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Eva Bloch (Traducteur)
EAN : 9782070385881
533 pages
Gallimard (02/02/1993)
4.07/5   807 notes
Résumé :
Première partie : Le visage
Deuxième partie : L'immortalité
Troisième partie : La lutte : Les sœurs. Les lunettes noires. Le corps. L'addition et la soustraction. La femme plus âgée, l'homme plus jeune. Le onzième commandement. L'imagologie. Le brillant allié de ses fossoyeurs. L'âne intégral. La chatte. Le geste de protestation contre les atteintes aux droits de l'homme. Être absolument moderne. Être victime de sa gloire. La lutte. Le professeur Avena... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (34) Voir plus Ajouter une critique
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Soyons francs, vous n'aimerez pas tous « L'immortalité ». Naturellement, je parle du roman de Milan Kundera, publié en 1990. On discutera de notre existence post-mortem une autre fois, si vous voulez bien… (sur les sentiers de l'au-delà, tiens…si mon abonnement internet chez Sfouygues.Telefree marche encore, ce qui est rien moins que sûr…).

Vous n'aimerez pas tous ce livre car il est emblématique de l'écriture de cet auteur. Il y a un style, une pâte, un genre Kundera qui ne fait pas l'unanimité. Céline avait un style bien à lui. Il le savait et en était fier : la syntaxe était rompue, le rythme de la phrase chamboulé par les points de suspension et sa musique renouvelée par de fréquents néologismes. de même, Kundera s'est employé dans son oeuvre à renouveler le genre littéraire. Il a rompu avec l'unité de temps et d'action. Il n'y a même pas d'action à proprement parler. L'écriture n'est plus linéaire. Les chapitres sont toujours courts (entre une demi-page et trois ou quatre, pas plus) et chacun de ses romans comprend invariablement sept parties (le chiffre de la perfection). Ces chapitres déroulent un récit polyphonique, tantôt du point de vue d'un personnage, tantôt du point de vue d'un autre. le récit pur est enrichi par des alternances de scènes oniriques ou d'épisodes où l'auteur devient même un personnage du roman qui échange des points de vue avec certains personnages. le romancier et l'histoire deviennent en soi des personnages et des thèmes du roman. (Là, je conçois que cela en agace plus d'un…).

Il est impossible, comme il n'est pas souhaitable d'ailleurs, de tenter de résumer ce livre. Les romans de Kundera ne sont tout bonnement pas racontables. Les parties s'enchaînent sans lien de causalité apparent et sont écrites chacune sur un mode différent. Tout au plus est-il permis de schématiser l'ouvrage comme l'entrecroisement de deux histoires qui ont lieu à deux époques distinctes : l'histoire d'Agnès, Paul et Laura, en France au XXe siècle et l'histoire de Goethe et Bettina von Arnim, en Allemagne fin XVIIIe-début XIXe siècle. Et pourtant le tout révèle une profonde unité. Mais cette lecture est assez exigeante car elle requiert chez le lecteur un effort de mémoire et de concentration. L'art de Kundera réside dans sa capacité à faire ressortir des résonnances entre ses histoires en apparence totalement éloignées. le lecteur doit pouvoir se souvenir, par exemple, que l'histoire d'une luthiste dans l'avant dernière partie du livre reproduit en fait les gestes et les comportements d'Agnès dans la troisième partie, quelque 200 pages plus tôt. En vérité, nous l'avons dit, il n'y a pas d'action véritable. Les personnages et les histoires ne sont que des prétextes ou des vecteurs qui permettent à Kundera de déployer sa pensée et ses thèmes favoris : la vie, la mort, l'immortalité, les rapports humains, l'amour, l'érotisme, l'obsession de l'image de soi, la vérité cachée des choses et des situations, le sens profond de nos actions. L'auteur a recours à moult paraboles pour illustrer son propos. Avec Kundera, plus l'action, les lieux et le décorum sont dépouillés et plus l'histoire est riche et compliquée à suivre. le tout servi par un style simple. Un des paradoxes de cet auteur inclassable. Il y a cependant une thématique forte dans chaque roman de Kundera, qui leur confère leur unité intrinsèque : ici, l'immortalité et l'image de soi.

Dans ce livre, il y a des scènes savoureuses comme celle de la rencontre entre Ernest Hemingway et Johann Goethe sur les sentiers de l'au-delà. Nos deux auteurs morts respectivement depuis 27 et 156 ans y échangent avec humour leur conception de l'immortalité des écrivains et de leurs oeuvres. C'est en quelque sorte de la philosophie abordée sous un angle iconoclaste, humoristique et souvent burlesque. Et de fait, il y a toujours beaucoup d'humour et de gravité à la fois dans un livre de Kundera. le tracé de la frontière entre le tragique et le risible y est toujours flou. La limite entre le « fictif » et le « réel » est pareillement toute aussi poreuse.

Si vous n'avez jamais lu Kundera et que vous vous apprêtez à le faire, je vous envie à un point dont vous n'avez pas un quark de soupçon. Avec « L'immortalité », vous entrez dans son oeuvre par le plus « kundérien » de tous ses romans. Et vous allez adorer ou détester. Mais pour le savoir, il faut le lire ! D'autres s'y sont bien risqués avant vous. Et ils ont adoré ou détesté. Pour comprendre cette radicalité du lectorat, il faut le lire ! Et alors, vous adorerez ou détesterez. Comment vous dire les choses, en fait… ? Il faut le lire. Vous allez…
En tout cas, ne venez pas vous plaindre si vous n'aimez pas, vous étiez prévenus ! Et si vous aimez (il y en aura, je le sais déjà), poursuivez donc la lecture de cette oeuvre en revenant vers ses premiers écrits, « Risibles amours » (des nouvelles) et « La Plaisanterie » (un roman). Ils sont de facture plus conventionnelle, moins innovante, mais non moins excellents.

La critique n'a pas été spécialement tendre en France à la parution de « L'immortalité ». le franc-parler de Kundera lui vaudra même un retentissant « Kundera, go home ! » de Michel Polac (pas sûr que tout le monde se souvienne de ce dernier, au passage…). Pour ma part, et vous l'aurez compris, j'ai surtout envie de lui dire « Welcome Kundera and make yourself at home » ! Ce qu'il a fait, fort heureusement et pour notre plus grand bonheur.
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Je me suis laissé captiver jusqu'à l'envoûtement par ce livre d'un auteur aussi amusant que lucide et désespéré.
Bien des choses peuvent être trouvées dans ce livre.
On y trouve une réflexion sur l'histoire de la littérature.
On y trouve l'exposition de ce que l'on pourrait appeler une sagesse de l'existence érotique.
On y trouve aussi une exposition de la dissolution de tous sens, de toutes les valeurs sur lesquelles la civilisation occidentale s'est épanouie, par le biais de personnages dont l'ancrage dans la modernité est brillamment marqué.
Et tout ce qu'on y trouve y est si bien entremêlé qu'on s'y perd pour toujours s'y retrouver avec un grand plaisir teinté d'amertume.
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Après une lecture un peu décevante, avant de passer à un autre livre contemporain, qu'il est bon de retrouver un de ses maîtres. En l'occurrence, Milan Kundera. Une douce transition. Un de mes rares Pleiade, vénéré, le premier roman de ce bel objet, l'immortalité, lu une quatrième fois. Un roman de Kundera, particulièrement ce roman-là, l'immortalité, fait toujours l'effet d'une grosse mamelle nourricière où je retrouve un breuvage fort et énergisant. Un retour aux sources régulier depuis mon adolescence. Pas une page sans une réflexion approfondie, pas une page sans découvrir un détail qui m'avait échappé à la lecture précédente. Des pages fines et veloutées à caresser, truffées de fils sur lesquels tirer. Un roman et un laboratoire du roman dans lequel l'auteur vient s'asseoir à nos côtés pour nous parler, nous prendre à témoin, nous montrer comment il s'y prend, se poser même en protagoniste à l'intérieur même du roman, l'histoire étant bien moins importante que ses réflexions, les questions posées, et sa façon de faire émerger ses personnages. Prenons Agnès, le personnage principal du roman, qui nait littéralement sous nos yeux grâce à un geste, un seul geste, que Kundera, alors à la piscine, voit. le geste délicat et coquet d'une jeune femme effectué par une vieille dame à son maitre-nageur. Un geste qui a pris possession de cette femme, un geste enfoui en elle, un geste d'antan, essence de son moi profond pense l'auteur de prime abord, ce geste fait naître le personnage d'Agnès. Agnès et ses difficultés de la vie en société, Agnès et son amour de la solitude.

Le roman interroge sur l'identité, sur le moi profond (la première partie du roman, le Visage, est magistrale dans cette interrogation… ce fameux geste, n'est en fait pas l'essence d'Agnès, les gestes prennent possession de nous et pas l'inverse analyse l'auteur) et bien entendu dissèque, au scalpel, cette fameuse immortalité. L'homme peut mettre fin à ses jours mais il ne peut mettre fin à l'immortalité. l'immortalité est-ce ce qui se passe après la mort ? Est-elle de retrouver toutes ces femmes bavardes et caquetantes ailleurs (une punition pour Agnès) ou est-ce quelque chose de différent, soustrait au regard des autres ? Est-ce de pouvoir passer l'éternité avec des âmes amies, des âmes proches (Goethe et Hemingway réunis par exemple) ? l'immortalité, dans sa version plus profane, est-ce ce qui reste de quelqu'un dans le monde des vivants, dans la mémoire de la postérité ? Pour Kundera, « tout un chacun peut atteindre cette immortalité, plus ou moins grande, plus ou moins longue, et dès l'adolescence chacun y pense ». Mais face à l'immortalité, les gens ne sont pas égaux et l'auteur distingue la petite immortalité (souvenir d'un homme dans l'esprit de ceux qui l'ont connu) de la grande immortalité (souvenir d'un homme dans l'esprit de ceux qui ne l'ont pas connu).

Petite ou grande, l'immortalité peut-elle donc se façonner, se préparer, de son vivant comme souhaite le faire avec persévérance la jeune Bettina avec le déjà âgé Goethe, malgré lui, faire passer à la postérité, même de façon erronée et factice, une histoire d'amour telle qu'elle sera précisément éternelle et donc immortelle (2ème partie du roman, intitulée l'immortalité) ? Mais cette immortalité ne se réalisera jamais telle qu'elle a été planifiée, prenant parfois la forme d'anecdotes tragiques ou cocasses.

l'immortalité est une façon de laisser une trace de son moi, de son identité, de l'imposer aux autres. D'imposer son unicité. En étant absolument unique, on devient immortel. La théorie de Kundera en la matière est savoureuse, je pense souvent à lui lorsque je vois des personnes affirmer haut et fort « adorer » ou « détester » telle ou telle chose. D'un ton péremptoire. Selon l'auteur, il existe deux façons de s'affirmer. La méthode additive et a méthode soustractive. Cette dernière « soustrait de son moi tout ce qui est extérieur et emprunté, pour se rapprocher de sa pure essence (et courant le risque d'aboutir à zéro, par ces soustractions successives) ». La méthode additive, elle, consiste à « ajouter sans cesse de nouveaux attributs, auxquels la personne tâche de s'identifier (en courant le risque de perdre l'essence du moi, sous ces attributs additionnés) ». « Tel est l'étrange paradoxe dont sont victimes tous ceux qui recourent à la méthode additive pour cultiver leur moi : ils s'efforcent d'additionner pour créer un moi inimitablement unique, mais devenant en même temps les propagandistes de ces attributs additionnés, ils font pour qu'un maximum de gens leur ressemblent ; et alors l'unicité de leur moi (si laborieusement conquise) s'évanouit aussitôt ». Voilà ce que j'aime chez Kundera, cette façon de mettre en mot ce que je peux ressentir confusément. Chaque page contient de telles réflexions. C'est lumineux et peut être interprété et vécu de façon différente au fil des années. Cette affirmation de son moi profond, surtout lorsque ce moi possède des contours peu nets, passe par de petits mots passant la postérité (voyez les hommes politiques) et des gestes, ces fameux gestes du désir d'immortalité qui permettent d'affirmer son moi.

Atteindre l'immortalité est une lutte (La lutte est le 3ème chapitre du roman). Une lutte pour rester dans le coeur des êtres aimés, voire de l'être aimé. Jusqu'au suicide pour certains. Jusqu'au don de soi. En se dépassant soi-même soit pour faire partie de l'Histoire, mémoire éternelle, soit au moins pour rester dans la mémoire de ceux que l'on a connu

Enfin accéder à l'immortalité suppose d'être regardé, vu car ce sont les autres qui permettent d'atteindre l'immortalité, du moins cette immortalité profane qui s'oppose à l'immortalité sacrée. Les multiples visages de l'immortalité, l'immortalité sacrée étant peut-être justement ce « là-bas, où il n'y a pas de visage » auquel Agnès aspire tant et qu'elle finira par atteindre (dans le chapitre le Hasard).

Un roman magistral qui ne cesse de me suivre aux différents âges de mon existence en prenant à chaque fois une signification particulière.

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Je relis actuellement tout "mon Kundera », un de mes écrivains vivants préférés (relecture en pointillé, certes car je lis aussi beaucoup d'autres livres) et me voici à relire « l'immortalité", lue il y a pas mal d'années et que j'avais moins aimé, ainsi que « La lenteur » qui m'avait un peu déçu aussi.

Je crois que ma première impression avait été marquée par le fait que la lecture de ce livre faisait suite à celle des premiers romans de l'auteur, de « La plaisanterie » à « L'insoutenable légèreté de l'être » (lu et relu n fois depuis).
La manière dont ce roman est écrit est fort différente des précédents, et c'est sans doute ce qui m'avait déconcerté il y a quelques années.
J'ai cette fois beaucoup mieux appréhendé et apprécié ce roman pas comme les autres.

C'est un peu difficile à expliquer, sans doute n'étais-je pas réceptif autrefois, mais cette fois, j'ai été subjugué par cet incroyable texte, d'une grande complexité et d'une grande richesse, car de très nombreux thèmes s'y superposent. Non, en fait, il y a un thème majeur, l'immortalité, et toute une série de thèmes mineurs, dont celui de la tyrannie des autres, qu'il s'agisse de celle des dictatures, ou de celle de nos pays occidentaux, médias, publicité, et on pourrait maintenant ajouter, réseaux sociaux, qui n'existaient pas alors.
Comme l'écrit si justement un ou une babeliote, (et je dois dire que ma critique s'efforce de s'ajouter modestement aux commentaires déjà remarquables faits sur ce site) on pourrait de prime abord se dire que ce n'est pas un roman, mais en fait c'en est un. le virtuose Kundera s'amuse à jouer ce marionnettiste qu'il décrit dans un des chapitres, nous montre les « ficelles » de la création romanesque, mais, dans la fin du livre, tous le thèmes se rejoignent et la narration romanesque prend le pas sur le reste.
Et puis, il y a cette fantaisie, cet humour lucide, ce sentiment désabusé à l'égard de ce monde « absolument moderne ». Et les critiques de Kundera à l'égard de notre époque «moderne », telles celles du pouvoir des journalistes, du nouveau tribunal médiatique, restent plus que jamais d'actualité.

Revenons au thème de l'immortalité.
Il est décliné d'une manière beaucoup plus subtile que la simple question: quelle trace laisserons après notre mort? Et cela même si cette question est la matière du 2ème chapitre dans lequel l'auteur traite avec beaucoup d'ironie lucide, des relations de Bettina Brentano avec Johann Goethe, une Bettina avide de gloire, de construire pour la postérité l'édifice de son lien présumé avec Goethe ou d'autres d'ailleurs) et un Goethe qui, vieillissant, cédera par vanité à cette dernière.
Kundera pose notamment ces grandes questions: y- a-il une vie après la mort? Quel sens a notre vie? Et questionne la réalité de notre identité, un thème qui sera abordé à nouveau dans un de ses autres prodigieux romans, « l'identité ». Et dans ce cadre, il nous fait un exposé jubilatoire sur celles et ceux qui veulent affirmer leur moi par la méthode additive, et s'ajoutent comme des médailles, de nouveaux attributs voyants à leur personne, leur chat, leurs goûts esthétiques, leurs vêtements, etc...et les autres qui utilisent la méthode soustractive, c'est à dire de se dépouiller de ces oripeaux pour que ne reste que l'essentiel.
Et tant d'autres thèmes passionnants comme celui du hasard qui se mêle si souvent de notre existence, etc...
Et tout cela, sans pédanterie, et, à ce propos, je ne partage pas l'avis de certains qui lui reprochent son côté moralisateur, rétrograde...

Ici, tout ceci est dans la trame d'un véritable objet romanesque pas tout à fait dans la norme classique, mais tellement plus original. Car, pour certains romans, disons le tout net, une fois la lecture terminée, et le récit parvenu à son terme, il ne reste plus grand chose et l'oubli s'installe vite. Avec les textes remarquables comme celui-ci, l'écho de ce qui a été écrit reste longtemps dans votre esprit.
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L 'immortalité, engendrant in fine l'ennui mortel, peut-elle être une fin en soi ? l''immortalité alors : rêve, cauchemar ou paradoxe ? Paradoxe assurément, au point où pour fuir l'ennui je vous conseille vivement l'immortalité de Kundera. Point de mortelle randonnée dans cette belle balade à suivre les chemins de la pensée de Milan Kundera qui nous offre de mémorables perspectives où je me suis plu à m'attarder attendri à rêvasser. Entrelacs de réflexions, jeux de miroirs, rencontres espérées ou inattendues, présence inopinée de l'auteur, apparution du roman dans le roman, émergence du réel dans l'imaginaire, parmi cette suite de faits épisodiques certains relèvent du pur hasard et d'autres se révèlent part intégrante de la nécéssité d'une construction rigoureuse du récit.

Ainsi je garderai en mémoire cette fabuleuse rencontre dans l'au-delà durant laquelle Goethe explique à Hemingway p.320 "Et je croyais, bien sûr, laisser de moi une image qui serait mon prolongement. Oui, j'ai été comme vous même après la mort, il m'a été difficile de me résigner à n'être plus. C'est très bizarre, vous savez. Etre mortel est l'expérience humaine la plus élémentaire, et pourtant l'homme n'a jamais été en mesure de l'accepter, de la comprendre, de se comporter en conséquence. L'homme ne sait pas être mortel. Et quand il est mort, il ne sait même pas être mort."

Je pourrais évoquer cette bimbo biographe qui courait la notoriété en pourchassant de ses assiduités Goethe, Beethoven et autres célébrités en vue d'y associer son nom à la seule fin d'accéder par leur entremise à l'immortalité. Son nom... Zut ! Je l'ai déjà oublié. Mais au fond est-elle plus pendable que ce Napoléon, à l'ego hypertrophié, en tout pareil à ces autres semblables pustuleux crapeaux bouffis d'orgueil, quémandant les vers du poète pour entrer dans L'Histoire plutôt qu'à s'attarder sur ses pieds foulant la multitude ignorée des morts de ses conquêtes éphémères ?

Mais comme le dit Kundera à son ami Avenarius p.351 :
" - Ce n'est pas racontable.
- Dommage.
- Pourquoi dommage ? C'est une chance. de nos jours, on se jette sur tout ce qui a pu être écrit pour le transformer en film, en dramatique de télévision ou en bande déssinée. Puisque l'essentiel, dans un roman, est ce qu'on ne peut dire que par un roman, dans toute adaptation ne reste que l'inessentiel. Quiconque est assez fou pour écrire encore des romans aujourd'hui doit, s'il veut assurer leur protection, les écrire de telle manière qu'on ne puisse pas les adapter, autrement dit qu'on ne puisse pas les raconter. "

Reste le geste ! Non pas ce geste égocentrique de désir d'immortalité " pour projeter ce moi très loin, par delà l'horizon, vers l'immensité " mais ce geste gracieux qui traverse le roman. Il passe d'être en être par la capture hypnotique d'un regard, ou par l'admiration que la cadette porte à sa soeur ainée. Les êtres passent, le geste se perpétue. Ce geste acquiert ainsi une vie propre et se répète immuablement à travers le temps. Ce geste joyeux au-delà de la tendre nostalgie d'un souvenir naissant renferme la promesse de lumineuses rencontres à venir.

Ce geste que nous adresse ce roman et qui veut dire : viens, il est encore temps. Et c'est à ce moment précis, que moi je le vois comme un diamant, au doigt d'une de ces femmes, irradiant de mille feux en variations infinies de la lumière d'une vie ...
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[ Incipit ]

La dame pouvait avoir soixante, soixante cinq ans. Je la regardais de ma chaise longue, allongé face à la piscine d’un club de gymnastique, au dernier étage d’un immeuble moderne où, par d’immenses baies vitrées, on voit Paris tout entier. J’attendais le professeur Avenarius, avec qui j’ai rendez-vous ici de temps en temps pour discuter de choses et d’autres. Mais le professeur Avenarius n’arrivait pas et je regardais la dame ; seule dans la piscine, immergée jusqu’à la taille, elle fixait le jeune maître nageur en survêtement qui, debout au-dessus d’elle, lui donnait une leçon de natation. Écoutant ses ordres, elle prit appui sur le rebord de la piscine pour inspirer et expirer à fond. Elle le fit avec sérieux, avec zèle, et c’était comme si de la profondeur des eaux montait la voix d’une vielle locomotive à vapeur (cette voix idyllique aujourd’hui oubliée dont je ne peux donner une idée à ceux qui ne l’ont pas connue que si je la compare au souffle d’une dame âgée qui inspire et expire au bord d’une piscine). Je la regardais, fasciné. Son comique poignant me captivait (ce comique, le maître nageur le percevait aussi, car les commissures de ses lèvres me semblaient frémir à tout moment), mais quelqu’un m’adressa la parole et détourna mon attention. Peu après je voulus me remettre à l’observer, la leçon était finie. Elle s’en allait en maillot le long de la piscine et quand elle eut dépassé le maître nageur de quatre à cinq mètres, elle tourna la tête vers lui, sourit, et fit un signe de la main. Mon coeur se serra. Ce sourire, ce geste, étaient d’une femme de vingt ans ! Sa main s’était envolée avec une ravissante légèreté. Comme si, par jeu, elle avait lancé à son amant un ballon multicolore. Ce sourire et ce geste étaient plein de charme, tandis que le visage et le corps n’en avaient plus. C’était le charme d’un geste noyé dans le non-charme du corps. Mais la femme, même si elle devait savoir qu’elle n’était plus belle, l’oublia en cet instant. Par une certaine partie de nous-mêmes, nous vivons tous au-delà du temps. Peut-être ne prenons-nous conscience de notre âge qu’à certains moments exceptionnels, étant la plupart du temps des sans-âge. En tout cas, au moment où elle se retourna, sourit et fit un geste de la main au maître nageur (qui ne fut plus capable de se contenir et pouffa), de son âge elle ne savait rien. Grâce à ce geste, en l’espace d’une seconde, une essence de son charme, qui ne dépendait pas du temps, se dévoila et m’éblouit. J’étais étrangement ému.
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Le fondement du moi n'est pas la pensée mais la souffrance, sentiment le plus élémentaire de tous. Dans la souffrance, même un chat ne peut douter de son moi unique et non interchangeable. Quand la souffrance se fait aiguë, le monde s'évanouit et chacun de nous reste seul avec lui-même. La souffrance est la Grande École de l'égocentrisme
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« grâce à Soljenitsyne, l’expression « droit de l’homme » a … retrouvé sa place dans le vocabulaire de notre temps… Mais comme en occident on ne vit pas sous la menace des camps de concentration, comme on peut dire ou écrire n’importe quoi, à mesure que la lutte pour les droits de l’homme gagnait en popularité elle perdait tout contenu concret, pour devenir finalement l’attitude commune de tous à l’égard de tout, une sorte d’énergie transformant tous les désirs en droits. Le monde est devenu un droit de l’homme et tout s’est mué en droit : le désir d’amour en droit à l’amour, le désir de repos en droit au repos,… le désir de publier un livre en droit de publier un livre, le désir de crier la nuit dans les rues en droit de crier la nuit dans les rues. » (206)
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Agnès se dit : " Vivre, il n'y a là aucun bonheur. Vivre : porter de par le monde son moi douloureux.
Mais être, être est bonheur. Etre : se transformer en fontaine, vasque de pierre dans laquelle l'univers descend comme une pluie tiède."
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Il vieillissait à vue d’œil. Il avait soixante-dix ans, bientôt quatre-vingts, et pourtant il se dressait en brandissant son verre comme pour se protéger de cette avalanche d’années qui lui tombait sur la tête : « Je me rappelle une phrase célèbre qu’on répétait dans ma jeunesse », dit-il d’une voix soudain cassée. « La femme est l’avenir de l’homme » ». Au fait, qui a dit ça ? Je ne sais plus.
Lénine ? Kennedy ? Non, un poète.
-« Aragon », soufflai-je.
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Vidéo de Milan Kundera
Vidéo du 12 juillet 2023, date à laquelle le romancier tchèque naturalisé français, Milan Kundera, s’est éteint à l’âge de 94 ans. La parution en 1984 de son livre "L’Insoutenable légèreté de l’être", considéré comme un chef-d'œuvre, l'a fait connaître dans le monde entier. Milan Kundera s’était réfugié en France en 1975 avec son épouse, Vera, fuyant la Tchécoslovaquie communiste (vidéo RFI)
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