée, ne m'a pas lâchée. Plus approchait le terme du roman et moins je savais si je devais être soulagée ou déçue. Claustria est un roman de l'ambivalence : j'ai aimé être captive, j'en ai redemandé quitte, pour cela, à devoir encore assister à l'horreur. De la pitié pour Angelika et les enfants, oui j'en ai eu. Mais j'ai aimé ce roman, encore plus.
Commenter  J’apprécie          395




Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten


Lecteurs de Régis Jauffret Voir plus

Quiz Voir plus

Molière

Qui est l’auteur de cette pièce de théâtre ?

Molière
Jean-Jacques
Michelle
Gertrude

25 questions
29 lecteurs ont répondu
Thème : Le Bourgeois Gentilhomme de MolièreCréer un quiz sur cet auteur

{* *}