Il y a un petit moment que je ne m'étais pas aventurée du côté de la littérature jeunesse que je n'ai pourtant jamais dédaignée, que j'aime d'ailleurs beaucoup. Il est de la lecture comme d'une année: elle fonctionne par saisons. du moins, est-ce là la version élégante de cet état de fait. Ma meilleure amie, elle, écrirait plutôt que je fonctionne par lubies et que ces temps ci mes obsessions me conduisaient plus du côté de la littérature "blanche".
Quoiqu'il en soit, un trajet en train m'a permis de sortir de ma "pile à lire" ce beau roman si prometteur de
Shaïne Cassim "
Qu'est ce qu'on fout ici" acheté lors de sa sortie il y a plusieurs mois et jamais ouvert (!). J'ai pensé que ces 240 pages conviendraient tout à fait à mon Lyon-Marseille, additionné d'un TER. Bien m'en a pris car s'il a fallu compter aussi sur la première fin de soirée du séjour pour le terminer, je dois dire aussi qu'il m'a conquise au-delà de ce que j'en attendais et des propos (pourtant dithyrambique) du libraire qui m'a convaincue de l'adopter.
"
Qu'est ce qu'on fout ici", placé sous la patronage et presque la protection poétique de
Blaise Cendrars dont la prose égrène les vers et l'or est une histoire d'amour qui s'adresse aux adolescents mais qui ne déparerait pas tant que ça dans des rayonnages plus adultes.
Une histoire d'amour, oui.
Une romance non.
En tout cas, pas de mon point de vue pour qui la romance s'accompagne invariablement de ses litres de mièvrerie et de fils blanc cousus à gros points, de ses airs de comédie romantique teintée de grenadine.
Voilà, oui, ce qu'est pour moi la mièvrerie quand l'histoire d'amour, elle, est bien plus profonde, bien plus réaliste, plus douloureuse parfois mais souvent plus belle.
Si j'aime les histoires d'amour au cinéma et en littérature, c'est parce que selon moi, elles disent mieux que quiconque ce qui meut l'être humain, les élans du coeur, la passion, les peurs et que tout en parlant d'amour, elles dissèquent aussi raisons (culturelles, sociologiques) qui nous font aimer comme on aime et par delà à quel point, nous nous nourrissons de schémas, de croyances... Pour moi, c'est passionnant. Enfin, je ne puis mentir, si je les aime aussi ces histoires-là, c'est parce que mon âme de romantique, mon côté fleur bleue si peu assumé se régale des tourments, des émotions, des embrasements de tous ces amoureux, amants ou époux, magnifiques, qui ressentent la morsure de l'amour avec tant d'acuité.
Et si dans la vie, j'aime l'amour heureux, béat. Celui qui vous colle un sourire affreusement niais dès potron-minet parce que vous vous réveillez aux côtés de la personne que vous aimez le plus au monde, en littérature, j'aime l'amour tragique, douloureux. L'amour shakespearien, violent et absolu.
Avec "
Qu'est ce qu'on fout ici", j'ai été servie, qui parle d'amour autant que de mal de vivre et d'un amour sublime comme n'en vivent sans doute que les êtres de fictions ou les adolescents.
D'un côté, il y a Patricia, sa voix rauque et sa solitude; son club de vélo et sa famille un peu fracassée.
De l'autre il y a Julian, charme ténébreux et britannique;
Blaise Cendrars et la vague noire; une vie entre Londres et Saint-Etienne.
Entre eux, l'attirance est fulgurante, physique et l'amour qui naît d'une force et d'une puissance inouïes.
Mais comment s'aimer quand on a si peu confiance en soi? Quand on a mal? Que le monde semble si limité? Quand on est si torturés? Quand on questionne sans fin sa place dans ce monde?
On s'aime pourtant, comme on se noie, à la folie, à la vie à la mort et même au-delà.
On s'aime en testant ses limites, en jouissant de l'instant présent.
On s'aime avec le besoin de sensation et la peur au creux du ventre.
On s'aime.
Le récit, rétrospectif, s'ouvre avec la voix de Patricia. Très vite, on comprend que l'histoire qui va nous être raconté est terminée, que
Julian L a quitté.
La voix de son amoureux s'élève ensuite, puis celle -plus anecdotique- de Rosie, le "double" du jeune homme.
De ces trois voix naît "
Qu'est ce qu'on fout ici" dans un style à la fois très moderne, mordant et incisif parsemé ça et là d'élans poétiques, d'éclats si poignants qu'on se sent les jambes en coton et le coeur brisé. L'écriture de
Shaïne Cassim est magnifique: sensuelle, charnelle, intense. Envoûtante. Outre qu'elle convoque de belles références (Ernaux,
Cendrars...), elle rend à merveille l'ombre et la lumière de cet amour immense et des tourments des personnages sans fard, sans tricherie. C'est à la fois cru et lumineux, fragile et intense. C'est surtout bouleversant.
On pourrait être un peu frustré de ne pas savoir ou comprendre pourquoi Julian décide de partir, de ne pas soigner ses blessures, mais c'est plus beau comme cela.
On pourrait reprocher à l'auteure cette distance qu'elle semble imposer entre ses protagonistes et les lecteurs, mais au fond, ça fait moins mal comme ça.
On pourrait reprocher sa dureté à ce texte, sa noirceur, son désespoir, mais ils sont raconté avec tant de profondeur et de clairvoyance surtout...
On pourrait pleurer de cet amour qui ne suffit pas, qui ne sauve pas de tout mais qui a dit que le monde n'était pas désenchanté? Et qui a dit qu'il n'y avait pas de beauté (déchirante) dans le désespoir?
On pourrait se cogner face aux thèmes abordés... Peut-être ne faut-il pas le conseiller à tout le monde, tout de suite...
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Qu'est ce qu'on fout ici", bon dieu, moi non plus, je n'en sais rien mais puisque nous y sommes, autant lire, autant aimer.