AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de W. G. Sebald (109)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées


Austerlitz

Dans une jambe amputée, le cerveau continue à envoyer des sensations-fantômes.

Dans la vie de son double, un jumeau prématurément disparu déploie l'ombre de la mort à jamais.

On a beau la fuir, une histoire traumatique finit toujours par ressurgir à l'instar des réflexes douloureux qui jaillissent dans le membre amputé.

C'est ce qui nous (ré)apprennent les vagues de souvenirs enfuis de Jacques Austerlitz, « Juif errant » hanté par des sensations-fantômes et par l'ombre de la mort, dans le superbe livre de W.G. Sebald.



Lecture contrariante, aussi belle qu'exigeante, s'adressant à l'inconscient du lecteur plutôt qu'à sa raison, et l'emportant dans des tourbillons d'associations et de signes qui se font et se défont dans une dynamique liquide.



Un narrateur admiratif (exécuteur testamentaire en ordre symbolique) nous donne à lire le processus tardif (et demeurant fictif, car en grande partie impossible) de recouvrement de la mémoire chez un orphelin de guerre. La conscience de sa judaïcité, redécouverte à l'âge adulte, et les échos embrumés de la petite enfance se réveillent chez Austerlitz en lien avec l'art et l'image, à travers le sentiment d'appartenance à un patrimoine partagé, qui semble nourrir l'illusion indispensable de toute reformulation du soi.



La culture servant de béquille pour un vécu devenu inaccessible, on suit la pensée d'Austerlitz opérant à travers un regard érudit, qui caresse les surfaces et les volumes, s'attarde sur toutes les catégories du vivant, sur leurs empreintes, leurs épaves et leurs traces pour y extraire des souvenirs lointains, émiettés, voire chimériques, du passé. Discours déployés dans des espaces magnifiés ; paysages dé-réalisés ; tissus urbains révélant leur étrangeté poétique ; le regard des animaux enfermés dans leurs cages de zoo ; les récits des autres, témoins de la disparition de ses parents ; dans la lecture d'Austerlitz, le monde gagne l'allure inquiétante d'un artefact guetté par la décrépitude et le chagrin.



L'art gothique codifiait le dogme, le traduisant en géométrie architecturale ; Sebald réussit à développer fastueusement toute une topographie subjective afin de dire l'Absence : « Aussi loin que je puisse revenir en arrière, dit Austerlitz, j'ai toujours eu le sentiment de ne pas avoir de place dans la réalité, de ne pas avoir d'existence » (p. 219). « Il ne m'était visiblement pas d'un grand secours d'avoir découvert les sources de ma perturbation ni d'être capable de me voir moi-même avec la plus grande acuité, tout au long de ces années révolues, en petit garçon coupé du jour au lendemain de sa vie familière : la raison ne prenait pas l'ascendant sur le sentiment d'avoir été rejeté et effacé de la vie » (p. 271).



A travers la figure d'Austerlitz, en quête de son histoire occultée par L Histoire, Sebald nous offre une véritable phénoménologie de la mémoire traumatique et du souvenir refoulé, ennoblie d'un éclat pathologique qui confère à son personnage l'aura d'un prince Myshkin et le place dans la généalogie romantique des innocents maudits.



L'écriture qui brouille les frontières des genres littéraires (« Austerlitz » est un mélange d'essai, de témoignage, de confession et de carnet de voyage nous évoquant Balzac et Stendhal, Proust, Kafka et Perec...), sert à perfection la description de cet univers fluctuant, changeant, incompréhensible, manquant de fondation : le monde d'Austerlitz et tout autant le nôtre...



Car tout le savoir du monde ne saurait racheter la chaleur d'une famille perdue et des parents disparus :



« Plusieurs fois il est également arrivé, dit Austerlitz, que des oiseaux égarés dans la forêt de la Bibliothèque aient foncé sur les arbres se reflétant dans les vitres et soient tombés raides morts après un choc sourd. Assis à ma place dans la salle de lecture, j'ai souvent réfléchi au lien qui existe entre de tels accidents imprévisibles, comme la chute mortelle d'une créature qui s'est écartée de sa voie naturelle ou encore les symptômes récurrents de paralysie affectant le réseau informatique, d'une part, et la conception d'ensemble, cartésienne, de la Bibliothèque nationale, de l'autre ; et j'en suis arrivé à la conclusion que dans chacun des projets élaborés et développés par nous, la taille et le degré de complexité des systèmes d'information et de contrôle qu'on y adjoint sont les facteurs décisifs, et qu'en conséquence la perfection exhaustive et absolue du concept peut tout à fait aller, et même, pour finir, va nécessairement de pair avec un dysfonctionnement chronique et une fragilité inhérente. Pour ce qui me concerne, du moins, moi qui ai consacré une grande partie de ma vie à étudier dans les livres et me sens presque comme chez moi à la Bodleian, au British Museum et dans la rue de Richelieu, cette gigantesque nouvelle Bibliothèque censée être, selon une expression horrible qui maintenant fait florès, le sanctuaire de tout notre patrimoine écrit, a prouvé son inutilité dans l'enquête que j'effectuais pour retrouver les traces de mon père qui se perdent à Paris » (pp. 328-329).
Commenter  J’apprécie          898
Austerlitz

« L’une des personnes qui attendaient dans la salle des pas perdus était Austerlitz, à l’époque en 1967, encore presque jeune d’allure avec ses cheveux blonds étrangement frisés, seulement comparables à ceux du héros allemand Siegfried dans les Nibelungen de Fritz-Lang ».



Une beauté et une souffrance, voilà ce qui me vient à l’esprit pour qualifier ce récit. Une beauté tant l’écriture exigeante de Sebald est hypnotique, fascinante, des phrases longues qui défilent sous les yeux, des détails qui suintent la mélancolie, poésie qui envoûte, une lenteur qui nous oblige à nous poser, à ne rien négliger mais une lenteur qui absorbe jusqu’à notre moi intime, jusqu’à notre inconscient qui finit par s’identifier à Jacques Austerlitz pour devenir une douleur. Eprouvantes aussi, ces lignes magnétiques, ces pages qui se tournent sans chapitre, tout est écrit comme dans l’urgence, pour ne pas oublier, on suffoque entre la fascination de l’écriture et le malaise qui s’en dégage, il faut faire une pause malgré l’envie de continuer.



De cette rencontre entre notre narrateur – Sebald ? – avec Jacques Austerlitz, dans la Gare d’Anvers, va naître une intimité qui de rencontre en rencontre, de confidence en confidence, durera trente ans.



Est-ce de chez Austerlitz qu’exhale, enfoui au plus profond de lui-même, une douleur, comme un sentiment obscur d’incomplétude, une personnalité tronquée, ou bien est ce de la plume de l’auteur, de ses mots que s’exprime cette souffrance. Lui, dont le père fut sous-officier dans la Wehrmacht, lui dont les prénoms Winfried Georg Maximilian ne sont plus que des initiales, lui qui se disait un « produit du fascisme ».



En chroniqueur de la mémoire, l’auteur s’efface devant cet ami, parti de Prague en 1939 à destination d’Angleterre, à l’âge de quatre ans. Adopté par un pasteur sectaire, névrosé, dont il ne comprend pas la langue, élevé dans le silence, sous le regard d’un Dieu qui châtie, sans plus aucune marque d’affection tant de l’épouse que du pasteur, comment ne pas ressentir comme une béance affective, un vide profond traversé par des angoisses, une instabilité émotionnelle. Austerlitz ne découvrira sa véritable identité qu’à l’âge de quinze ans.



Véritable quête identitaire, Austerlitz se doit de rassembler les morceaux du puzzle pour tenter, peut-être, d’apaiser cette sensation terrible du manque, ne plus vivre la superposition du passé et du présent, cette construction qui rend votre relation au monde totalement flou. Un rien : une couleur, un lieu, un mot en relation avec le traumatisme ravive le choc, la blessure et vous envoie valser avec la détresse. Austerlitz devra parcourir un long chemin sur des lieux semés d’ombre qui se réactiveront au fur et à mesure de ses découvertes. Aidé par sa nourrice qu’il retrouvera, ses pas l’emporteront vers des lieux emblématiques comme Terezin et Gurs à la recherche de ses parents. L’émotion surprend à toutes les pages. Austerlitz en perpétuelle recherche, perpétuelle incomplétude, se questionne et questionne le monde autour de lui et nous entraîne à sa suite, épousant ses vagues émotionnelles.



Que de silence, que de douleurs, éprouvant ce sentiment de ne jamais être à la bonne place, de ne pas avoir sa propre existence, d’être à côté de la réalité « qui je suis, d’où je viens, où vais-je ».



Faisant preuve d’une grande érudition, Austerlitz est chargé de cours dans un institut d’histoire de l’art londonien, ses recherches l’ont mené à l’élaboration d’une thèse monumentale sur l’architecture, tout particulièrement sur les réseaux, tels les chemins de fer. Il ne pouvait expliquer cette fascination qui lui permettait, surtout, ne pas parler de lui, de se réfugier derrière son intellect pour ne pas affronter cette béance, un abri en quelque sorte bien dissimulé derrière la reconnaissance intellectuelle.



La rencontre entre le narrateur et Austerlitz se fait dans la gare d’Anvers, salle des pas perdus. Austerlitz observe la gare, la coupole, et couche sur le papier toutes ses réflexions, ses observations. C’est le prétexte que choisi le narrateur pour aborder Jacques Austerlitz. Ces premiers entretiens se limiteront très longtemps à l’histoire de l’architecture dont les connaissances d’Austerlitz forcent l’admiration jusqu’au jour où, la confiance aidant, une once d’estime naissante, Austerlitz s’abandonnera aux confidences.



Quatrième de couverture : « Par ce portrait saisissant d’un émigrant déraciné, fragile, érudit et digne, l’auteur élève une sorte d’anti-monument pour tous ceux qui, au cours de l’Histoire, se retrouvent pourchassés, déplacés, coupés de leurs racines – sans jamais en comprendre la raison ni le sens ».



C’est un livre sublime, sensible, à l’évocation puissante que je relirai, c’est évident ! Merci à Eduardo et à Dan pour ce conseil de lecture mais j’ai beaucoup moins souffert avec « Séfarade ».



Commenter  J’apprécie          6612
Les Émigrants

« Les émigrants » m’a réconcilié avec G.W. Sebald. Les deux derniers romans que j’ai lus de cet auteur m’avaient déçu. Les mille et une pistes, les nombreux détours tortueux de son érudition qui font sa marque n’avaient pas fonctionné. On y retrouvait trop de détails dont beaucoup me semblaient inutilement complexes, presque inutiles. Bref, trop cérébral ! J’aime bien un défi intellectuel mais ça dépassait mon entendement.



Oui, « Les émigrants » contient de cela. Évidemment. Mais au moins je sentais que ça menait quelque part. Il s’agit de quatre récits racontant le destin d’individus déracinés, exilés. Chacun a son histoire, un parcours qui l’a mené des confins de l’Europe (de l’Allemagne ou de la Lithuanie) à un point X. Un parcours souvent difficile et cahotique. Un parcours fascinant. Surtout, un destin tragique (les quatre ont terminé par un suicide). À travers un mélange de souvenirs, de recherches, Sebald retrace, recréé la vie de ces êtres torturés. Ces êtres qui étaient les témoins et les représentants d’un monde qui n’est plus.



Les mille et un détails qui m’agaçaient dans ses autres œuvres trouvent ici leur place. Ils aident à reconstituer l’ensemble, à rendre tellement crédible les histoires racontées. L’Histoire. Parce que, ce qu’on vécu Henry Selwyn, Paul Bereter, Ambros Adelwarth et Max Feber, assurément d’autres personnes en ont fait l’expérience. La nuit de crystal, les exactions contre les juifs, les déracinements, l’éloignement des siens, les dures séparations, les retours aux sources… Les souvenirs… surtout ceux qui nous hantent. Une partie d’eux-mêmes qui n’est plus, qui leur a été arrachées.



En lisant « Les émigrants », j’avais l’impression d’être aux côtés de Sebald alors qu’il reconstituait les morceaux du puzzle de la vie de ces quatre individus. Comme si on entrait dans leur univers à pas feutrés, comme s’il fallait les apprivoiser afin que leur histoire se dévoile, se déroule sous mes yeux. Et les émotions sont au rendez-vous. Malgré la mélancolie qui m’a saisi tout le long de cette lecture, je n’étais pas triste, le ton est juste. La plume de Sebald, très évocatrice, y est pour beaucoup. Je lui trouve un certain lyrisme, presque de la poésie. Mais toujours on est ramené à la réalité, aux faits.



Comme toujours, un bon mélange de réalité et de fiction. Les œuvres de Sébald (même celles que j’ai moins appréciées) sont si particulières, mémorables, uniques ! À lire !
Commenter  J’apprécie          521
Austerlitz

Il y a peu, j'ai relu Austerlitz.

Il n'est pas fréquent que je relise.

Voici ce qui m'y a amené.



Robert Desnos est mort à Terezin en juin 1945. Après avoir lu la Légende d'un dormeur éveillé, je me suis souvenu que Sebald en parlait dans Austerlitz et dans mon souvenir c'était au début du livre. Ma mémoire me jouait des tours. Le camp dont parle d'abord Sebald est celui du fort de Breendonk, en Belgique. Terezin n'est décrit que bien plus loin. Alors, au lieu de feuilleter le livre afin de retomber sur cette description, je suis mis à tout relire.

Et mon chemin de redécouverte du livre, dont j'avais oublié des parties entières, est venu curieusement en contrepoint de la recherche des origines qui est son objet.

Je crois que mon plaisir de lecture fut encore plus grand que la première fois. Austerlitz est probablement le plus linéaire des livres de Sebald. Même si les réflexions d'une grande hauteur de vue sur l'histoire de l'humanité abondent, notamment à partir de l'architecture des gares ou de l'entomologie, le travail de mémoire, dans le cas si douloureux d'un événement traumatique primordial, guide toute l'oeuvre.

Le génie de Sebald est de nous emmener dans ce parcours de nature éminemment psychologique sans parler de psychologie, indirectement, par les récits que fait Austerlitz au narrateur.

Un art subtil, une empathie d'une infinie délicatesse: voilà pourquoi j'aime tant Sebald.
Commenter  J’apprécie          441
Vertiges

« Cette paralysie de ma mémoire persista encore, une fois que monté à la galerie supérieure j'observai, pris d'incessantes bouffées de vertige, le panorama assombri par la brume de cette ville qui m'était devenue complètement étrangère. Là où aurait dû surgir le nom de Milan, il n'y avait rien qu'un douloureux réflexe d'impuissance. »



Paru en 1990, ce livre de W.G. Sebald, est, comme à son habitude, inclassable. S'il contient bien des éléments probablement autobiographiques, et, là encore des photos, illustrations, traces des voyages évoqués, il me semble qu'ici l'auteur est davantage dans la recréation d'un univers fantasmatique, notamment autour de figures littéraires. Stendhal est au centre du premier texte intitulé « Beyle ou le singulier phénomène de l'amour ». Mais on retrouvera également Kafka.



Deux voyages distincts, entrepris par Sebald en 1980 et 1987, marqués par l'angoisse et ce qui semble bien être des hallucinations, occupent la narration des textes suivants. L'auteur voyage entre le nord de l'Italie (Venise, Milan, Vérone, la région du lac de Garde), le Tyrol et revient aussi dans le village allemand où il avait passé son enfance, seulement désigné comme « W ».



Je suis sensible au style qu'avait W.G. Sebald dans ses écrits. Je peux comprendre que ce ne soit pas le cas pour beaucoup, car l'abord de ses livres n'est pas forcément évident. Une fois encore, j'ai eu l'impression que ce «Vertiges» était pour moi. Trop tôt disparu, l'auteur n'a pas laissé une oeuvre quantitativement énorme mais qui vaut d'être découverte, en commençant peut-être par «Les anneaux de Saturne».

Commenter  J’apprécie          352
Les Émigrants

À l’automne 1899, la famille du Dr Henry Selwyn quitta son petit village de Grodno, en Lituanie, et s’embarqua pour «l’Amerikum», mais après une semaine en mer, l’exode se termina pour eux à Londres où ils furent contraints d’émigrer.



Paul Bereyter, instituteur allemand «trois-quarts aryen», empêché par les nouvelles dispositions raciales d’exercer son métier d’enseignant, s’en alla de l’Allemagne une première fois, y revint en 1939, fut mobilisé au début de la guerre, puis émigra définitivement en France dans les années 1970.



Au début du XXe siècle, Ambrose Adelwarth rompait tous liens l’assujétissant à son milieu social d’origine, quittait l’Allemagne à 14 ans, partant à la conquête du monde : après avoir vécu plusieurs vies en une seule, de la Suisse à l’Amérique du Nord , en passant par le Japon ou le Moyen-Orient, ses souvenirs finiraient par s’égarer dans les couloirs de sa mémoire de nomade encombrée.



Max Ferber, artiste peintre envoyé en Angleterre en 1939 et dont les parents, déportés quelque temps après ne pourraient hélas l’y rejoindre comme prévu, n’a plus jamais voulu remettre ses pieds en Allemagne et n’a plus prononcé un seul mot en allemand depuis les adieux faits à sa famille sur l’aéroport munichois d’Oberwiensenfeld, à l’âge de 15 ans.



Quatre vies racontées, quatre destinées d’émigrants. Pourquoi celles-ci précisément, parmi tant d’autres? Quel lien réunit ces sujets-ci, au-delà de leur statut commun d’émigrés ? La réponse est toute simple : l’auteur lui-même. Paul Bereyter fut son premier instituteur, Ambros Adelwarth son grand-oncle. Quant à Henry Selwyn et Max Ferber, Sebald les avait croisés et côtoyés un temps en Angleterre où lui-même s’était expatrié à partir des années 1970.



Plutôt qu’historien, au travers de ces quatre récits l'auteur pratiquerait une sorte "d’archéologie mémoriale", fouillant systématiquement dans les débris laissés par la mémoire du XXe siècle en Europe, et plus particulièrement dans celle de son pays d’origine, l’Allemagne, ébranlée par l’irruption inconcevable de la barbarie nazie, ensevelie en grande partie sous la douleur et la destruction léguées par la Seconde Guerre Mondiale.

C’est ainsi que, pour lui, aller sur le terrain, organiser des «fouilles sur site» (dont une escapade, très édifiante sur le passage cruel du temps, à Deauville, où l’auteur était descendu au Normandy aux fins de son enquête autour d’Ambros Adelwart), extraire, ordonner et assembler les vestiges personnels que le temps et l’anonymat de ses sujets de choix auront brisés, mélangés, éparpillés, recouverts de cette poussière sépia que dépose l’oubli - photos et cartes postales, vieux albums de familles, feuillets épars, cartes de visites, carnets de voyages… - , constituent les moyens privilégiés par sa démarche, primant systématiquement sur toute tentative de conceptualisation ou de généralisation, sur toute visée analytique ou critique de l’histoire du XXe siècle.

Il ne cherchera pas à rattacher leurs choix, motivations et agissements personnels à un référentiel plus général ou à une grille particulière de lecture : chaque individualité restera chez Sebald invariablement contemplée dans son irréductibilité, rendue à son ipséité et, in fine, aussi à sa propre part de mystère.

L'auteur se cantonne en quelque sorte à essayer d’exhumer de l’incommensurable fosse commune où gisent les âmes mortes n’ayant laissé aucun registre historique de leur passage dans le monde, quelques individualités, d’en répertorier quelques-unes de leurs traces encore tangibles ou dont certains vivants pourraient encore témoigner. Afin de restituer leur parcours terrestre, tout en évitant précautionneusement de les épingler comme étant exemplaires ou emblématiques de quoi que ce soit. Au lecteur d’en tirer ses propres conclusions. Sebald, plutôt qu’interpréter, collige.



Enrichi de supports visuels (photos, dessins, feuillets, manuscrits…), d’images qui parlent quelquefois mieux que toute autre forme de discours, son récit se construit essentiellement à partir de témoignages et d’archives.

Iconographique, son travail documentaire n’exclut pas, en revanche, ni l’empathie, ni l’émotion :



«Si les inscriptions gravées n’étaient pas toutes déchiffrables, les noms encore lisibles – Hambruger, Kissinger, Wertheimer, Friedländer, Arnsberg, Frank, Auerbach, Grunwald, Leuthold, Seeligmann, Hertz, Goldstaud, Baumblatt et Blumenthal – m’inclinèrent à penser que les Allemands n’avaient peut-être rien tant envié aux Juifs que leurs beaux noms, si liés au pays et à la langue dans lesquels ils vivaient. Un frisson me parcourut devant une tombe où reposait Meier Stern, décédé le jour de ma naissance, et de même le symbole de la plume d’oie sur la stèle de Friederike Haldleib, morte le 28 mars 1912, provoqua en moi un trouble dont je dus m’avouer que je ne parviendrais jamais à percer complètement les raisons. Je me l’imaginais écrivain, penchée solitaire et le souffle court sur son travail, et à présent que j’écris ces lignes, il me semble que c’est moi qui l’ai perdue et que la douleur de sa perte reste entière malgré le long temps écoulé depuis sa disparition."



La subjectivité de l’auteur constitue ainsi, une partie essentielle du dispositif et de l’approche du chroniqueur, le tout résultant en un procédé d’autant plus percutant et riche qu’il se fait à contre-courant de la démarche d’investigation consacrée en Histoire : le général et supra-individuel passant ici avant tout par le particulier et l'infra-historique, la valeur du matériel documentaire par la puissance d’évocation émotionnelle que ce dernier recèle.



La démonstration en est d’autant plus pertinente et réussie, ou en tout cas son impact sur le lecteur sera particulièrement saisissant et convaincant de vérité.



Quoiqu’on ait pu prétendre que W. G. («Winfried Georg» – Sebald n’ayant jamais voulu signer in extenso son prénom, considéré par lui comme trop connoté à un univers symbolique nazi..), n'aurait pas été de son vivant spécialement «tendre» envers son pays d’origine, je n'ai, pour ce qui me concerne, jamais retrouvé dans ses livres -tout au moins dans ceux que j’ai eu l’occasion de lire jusqu’à présent-, aucune mise en accusation directe formulée à l’encontre du peuple allemand. Sebald, me semble-t-il, s’en réserve formellement, alors même que son expérience et son parcours personnels auront été marqués, façonnés par le souvenir funeste des crimes commis par le régime nazi, par le panurgisme ou l'indifférence manifestés par ses compatriotes, par les séquelles douloureuses, enfin, qu'aura laissé la destruction morale et matérielle de la nation allemande, reléguant à la fin de la guerre une partie considérable de la mémoire collective au silence et à l’oubli.



Qu’en est-il aujourd’hui ? Y-a-t-il une prescription aux nouvelles générations par rapport à l’effroi provoqué par l’horreur absolue perpétrée dans un passé relativement récent? Combien de temps faudra-t-il, en définitif, aux allemands avant d’avoir terminé d’ouvrir la totalité des archives de guerre, à la fois publiques et collectives, personnelles et généalogiques, et pouvoir envisager enfin, avec une certaine distance et sérénité, leur propre passé ? Cinquante ans ? Un siècle ? Qui dirait mieux ?



L’essentiel de la production littéraire qui fera la renommée de la courte carrière d’écrivain de Sebald, disparu à 57 ans dans un accident de voiture en 2001, avait commencé à prendre corps vers la fin de années 1980, moins de cinquante ans donc après la «destruction». C’est notamment grâce à une reconnaissance internationale que la critique littéraire allemande s'intéressera progressivement à son œuvre à partir du milieu des années 1990..



Comment les nouvelles générations d’allemands feuillètent aujourd’hui d’anciens albums de famille (si tant est qu’il en reste encore beaucoup qui n’aient point été détruits ou expurgés…) ? Et nous-même, partant du principe d’une certaine capacité d'identification à autrui, proprement humaine, pouvons-nous l’espace d’un instant essayer de nous mettre à leur place?



Un humanisme teinté d’empathie et de générosité, son érudition immense et en même temps humble, sa sensibilité délicate, intériorisée et réservée, l’exercice littéraire original et subtil auquel il se livre (qu’il refusait lui-même à considérer comme «romancé», y compris pour ce qui est de son chef-d’œuvre incontestable, «Austerlitz», qui ressemble cependant drôlement à un roman !) : voilà en somme ce qui me touche particulièrement chez lui.

Sebald est devenu avec le temps un de mes auteurs «compagnons-de-route», vers lequel j’éprouve le besoin de revenir régulièrement afin de réentendre une voix qui m’est devenue familière et, malgré la mélancolie susceptible de s’en dégager, qui réconforte.

Voix incitant à pratiquer une sorte de «roman de la mémoire» comme une moyen possible d’apaisement face aux souvenirs douloureux, au temps qui passe indifférent, au caractère instable et éphémère de nos existences.

Un peu comme cette vision insolite qui revient curieusement à différents passages de son livre: celle d'un inconnu qui fait subitement irruption dans le récit, en pleine lumière, image non pas d'un ange qui passe, mais d'un «butterfly man» muni d’un filet à papillons…

Commenter  J’apprécie          3212
Austerlitz

Par cette lecture, je découvre l'écriture de W. G. Sebald, et je me félicite d'avoir lu cet ouvrage dans sa totalité, car il s'agit d'un livre qui se mérite. Je pense d'ailleurs que si je n'étais pas venue à bout du roman "Du côté de chez Swann" de Marcel Proust, j'aurais éprouvé de grandes difficultés à lire Austerlitz. Le roman est déjà épais (environ 350 pages) les caractères assez petits. Les phrases sont souvent longues. Le texte rédigé d'un seul tenant, sans paragraphes ni chapitres. Beaucoup de références littéraires ou historiques; des citations en tchèque, allemand ou anglais (non traduites)... Enfin, la lecture est encore rendue plus complexe par les digressions du principal protagoniste, Austerlitz, et l'introspection qu'il mène. Le sujet est grave, voire dramatique, car l'histoire tourne autour de la shoah, la quête d'une identité, l'implosion de familles, sans compter sur des aspects sordides : spoliation des juifs, ou les machinations terribles des S.S. déportant et massacrant ces populations, hommes, femmes ou enfants. Que de vies brisées! même pour les survivants, pantins déracinés malmenés à jamais par l'existence, victimes de leur passé ou de secrets inavouables.

Un très beau livre, malgré sa noirceur. Une superbe découverte. Une lecture qui laisse des traces. Authentique roman? Biographie? J'ai des doutes, qui sont fondés puisque les photos et illustrations sont présentes en très grand nombre tout au long de l'ouvrage, dès l'illustration de couverture d'ailleurs qui est une photographie issue des archives de l'auteur.



Commenter  J’apprécie          310
Vertiges

De l'auteur G.W. Sebald, j'avais déjà lu Austerlitz et les Anneaux de Saturne et je résumerai ces lectures ainsi : je n'avais pas détesté. Pénétrer une oeuvre de cet auteur est une expérience en soi. Il a un style si particulier que tenter d'en faire la critique est hasardeux. Outre les dessins et photographies, l'érudition dont il fait toujours preuve donne le vertige. Mais cet attachement aux détails, aux multiples pistes (qui, parfois, semblent n'être présentes que pour prouver l'étendue des connaissances de Sebald) finit par devenir agaçant. En tous cas, ça m'a agacé. Car, en-dessous de toutes ces couches d'érudition qui paraissent ne mener nulle part, l'intrigue en elle-même est assez difficile à cerner. D'ailleurs, y en a-t-il une ? Dans le roman Vertiges, l'auteur-narrateur voyage entre Vienne et Venise et, lors de ces allers-retours, il se lance sur les traces de vestiges du passé, sur Henri Beyle (Stendhal), Casanova et Kafka. C'est un prétexte pour explorer ses souvenirs, l'histoire, sa mélancolie. Selon moi, c'est surtout un labyrinthe tortueux dans lequel se sont empêtrés sa mémoire et son imagination…

Commenter  J’apprécie          300
Les Anneaux de Saturne

La plupart des critiques sont plutôt positives. Aussi, j'ai quelques scrupules à avouer que je n'ai pas vraiment aimé cette lecture.

Une promenade au bord de la mer dans l'Est de l'Angleterre est un point de départ plaisant. Au fil de cette rêverie, l'auteur se souvient de différents évènements vécus ou historiques. de la leçon d'anatomie de Rembrand à l'histoire de la sériciculture en Europe, en passant par Konrad au Congo ou les insurgés lors de l'indépendance de l'Irlande, tout y passe. C'est, certes, passionnant mais fouillis et beaucoup trop détaillé. On se perd dans toute cette érudition, d'autant que la mise en page, sans paragraphes, n'aide pas.

Le thème qui semble pourtant l'emporter, et pour lequel j'en ai continué la lecture, est l'impermanence de toutes choses et la réflexion sur le passage du temps. D'ailleurs, la région que Sebald parcourt, la côte de l'East Anglia est soumise à une érosion féroce qui fait reculer le rivage presque à vue d'oeil, emportant avec elle les multiples vestiges du passé, ce qui corrobore bien le fil conducteur de son récit : Tout finit par disparaître, l'humain y compris !
Commenter  J’apprécie          270
Austerlitz

Se présentant comme un bloc monolithique, sans chapitre ni retour à la ligne, comme écrit dans l'urgence, dans l'urgence de fixer le récit oral, le souvenir, toutes les traces fugaces de la réalité et de nos vies, tel est Austerlitz. Le texte est intemporel et se fiche des frontières : on passe des années 1930 à Prague aux années 1970 à Paris ou à Marienbad, puis aux années 1940 et 1950 au Pays de Galles avant de revenir dans les années 1990 à Londres ou sur l’esplanade de la BNF ... Plus de frontière donc, ni géographique ni temporelle : l'être seul compte, son expérience, et le récit suit ainsi les pérégrinations de l'esprit qui se raccroche, qui se souvient, qui saisit ce qu'il faut absolument écrire pour ne pas le perdre.



Les photographies représentent une part importante du récit. Elles interrogent les notions de réalité et de fiction. Est-ce un roman ? Un témoignage ? Un documentaire ? Un essai philosophique ? Les photographies induisent un sentiment de réalité et brouillent les pistes : sont-celles de l'auteur, W.G. Sebald ? Sont-elles personnelles ? Ou ont-elles été prises dans le cadre du travail d'écriture ? Les lieux, les objets décrits se matérialisent, existent, sortent du cadre de la fiction. Pour autant, une photographie n'est jamais qu'une image cadrée d'un endroit précis : sous l'illusion du vrai, c'est une réalité tronquée qui est présentée, puisque coupée de son environnement. Partant, les personnages photographiés - la mère supposée d'Austerlitz notamment - posent eux aussi la question de l'identité ? Qui sont-ils ? Cette femme est-elle la mère de Jacques Austerlitz ? La mère de W.G. Sebald ? Une anonyme ? Une célébrité d'antan ? A-t-elle quelque rapport avec cette histoire ?



Ce qui marque également, c’est l’imbrication des personnages, du narrateur et de l'auteur. Le narrateur croise Jacques Austerlitz dans la gare d'Anvers. Ils parlent aussitôt, évoquent l'inutilité des constructions militaires des 18ème et 19ème siècles, trop longues à construire, déjà dépassées par les progrès de l'armement sitôt qu’elles sont terminées. Puis Austerlitz évoque sa vie, sans retenue mais pas sans gêne ni sans pudeur puisqu'il s'arrête parfois. Et comme ni le temps ni les frontières n'existent, si le narrateur et Austerlitz se perdent de vue, un jour, une semaine, un an ou bien vingt-cinq, Austerlitz reprend toujours son récit là où il l'a laissé. Dans le récit se superposent les personnages, leurs récits, leurs voix puisque le narrateur rapporte la parole d'Austerlitz qui, lui-même, reconstruit son passé grâce aux témoignages d'autrui.



Au-dessus d’un récit aussi sensible qu’intelligent, à l’apparence légère et aux accents poétiques, tâchant de saisir la beauté des instants en des descriptions longues, il plane comme une menace constante. C’est la mort qui plane. Elle plane lorsqu’Austerlitz évoque son amitié avec Gerald, qui se tue en avion ; elle plane quand Austerlitz parle avec Véra, sa nourrice praguoise, de ses parents, disparus ou morts. La mort apparaît comme urgence qui exige maintenant de dire et d'écrire, puisque tout est destiné à disparaître.



La quête de l'identité est le thème central du livre. Qui est Jacques Austerlitz (mais aussi : qui est le narrateur, et pourquoi Austerlitz semble se confier si facilement à lui ?) ? Ses premiers souvenirs remontent, au début du récit, à un pasteur gallois et à sa femme dont il ne comprend pas la langue. Rigueur des premières années, sermons chrétiens où pointe une terrifiante eschatologie. Puis les années d'étude, le rugby où il excelle, l'amitié avec Gerald, sa place de professeur d'histoire de l'art, une thèse monstrueuse sur l'architecture monumentale et sociale de la fin du 19ème siècle. Mais Austerlitz s'interroge, lui qui s'est toujours senti un étranger en n'importe quel lieu. Peu à peu s'éclaircissent les pièces d'un puzzle historique et personnel : Jacques, enfant de Praguois francophiles, dont la mère est déportée à Terezin (ancien ghetto de Terezienstadt), le père enfui en France, lui, l’enfant, sauvé par un voyage en Angleterre alors qu'il n'a que 4 ans et demi. Survivant de la guerre et de l'Holocauste, Austerlitz a été néanmoins durablement marqué par cette histoire - pis, il a été changé, construit, modelé par cela. En lui les langues - l'anglais, le français, le tchèque - résonnent, se confondent, ont à voir avec son être profond ; mais, pour autant, polyglotte et homme de toutes les cultures, il est aussi, à sa manière, un apatride, étranger en tout lieu. Si Austerlitz paraît comme un survivant de la guerre, il en est bien une victime.



Austerlitz serait un roman. Il est, à coup sûr, un objet littéraire. Qui puise sa source dans l'histoire la plus sombre du 20ème siècle, dans la folie la plus noire. Inhabituel dans sa forme, il est littéraire dans ses longues phrases sans but autre que celui de la description, serpentant dans les souvenirs, dans les images instantanées aux couleurs et aux contours flous, œuvre de mémoire - puisque, selon l'adage, les paroles s'envolent et les écrits restent - autant que livre qui interroge celle-ci, la remet en question.
Commenter  J’apprécie          260
Austerlitz

Austerlitz n'est pas simplement un roman sur la guerre et ses conséquences, il questionne aussi la mémoire et l'identité. Au niveau des souvenirs, l'homme est parfois aussi efficace que l'écureuil qui au printemps ne se rappelle plus les endroits où il a mis sa nourriture tant il l'a éparpillée dans tous les coins. Il y a toujours des choses qui restent enfouies, introuvables, condamnées à l'oubli. Le récit a pour but la reconstruction des origines du sujet. le morcellement des origines a vraisemblablement été causé par un refoulement. L'Histoire enterre L'Histoire. C'est un roman qui montre bien à quel point nous sommes des produits du temps, mais d'un temps qui ne s'achève jamais, qui se répète, qui se fait oublier et redécouvrir quelquefois. Splendide roman!

Commenter  J’apprécie          260
Austerlitz

J'ai fait la connaissance de cet auteur avec Les Émigrants qui ne m'avait pas enthousiasmée mais cependant intriguée suffisamment pour que je revienne à cet auteur. C'est chose faite avec Austerlitz qui aborde le même thème, à savoir le déracinement que les juifs ont dû choisir pour échapper à leur assassinat orchestré par le Troisième Reich. Il s'agit ici non pas de nouvelles mais bien d'un roman qui s'attache d'ailleurs essentiellement à un seul personnage: Jacques Austerlitz. Arrivé en Grande-Bretagne au cours de l'été 1939 à l'âge de 4 ans, en provenance de Tchécoslovaquie, et adopté par un vieux prédicateur non-conformiste gallois et sa femme, il se voit contraint de s'adapter à une nouvelle vie une, nouvelle langue, une nouvelle culture et même un nouveau nom. le roman retrace, à travers le récit qu'il en fait à l'auteur, son parcours pour renouer avec sa véritable identité. C'est proche du récit d'une psychanalyse et c'est ce qui m'a fait penser que ce récit était autobiographique mais il n'en est rien : Austerlitz est d'origine tchèque, Sebald est allemand. Austerlitz est juif, Sebald ne l'est pas (son père était dans la Wehrmacht)…. Comme dans Les Émigrants, le récit est émaillé de descriptions précises de lieux et agrémenté de photographies qui lui donnent un aspect documentaire et contribue à la fascination qu'il a exercé sur moi. L'écriture est un peu surannée, rappelant les grands auteurs du XIXe siècle et la double indirestion du style contribue à nous distancier du vécu d'Austerlitz.

Bien que relativement peu connu dans le monde francophone, je me suis rendu compte que Sebald avait été pressenti pour le prix Nobel. Il est malheureusement mort prématurément à l'âge de 57 ans. Comme Austerlitz, Sebald est retourné dans le néant de l'oubli…

Ce roman m'a permis de mieux apprivoiser le style original de Sebald. Je l'ai trouvé beaucoup plus abouti que les nouvelles des Émigrants et je me promets de poursuivre l'exploration de cet auteur. À ceux qui ne le connaissent pas, je recommande d'en faire la découverte.
Commenter  J’apprécie          220
Les Anneaux de Saturne

C'est le troisième récit que je lis de W. G. Sebald parmi les quatre grands livres qu'il a eu le temps d'écrire avant de mourir à 57 ans. C'est un écrivain de l'imprégnation mélancolique, son écriture ressemble à la pluie qui tomberait sur des fleurs séchées pour les ranimer une dernière fois. Avec lui, la vie ressemble à un lent dégradé de couleurs, de formes, de mouvements, qui ralentissent jusqu'à se figer.

Dès qu'il commence à lire Sebald, l'esprit du lecteur entre dans une phase méditative, il s'applique à choisir ses mots et les faire peser. Le regard sur le monde qui nous entoure devient différent, plus lent, plus profond, la pensée va au rythme de la phrase sebaldienne. Nous devenons personnage du livre nous-même.

Le personnage sebaldien est souvent un universitaire qui narre l'histoire de ses voyages. C'est un autre lui-même que W.G.Sebald met en scène. Les personnages qu'il nous présente ont-ils existé ? Mickaël Parkinson, cet homme de peu de besoin, qui travaille sur Ramuz et meurt mystérieusement dans son lit. Et sa collègue romaniste qui parle si bien des scrupules de Flaubert...Elle vit dans un appartement où se développe un univers de papier et elle ne se serait pas remise de ce décès. Michael Farrar, cinquante pages plus loin, a créé un des plus beaux jardins de la région avec sa prédilection pour les rosiers, les iris et les viola rares. Une phrase décrit l'évènement qui cause sa mort. Un simple accident domestique devient une vision ardente.

Entre temps, le narrateur aura cherché un crâne dans un musée secret de l'hôpital.

Nous aurons droit à une analyse du tableau de Rembrandt présentant une autopsie de Aris Kindt, nous saurons désormais que le médecin qui opérait devant la bonne société qui avait payé sa place se nommait Tulp. Puis l'auteur nous raconte son voyage raté à La Haye pour voir ce tableau comme si celui-ci portait malheur.

Nous serons descendus vers la côte dans un autorail en roue libre, et nous aurons visité la Seigneurie de Somerleyton, ses enfilades de pièces, et arpenté les rues de Lowestoft, qui porte les stigmates de la crise économique. Ce genre de description nous rappelle d'autres livres de Sebald, d'autres zones décrépites dont la désolation fait le bonheur de l'écrivain. Quand on lit Sebald, on s'attend presque à croiser la silhouette de Edgar Allan Poe ou à voir Lovecraft écarter le rideau et jeter un regard soupçonneux dans la rue . Et pourtant, tout se déroule dans un contexte réaliste, les petites histoires des gens se mêlant au passé et à la grande histoire, la politique (la baronne Tatcher) comme l'économie. Le temps est comprimé sur une dizaine de pages extraordinaires à propos du développement et la fin de l'industrie du vers à soie dans le monde, de la Chine à l'Angleterre. Le motif du vers à soie illustre les différentes étapes de la vie et de l'éternité de l'âme.

Les réflexions de Sebald sont une analyse minutieuse des événements des deux derniers siècles, tandis qu’il construit, en même temps, un arc de longue durée historique remontant au commencement de ce qui évolue pour devenir un système capitaliste global.

Le narrateur semble hanté par des personnages historiques comme si il revivait leur vie. Qui connaît Gavrilo Princip qui change le destin du monde en tirant un coup de feu lourd de conséquence à Sarajevo le 28 juin 1914 ? Et Roger Casement qui s'engage contre l'exploitation brutale dont sont victimes les noirs congolais, et qui paiera cher ses désirs d'engagement.

Des écrivains aussi, comme Konrad Korzeniowski, qui deviendra connu sous un autre nom, et qui aura vu des ses yeux l'ignominie du colonialisme. Et faire revivre l'amour de Chateaubriand pour sa jeune américaine au point de confondre son style avec celui de l'auteur. On ne sait plus qui parle, qui écrit.

Sebald poursuit son voyage sur une côte dont les falaises s'effondrent, les villages disparaissent dans la mer.

« Dunwich avec ses tours et ses milliers d’âmes s’est dissous dans l’eau, transformé en sable, en gravier, évaporé dans l’air léger. »

ou sont abandonnés comme l'isolement total sur ce môle avancé :

«... il me sembla que je traversais un pays inexploré ...au-milieu des vestiges de notre propre civilisation anéantie au cours d'une catastrophe future...»
Lien : http://killing-ego.blogspot...
Commenter  J’apprécie          220
Austerlitz

« Des animaux hébergés dans le Nocturama, il me reste sinon en mémoire les yeux étonnamment grands de certains, et leur regard fixe et pénétrant, propre aussi à ces peintres et philosophes qui tentent par la pure vision et la pure pensée de percer l'obscurité qui nous entoure ». WG Sebald.

J'ai repensé à la phrase d'Adorno que G Didi-Huberman avait cité au début de son essai Remontages du Temps Subi, l'oeil de l'histoire (2) : «  Quand il pense, son oeil s'étonne, presque désemparé, puis s'illumine tout à coup. C'est avec un tel regard que les opprimés peuvent devenir maître de leur souffrance ».

Faire la lumière, du moins tenter de la faire vivre, du moins, de lui permettre de survivre.

Il y a entre W.G. Sebald, plus exactement entre Jacques Austerlitz, le personnage central de ce roman, Aby Warburg, historien de l'art , et Walter Benjamin ,l e philosophe, une réelle correspondance. Ils se font signe et nous font signe.

L'image est au centre de leur travail. La mémoire, la genèse de l'histoire , la problématique de l'image. Sa rémanence. Quelque chose est là, inscrit, qui fait signe, qui nous parle, qui communique. L'image non officielle, « l'image de ce tous à chacun ». Cela peur être une photographie, ou la vue directe d'un objet, la lumière de la verrière d une gare, l'escalier d'une bibliothèque, un sac à dos, un livre, un accent, une comète gravée sur un compteur électrique, le quai d'une gare ….

Jacques Austerlitz, retrouve sa mémoire comme on recouvre la vue.

La persistance rétinienne de l'âme.

Il est possible de tout perdre sans véritablement rien oublier.

L'image, l'articulation, le remontage des temps cataclysmiques, traumatiques.

Comment formuler une phrase ? . Comment affronter la déchirure, la béance du temps ? .

Notre passé, notre devenir est ce ...là ? Sous nos yeux ? Était- ce déjà entre nos mains ?

La survivance des lucioles n'est pas absente de ce roman. le travail de G. Didi-Huberman fait écho. Ces images de, et, en mémoire... leur résonnance.

Travailler sur l'image, y plonger, en remonter des mots, des parfums, des couleurs, faire passage à la musique des ombres, Comme des fragments de poterie, laisser venir l'émotion, formuler, traduire, procéder à la lecture, tout cela me parle, fait écho dans les méandres de mon esprit.

«  J'ai d'emblée été étonné de la façon dont Austerlitz élaborait ses pensées en parlant, de voir comment à partir d'éléments épars il parvenait à développer les phrases les plus équilibrées, comment, en transmettant oralement ses savoirs, il développait pas à pas une sorte de métaphysique de l'histoire et redonnait vie à la matière du souvenir ».



Nous avons tous cela en nous. Cette capacité à capter, à recevoir ce que les objets d'image nous adressent, et ce qui nous est adressé c'est un geste. L'homme qui a dessiné une forteresse, l'enfant qui regarde l'objectif, celle qui choisi l'instant de la photographie,ce livre déposé , ce visage sculpté, tout cela ce sont des gestes. Geste de vie, geste d'amour, geste de peur, de colère geste de fuite. Preuve de vie. Preuve d'absence. J'ai toujours été fascinée par l'image manquante, l'idée d'une image lacunaire, l'idée d'une clé.

De la clé au passage il n'y a peut être que les portes de notre esprit. «  là où la vie emmure, l'intelligence perce une issue » écrivait Marcel Proust.

Penser un savoir. C'est parfois l'oeuvre de toute une vie, parfois même le devoir de l'humanité.

Pour penser juste il faut penser vrai. Et ce respect du savoir que WG Sebald a su faire entrer dans cette fiction. Cela aurait pu être totalement impossible. Mais il a réussi. Comme Laszlo Nemes a réussi , dans son film le Fils de Saul, à nous faire entrer dans une des Nuits les plus terrible de l'Histoire. Ne n'en sortons pas intacts mais plus forts parce que nous devenons plus vrais, plus justes.



J'ai découvert Austerlitz de W. G Sebald à travers le chef d'oeuvre cinématographique de Stan Neumann , et je l'ai lu sur les lèvres de Denis Lavant.

Lorsque je j'ai ouvert le livre et que j'ai commencé sa lecture, je suis entrée plus précisément dans l'articulation du langage de Sebald , d'une construction étonnante.

Ce roman est construit en écho. Une fiction en écho. Les choses ne peuvent pas parfois revenir, ressurgir directement,. Les hommes les mots brûleraient, ils seraient foudroyés par l'horreur, le chagrin , la douleur.

G Sebald a choisi la forme du témoignage, sous forme d'enquête, pour mener son récit.

Jacques Austerlitz raconte au narrateur. le narrateur retranscrit. Il y a donc un effet de profondeur qui a été introduit. Effet photographique, mnémonique. Perceptive du temps qui donne lecture à l'avenir.

Les images témoignent de leur temps. Elles nous rapprochent de la vérité.De leur sauvegarde dépend notre survie.

Jacques Austerlitz part en quête de ce qu'il pressentait et cela depuis toujours. Il est en quête de sa vérité. Photographie amateur, passionné d'architecture, il perçoit, recherche le lieu, il a cet instinct de survie, Anvers...Londres, Bruxelles, Paris, Marienbad, Prague, le Ghetto de Terezin, Paris... ce lieu c'est sa mémoire.

J'ai un profond attachement pour ce personnage auquel W.G Sebald a donné vie.

Une oeuvre étonnante, magistrale. L'histoire de Jacques Austerlitz est présente.

Un jour les Amériques, un jour ...Prague, un jour Drancy , un jour l'Anatolie, la Namibie, ou la St Bathélémy, demain Srebrenica ou Sabra ou Chatila, le Cambodge , l'Ukraine, le Rwanda, encore un autre jour ...l'unité 731, et puis un autre jour …. Alep.

Ce lieu devient la mémoire ,

la mémoire, de tous à chacun d'entre nous.





À écouter, la très belle émission que France culture consacrait à l'oeuvre de W.G Sebald en septembre 2012 :

https://www.franceculture.fr/emissions/une-vie-une-oeuvre/wg-sebald-1944-2001



à voir :

« Austerlitz » film de Stan Neumann 2015

http://www.lesfilmsdici.fr/fr/catalogue/5040-austerlitz.html





Astrid Shriqui Garain



Commenter  J’apprécie          216
Austerlitz

L'histoire de cet homme, Austerlitz, qui après des années de recherches, apprend qu'il a été, enfant, évacué avec des centaines d'autres, vers l'Angleterre pour fuir guerre et persécutions.

Juxtaposant un style romanesque avec des documents photographiques, l'auteur livre ici la vie romancée d'un émigrant déraciné, Jacques Austerlitz, qui n'a connu son vrai nom que lorsqu'il fut adolescent.

Cela avec le récit de déambulations à travers l'Europe, des réflexions sur l'architecture, une belle écriture, lecture un peu ambitieuse.
Lien : https://collectifpolar.blog/
Commenter  J’apprécie          180
Les Émigrants

L’exil inguérissable et le retour inéluctable des souvenirs.



Ce récit ponctué de photographies de l’auteur, publié en 1992, et traduit en 1999 par Patrick Charbonneau pour les éditions Actes Sud, juxtapose les biographies littéraires de quatre hommes hantés par des fantômes de souvenirs indéfinissables, indéfinissables sans doute car l’horreur ne peut être dite frontalement. Le narrateur des «Émigrants» restitue, à partir de traces patiemment recueillies, les histoires de ces individus hantés par l’exil et la disparition, par des souvenirs traumatiques qui un jour les rattrapent, inéluctablement.



Le narrateur rencontre le premier de ces hommes, le Dr Henry Selwyn, tandis qu’il cherche à emménager fin septembre 1970 dans l’est de l’Angleterre, dans les environs de Norfolk. Il va habiter pendant quelques mois dans la maison de ce chirurgien à la retraite, désormais coupé du monde et se sentant de plus en plus étranger dans son propre pays. Le narrateur explore par touches le retour du souvenir de l’exil de la famille juive lituanienne de Selwyn vers l’Angleterre, dans les dernières années du XIXème siècle ; les images effacées de cet exode resurgissent, irrépressibles, à la manière de la dépouille de ce guide de montagne de Bern qui fut l’ami de Selwyn dans sa jeunesse, disparu en 1914 en montagne et restitué par un glacier suisse sept décennies plus tard.



La suite sur mon blog ici :
Lien : https://charybde2.wordpress...
Commenter  J’apprécie          181
De la destruction comme élément de l'histoire..

Ce petit livre de W. G. Sebald est d'une force bouleversante. Sans tabou mais avec puissance,il aborde le massacre, des six cents mille civils tués par des Alliés dont l'objectif consistait à raser les villes allemandes, et combien les intellectuels de ce pays,à la fin des hostilités, ont été frappé d'une sorte d'amnésie semblant vouloir effacer cette effroyable période de la guerre, oublieux de la souffrance d'un pays, et des conséquences engendrées sur les générations issues de cette période.

Illustré de photos et de documents" De la destruction comme élément de l'histoire naturelle" fait découvrir une autre face de la seconde guerre mondiale et témoigne d'une culpabilité allemande longtemps gommée des écrits et des mots.
Commenter  J’apprécie          180
De la destruction comme élément de l'histoire..

Le titre originel de l'ouvrage est "Guerre aérienne et littérature", et il est fort peu question d'histoire naturelle, comme le titre français le laisse supposer. Les trois conférences données à Zurich par l'auteur, abordent un problème littéraire, et non pas historique, qui se résume en ces termes : ... "un peuple de 90 millions d'habitants naguère loué pour être celui des poètes et des penseurs et qui a subi la pire des catastrophes de son histoire récente en voyant ses villes effacées de la carte et sa population expulsée par millions. Il est difficile de croire que ces événements n'aient pas trouvé un puissant écho littéraire. Ils l'ont trouvé, certes. Mais rares sont les textes qui ont été publiés - ils sont restés à l'état de littérature de tiroir. Qui d'autre que les médias a érigé ce mur de tabou (...) et continue à cimenter et colmater ?" (p. 89, citation de Gerhard Keppner). Donc W. G. Sebald examine ce problème littéraire intéressant, et retrace le travail de refoulement du souvenir des grands bombardements sur l'Allemagne pendant les années de guerre. Outre les nécessités politiques du temps et l'ouvrage des médias, Sebald évoque aussi la difficulté que rencontrent les victimes à faire face à leurs traumatismes et à les formuler. Les écrivains allemands, dont c'est un peu la vocation (exprimer sous forme littéraire ce que vivent les gens, sans kitsch ni mensonge) ont failli, de l'avis de l'auteur. La tâche n'est pas facilitée par l'énorme culpabilité qui a pesé sur les Allemands, qui savent bien, dit Sebald, qu'ils sont en grande partie responsables de ce qui leur est arrivé. Malheureusement, les Anglo-Américains, très sûrs de leur bon droit, n'ont pas eu de remords avec leur propres atrocités : ils ont vite changé leur victoire militaire en victoire morale, en oubliant qu'ils avaient totalement abandonné les Juifs d'Europe à leur sort.



Une étude sur le cas d'Alfred Andersch conclut cet essai littéraire. le cas Andersch résume bien à lui seul tout l'inconfort de la situation. L'intellectuel allemand doit se justifier (d'abord à ses propres yeux) de ses actes (ou de sa passivité) sous le nazisme, il lui faut ensuite, comme il peut, se dénazifier, et se construire une personnalité esthétique. Cela requiert honnêteté et droiture : art et morale ne sont pas séparables. Andersch a échoué sur tous ces plans, et l'étude de son cas est instructive.



La lecture de ces conférences m'a rappelé deux livres brillants écrits sur un problème analogue, par David G. Roskies : "Against the Apocalypse, responses to catastrophe in modern Jewish culture" (1984), et par Alan Mintz : "Hurban, Responses to catastrophe in Hebrew Literature" (1996). Ils seront sans doute traduits en français quand le Messie viendra.
Commenter  J’apprécie          170
Les Anneaux de Saturne

« J'ai passé mon enfance et ma jeunesse dans une contrée des Alpes

septentrionales en grande partie épargnée par les effets immédiats de ce

que l'on nomme hostilités. À la fin de la guerre, j'avais tout juste un an et

je ne saurais avoir gardé de cette époque de la destruction des impressions

fondées sur des événements réels. Et pourtant, aujourd’hui encore, quand

je regarde des photographies ou des films documentaires datant de la

guerre, il me semble que c'est de là que je viens, pour ainsi dire, et que

tombe sur moi, venue de là-bas, venue de cette ère d'atrocités que je n'ai

pas vécue, une ombre à laquelle je n'arriverai jamais à me soustraire tout à fait » écrivait W.G Sebald dans « De la destruction comme élément de l’histoire naturelle » regard perdu de l’émigré qui a quitté l’Allemagne pour l’Angleterre en 1966.

Est-ce là la source de la mélancolie qui règne dans les textes de Sebald et donc probablement, dans son esprit ?

Au départ, une simple randonnée à pied dans le comté de Suffolk. W.G.Sebald vagabonde à travers les cotes désertes, petites villes et villages. Il se perd dans le labyrinthe de jardins abandonnés. Il vagabonde également au travers certains souvenirs de sa propre vie. L’occasion de retracer la mémoire de ces lieux de la côte est de l’Angleterre mais aussi d’autres contrées du Monde à travers l’épaisseur du temps.

Avec un art de la transition stupéfiant, on passe de la Chine du XIXe siècle, dans le palais de l’impératrice Cixi, la révolte des Taiping, le flop économique que constitua l'introduction de la culture de « l’oiseau » à soie en Europe, la phosphorescence post mortem du hareng. On entend les canons des navires hollandais détruire la flotte anglaise à la bataille de Sole Baye, les forteresses volantes gronder dans le ciel du soir pour aller bombarder les villes allemandes, les amours avortées de Chateaubriand en Grande-Bretagne, la Leçon d'anatomie de Rembrandt. Le hasard d'une émission de la BBC enclenche le souvenir de l'irlandais Roger Casement, critique virulent des intérêts du roi Léopold au Congo, et finalement exécuté comme dangereux terroriste irlandais et d’autres personnages moins connus, émigrés ballottés au gré du monde. A la fin de son périple, l’auteur va rendre visite à un ami qui, depuis des années, construit une immense maquette du temple de Jérusalem.

Sensible aux couleurs et aux mouvements, Sebald déroule ses phrases avec simplicité. Comme la méditation d’un « promeneur solitaire », il y a là une magie qui nous fait traverser les endroits que l’on a plutôt l’habitude de longer.

Dessins, documents, cartes et photos parsèment ce livre qui, ramenant vers ce qui est plus réel, évitent la pure rêverie. Comme un balancement entre rêverie et réflexions.

Mais tout cela n’est pas qu’érudition retracée avec lyrisme.

Car peu à peu, dans une impossible simultanéité nous avons devant nous la vision d’un monde d’une beauté triste: un monde de ruines, d’éternelle destruction où le souvenir est important car il permet de survivre.

Mais c’est une mélancolie sans pleurs ni larmes, car la nature aussi détruit

Il ne faut pas y chercher une quelconque condamnation de notre existence ou un plaidoyer écologiste: la destruction faisant partie « d’un état naturel »

Vous avez compris que ce livre est vraiment éblouissant et d’une richesse indescriptible.

Je suis de ceux qui croient que seule la poésie permet d’exprimer notre « vision » de la vie, aussi je m’en vais, de ce pas, chercher et lire l’unique livre de Sebald qu’il présente comme poésie : « D’après nature, poème élémentaire »





Ps factuel : ce livre a été écrit en allemand, les phrases écrites en anglais n’ont pas été traduites en français





Commenter  J’apprécie          160
Austerlitz

Comment chroniquer ce beau roman sans divulgâcher?



Et pourtant ce n'est ni un policier, ni un thriller. Au contraire, c'est un livre qui flâne entre gares et bibliothèques, aux promenades rêveuses dans des manoirs abandonnés et parfois fantastiques entre coupoles byzantines, escaliers et lianes, portes ouvertes vers le passé qui ressurgit par surprise. Ecriture vagabonde qui emmène le lecteur à Londres, Anvers, Prague et Paris, qui traverse cinq décennies. Vous le suivrez aussi à  Marienbad  et à Theresienstadt, de bien triste mémoire...  Ecriture circulaire - l'expression est de D Mendelsohn qui m'a fait connaître Sebald. 



Ce n'est qu'au mitant du livre que j'ai compris ce titre d'Austerlitz, pour moi une gare ou une victoire napoléonienne, mais pour un enfant Gallois?



A vous de vous perdre dans les méandres des déambulations, de découvrir les belles photographies, cela en vaut la peine.
Lien : https://netsdevoyages.car.bl..
Commenter  J’apprécie          160




Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de W. G. Sebald (660)Voir plus

Quiz Voir plus

Devenez très fort en histoire littéraire même (et surtout) si vous n'y connaissez rien

Je suis un poète grec considéré comme le père de la littérature mondiale, la base sur laquelle tout repose (ou du moins une bonne partie). Qui suis-je ?

Homère Simpson
Homère m'a tuer
Homère d'alors
Homère Égée
Homère tout court

12 questions
1311 lecteurs ont répondu
Thèmes : histoire de la litterature , classique , culture généraleCréer un quiz sur cet auteur

{* *}