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Critiques de Sylvie Germain (761)
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Magnus

« Écrire, c'est descendre dans la fosse du souffleur pour apprendre à écouter la langue respirer là où elle se tait, entre les mots, autour des mots, parfois au coeur des mots. »



Magnus, c'est le récit d'un enfant à la mémoire lacunaire, que l'on voit grandir, qui devient homme, en quête d'identité, la sienne, celle des autres qui lui furent proches, les siens, celle d'un passé à jamais recouvert sous les décombres de ses origines.

Franz-Georg est né avant la guerre en Allemagne, mais il ne se souvient plus des cinq premières années de son existence, à cause peut-être d'une grave maladie, le typhus dont il a failli mourir.

Il grandit dans cette famille allemande qui voue un culte immodérée à Hitler, son père est un médecin tortionnaire nazi, grand serviteur du IIIème Reich. Quand la seconde guerre mondiale scelle la capitulation de l'Allemagne nazie, le père s'enfuit au Mexique, tandis que sa mère et l'enfant se réfugient en Angleterre. On change le prénom de l'enfant qui devient Adam... Là-bas, cette mère si dévouée, - trop dévouée peut-être, va s'efforcer d'aider l'enfant à reconstituer sa mémoire en lui réapprenant sa langue, l'allemand, son histoire familiale, ce passé qui ne passe pas...

Dans les pas de l'enfant, seul témoin qui pourrait tout raconter à son fidèle ami, il y a Magnus, petit ours en peluche à l'oreille roussie, qui va l'accompagner tout au long du récit.

Franz-Georg va devenir Magnus...

Magnus, c'est la mémoire impossible à reconstruire sur les désastres de la guerre.

C'est un roman autour des secrets, de la mémoire et de l'oubli.

Qui suis-je ? C'est la question qu'il se pose tout au long du roman, dans cette fuite éperdue allant à la rencontre de lui-même. Il lui faut tout réapprendre, ou plutôt désapprendre ce passé qu'on lui a inventé...

Les souvenirs se dissipent en vrac. S'ils lui reviennent au gré de belles rencontres, c'est souvent en désordre, la mémoire en cours de recomposition présente un étrange caractère de fragmentation. C'est un endroit où il continue de se sentir otage des secrets et du mensonge des autres, où il ne voit pas toujours comment s'en délivrer.

Magnus découvre que L Histoire fait mal.

D'un âge à l'autre, d'un amour à l'autre, d'une identité à l'autre, - identité accidentelle, identité imposée, identité choisie -, Magnus se promène dans les décombres de sa mémoire où gît peut-être la vérité. Mais faut-il vraiment tout savoir sur ses origines ? C'est un chemin fait d'impasses, de sentiers en perdition, d'ombres et de lumières en embuscade...

Certaines révélations ne sont pas forcément toujours bonnes à entendre. Est-ce là le prix à payer pour se délivrer du joug de l'amnésie ?

Et c'est sous cette forme de fragments recueillis comme des îles en perdition que Sylvie Germain construit la narration du récit, faisant de l'édifice de son texte une véritable allégorie du destin de son personnage principal. L'ordonnancement de ces fragments ne suit pas toujours la chronologie des faits, mais cela ne nuit nullement à la lecture, il s'agit plutôt d'une sorte de processus intime, la confrontation du réel au vide de sa mémoire...

J'ai trouvé l'écriture de Sylvie Germain incroyablement belle, poétique, travaillée. Peut-être trop travaillée justement, au point de me perdre dans un dédale de résonances où il m'a manqué des émotions et des respirations...

C'est sans doute pour cela que je suis resté au bord du texte, regardant passer Magnus et son errance.

J'aurais aimé que Sylvie Germain ouvre l'espace, déchire le ciel, fasse de la mémoire lacunaire de ce jeune homme, un gros roman, une odyssée, une constellation de vertiges et de sensations.

Et pour tout vous avouer, la fin m'a laissé sur ma faim...

Aussi, cette première rencontre avec Sylvie Germain est-elle plutôt mitigée. Son écriture magnifique m'incite cependant à revenir dans son univers littéraire.



" Ce qui n'a pas été dit en temps voulu est perçu, en tant d'autres temps, comme une pure fiction. "

Aharon Appelfeld

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La pleurante des rues de Prague

Elle, la pleurante, personnage fantomatique, est là pour convoquer la mémoire. Celles des hommes, femmes et enfants qui ont souffert. Celles des petites gens que le vent de l’Histoire n’a pas retenues et qui pourtant jonchent les rues de Prague.

Une ville décrite avec minutie par l’auteure, une ville dans laquelle on déambule dans les différents quartiers, on écoute le tintinnabulant tramway, on respire l’odeur de lignite... une ville qui respire et exhale ses sombres souvenirs.



Une ville symbole de la tragédie du XXe siècle dans laquelle l’Histoire s’est gravée. « C'est que, sous ses grands airs, l 'Histoire pue. Il conviendrait de le sentir, et il importe de le dire, pour que l'on sache à quel point la douleur des victimes fait vraiment mal et que l'on n'oublie pas qu'une larme pèse un poids gigantesque.»



Mais la Pleurante, par le truchement de ses douze apparitions(qui sont autant de chapitres) se penche aussi sur cet écrivain près de mourir de froid, sur ce père disparu, sur ces enfants partis au loin, sur ces amants qui n’en sont plus...

« Là où passe la géant, la terre s’exhausse de l’oubli où nous la tenons, les choses s’arrachent à l’indifférence où nous les reléguons, la matière se montre, grenue, rugueuse, massive, poreuse, pétrie de temps, et tout prend une odeur, un goût, une présence. »



Passeur de mémoire, passeur de mots. La pleurante comme l’auteure font oeuvre commune pour laisser une trace.



Chaque page infuse sa dose de poésie. C’est beau, fort, lyrique. On sort de cette lecture enchanté(e), groggy, ivre de tant de beauté et de tant de tristesse aussi.

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Le vent reprend ses tours

Quel bonheur de renouer avec Sylvie Germain, que je lisais beaucoup il y a une quinzaine d'années ! Ce dernier livre d'elle, prêté par une amie, est un coup de coeur, comme l'a été pour moi " Magnus" en son temps.



C'est d'abord l'écriture si poétique, évocatrice, inventive, que j'ai retrouvée avec plaisir. Poétique, oui, il sera d'ailleurs souvent question de poèmes , notamment roumains, mais aussi français , particulièrement d'Apollinaire et Rimbaud, dans cette histoire émouvante.



Le 6 septembre 2015, le hasard va bouleverser la vie de Nat(h)an, lorsqu'il aperçoit cet avis de disparus sur un abribus parisien: y figure la photo de celui qui a illuminé son enfance et son adolescence solitaires, en manque de tendresse maternelle.



L'homme-ibis si farfelu, au regard roux, avec qui il a déambulé dans Paris, qui lui a appris tant de poèmes qu'il déclamait aux passants, entrecoupés de sons étranges, et de musiques soufflées d'instruments improbables. Gavril , le roumain exilé, le tzigane dont toute la famille a été broyée par les nazis. Gavril qu'il croyait mort, par sa faute. On le lui avait dit. Mais il est toujours vivant!



S'en suit une enquête, une quête personnelle, des révélations bouleversantes, et une renaissance... Je préfère ne pas en dire plus, laissons la magie des mots, la source d'émotions toucher aussi d'autres lecteurs...
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Les personnages

« Nous sommes des personnages…nous voulons une vie textuelle !

Nous sommes des personnages…nous voulons chair et esprit ! »



Une manif de personnages en quête d’existence littéraire, c’est un peu ce que m’inspirent les vingt-cinq déambulations proposées par ce court essai autour des personnages. Ils s’imposent sans raison apparente, prennent racine dans la fiction, et du magma créatif passe à la réalité écrite, puis lue.

Imaginez un peu le rififi dans la cervelle d’un écrivain face à la page blanche ou l’écran vierge. Désarroi, amertume, exaltation, euphorie, tout se mélange au coeur de la création ; car d’où viennent-ils finalement, comment s’incarnent-ils tous ces héros qui peuplent le monde si particulier de la littérature ?

C’est ce qu’en 120 pages, Sylvie Germain décortique avec humour et références à l’appui, d’un ton direct et très personnel à la fois, livrant des fragments de sa vérité face à l’écriture.



J’ai trouvé cet ouvrage passionnant, d’autant plus qu’il est illustré pour conclure par deux « esquisses en marge » très originales, deux exemples de la difficile capture du personnage par l’écrivain qui doit réussir à « donner une carnation aux mots ».

Tout sauf une gestation évidente, mais quel talent pour nous y associer, nous les lecteurs !
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Magnus

Je ne connaissais pas l'auteure jusqu'à l'épisode pathétique du bac français 2022. Ma fille passait justement cette épreuve cette année-là. J'ai lu le texte, je l'ai trouvé difficile à faire en commentaire composé mais j'ai aimé le style. A ce moment-là je me suis dit que c'était l'occasion de découvrir cette auteure, jamais lue, pas connue de ma part.

Et puis... Evidemment j'ai oublié....

Heureusement dans sa liste d'auteur(e)s à lire, le challenge solidaire proposait Sylvie Germain. Allez hop ! J'ai l'argument de la bonne action en plus du plaisir de la lecture.

.

Quel livre choisir ? En premier lieu visiter le site de ma bibliothèque. Un mignon nounours sur la couverture. Va pour ce Magnus !

Autant vous le dire de suite : j'ai été ravie de cette lecture, j'ai tout aimé, le récit, sa construction originale, le style ciselé. Tout. Je me suis régalée de la première page (les premières pages sont très intrigantes, à hauteur d'enfant) aux dernières (qui entremêlent une touche de.... non je ne dirai rien !!).

Qui est le Magnus du titre ? Justement, c'est un point du récit. Parce que Magnus n'est pas que le nom du nounours de l'enfant du début du livre. Magnus c'est aussi quelqu'un. Mais qui ?

.

L'histoire va nous faire voyager dans plusieurs pays, mais prend son origine dans l'Allemagne des heures sombres, l'Allemagne des camps, des bombardements, de la capitulation. C'est là que commence l'histoire du petit garçon et de son ours en peluche. Une histoire magnifiquement rédigée, une histoire douloureuse.

Je vous conseille vivement la lecture de ce Magnus, une lecture touchante, douce, triste et surprenante.

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Petites scènes capitales

Vous n'allez certainement pas me croire si je vous dit que Lili est le diminutif de Barbara ? Vous auriez à la fois tord et à la fois raison. Notre héroïne, que son père a toujours appelé Liliane (pour faire court Lili) depuis sa plus tendre enfance, découvre dès son entrée à l'école, que son vrai prénom (son premier prénom disons puisqu'elle en a trois) est Barbara. Celui-ci lui a été donné par sa mère à sa naissance, une mère qu'elle n'a jamais connue puisqu'elle a déserté le toit conjugal lorsque Lili Barbara avait onze mois et qu'elle s'est noyée en mer trois ans plus tard.

Aussi, Lili (je vais me contenter de ce diminutif pour cette critique sinon, pour vous, lecteurs, cela va vite devenir lassant), n'a-t-elle connu que sa belle-mère Viviane, avec laquelle son père s'est remarié bien des années plus tard. Elle qui était fille unique, a également dû s'adapter à partager sa chambre avec les autres filles de Viviane à savoir Jeanne-Joy, l'aînée et les jumelles Christine et Chantal qui n'ont qu'un jour d'écart avec elle ; le garçon, Paul, ayant sa propre chambre.

Lili qui n'avait jusqu'alors vécu qu'avec son père Gabriel et qui était habituée à l'avoir pour elle toute seule, va devoir apprendre à partager, à faire des concessions et à s'habituer à son nouveau mode de vie.



Dans ce roman, bien des drames arrivent et le premier en date est celui de la mort de l'une des jumelles, Christine, alors qu'elle n'avait que quatorze ans. Suite à cet accident, la famille reconstituée ne sera plus jamais la même, chacun des membres de cette famille ne sera plus jamais comme avant et ce qui doit arriver arrivera, cette famille, à l'apparence heureuse, va se disperser. Chantal sera l'une des premières à partir puisqu'elle ne pourra plus vivre sous ce toit sous lequel elle a vécu tant de moments heureux avec sa moitié ; elle a besoin de s'éloigner très vite et très loin. Jeanne-Joy, Paul et Lili, partiront eux aussi, qui pour faire des études, qui pour aller s'installer à l'étranger.



Même si d'autres drames suivront (j'avais annoncé dès le départ qu'il y en avait plusieurs), sachez que ce libre n'est pourtant pas considéré (de mon point de vue) comme ce que l'on pourrait qualifier, dans le monde du théâtre ou du cinéma, comme une tragédie. Il y beaucoup de réflexions sur la vie, l'amour, les ambitions de chacun quant à savoir ce qu'il veut faire réellement de sa vie et qu'il nous amène, bien souvent, à nous remettre en question. En effet, nous qui nous plaignons souvent pour un rien, nous apprenons, en découvrant cet ouvrage, à relativiser car, malgré tous les malheurs qui s'acharne sur cette famille, chacun et chacune d'entre eux, aime la vie et sait en savourer chaque instant !



Une écriture magnifique, une histoire forte (une sorte de chronique familiale en réalité) et qui, avec ses hauts et ses bas, nous donne des magnifiques leçons de vie. A découvrir !
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Le vent reprend ses tours

Je viens juste de le terminer. Je ne sais pas trop comment rédiger cette critique. Car sans m'identifier réellement à ce personnage, Nathan, cet enfant, adolescent, homme, j'ai tout droit été touché au cœur par son cheminement, sa découverte de la vie, qu'il s'est fabriquée comme il a pu. Sa rencontre, lorsqu'il est encore enfant, avec cet homme excentrique, qui a su l'émanciper du manque d'amour maternel, amorcer son chemin de vie, est bouleversante de bonheur, de vie, autant que pour l'enfant que pour l'homme. On apprendra un peu plus loin que cet homme, Gavril a survécu aux coups de l'Histoire, en s'échappant de la Roumanie communiste. On apprendra encore un peu plus loin pourquoi la mère de Nathan est elle aussi une rescapée des aléas de la vie et n'a pu apporter l'amour que son fils attendait. Tout le monde, finalement, se construit comme il peut, avec ce qu'il a. C'est ce qu'on appelle la résilience. On finit tous par se reconstituer. On sent tout l'amour que Sylvie Germain apporte à ses personnages malmenés. C'est un roman qui permet de ne pas perdre de vue qu'il y a toujours une voie de sortie, lorsque tout semble perdu.
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Magnus

Frantz-Georg n’a que cinq ans quand il tombe malade. Il ne se souvient de rien. Il se raccroche à ce que sa mère lui raconte, c’est un peu flou pour lui, comme pour le lecteur. Le lecteur comprend avant lui où et quand il est né, ce que ses parents font. Le flou dans lequel se trouve l’enfant ne m’a pas perdue, bien au contraire, il m’a harponnée.

La structure est originale et parfaitement maîtrisée. Fragments, notule et palimpsestes. Bien que le récit soit chronologique, la structure ralentit la lecture comme pour permettre au lecteur de se poser, de mieux s’interroger, de mieux comprendre.

À lire absolument


Lien : https://dequoilire.com/magnu..
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Le vent reprend ses tours

Une averse et Nathan s'en protège sous un abribus. Côtoyant quelques annonces, y sont placardés des avis de recherche, des portraits mal photocopiés de disparus. Parmi eux, celui d'un vieil homme, une tache noire sur la tempe gauche : Gavril, échappé d'un hôpital.

L'émotion submerge Nathan. Des flashs, des souvenirs le ramènent plus de vingt-cinq ans en arrière.



Gavril est ce saltimbanque, perché sur des échasses, qui a su tromper la solitude de Nathan alors qu'il avait neuf ans et traînait son ennui dans un quartier de Paris. Gavril, l'inventeur d'instruments à vent et à mots, lui a ouvert un monde de fantaisies et de poésies et lui a insufflé confiance et énergie qui lui faisaient tant défaut.

Mais cette surprenante amitié intergénérationnelle a été rompue.

Nathan a continué sa vie, sans enthousiasme, sans saveur « …et sa vie, il l'a sirotée ainsi qu'une infusion tiède. »



Histoire tout en finesse, magnifiquement écrite, qui oscille entre mélancolie et joie de vivre choisie et défendue par Gavril. Il faut se laisser charmer par ces phrases si artistiquement composées. Elles déroulent, progressivement, un subtil chemin vers une compréhension de soi et des autres.



L'idée de Sylvie Germain est très belle. En revenant sur les images, mais aussi sur les blancs laissés par cette amitié, Nathan va trouver des réponses sur le passé de son ami, sur la froideur de sa mère, sur sa vie inaccomplie. de cette nostalgie qui l'étreint au souvenir des années illuminées par cette amitié, Nathan va s'éveiller.

L'auteure nous éclaire avec la lumière que Gavril a su tirer des ténèbres malgré l'oppression et la persécution subies dans son pays natal, la Roumanie. C'est tout un univers musical et poétique qui l'a porté vers la liberté et la vie.



Les pages sont habitées de nostalgie, de mélancolie, de regret, d'injustice historique et amoureuse mais aussi de joie, de poésie, de dynamisme et d'optimisme.

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La pleurante des rues de Prague

Pèlerin, toi qui déambules dans les rues de Prague, prête l'attention... Ouvre les yeux, ceux de ton visage et ceux de ton âme, écoute, fais silence.

Il est des choses qui bruissent et qu'on entend à peine et des choses qui sont à la marge du visible, du perceptible...



Les pages de ce livre pavent les rues de Prague, les pages de ce livre crissent doucement sous les pas d'une créature surgie de l'invisible et des tréfonds de l'humanité. Peut-être, croiseras-tu cette femme en haillons, surgissant de l'ombre, celle qui est transparente, celle qui se devine, présence évanescente, un jour là, un jour ici, comme le soudain.



Ne cherche pas à apercevoir son visage, elle n'en a pas ou plutôt si, elle en a un, elle en a dix, elle en a cent, elle en a des milliers : visages de ceux qu'on a affamés, de ceux qu'on a chassés, pourchassés, de ceux qu'on a persécutés, ceux que l'on a assassinés.

Elle a les yeux de ceux qui n'ont plus de pain, de ceux qui grelottent, de ceux qui vivent leur dernier souffle.

Elle est chagrin, elle verse les larmes de tous les affligés, les larmes de ceux qui souffrent à leurs côtés, les larmes de ceux qui pleurent en évoquant leur souvenir. Elle porte les larmes de tous les chagrins, se voulant douceur pour apaiser, se voulant protectrice pour accompagner celui qui quitte la vie.



Elle est morceau du temps, instant fugace, fulgurance comme une évocation incarnée.

Elle fait faire souvenance, de celui qui a été, de celui qui n'est plus.



Elle est souffrance pour endurer avec - compassion-, incarnation unique et multipliée de ceux qui souffrent, conscience, elle est aussi l'image de la laideur des hommes, reflets de leurs actes sans humanité, elle est pitié.





En douze stations, chiffre symbolique des douze mois de l'année répétant les saisons, les rigueurs du temps, ou des douze stations du chemin de croix jusqu'à la mort du Christ, tu vas la croiser, la rencontrer fortuitement dans autant de quartiers ou de lieux eux aussi symboliques de Prague, elle s'incarne en mémoire d'êtres victimes ou souffrants.



Se révélant à toi, elle est l'incarnation de ce qui est : elle donne la clairvoyance, elle devient tout, elle change ton regard et tu possèdes le don de regarder pleinement, de prendre conscience, d'embrasser l'humanité, hommes et créatures, nature et ciel étoilé, de souffrir avec ceux qu'on tue, ceux que la solitude anéantit, ceux à qui on a refusé la dignité depuis longtemps.



Qui est-elle : chacun la nommera selon ses croyances, selon ses attentes, selon son âme : elle est début et fin, elle est tout et détails elle est une et multiple.

Elle sera femme ou corbeau, goutte de pluie ou morceau de pain, qu'importe, elle porte le souvenir, elle est mémoire. Elle suggère, elle crée l'évocation.





Qu'importe le lieu, Prague symbolise la souffrance, qui murmure Terezin, qui murmure l'indicible, pour que tu n'oublies pas.
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Le vent reprend ses tours

Il était de passage à Paris, sous un abri bus pour se protéger de la pluie, quand il a vu son visage sur un avis de recherche placardé. Il pensait cet homme mort depuis de nombreuses années, portant la culpabilité de cette disparition. Alors les émotions jaillissent, d’abord le rire, la stupéfaction puis la joie, l’espoir mais aussi la crainte.



Retour en 1980, Natan a neuf ans quand il fait la connaissance de Gavras qui déambule dans les rues sur des échasses et avec des instruments à vent dans un carquois. Il a une enfance solitaire, et désœuvré traîne dans le quartier pour observer la vie. Ce petit bonhomme bègue regrette le h dans son prénom qui pourrait lui donner un peu d’air pour ne pas se sentir emprisonné. Gavras va l’encourager à corriger cette erreur.



Quelques années plus tard et un accident, Nathan se réveille d’un coma et sa mère lui annonce la mort de Gavras. Ses plus belles années et une amitié disparues. La vie paraît fade. Il termine ses études, fuit le domicile maternel et sécurise sa vie.



La recherche de la vérité, de la vie de son ami, va l’amener à de la colère puis de la haine. Il lui faudra du temps, un voyage en Roumanie, une vengeance pour arriver sur le chemin de l’apaisement.



C’est une sublime histoire sur une rencontre ratée qui tourne à la haine entre une mère et son fils et une amitié salvatrice. Le style est poétique et mélancolique à la hauteur de l’histoire.
Lien : http://pyrouette.canalblog.c..
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Magnus

"Magnus est un ourson de taille moyenne, au pelage très râpé, marron clair faiblement orangé par endroits. Il émane de lui une imperceptible odeur de roussi et de larmes.

[...]

Magnus est un homme d'une trentaine d'années, de taille moyenne, aux épaules massives, au visage taillé à la serpe. Il émane de lui une impression de puissance et de lassitude."



Mais alors, qui est Magnus ?

Voilà la question centrale du roman.



Franz-Georg est un petit garçon âgé de cinq ans lorsque le lecteur fait sa connaissance.

Un enfant qui a perdu la mémoire de ses premières années.

Un enfant qui ne sait pas qui il est, et que son entourage n'aide pas à trouver la vérité.

Un enfant qui se pose des questions bien légitimes : "Comment ne pas tout suspecter, jusqu'à soi-même, quand on a distillé en vous tant de mensonges ?"



Sylvie Germain utilise une construction originale que j'ai beaucoup appréciée car elle permet de raconter de façon non linéaire et de mettre en place petit à petit les éléments qui permettent au lecteur de comprendre, tels les morceaux d'un puzzle qui, bien placés, font apparaître l'image au fur et à mesure.

Elle alterne des "fragments" qui racontent la vie de Franz-Georg, des "notules" qui apportent des compléments historiques et des "séquences" poétiques. Elle glisse aussi de temps en temps des "résonances" ou des "échos".

Cette composition en apparence un peu chaotique convient à merveille pour raconter la vie d'un homme amputé de sa mémoire, à qui la vérité sur son histoire n'apparaitra que par bribes.

Le récit semble un paysage qui serait dans l'ombre et ne serait éclairé que fugitivement par petits flashs lumineux dévoilant à chaque éclair une nouvelle petite zone, ou éclairant une zone déjà vue sous un autre angle.



Un roman très bien écrit et tout en finesse sur la quête d'identité, qui a obtenu le prix Goncourt des lycéens en 2005 : les lycéens ont bon goût, et sont capables d'apprécier des textes exigeants.

Enfin, certains lycéens...

Cette année (2022), un extrait de roman de Sylvie Germain tombé au bac de français a déclenché des torrents d'insultes et même de menaces de mort sur les réseaux dits sociaux, les élèves l'ayant trouvé trop difficile.

Triste époque où des jeunes incultes se permettent sans complexe d'invectiver à tout-va à l'abri derrière leurs écrans.

https://www.huffingtonpost.fr/life/article/apres-le-bac-de-francais-sylvie-germain-repond-aux-lyceens-en-colere_197920.html

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Petites scènes capitales

«  Des anémones, des roses aux paupières diaphanes , des iris infusés de bleu et de violet, des renoncules jaune soleil » .



«  Il faut croire qu’elle même était bien fade à sa naissance pour que sa mère ait prétendu faire comme si sa naissance ne s’était pas produite. Non, c’est sa mère , l’indigente , l’inattentive » …



«  Faire comme si rien n’avait eu lieu , comme si elle Barbara Lili n’était jamais née ? » .

Quelques extraits significatifs de ce livre qui nous livre la béance , entre autres ——-de cette petite fille Barbara - Lili , née dans l’après guerre ——-qui ne sait pas comment s’y prendre pour affronter l’amputation d’une enfance sans mère ———abandonnée à l’âge de 11 mois ? .



L’auteure explore à petites touches , à travers les 49 scènes de cet ouvrage , aux chapitres courts, intenses , le déroulement de la vie de Barbara Lili ,morceaux d’écriture , fragments spontanés, cristallisés au fil,du temps , au gré des faits: drames intimes et familiaux , impressions fugitives, ,découvertes , deuils douloureux , révélations, tragédies , sensations, doutes et douleurs ,…..longs questionnements , tours et détours , joies et peines confondues , avant d’arriver …enfin à une sorte de paix salvatrice …





Le mal de mère est incurable , la quête d’identité incessante ,à travers et au fil de tant de conflits , blessures inavouées , révoltes escamotées auprès de son père Gabriel , de ses demi -frères et sœurs , «  L’amour , ce mot n’en finit pas de bégayer en elle, violent et incertain , sa profondeur , sa vérité ne cessent de lui échapper depuis l’enfance , depuis toujours, l’amour , un mot hagard » ….

Barbara - Lili , toujours à la recherche de sa mère , cette petit fille clandestine, ….

Chaque scène évoquée est capitale , l’écriture est magnifique ,-même si j’ai lu que certains internautes la rejettent , pas moi—— le vocabulaire à la fois riche et nuancé , varié, certains mots peu usités.



SYLVIE G’ est une esthète de la langue française, , elle la manie avec dextérité , grâce dans les couleurs et senteurs tel un bouquet parfumé , odorant .

Son roman familial s’étoffe et s’enrichit au fil des drames , deuils et tragédies .

Elle aborde le sens de la vie , les mystères de la mort et la spiritualité, l’absence , son écriture fine décrit la complexité des êtres , celle de leur construction, une dualité aussi éclairée par la magie de sa plume .



Chaque scène définira l’adulte qu’est devenue Barbara …



Les personnages sont judicieusement construits :profonds , lumineux ou sombres , ils sont chargés d’une éternité qui créent leur identité …



Un très beau livre déjà lu il y a longtemps , sobre et riche à la fois, éclatant d’odeurs et de couleurs , pétri d’émotions intenses, vraies .



Sylvie G enchante, séduit tellement ses propos profonds et essentiels, touchent au cœur .

Mais ce n’est que mon humble avis , bien sûr !!





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Brèves de solitude

C'est la première fois que je lis Sylvie Germain… et d'après mes curiosités en attente, je ne suis pas sûre qu'il faille commencer par celui-ci , pour aborder son univers ; J'ai toutefois savouré ce dernier ouvrage avec ces portraits ; tous ces personnages que l'on croise dans un square, vieux , jeunes, seuls, accompagnés (le plus souvent seuls, ceci dit), de tous les milieux sociaux… jusqu'au jeune homme perdu, S.D.F…



il est question de « nos solitudes urbaines »… communes, éternelles… et dans la seconde partie, alors que le 1er confinement est décrété sur tout le pays…on ressent ces mêmes solitudes, différemment... avec une âpreté, une sensibilité écorchée vive. Tout s' exacerbe dans un contexte exceptionnel...



On retrouve les mêmes personnages et d'autres…on les accompagne dans leur nouveau quotidien, comment vivent-ils cet enfermement subit ? Augmentation de leur solitude jusqu'au désespoir (Comme Serge,fils aimant et attentionné, qui du jour au lendemain ne peut plus rendre visite à sa mère, en EHPAD. Il trouvera des astuces pour garder le lien, envers et contre tout)…ou l'émergence d'un autre manière d'appréhender le quotidien, des petites lumières survenant comme ce merveilleux Merlin [Xavier ], ex prof de dessin, qui reprendra le dessin pour son plaisir, et pour donner des cours de dessin à une enfant de ses voisins, Lola, 7 ans [Et combien cela va transformer la vie de l'un comme de l'autre ]. C'est ainsi que la « gamine » , décide de surnommer son voisin-professeur, Merlin , comme l'Enchanteur…Ces deux-là nous font chaud au coeur et « au moral »…

« Merlin

A présent il voit chaque jour la fillette, en fin de matinée. Il a renoué avec son métier d'autrefois, pour elle seule. Il lui enseigne le dessin, l'art des couleurs, il lui montre des reproductions de tableaux, les lui commente, chacun dans sa cage à quelques mètres de distance. Les parents de Lola sont ravis, pendant ce temps ils n'ont pas à s'occuper d'elle, et surtout ils voient combien leur fille prend plaisir à ces cours informels, elle passe ensuite des heures à dessiner, colorier, inventer des histoires qu'elle soumet, une fois achevées, à Xavier, qu'elle appelle Monsieur Merlin, comme l'Enchanteur qu'elle a découvert dans un dessin animé. Cette légende l'émerveille car le magicien a le don de se métamorphoser en oiseau , de parler avec les arbres, les éléments, les animaux, de voyager dans le temps, de se rendre invisible dans un pommier, et il vit en union avec la forêt. Elle aimerait devenir à son tour un oiseau , ou un nuage, ou un arbre marcheur pour quitter l'appartement, retrouver ses camarades, revoir ses grands-parents, aller à la campagne, à la mer. (p. 107)”



Remarque impromptue au fil de mes pensées : un peu étonnée d' une idée singulière de l'auteur ,qui dans son procédé narratif, alterne la description, le caractère, la vie précise de personnes nommées, avec un prénom, une couleur et puis, l'Impersonnel , le flou indistinct, tels »L'individu, le bizarre, le pathétique, l'importun, le semblable, le quelconque, l'indéfini… »



Entre profonde tristesse, colère, rage, frustrations multiples et variées, de belles histoires d'empathie et de solidarité… Une lecture bienveillante, contrastée comme la Vie, comme le quotidien que nous vivons depuis près d'un an…roman ayant le grand mérite de ne pas faire dans le catastrophisme, ou la dramatisation à outrance et de laisser ces « fameuses fenêtres » tant aimées par « notre » professeur de dessin, Merlin, L'Enchanteur [Xavier ], ouvertes !…



Cela ne fait pas oublier les drames quotidiens ; celui du SDF, totalement esseulé, ou de la veuve, qui prend conscience qu'elle est passée à côté de sa vie, ou le voisin antipathique, le devenant encore plus , lorsque se confirme sa violence envers ses proches, dans le privé… Mais restent le sourire, les élans spontanés… et puis les personnalités comme Xavier, lesquelles par leurs élans, leur faculté à créer du Positif… parviennent à alléger, illuminer un quotidien anxiogène…De fines observations de « notre société humaine »…

Un beau moment comme une sorte de pause chaleureuse, ouverte, tournée vers les autres…entre visages familiers et inconnus ! Je pense soudainement, en guise de « mot de la fin » , à un autre ouvrage d'un auteur, que j'affectionne particulièrement, Jean-Louis Fournier, avec son « Je ne suis pas seul à être seul »…



[*****P.S : J'ajoute , après ces lignes, une demande « hors-sujet » : Je sollicite les lecteurs assidus de Sylvie Germain, pour avoir un conseil quant au texte le plus « éclairant » pour entrer dans son style et son univers, la toute première fois, considérant celui- ci, tout à fait à part, dans son parcours ?]***** j'allais oublié , j'en ai lu un seul, avant celui-ci, il s'agissait d'une sorte d'essai fort intéressant sur l'écriture, "Les Personnages" [Gallimard, collection L'Un et l'Autre ]

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Les personnages

Les personnages sont un élément essentiel de la construction romanesque, et la réussite d'une oeuvre – ou son échec – dépend pour partie des qualités de leur élaboration.



Mais qui sont-ils ces êtres fantomatiques ? De quels lieux mystérieux du songe, de la mémoire, de la conscience ou de l'imaginaire sont-elles natives, ces créatures de papier ? Serait-il possible qu'ils aient, ces personnages, une vie propre, indépendante de la volonté de l'écrivain à qui, tout à coup, ils s'imposent au travers de la magie de l'écriture qui les amène à la vie ? Et que viennent-ils nous révéler de nous-mêmes, écrivains ou simples lecteurs, ces personnages qui « naissent d'un rapt commis là-bas, aux confins de notre imaginaire où, furtivement, dérivent des rêves en archipel, des éclats de souvenirs et des bribes de pensée. Et (qui) savent des choses dont nous ne savons rien » ?



Dans ce très bel essai d'une centaine de pages, Sylvain Germain explore – par le biais de la thématique des personnages de la fiction – tout l'espace de la création littéraire, de l'imagination créatrice et du travail de l'écriture. C'est intelligent, c'est passionnant, c'est – comme toujours avec cet écrivain – superbement écrit, inspiré, érudit et puissant. Et c'est un réel bonheur de lecture. Je me suis régalée !
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Hors champ

J'aime l'écriture de Sylvie Germain mais la fin étrange de ce roman m'interpelle.

Métamorphose, anamorphose, paramorphose, téramorphose, hagiomorphose, patamorphose sont des termes cités dans Hors champ.

J'ai suivi Aurélien pendant une semaine, le dimanche il se réveille dans son canapé, un peu hagard, les voisins du haut ont fait la fête toute la nuit, une pendaison de crémaillère. Le lundi il se rend au travail, il se fait bousculer dans la rue comme si les gens ne le voyaient pas, état qui ira en s'aggravant toute la semaine jusqu'à ce qu'il devienne invisible le samedi, dernier jour de l'histoire que conte Sylvie Germain.

Un roman qui pose beaucoup de questions sur la présence, les sentiments et le vécu.



Challenge Petits plaisirs - 196 pages
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À la table des hommes

Y a t-il en chaque porc un homme qui sommeille? Il en existe au moins un dans l’imagination de Sylvie Germain, qui nous propose là une fable moderne.

La guerre fait rage dans le pays (que l’on situerait volontiers du côté des Balkans, mais peu importe). Un petit être rose et soyeux a survécu dans les ruines d‘une ferme : il faut une série de circonstances favorables et un lâcher prise de la part du lecteur pour que se mette en place le scénario ce petit porcelet se réveille brutalement dans le corps d’un ado. Nu, sans langage, sans connaissance, seul si l’on excepte l’amitié fidèle d’une corneille.

Tel un enfant sauvage, Babel découvre la compagnie des hommes, leur férocité, leur faiblesse, leur rejet de la différence. Tout en s’efforçant de s’approprier le pouvoir des mots, dits puis lus.

Le danger reste grand pour un être sensible mais naïf, qui ne possède pas les codes sociaux et se pose d’emblée en cible facile pour la bêtise humaine. La fuite est nécessaire. Ailleurs compagnie de marginaux, avec lesquels il pourra lentement développer sa conscience, et son humanité



Babel est une métaphore de l’enfance qui accède au langage, mais à la différence des enfants humains au sein d’une famille, nul n’est là pour lui conter ce qui fut avant qu’il ait conscience de sa propre existence. C’est une tabula rasa, qui n’a guère d’autre choix que de faire face sans filet à ce que l’humanité a de moins glorieux. L’apprentissage est rude, et forge un être unique, insoumis, sans concession. terriblement seul aussi.



Hormis les brutes stupides croisées dans les premiers temps, et qui contribueront par leur violence à construire le futur Babel, les autres personnages qui servent de tuteurs, comme une tige de bambou guide la croissance d’une plante, sortent de l’ordinaire : des jumeaux asociaux, chacun à sa façon, la fille d’un ex-clown qui s’est perdu, un libraire et un droguiste.



Les animaux accompagnent le jeune homme, la corneille bien sûr, mais aussi les pensionnaires d’un zoo, et la nature environnante, elle aussi maltraitée par la folie des hommes.



« La forêt est son royaume, il y flâne des journées entières, parfois il s’y attarde tant qu’il ne rentre qu’à l’aube. Il aime assister au déclin de la lumière dans le ciel qui semble s’arrondir à mesure que le bleu se sature, se violace puis se fonce en noir indigo, et, au même rythme, à la montée des ombres entre les fûts des arbres jusqu’à leurs frondaisons ».



Si la première partie a un réel pouvoir d’attraction, invitant le lecteur à assister à l’éveil de l’adolescent, vierge de toute science, sans haine et sans malice, et empreint d’une volonté d’accéder à la culture, tout ce qui se produit après le départ est plus obscur. Certes les messages sont délivrés mais ne font plus corps avec l’intrigue, l’évolution de Babel qui devient Abel devient abstraite.



Le genre n’est pas nouveau, les ours qui deviennent écrivains, ou les humains qui se transforment en scarabée sont monnaie courante en littérature. Sylvie Germain intellectualise le propos, servi par une écriture superbe.



Il n’en reste pas moins qu’il faut être très disponible et sans doute s’offrir une deuxième lecture, voire plus pour en saisir toute la portée.
Lien : http://kittylamouette.blogsp..
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Petites scènes capitales

Si le mal de mer se soigne avec quelques comprimés, ce livre nous apprend que le mal de mère, lui, est incurable.



Dans "Petites scènes capitales", Sylvie Germain explore la quête d'identité de Lili, une fillette née après-guerre et « plaquée par sa mère à l'âge de onze mois ». Habituée à vivre seule avec son père, Lili est chamboulée par le remariage de celui-ci avec la belle Viviane, déjà flanquée de 4 enfants. Fuyant cette envahissante fratrie, elle aime passer du temps chez sa grand-mère paternelle, seule à lui procurer l'attention et la tendresse dont elle a besoin. La seule, surtout, à avoir conservé une photo de sa maman. Mais la famille va bientôt connaître toute une série de drames…



Bizarrement, je n'avais encore rien lu de Sylvie Germain, pourtant écrivaine prolixe et régulièrement primée. Dès les premières pages, j'ai été emportée par sa prose incandescente. L'histoire m'a fait penser au Confident, d'Hélène Grémillon, pour l'époque choisie et son questionnement sur les origines. Le style, quant à lui, est plus proche du lyrisme de Carole Martinez, tout en restant unique et très musical. Ici, le refrain est emprunté à un très beau poème de Prévert : « Rappelle-toi Barbara Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là Et tu marchais souriante Épanouie ravie ruisselante Sous la pluie Rappelle-toi Barbara… » Barbara, premier prénom de Lili selon l'état civil, est une des clés de cette histoire.



Les chapitres, courts et intenses, justifient le titre de petites scènes capitales ; ils s'enchaînent sans que l'on puisse s'arrêter, ou alors à regret, car la nuit est déjà bien avancée. Chacun a son importance pour reconstituer la vie Lili et des siens, à coup de souvenirs d'enfance, d'adolescence et d'instantanés de vie familiale. L'auteur cultive la sensation, le ressenti, l'émotion, et en même temps, grâce à une narration à la troisième personne, garde une distance qui lui permet d'analyser les événements. Et des événements, il y en a, plus tragiques les uns que les autres : la mort qui frappe à tous les âges, le handicap, la maladie… Certes, chaque famille a son lot de malheurs, mais chez les Bérégance, l'addition est particulièrement salée.



La quatrième de couverture et le début du livre laissaient entrevoir un mystère concernant la mère de Lili : « Car au fond, qu'est-ce qui lui prouve que sa mère est bien morte ? », se demande-t-elle. Or sur ce point, j'ai été déçue, car on en apprend bien peu. Plus tard, un lourd secret de famille nous sera effectivement révélé, mais pas du tout du côté où on l'attendait. Si bien que sa violence, ajoutée à tout ce qui précède, m'a paru presque hors sujet.



Malgré ce petit excès de pathos, j'ai été séduite par le style poétique de l'auteur, la richesse de son vocabulaire, la finesse de ses descriptions et ses réflexions sur le sens profond de la vie, l'amour, le temps qui passe et ce qu'il advient après la mort. «Faut-il que tout soit consommé, consumé, d'un vivant, pour que de l'invisible où il s'en est allé une lumière nouvelle, à la fois ténue et très pure, commence à sourdre, à s'épancher, bouleversant en secret le visible ? »



-- Livre lu dans le cadre du jury "Libraires en Seine" 2014 ; prix décerné à "Kinderzimmer" --

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Petites scènes capitales

49 scènes où se déroulent la vie de Lili-Barbara qui nous fait part de ses questionnements, ses joies et ses peines, ses hésitations, ses tours et détours avant de parvenir à une forme de paix.

Elle nous dit que dans chaque vie la sienne, celle de ceux qu’elle côtoie rien n’est donné, rien n’est simple et que ce sont souvent grâce à des instants hors du temps qui surgissent brusquement au sein d’une réalité banale, des instants suspendus qui nous saisissent par leur lumière, qui nous fascinent et éclairent, bouleversent , magnifient nos vies de l’intérieur que nous finissons par trouver une certain apaisement.

Et arrivée au mitan de sa vie :

«... Elle ne rêve plus d’une autre famille, elle ne souhaite plus un autre passé que celui qui est le sien, tout semé de trébuchements et de déconvenues, de pertes et de renoncements soit-il, et jalonné de deuils. Elle n’éprouve ni regrets ni rancoeurs, elle a eu son lot de joies et de plaisirs aussi, ses jours d’allégresse, ses heures d’exultation, elle a vécu selon ses goûts et ses désirs, en liberté. Elle accepte de payer le prix de cette liberté, laquelle a parfois ressemblé à de l’indécision et à du faux fuyant, d’autres fois à des choix résolus. La liberté, comme l’amour, a un coût, celui de l’intranquillité, ni l’un ni l’autre ne sont jamais acquis.»

«Elle n’est plus dans l’urgence, elle s’est posée dans le flux du temps.....



mais, «.... la petite fille clandestine toujours tapie dans un recoin de son être refuse, elle de déposer les armes, refuse de descendre de la balançoire lancée à la volée sous la voûte d’un marronnier en fleur criblée d’insectes et de flammèches de soleil» celle que personne ne peut lui enlever qui conserve en elle la beauté entrevue, cette beauté qui fait qu’aucune vie n’est banale même si aux yeux des autres elle le parait.



C’est un très beau livre que celui-là, sobre et en même temps d’une richesse somptueuse, un bouquet éclatant d’odeurs, de couleurs et d’émotions.

«Des anémones, des roses aux paupières diaphanes, des iris infusés de bleu et de violet, des renoncules jaune soleil.»
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Chanson des mal-aimants

Née sous une pluie d’étoiles, Laudes-Marie Neigedaoût est albinos. Immédiatement abandonnée par sa mère dans un cageot de framboises, l’enfant portera toute sa vie un âpre ressentiment envers ceux qui n’ont pas voulu d’elle. « Mes parents n’étaient ni des héros ni des martyrs de la dernière guerre, pas même des gens ordinaires morts sous un bombardement. Juste deux renégats qui m’avait légué le tourment de leur anonymat pour tout héritage, et une inaltérable blancheur de sac de farine en prime » (p. 35) D’abord recueillie par un couvent, Laudes-Marie finit la guerre cachée dans une maison en montagne, avec d’autres enfants. Mais partout où elle passe, elle ne laisse que mort et désolation, comme si sa présence avait le pouvoir d’éteindre les existences. « J’avais juste dix ans et j’étais orpheline à répétition. » (p. 41) Rien de surprenant à ce qu’elle développe un goût prononcé pour la solitude et le silence. L’enfant amère et avide de mots grandit dans un dénuement presque total d’affectation et n’a de cesse de ruminer sa haine/amour pour ses parents déserteurs, rêvant pourtant de prendre son envol et de goûter au bonheur. « Même les ailes imaginaires ont besoin d’être soignées, lustrées, développées. Surtout les ailes imaginaires. Sinon on finit comme Antonin, des galets amassés dans les poches, des éboulis au fond du cœur, et vlan ! on se jette dans le gave. » (p. 46)



Adulte, Laudes-Marie entre comme domestique dans des maisons particulières et dans des hôtels. Elle ne reste jamais longtemps en place, poussée par un besoin d’avancer. « Je n’étais qu’une passante poudrée à frimas, filant au ras des murs, au ras des jours, tellement insignifiante aux yeux des gens qu’il me semblait parfois ne même pas projeter d’ombre. » (p. 130) Dans sa grande solitude laborieuse, Laudes-Marie voit tout, entend tout et noue des liens avec des personnes disparues. « J’avais le chic pour me lier d’amitié avec des voix, des sourires et des larmes de femmes défuntes. Comme quoi la mort n’empêche rien. Enfin, pas tout. » (p. 154) Il faut dire que Laudes-Marie ne semble pas vraiment de ce monde et il ne s’agit pas seulement de la couleur de sa peau. Quelque chose en elle semble impalpable, inatteignable.



De 1939 à 2000, Laudes-Marie fait le récit de sa vie. Narratrice impartiale, sans état d’âme, elle montre le beau et le laid de son existence, les flots de sang, les pertes et les douleurs. Le récit a des airs d’élégie et de chant funèbre, comme si cette fille albinos était morte à elle-même depuis bien longtemps en raison d’un manque d’amour ou parce qu’elle a reçu et donné des sentiments trop imparfaits. Ce roman est très beau, mais j’en ai largement préféré d’autres de Sylvie Germain, comme Le livre des nuits ou Jours de colère. En fait, je préfère quand cette auteure présente les destins croisés des membres de familles monstrueuses : les récits centrés sur des individus uniques m’ennuient un peu, comme ce fut le cas de Magnus ou de Nuit-d’Ambre qui restent toutefois de très beaux textes.

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Sylvie Germain

Née à Châteauroux en ?

1934
1944
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