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EAN : 9782207176672
Denoël (23/08/2023)
3.54/5   26 notes
Résumé :
Hollywood Forever Cemetery, 20 août 1981. Un vieil homme cherche la tombe de son fils. L'homme est Jules Dassin, grand cinéaste américain qui, un an plus tôt, a enterré ici Joe Dassin, chanteur au succès planétaire emporté par un infarctus à l'âge de quarante ans. Au crépuscule de sa carrière, Jules a une idée de documentaire : pour rendre hommage à Joe, il évoquera tous les 20 août de sa vie trop brève. Portrait croisé de deux artistes farouchement indépendants, ce... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
Le père et le fils parti trop tôt

Dans «Jules et Joe» Alexis Salatko retrace les vies du cinéaste Jules Dassin, de son épouse Melina Mercouri et de leur fils, le chanteur Joe Dassin. L'occasion de revenir sur trois carrières exceptionnelles, mais aussi de retraverser le XXe siècle et de plonger dans une intimité où les bonheurs se mêlent aux regrets.

Le chapitre initial de cet émouvant roman se déroule en août 1981 et raconte le pèlerinage de Jules Dassin sur la tombe de son fils Joe. Dans ce Forever Cemetery de Los Angeles, la stèle funéraire indique sobrement «5 NOVEMBRE 1938-20 AOÛT 1980». Quelques objets ont été déposé par des admirateurs et viennent rappeler à cet homme meurtri qu'il n'est pas seul avec sa peine.
Après cette ouverture, Alexis Salatko revient à la chronologie et retrace les débuts new-yorkais de l'émigré Jules Dassin. Nous sommes en 1938. le jeune homme est «acteur-ouvreur-chaisier dans un théâtre yiddish populaire en alternance avec ses camarades Nicholas Ray, Joseph Losey, Elia Kazan, Edward Dmytryk, tous fils de déracinés comme lui.»
Son épouse, Béa Launer, émigrée tout comme lui, est violoniste. Pour l'heure, elle répète avec un ventre bien rond. Dans quelques jours, elle mettra au monde Joseph Ira qui passera à la postérité sous le diminutif de Joe.
Mais en cette période de montée des tensions, il faut d'abord penser à survivre, car la crise s'installe durablement.
La solution viendra de Californie et des studios d'Hollywood où Jules finit par trouver du travail. Il sera l'assistant du grand Alfred Hitchcock avant de se voir proposer un premier contrat par la MGM. Après des films de commande, il est engagé chez Universal et réalise deux films qui seront modifiés par la production. Il rejoint alors la Fox et réalise son premier grand film, Les Forbans de la nuit, «oeuvre surgie du chaos, qui deviendra pourtant un classique du film noir.» Malgré les heures sombres et la Guerre, son avenir semble tout tracé. Mais c'est oublier le sénateur McCarthy et sa chasse aux communistes. Jules est contraint de s'exiler. Il va d'abord retrouver Hitchcock en Angleterre. «Après Londres, ce fut Rome et, après Rome, Genève puis Paris.» Période mouvementée qui va contraindre Jo et ses soeurs à changer onze fois d'école. Jules était traqué et menacé, mais pouvait poursuivre sa carrière de cinéaste en Europe. C'est en 1955 avec du rififi chez les hommes, Prix de la mise en scène à Cannes, qu'il obtiendra la reconnaissance de ses pairs et fera la rencontre de la flamboyante Melina Mercouri. «Entre la déesse grecque aux yeux d'or et le réalisateur slave aux yeux bleus, c'était désormais à la vie à la mort. (...) Chiffres en main, elle lui avait expliqué qu'ils étaient prédestinés: ils s'étaient rencontrés un 18 mai, il était né un 18 décembre et elle, un 18 octobre, bref c'était inscrit dans les astres, les dieux s'étaient manifestés, ils n'y pouvaient rien, le destin avait frappé.»
Il quitte Béa, amadoue son fils en lui trouvant un rôle dans son nouveau film aux côtés de Melina et marche vers la gloire.
Avec Jamais le dimanche et sa chanson qui fera le tour du monde et obtiendra un Oscar, Les enfants du Pirée, Melina décroche le Prix d'interprétation féminine à Cannes. «Devant l'entrée des cinémas qui affichent DASSIN-MERCOURI, LE DUO DU SIÈCLE en lettres géantes, il y a de quoi perdre la raison, c'est humain. Nous nous laissâmes délicieusement submerger par ce tsunami d'honneurs et d'émotions.»
Le paradoxe veut que ce soit aussi durant cette époque grecque que Joe, qui s'est longtemps cherché, va trouver sa voie, sa femme, quelques amis fidèles. Finie les apparitions dans les films de son père, il est désormais un chanteur adulé qui voit les succès s'empiler. Mais pour le fils de Jules, cette gloire ne vient couronner qu'un art mineur.
Si le roman est parfaitement documenté et court sur tout le XXe siècle, ou presque,
Alexis Salatko choisit de le centrer sur les rapports père-fils. Il donne ainsi à ces trois biographies – celles de Jules, Joe et Melina – l'aspect d'une quête intime. Et touche au coeur. Pour cela, il n'a pas besoin de s'embarrasser de fioritures ou de grandes envolées lyriques. Les faits, racontés dans un style classique et limpide, suffisant à dire la douleur d'un père, ce sentiment de culpabilité qui l'habite désormais. Nous sommes alors bien loin de l'hagiographie ou de livre pour les inconditionnels du chanteur des Champs-Élysées, de l'Amérique ou de L'été indien, mais bien plus proches de la tragédie… grecque.
NB. Tout d'abord, un grand merci pour m'avoir lu jusqu'ici! Sur mon blog vous pourrez, outre cette chronique, découvrir les premières pages du livre. Vous découvrirez aussi mon «Grand Guide de la rentrée littéraire 2024». Enfin, en vous y abonnant, vous serez informé de la parution de toutes mes chroniques.


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Quelque chose me plaisait dans cette histoire, quelque chose susceptible de me toucher. Cinéphile invétéré j'aime beaucoup certains films de Jules Dassin, surtout sa trilogie noire des fifties La cité sans voiles, Les forbans de la nuit, Les bas-fonds de Frisco, fabuleuse. Son fils Joe, chanteur à succès, m'a toujours semblé beaucoup moins lisse que l'image que le public avait de lui. Citoyen américain il avait peut-être l'étoffe d'un folksinger comme je les aime. Mais ce qui m'attirait c'était surtout le rapport père-fils, sachant que les deux s'étaient finalement assez peu rencontrés toutes ces années. Se connaissaient-ils vraiment? Question valable pour le commun des mortels, dont manifestement n'étaient pas nos deux personnages mais j'y reviens.

J'ai apprécié l'an dernier La dernière enquête de Dino BuzzatiAlexis Salatko rendait un modeste mais subtil hommage à l'auteur du Désert. Son talent n'est pas vraiment en cause. Voilà la vérité. Ni Jules ni Joe ne m'ont ému ou touché au long de cette longue confidence du père, Jules Dassin, enfant d'immigrés juifs ukrainiens (il semblerait que le nom Dassin vienne d'Odessa, ces choses étaient monnaie courante à Ellis Island). Il y évoque par bribes son entrée dans le monde du cinéma, assistant d'Hitchcock, ses premiers films, son mariage et ses trois enfants dont un garçon, Joe, l'aîné, qu'il verra grandir en partie puis de loin en loin. Joe ne prend jamais la prole dans ce récit mais Jules en parle, presque comme d'un cousin éloigné sur lequel il est très critique. Etudes de Joe, premier démons, comme tout le monde, et dépendance ultra-rapide, comme beaucoup. Et dire que ctte génération se croyait rebelle. Chimères.

Et puis le maccarthysme tient une grande place bien sûr, Dassin en ayant été une des principales victimes. Sur ce sujet de la chasse aux sorcières j'ai déjà eu l'occasion de dire ma circonspection. Mais c'est la diva Melina Mercouri qui m'a laissé l'impression la plus désagréable. Une icône, une diva. Justement là encore je me méfie des divas et des icônes. Un peu intouchable, il est vrai qu'elle fut une grande résistante au régime des colonels, menacée dans sa vie même, puis devenue une institution à l'égal du Parthénon. Ca ne suffit pas à m'émouvoir, encore moins à m'envoûter. Peu enclins à la modestie père, fils et belle-mère n'ont pas tardé à susciter mon ennui, peut-être pas vierge de toute mauvaise foi. Je me suis octroyé depuis bien longtemps le droit à une touche raisonnable de ce sentiment bien pratique.

Nous en resterons là, aux grands films de Jules, ce qui n'est pas si mal.Aux gentilles ballades de Joe, souvent des standards du folk adaptés en français, au moins au début. Quand même déçu par Jules et Joe.
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Alexis Salatko raconte la vie de Jules Dassin à travers le récit de la journée anniversaire de la de mort de son fils, Jo Dassin, le 20 août 1981. Alors, chaque année le 20 août, le narrateur décrit, comme un journal, sa vie de cinéaste, celle de sa première femme Béatrice Launer, violoniste réputée, puis la naissance de leur famille avec Joe, l'aîné, etc.

En chapitres courts, Alexis Salatko brosse les dégâts du maccarthysme dans le Hollywood des années cinquante et la faille dans la vie de Jules. Puis arrive la rencontre avec la fulgurante Melina Merouri, son divorce et son remariage. Parallèlement, Joe grandit et découvre ses combats mais aussi ses addictions, jusqu'à sa mort.

Évidemment, le fonds documentaire est fourni et richement mis en scène. Mais, au-delà des vies d'artistes, Alexis Salatko raconte la relation particulière d'un père originaire d'Odessa essayant de se faire reconnaître par sa patrie d'adoption et qui incarne difficilement son rôle de père. Les rendez-vous manqués sont autant de pierres qui pèseront dans la vie du fils.

Alors, lorsqu'à son tour, Joe découvre qu'il rencontre du succès, il ne saura jamais si celui-ci n'est pas dû à la notoriété de son père. Un père si absent qu'il en est omniprésent dans une chanson de son fils: ” L'Amérique, L'Amérique si c'est un rêve, je veux rêver “, lui, l'américain à part entière.

“Joulius”, comme le dit Melina, est un homme trop préoccupé par sa propre reconnaissance, fils de barbier de Harlem, qui ne parle jamais de ses blessures et de ses difficultés à vivre son exil d'Odessa.

Puis apparaît la personnalité de Melina. Jeune, elle était une bimbo bouillonnante. Malgré l'acharnement de Jules, il sera difficile que son métier de comédien vienne combler toutes ses envies. le portrait qu'en fait Alexis Salatko est attachant faisant ressortir les enjeux entre conscience politique et carrière artistique.

Alexis Salakto réussit parfaitement à montrer les failles de Joe. Il le présente comme un artiste à la conscience sociale affirmée, mais qui voulait soigner son manque de confiance par un perfectionnisme intransigeant. Joe voulait lui aussi réussir pour être reconnu par son père mais voulant vivre une vie, à pêcher et taper dans une balle blanche et dormir dans des lieux inconnus.

Le roman, Jules et Joe, est très réussi se lisant aisément et avec intelligence narrative, transporte de l'industrie cinématographique d'Hollywwod au milieu artistique français en passant par la dictature grecque. Mais, surtout, Alexis Salaktos en profite pour disséquer les conséquences, souvent invisibles, de l'exil. Un roman très agréable !
Lien : https://vagabondageautourdes..
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Jules et JoeAlexis Salatko




Alexis Salatko d'origine Ukrainienne est né à Suresne en 1959. 

D'abord co scénariste avec Roman Polanski. Il devient journaliste dans les années 80/90, notamment pour Ouest France.

Auteur de romans et de biographie, il a reçu plusieurs prix.


Dans ce récit romancé il retrace les vies de Jules et Joe Dassin

Il propose une trame originale où chaque chapitre retrace un vingt août, jour de la mort du fils, de 1938 à 1981. L'auteur alterne le récit et des bribes de pensées de Jules qui a le sentiment que le lien avec son fils s'est délité.


C'est le grand père, juif d'Odessa, qui va être rebaptisé Dassin suite à une erreur de compréhension du service des douanes américaines qui a fait un amalgame avec la ville d'origine.


Issus du Bronx, Jules a eu des débuts difficiles dans le monde du cinéma. Carté communiste puis déçu lors de l'alliance avec l'Allemagne Nazi, il devra partir lors des purges du Mc Cartysme. Perpétuel exilé il le restera puisque sa deuxième compagne, Mélina Mercouri, petite fille de l'ancien maire de Athènes et actrice, sera interdite de séjour en Grèce suite au putsch des colonels. 


L'auteur nous propose un voyage à travers le temps, à l'âge d'or du cinéma. Nous naviguons entre Hollywood, Londres, Paris. Il évoque les grands noms de l'époque. Hitchcock, Richard Widmark, Gene Tierney, Daryl Zanuck, Burt Lancaster, Françoise Sagan, Fernandel, Peter Ustinov, Costa-Gavras. La rencontre de Jules avec Mélina Mercouri, est un tournant et sa carrière est à son apogée. Cette femme fantasque à la parole libre, l'influence. Elle milite et rêve d'une Grèce Libre.


Outre la carrière de Jules, nous découvrons au fil des pages un père aimant mais absent. Il veut donner le meilleur à ses enfants et il passe à côté d'eux. Il s'avère qu'il ne s'est jamais trouvé avec Joe. Ce dernier a brûlé la vie par les deux bouts. Éternel insatisfait de son travail et cherchant sa place. 


C'est un livre nostalgique, sur des rendez-vous ratés entre un père et son fils. Mais l'auteur évoque, aussi la situation des sympathisants communistes aux États-Unis dans les années 50. de nombreuses personnalités du 7e art ont été empêchées de travailler, voire inquiétées ou exilées. C'est aussi un livre qui évoque les convictions de gauche du réalisateur et le militantisme de sa conjointe qui est devenu ministre de la Culture en Grèce. 


J'ai eu beaucoup de plaisir à lire ce livre qui est surtout un livre sur Jules Dassin.


&&&


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Jusqu'à présent j'avais beaucoup aimé les livres d'Alexis Salatko : "Tube, La fille qui hurle sur l'affiche, China et la grande fabrique ,Un fauteuil au bord du vide.".. Mais j'ai été déçu par celui ci. Certes l'écriture est agréable et les alea des relations père/fils et la douleur du deuil quand le fils part avant le père sont étudiés finement. le livre est aussi habité par les personnages célèbres et quelques événements marquants de la fin du 20ème siècle
Mais raconter la carrière cinématographique de Jules Dassin, ses amours avec Melina Mercouri , et la vie trop brève de Joe Dassin son fils , cela ne me parait faire un roman .
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Citations et extraits (20) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
Mon fils, là-bas sur mon bureau à Athènes, il y a toujours cette photo de toi, prise à l’Olympia, où tu fais tournoyer ton micro comme un lasso… Que cherchais-tu à attraper? L’amour? La gloire? Ou ce bonheur qui toujours te fuyait?
Où que j’aille, tu es là, dans mon cœur, dans mes pensées, et même dans l’odeur des cigarettes que Melina fume du matin au soir en déclamant ses discours politiques.
Souvent la nuit je rêve de toi, mon Joe. Nous marchons côte à côte sur une plage de Californie, sur un sentier en Crète, le long d’un trottoir de New York, à Paris, au jardin des Tuileries, jusqu’à cette statue représentant l’Homme et sa Misère. Tu te voyais comme un « divertisseur » qui, à défaut de pouvoir changer le monde, s’était fixé pour mission d’apporter un peu de joie et de légèreté. J’avais une conception différente du métier d’artiste. Pour moi, la fonction première d’un film, d’un livre ou d’une chanson était de dénoncer les outrages et les injustices.
Dans mes rêves, tu n’as jamais le même âge. Tu es tantôt ce petit garçon frisé comme un mouton, tantôt cet adolescent au sourire facétieux et mélancolique, tantôt cet homme mûr fumant ses infects cigares de cocher et me parlant avec cette voix chaude et grave qui a fait se pâmer tant d’admirateurs. Nous parlions en américain et parfois en yiddish. Le ton montait vite, on s’embrouillait et, pour ne pas se fâcher, chacun rengainait son colt et nous faisions une partie de tavli. Tu poussais tes pions, je poussais les miens, et le vaincu s’en allait bouder dans son coin. Aujourd’hui tout cela me paraît si bête…
Le plus dur, c’est au réveil, quand tu t’évapores pour retourner Dieu sait où et que je me retrouve seul, avec mes souvenirs et mes douleurs de vieux monsieur dont tu n’auras, hélas, jamais à souffrir. Bien sûr, il y a Melina, tes sœurs, Ricky et Julie, ta mère Béa qui me téléphone chaque semaine, mais ce n’est pas pareil. Je n’ai eu qu’un garçon, et il me semble que je n’ai pas assez profité de toi. Ce qui me tourmente le plus, vois-tu, c’est que tu sois parti en pensant que je ne t’aimais pas…

20 août 1981
Jules erre parmi les tombes du Hollywood Forever Cemetery de Los Angeles où, un an plus tôt, ses deux filles, Melina, un avocat, un rabbin et lui-même ont enterré Joe presque en catimini. Un an déjà. On vieillit vite quand on est mort. Terrassé par le chagrin, Jules n’a conservé de cette cérémonie qu’un souvenir sonore : celui de la pelletée de terre cinglant le cercueil d’acajou aux poignées d’argent.
Le voilà perdu dans un dédale de pierres tombales à la recherche du fil d’Ariane. Mais le cœur de Joe avait lâché et le fil s’était cassé d’un coup. En apprenant la nouvelle, Jules a senti fondre ses ailes de cire. Il s’est mis à chuter, une chute qui n’en finit plus.
Jules divague entre les tombes, cherchant l’allée qui mène à Joe. Il est redevenu le Juif errant qu’au fond il n’a jamais cessé d’être.
Il passe devant la sépulture de Rudolph Valentino, et les échos du Hollywood de ses débuts lui emplissent la tête. Au loin, au-delà des eucalyptus gommiers à l’écorce blanche, on peut apercevoir le mur d’enceinte des studios de la Paramount Pictures où il a démarré. Retour à la case départ, sauf que plus rien n’existe de la féerie et de la frénésie de cette époque.
Le cimetière lui-même semble à l’abandon. Avant, on se serait battu pour y être enterré ; aujourd’hui, on se battrait presque pour reposer ailleurs tant tout part à vau-l’eau.
Jules n’avait pas eu le choix. Tout s’était fait dans la précipitation.
Jules remarque aussi la tombe de Christopher Quinn, le fils d’Anthony, héros de Zorba le Grec et de La Strada, qui n’avait vécu que deux ans. Impossible de ne pas songer à Joshua, l’enfant prématuré de Joe, dont le cœur s’est arrêté au bout de cinq jours seulement. Plus loin repose Edward G. Robinson junior, décédé d’une crise cardiaque en 1974 à l’âge de quarante et un ans, exactement comme Joe… Mais, à la différence de Joe, il est mort un an après son père, ce qui a épargné à celui-ci la douleur suprême de voir son fils disparaître.
Jules et Edward G. se connaissaient. Ils avaient failli travailler ensemble sur un scénario de Dalton Trumbo, l’un des « dix de Hollywood » qui avaient refusé de répondre à la question « Êtes-vous ou avez-vous été membre du Parti communiste des États-Unis d’Amérique ? ». En fait, ils étaient onze si l’on compte Bertolt Brecht, qui quitta définitivement les États-Unis quand débuta la chasse aux sorcières. Des onze, seul Edward Dmytryk se rétracta et put retravailler après avoir livré vingt-six noms, dont celui de Jules Dassin… C’était en 1948.

À l’évocation de cette période cauchemardesque, Jules est pris de vertige. Il s’assoit sur un banc, s’éponge le front. Juste après le décès de Joe, il a fait un accident vasculaire cérébral et en a gardé des séquelles.
À soixante-neuf ans, pourvu qu’il ménage sa monture, il peut espérer caracoler encore un peu. Et il comprend mieux aujourd’hui l’impatience de Joe, sa vivacité, sa rage d’y arriver car, au fond de lui-même, son fils savait qu’il devrait cravacher.

Une procession conduite par un rabbin lui indique qu’il est entré dans la section Beth Olam, la partie du cimetière réservée aux Juifs. Jules est sur la bonne voie et ne tarde d’ailleurs pas à retrouver la tombe qu’il cherchait. Des offrandes de fans anonymes parsèment la stèle de Joseph Ira Dassin : petits cailloux, objets fétiches, une fléchette, un verre de vin, une guimbarde, un médiator et une balle de golf.
Jules non plus n’est pas venu les mains vides. Il dépose au milieu des autres ex-voto un petit cerf-volant.
— Qu’est-ce que tu fous là, papa ?
— J’ai retrouvé ça, je te le rends.
— J’aurais préféré mon accordéon.
— Quel accordéon ?
— Celui que tu m’avais offert l’année où j’ai eu la terrible révélation que le père Noël, c’était toi.
— Oui, tu avais quatre, cinq ans. En moins d’une semaine, tu avais appris à en jouer tout seul. Et ta mère avait dit : « Julius, je crois que notre fils est un génie »… Normal avec de tels parents !…
— Va-t’en, papa, il n’y a plus rien ici.

L’ombre de Joe s’est évanouie. Un homme fou de chagrin qui parle tout seul dans sa tête, voilà ce que Jules est devenu. Pour les parents, la mort d’un enfant est une nouvelle vie. Il faut s’habituer à l’absence, au silence.

Il observe les dates gravées sur la tombe :
5 NOVEMBRE 1938-20 AOÛT 1980

Nous avons deux vies, disait Fellini, une vie avec les yeux ouverts et une autre avec les yeux fermés…
Jules réalise qu’il ne pourra plus jamais fêter l’anniversaire de Joe. La seule date qui compte désormais est celle de sa mort.
Ce drame, j’en fais quoi ? Suis-je responsable ? Ai-je été un mauvais père ?

Jules culpabilise car, en réalité, il avait eu le pressentiment que Joe finirait mal. Peut-être aurait-il dû davantage le surveiller, du moins au début, quand il avait encore son mot à dire. Au sortir de l’adolescence, il l’avait tenu dans son viseur de cinéaste, et un viseur ne trompe pas. Il pénètre au fond des âmes. Celle de Joe était opaque.
Un taxi dépose Jules à l’aéroport. Harry, son ami producteur, l’attend, inquiet de sa disparition. Tout à l’heure, au siège de la Paramount, Jules lui a faussé compagnie au beau milieu de la projection de The Rose. Cette histoire d’une rock star détruite par l’alcool et la célébrité, Jules ne la connaît que trop. Il n’a pas supporté d’y replonger, même au travers d’une fiction. Oui, cette Bette Midler n’est pas mal, mais il ne la voit pas du tout jouer Édith Piaf dans le biopic qu’on souhaiterait lui confier… Piaf, il l’a vue en live il y a quelques années, un récital inoubliable auquel l’avait convié son amie Françoise Sagan. Le choc a été si grand qu’ils sont retournés l’applaudir le lendemain soir. Comment un si petit bout de femme, qui tenait à peine sur ses jambes, pouvait-il produire de tels sons ? Rien que d’y songer, il en a encore le frisson. « Bette Midler n’est pas faite pour le rôle. Non, désolé, old friend, ce projet ne m’intéresse pas. »

L’avion a décollé, il a pris son rythme de croisière, les lumières de Los Angeles sont loin à présent et Jules pense qu’il ne remettra vraisemblablement plus jamais les pieds en Californie. Il a hâte de retrouver sa femme, hâte de rentrer en Grèce, qui est désormais sa patrie, hâte de replonger dans le combat politique qui le tient encore debout.

Une hôtesse passe dans les rangs pour voir si tout va bien. Ces messieurs désirent-ils un café, un jus de fruits, une coupe de champagne ?
Jules souhaiterait se rendre quelques minutes dans le cockpit pour griller une cigarette avec le commandant de bord. Il le fait à chaque vol. L’hôtesse est méfiante. Jules s’agace. Il est Jules Dassin, tout de même, plusieurs fois primé à Cannes et à la Mostra de Venise, le mari de Melina Mercouri. L’hôtesse lui demande s’il a un lien de parenté avec… Elle se penche à son oreille et se met à chantonner : « L’Amérique, l’Amérique… »
— C’était mon fils, dit Jules, les yeux rougis de larmes.
L’hôtesse compatit. Elle va voir ce qu’elle peut faire.
— Non, dit Jules, c’est inutile. Il faut que j’arrête le tabac.

Autour de lui, tout le monde dort. Le producteur a couvert ses yeux d’un masque noir. Pour meubler le voyage et tromper son addiction, Jules, qui n’a pas sommeil, essaie de se remémorer tous les 20 août vécus par Joe, comme on compte les moutons.
Il réfléchit à ce jour qui revient chaque année, destiné à devenir le jour de notre décès et sur lequel on passe sans y penser, une journée comme les autres, aussi vivante, remuante, terrestre que toutes les vingt-quatre heures pleines de bruit, de fureur, de joie et de tourments dont les échos se perdent dans la grande lessiveuse du temps. L’idée d’un documentaire sur Joe se met à germer dans la tête de Jules…
Il se tourne vers son ami producteur, le secoue.
— Harry, j’ai une meilleure idée que Piaf, je vais raconter la vie de Joe au cinéma.
— Il a vendu
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Ni l'un ni l'autre n'étions bien sûr préparés à un tel triomphe. Lorsqu'on a fini par se résigner à l'échec et que, soudain, des queues monstres se forment devant l'entrée des cinémas qui affichent DASSIN-MERCOURI, LE DUO DU SIÈCLE en lettres géantes, il y a de quoi perdre la raison, c'est humain. Nous nous laissâmes délicieusement submerger par ce tsunami d'honneurs et d'émotions. » p. 110
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Joe avait été très ému par l'assassinat de Gandhi. Il avait épinglé au-dessus de son lit une photo du Mahatma, celle où il rend visite aux intouchables.
- Plus tard, je veux aider les pauvres, papa.
-C'est bien... Mais pour ça il faut manger un peu plus. -Gandhi était végétarien et il jeûnait un jour sur deux.
-Je sais, mais toi, tu dois grandir et être fort si tu veux défendre les plus faibles.
-À l'école, les autres m'insultent parce que je suis juif et que j'ai des amis noirs.
- Ne te laisse pas faire. Si on te frappe, frappe à ton tour. Je vais t'apprendre à te battre.
-Non, Gandhi était non violent. Il parlait, il écrivait, c'est tout.
-Alors continue à écrire. C'est bien.
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Entre la déesse grecque aux yeux d’or et le réalisateur slave aux yeux bleus, c'était désormais à la vie à la mort.
Ils s'étaient rencontrés le 18 mai 1955 au festival de Cannes. Un seul échange de regards avait suffi à les rendre fous amoureux l’un de l’autre. Jules avait obtenu le prix du jury pour le Rififi et, au lieu de célébrer ce retour au premier plan, il avait passé son temps à consoler Melina venue présenter le film de Cacoyannis, Stella, femme libre, injustement boudé par le public et la critique. Chiffres en main, elle lui avait expliqué qu'ils étaient prédestinés: ils s'étaient rencontrés un 18 mai, il était né un 18 décembre et elle, un 18 octobre, bref c'était inscrit dans les astres, les dieux s'étaient manifestés, ils n'y pouvaient rien, le destin avait frappé. Jules, pourtant peu sensible aux signes, avait dû capituler; les années Béa étaient derrière lui, il s'était fait pincer, piéger, prendre dans les filets de l'ensorcelante Melina Mercouri. p. 86
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Et oui Joe, j'enviais ta jeunesse, ton pouvoir de séduction, je souffrais que, le temps d'une ritournelle, tu te sois emparé du cœur de ma femme...
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Vidéo de Alexis Salatko
Alexis Salatko vous présente son ouvrage "Jules et Joe" aux éditions Denoël.
Retrouvez le livre : https://www.mollat.com/livres/2885929/alexis-salatko-jules-et-joe
Note de musique : © mollat Sous-titres générés automatiquement en français par YouTube.
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