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EAN : 9782330030650
320 pages
Actes Sud (05/03/2014)
3.47/5   81 notes
Résumé :
Au-delà des grillages et des barrières de sécurité se cache un écrin de verdure à la périphérie de Buenos Aires ; un havre de paix pour “gentlemen, à l’abri du tumulte d’une capitale grouillante et tentaculaire. Ici, on est entre gens de bonne compagnie. Une poignée d’amis se réunissent chaque semaine, loin des regards, pour discuter entre hommes. Les épouses, exclues de ces soirées, s’appellent avec humour “les veuves du jeudi”. Un veuvage somme toute agréable, jus... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (22) Voir plus Ajouter une critique
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Les veuves du jeudi, ce sont les Desperate housewives de Wisteria Lane version Buenos Aires. Bienvenue dans une banlieue chic américanisée et ultra-protégée d'Argentine, où le paraître est plus important que tout, où tout le monde soigne ses façades et ravale ses problèmes, où chacun cache ses petits secrets et grands mensonges, où les époux mentent à leurs femmes pour les protéger, où les couples se croient à l'abri derrière leurs haies, où les scandales éclatent en silence dans cette bulle hors du temps et des problèmes d'argent du reste du pays. Dans cette bulle, pourtant, les différences peinent à trouver leur place et fissurent ce microcosme, où les cancans ruissèlent de bouche de buveuse de thé à oreille de joueurs de golf ; Ici les enfants étouffent et se cherchent, voient les adultes comme des hamster tournant inlassablement et sans but sur la roue inarrêtable du temps, boivent un peu, se droguent parfois. Et observent. Tout. Tous. Ce monde tel qu'il est vraiment, sans fard sous leurs paupières grandes ouvertes qui découvrent l'envers du décors que leurs parents peignent à grand coup de poing, de larmes et de vin.


« Raconter et vivre, ce sont deux choses différentes. Raconter, c'est plus difficile. Vivre, c'est vivre, c'est tout. Pour raconter, il faut mettre en ordre, et c'est cela qu'elle a du mal à faire, mettre en ordre, dans sa tête, ses idées, tout ce qui lui arrive. Sa chambre, heureusement, c'est Antonia qui y met de l'ordre. Mais dans le reste de sa vie, elle sent que tout est confus. Elle a l'impression d'être assise sur une bombe à retardement. Et une bombe à retardement, ça finit toujours par exploser. ».


Les gens d'ici sont « parvenus » à être riches, mais que sont-ils prêts à faire pour le rester ? Ils semblent heureux, mais le sont-ils vraiment ? Ils semblent unis, mais des listes circulent… Ils semblent bienveillants mais, ce jeudi, trois hommes, trois voisins, trois amis sont morts en même temps dans la piscine des Scaglia. Des gentlemen qui avaient l'habitude de se retrouver tous les jeudis soirs pour boire, fumer, jouer aux cartes et deviser entre hommes des problèmes qu'ils n'avaient pas officiellement, tandis que leurs épouses vaquaient à leurs occupations superficielles…


« Dis donc, j'ai du boulot, moi ! rit Gustavo. Et de la dignité, tu en as ? demande Tano. Paire ! Paire ! Pourquoi dis-tu cela ? vingt-neuf. Je joue. Je dis ça comme ça. Qu'est-ce que tu en sais ? Qu'est-ce que je sais de toi ? Ce qui compte, c'est ce que chacun de nous sait de lui-même. Je me couche. Et ce que chacun de nous fait quand personne ne le voit. Truco. Ou quand il croit que personne ne le voit. Je contre. »


Mais ces épouses, aujourd'hui, sont veuves : « Cette nuit-là, la nuit en question, Ronie dinait chez Tano Scaglia. Comme tous les jeudis. Même si ce n'était pas un jeudi comme les autres. Un jeudi du mois de septembre 2001. le 27 septembre 2001. »


Accident de piscine, soirée qui a mal tourné ou règlement de compte prémédité ? Mauvais sort jeté ? Pour le savoir, je me suis fondue avec délice dans les mystères de chaque demeure, dont les murs et les murmures recèlent. Dans cette lecture agréable, Claudia Pineiro nous permet habilement de jeter un oeil indiscret aux petites vies de chacun et aux miroirs aux alouettes qui se brisent, annonçant les années de malheur. En repartant depuis 1991, elle fait monter la tension au fil des années et on assiste à la pression sociale monstrueuse que se mettent ces familles, pour conserver le standing de vie américain qui donne une impression sécurisante de réussite, échappant à la misère des autres, bien protégés dans des tours d'ivoire ; Mais on sait tous que ce modèle américain s'est effondré, et ses tours avec, en ce septembre 2001…


« Certains faits - ils sont peu nombreux, moins nombreux qu'on ne le pense - auraient changé nos vies s'ils n'étaient pas arrivés. Et la vente de ce terrain aux Scaglia, en ce mois de mars 1991, est de ceux-là. »
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Sortir de sa zone de confort peut parfois être une bonne surprise, parfois être une deception. En lisant ce roman argentin, je m'attendais à une histoire avec un peu de suspens, j'y ai trouvé une histoire brouillonne, avec de bonnes choses , certes, mais racontées d'une façon qui ne m'a pas plue.

Pour ce qui est du plan, on était "bien".
Dans une banlieue privilégiée de Buenos Aires, un quartier où il faut montrer patte blanche au gardien pour qu'il vous laisse franchir les hautes grilles, vivent quelques couples , avec ou sans enfants, qui partagent le même état d'esprit : ils sont riches, ils se fréquentent entre eux , ils jouent au tennis entre eux, ils ont presque oublié leur ancienne vie, leurs anciens amis.
Tous les jeudi, quelques spécimens masculins se retrouvent pour jouer aux cartes, refaire le monde , picoler un peu. Et tout ça , sans leurs bonnes femmes, qui se sont (humoristiquement ) baptisées " Les Veuves du jeudi " ( d'où le titre...).
Jusqu'au jour, où, trois d'entre eux meurent électrocutés dans la piscine du plus gros poisson...
Et là, l'auteure, repart vers le passé, pour raconter de façon non linéaire, non chronologique, comment tout ce petit monde privilégié s'est rencontré, apprécié, ou pas, fréquenté etc...
Ces hommes , pour certains, étaient en train de perdre toute leur fortune dans la crise financière qui a touché leur pays, l"Argentine.
Suicide collectif, suicide assisté, ou meurtres ? Là est la question dont on connaitra l'issue, dans la troisième partie.

Entre temps, l'auteure nous aura brossé le portrait d'un pays et d'une caste sociale: ceux qui ont tout et qui ont peur de tout perdre. C'est intéressant sur le plan social, mais sur le plan "plaisir de lire", je m'y suis ennuyée. Trop brouillon, l'auteure passant d'une anecdote à l'autre, comme au hasard..., d'un personnage à l'autre sans le signaler. Une multitude de personnages (mari et femmes) sont à retenir et leurs liens (à part pour trois couples) difficiles à relier... Cette profusion de personnages fait qu'on ne s'attache à aucun, ce qui est un comble quand on connait dés le début, l'issue tragique.

Claudia Pineiro aurait pu traiter ça de façon humoristique, cynique, pince sans rire, non...
L'auteure aurait pu traiter cette histoire façon roman à suspens, mais non.
Il y a ce début, cette fin explicative (c'est déjà ça, me direz-vous...) et au milieu un gros gloubi boulga.
S'il n'y avait pas eu pour moi, au travers ce roman, la découverte d'un pays que je ne connais pas, je crois que j'aurai laissé tomber mais, vaille que vaille, je me suis accrochée.

♫ Don't cry for me, Argentina♫, je reviendrais, à travers des auteurs visiter ton beau pays...
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Altos de la Cascada : une réserve dans les années 1990-2000. Pas une réserve d'Indiens, non, une réserve de gens nantis, riches, privilégiés, en Argentine. A l'abri des risques et dangers de la vie dans un immense quartier clos, sécurisé par des codes et des vigiles, de jour comme de nuit. Dans ce cadre paysagé idyllique, de grandes maisons modernes, fonctionnelles et luxueuses, des cours de tennis, un golf de dix-huit trous. Des habitants vivant entre eux, se recevant, participant à des associations oeuvrant pour la résidence, se connaissant tous. Coulés dans le même moule économique et social.

Dès les premières pages, on apprend que trois hommes de la résidence viennent de mourir noyés dans une piscine. Et puis on n'entend plus parler de ce drame jusqu'aux dernières pages : l'auteur raconte longuement ce qu'est la vie à La Cascada, comment elle a évolué avec les années, les normes, explicites ou sous-entendues, qui doivent y être respectées, les relations et les affinités qui se sont créées.

« Il y a des gens qui se méprennent, qui croient que, parce que nous vivons dans ce type d'endroit, nous finissons toutes par nous ressembler ».

Mais de chapitre en chapitre, on retrouve différentes familles, l'histoire de chacune, les circonstances de son arrivée à La Cascada, son intégration dans ce milieu qu'elle a imaginé de rêve. Chacune a apporté avec elle ce qui la rend unique. Unique et tristement banale souvent. le décor aseptisé ne protège pas du chômage, de l'alcoolisme, de la violence maritale, du snobisme ou de la bêtise. Il ne guérit pas des névroses incrustées, des ambitions déçues, des préjugés imbéciles.

L'auteur décrit avec finesse, juste en les illustrant de détails au jour le jour, les failles, les défaillances, les faiblesses, plus ou moins graves, de chacun des personnages. Deux seulement sauvent la pureté et l'exigence. Deux adolescents magnifiques, insensibles à la perversion des valeurs que leur milieu, trop favorisé, a suscitée chez leurs parents sans même qu'ils en prennent conscience.
Deux adolescents qui rachètent, par leur soif d'absolu et de vérité, les accommodements frauduleux que les adultes prennent avec la réalité.

La structure du livre est surprenante au début de la lecture. Certains chapitres sont d'un narrateur omniscient, d'autres donnent la parole à une femme qui vit à la Cascada depuis longtemps. Ils changent aussi de temporalité, sur une trentaine d'années. Mais comme un puzzle, l'ensemble construit peu à peu la fatalité révélée dès les premières pages. Une construction longue mais fouillée et parfaitement convaincante.

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Les « veuves du jeudi », c'est le surnom que s'est donné un petit groupe de femmes dont les maris, une soirée par semaine, se réunissent entre messieurs de bonne compagnie. « Veuves » au sens figuré et humoristique, certaines d'entre elles vont le devenir, au sens propre et sans le moindre humour, après que l'une de ces soirées « gentlemen only » se soit terminée en drame.
Un accident (voire pire) qui vient perturber la tranquillité chèrement payée de Los Altos de la Cascada, voilà qui était pourtant inimaginable. Résidence ultra-sécurisée à l'américaine sur les hauteurs de Buenos Aires, destinée exclusivement aux familles fortunées et « bien sous tous rapports », La Cascada est censée être un paradis à l'écart du bruit et de la fureur de la ville, protégée de l'insécurité et de la pauvreté des gens ordinaires – sauf les domestiques – par des portiques de sécurité et des autorisations d'entrée signées en quatre exemplaires.
Au coeur de ce rêve doré, réalisé à coups de billets de banque par quelques privilégiés, la vie n'est cependant pas idyllique. Dans ce monde du paraître, fondé sur les apparences, la superficialité est, de fait, portée au rang de valeur, la perfection est une nécessité, et faire toujours mieux que les voisins une obligation qui ne dit pas son nom. Cette pression sociale, obsessionnelle pour certains, se transforme en tension difficilement soutenable quand l'Argentine plonge dans la crise économique au tournant des années 2000. Celle-ci n'épargne pas les riches, qui ont de plus en plus de mal à faire correspondre porte-monnaie et sacro-sainte illusion d'aisance. Pour eux qui croyaient que l'argent faisait le bonheur, imaginez la tragédie quand la source se tarit...
Débutant par l' « accident » qui se produit peu après le 11 septembre 2001, ce roman repart ensuite quelques années en arrière pour poser le décor et amener peu à peu les prémices du drame. le fait que le petit monde de Los Altos s'effondre après les tours du WTC n'est pas anodin : le mode de vie des classes aisées argentines était calqué sur le « modèle » états-unien, en témoignent les « countries » tels que Los Altos et les nombreux anglicismes, ainsi que, sur un autre plan, la politique ultra-libérale des années 1990 et la parité dollar/peso argentin, aberration économique qui, entre autres, mènera le pays à la catastrophe.
Dans cette chronique féroce des malheurs de ces « pauvres petites gens riches », l'auteur livre une étude sociologique implacable de ce milieu huppé, de ses codes et rituels, dans lequel le bling-bling cache mal l'hypocrisie ambiante. Caustique, elle n'y va pas avec le dos de la petite cuiller en argent pour décrire les comportements des résidents de Los Altos, soumis de plein fouet aux affres de la crise qui, terrible comme la Grande Dépression de 1929, en conduira plus d'un au désespoir.
Lien : http://www.voyagesaufildespa..
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Même si je n'y suis jamais allé, je sais que l'Argentine est un beau pays, le plus européen des pays d'Amérique du Sud. Argentina, de l'italien argentine, « argent », comme pour souligner les malheurs du pays, miné par ses difficultés financières qui affament les plus pauvres et ruinent la classe moyenne tandis que les vrais riches continuent de festoyer. de Peron et son Evita si romantique (Don't cry for me, Argentina) au couple Kirchner (Madame succédant à Monsieur à la tête du pays) en passant par les sinistres généraux dont la bêtise (s'attaquer à l'Angleterre de Maggie Thatcher sans en avoir les moyens) égalait presque la méchanceté (les Mères de la place de Mai), l'Argentine de ces cinquante dernières années reste le plus beau cas d'école de la faillite d'un état qui avait tout pour y échapper et du malheur subit par son peuple. Perpétuellement sous perfusion et donc sous tutelle du FMI, la vie quotidienne argentine reste suspendue au taux de change dollar-peso, au taux d'inflation et à un chômage endémique. Rassurez-vous, le roman de Claudia Pineiro n'est pas un traité d'économie. Mais si les difficultés financières du pays ne sont que le petit bruit de fond de son histoire, il n'est pas inutile de les avoir à l'esprit pour mieux appréhender la psychologie de ses personnages. Les entrefilets économico-politico-financiers qui jalonnent son récit en portent témoignage.
Claudia Pineiro nous invite dans l'Argentine à l'abri, celle qui ne manque pas d'argent, celle qui, au début du roman, voit même avec plaisir la crise financière pousser à la hausse les prix de l'immobilier qu'elle possède. Bourgeois aisés, couples glamour, parents attentionnés, ils vivent dans leur magnifique « country » clôturé et gardé vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Ils jouissent du calme et de la beauté du golf inclus dans leur domaine, si près et si loin du monde réel, à quelques pas de Buenos Aires, mais isolés de son bruit, de sa saleté, de sa pauvreté et de son insécurité. La finesse de la critique sociale (analyse des rapports dominants-dominés entre les maîtresses de maison et leurs domestiques, stéréotype de la famille idéale, isolation sociologique et physique des riches tentant de se constituer un havre de prospérité et de sécurité dans un pays en déroute financière où la précarité et la misère croissent aussi vite que la délinquance) est remarquable, tandis que l'intrigue, riche et complexe, fait lentement monter la tension. A l'intérieur de ce microcosme privilégié et protégé les masques vont peu à peu tomber : les amis n'en sont plus vraiment, les couples chancellent, les faibles et les différents sont rejetés, les situations florissantes périclitent, l'argent qui coulait abondamment se fait plus rare et plus dur à gagner. Certains n'hésitent pas à se salir les mains pour continuer à se remplir les poches, tandis que d'autres se réfugient dans le déni et la fuite en avant …
Les apparences commandent, chacun se devant de maintenir à tout prix ce niveau de vie privilégié fait de domestiques dociles, de jardins immaculés, de maisons luxueuses, de voyages choisis, d'écoles privées. L'allégorie est brillante car surgit en filigrane derrière le besoin de paraître et la vanité des personnages, tout le problème de l'Argentine qui vit au-dessus de ses moyens depuis tellement longtemps. C'est formidablement bien observé et restitué sans nuire à l'intrigue. Claudia Pineiro a beaucoup de talent et un style que j'avais déjà apprécié dans Bettibou. Je suis désormais un de ses afficionados.
Pour terminer en beauté, illustrons le propos avec ce petit dialogue, écologiquement correct, entre deux « housewifes » dont l'une seulement est désespérée, autour d'un dilemme cornélien entre ray-grass et silicone :
« Teresa sortit de sa poche une bobine de fil de couleur ocre et, avec le concours de Lala, elle attacha la plante. "C'est du fil de sisal recyclé ; ne laisse jamais personne utiliser dans ton jardin autre chose que du matériel biodégradable." Lala l'aida à nouer l'attache du papyrus. "Tu t'imagines, les siècles passent, nous aussi, et le plastique, lui, il reste là. En parlant de plastique, tu ne devais pas te refaire les nichons cette année ?" "Oui, mais je vais attendre un peu que Martin soit moins obsédé par le fric, sinon il va me faire une crise de nerfs." "Attends pour la silicone, mais pas pour la pelouse. D'ici quelques mois, il aura retrouvé du boulot et, dans ton parc, ce sera la misère."
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Citations et extraits (36) Voir plus Ajouter une citation
Quand on prend le chemin qui mène à la route, on arrive à Santa Maria de los Tigrecitos, un quartier de maisons modestes, des constructions plus ou moins abouties ; leurs propriétaires les ont presque toutes bâties de leurs propres mains, en se faisant parfois aider par leur famille ou des amis. Tous les gens qui vivent là sont tributaires du travail que nous leur fournissons à Altos de la Cascada...
A Santa Maria de los Tigrecitos, les maisons poussent de façon aussi irrégulière que les arbustes à Altos de la Cascada, mais pas pour des raisons esthétiques inavouées, comme c'est le cas dans nos jardins. A los Tigrecitos, les gens font comme ils peuvent, ils construisent leur maison sans se soucier de celle du voisin ; dans les cas extrêmes, les pièces ne communiquent même pas entre elles. Les murs des maisons portent les traces des étapes de leur construction : la fenêtre qui a été ouverte après que la pièce a été construite et qui n'est pas centrée, le deuxième niveau que l'on a monté sur une dalle qui avait l'air définitive, la salle de bains qu'on a quand même pu faire, mais sans la ventilation adéquate... Une grille peut-être peinte en violet et le mur contigu en rouge, ou d'un bleu électrique. Et à côté, une autre maison en briques, à rénover. Les maisons les plus imposantes ont une entrée pour les voitures, tandis que les plus modestes gardent un sol en terre battue dans toutes les pièces en attendant que le travail tant attendu permette à leurs occupants d'acheter du ciment...
Des maisons dont le volume et le confort s'amenuisent lorsqu'on quitte l'asphalte et que l'on s'engage dans les rues perpendiculaires en terre battue inondées chaque fois que le ruisseau, qui coule dans une conduite jusqu'à la sortie de la Cascada, sort de son lit.
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Alfredo Insua l'avait quittée après vingt années de mariage dont quelques unes d'infidélité qu'elle avait stoïquement acceptées, toute seule, avec deux jumeaux adolescents qui allaient aussi l'abandonner dès qu'ils auraient fini le collège. Pour dire clairement les choses, il l'avait quittée pour la secrétaire de son associé. Au début, nous disions tous qu'Alfredo était un beau salaud. Mais, une fois passées les premières semaines, quelques maris qui continuaient à le voir nuançaient les choses en disant "qu'il fallait écouter les deux sons de cloche."...
Peu de temps après, Alfredo commença à revenir à Los Altos pour jouer au golf ou au tennis avec l'un ou l'autre d'entre nous, ou pour participer aux fêtes que nous organisions, auxquelles nous prenions soin de ne pas inviter Carmen. Deux ou trois mois après leur séparation, il n'y avait plus que les femmes pour le traiter de "beau salaud" ; de leur côté, les hommes se taisaient. Jusqu'au jour où plus personne ne dit rien. Plus tard, un jour, on commença à entendre les hommes dire certaines choses, quand ils étaient entre eux, en train de taquiner une petite balle de golf ou de boire un verre après un match de tennis. Par exemple : "Alfredo a eu bien raison". C'était peu de temps après qu'il fut apparu en société accompagné de sa nouvelle femme, une fille qui n'avait pas trente ans, avenante, belle, sympathique, "et avec une paire de seins à tomber par terre", comme l'avait dit l'un d'entre nous, sur le ton de la plaisanterie. Il l'avait amenée passer un week-end à Colonia sur le bateau des amis où Carmen avait vomi quelques mois plus tôt. Et sa nouvelle femme n'avait pas vomi. A partir de ce voyage, Alfredo et sa nouvelle compagne participèrent de plus en plus souvent aux réunions de La Cascada, tandis que Carmen restait recluse chez elle. Jusqu'à ce qu'on ne la vît presque plus.
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Les odeurs du quartier changent avec les saisons. En septembre, tout sent le jasmin étoilé. Et cette phrase n'est pas de la poésie, elle est juste purement descriptive. Tous les jardins ont au moins un jasmin étoilé pour que l'on puisse admirer ses fleurs au printemps. Trois cents maisons avec trois cents jardins et trois cents jasmins étoilés, cloîtrées dans un domaine de deux cents hectares grillagé sur tout son périmètre, avec son propre service de sécurité, ce n'est pas une donnée poétique. C'est pour cette raison qu'au printemps, l'air semble lourd, sucré. Il entête ceux qui n'y sont pas habitués. Mais chez certains d'entre nous, il génère une sorte d'addiction, d'attraction ou de nostalgie et, à peine partis, nous avons déjà hâte de rentrer pour respirer à nouveau cette odeur de fleurs sucrées. Comme si nulle part ailleurs on ne pouvait aussi bien respirer. A Altos de la Cascada, l'air est lourd, ça se sent, et, si nous vivons tous ici, c'est parce que nous aimons respirer comme cela, en écoutant le bourdonnement des abeilles derrière les jasmins.
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Et il n'est pas docteur, pas plus qu'il n'est son père...
"Docteur Ernesto J. Andrade" est-il écrit sur ses cartes de visite. Et dire que c'est à peine s'il a fini ses études secondaires. Ca oui, elle le sait, car une fois ça a échappé à sa grand-mère, la maman d'Ernesto. "Ca marche si bien pour lui, il a si belle allure ! Quand on pense qu'il n'a pas pu finir le secondaire !" Romina sait qu'il a un bureau dans le centre, elle y est allée, une fois. Avec une plaque en bronze sur la porte. Et une secrétaire et deux avocats qui travaillent pour lui, bien qu'elle ne soit pas sûre qu'ils soient avocats. La plaque dit "Cabinet Andrade et associés", et la secrétaire dit la même chose quand elle répond au téléphone. Le téléphone d'Ernesto sonne à longueur de journée. Le portable, la ligne principale à la maison, la ligne privée qu'il réserve aux "affaires professionnelles". Un jour, Romina répond sur la ligne privée et, à l'autre bout du fil, on lui dit : "Dis au fils de pute d'Andrade de préparer son fion, parce qu'on va venir le lui péter, même à travers les barrières." Elle ne le lui dit pas ; sinon il faudrait qu'elle trouve une bonne raison pour expliquer pourquoi elle a décroché le téléphone de cette ligne alors qu'elle ne devait pas.
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"C'est plus facile de trouver du travail quand on en a déjà un", avait dit l'avocat. Et Tano savait que c'était le cas, que ça avait toujours été le cas. Lui-même, quand il devait choisir quelqu'un pour son entreprise, il se méfiait de ceux qui n'avaient pas de travail, il se posait des questions sur les vraies raisons de leur démission ou de leur licenciement, se demandant ce que pouvait bien cacher leur version officielle. Son père, un immigré qui avait réussi à monter une usine métallurgique d'une certaine importance disait toujours : "Ceux qui ne trouvent pas de travail, ce sont ceux qui ne veulent pas travailler et les incapables." Et Tano n'était pas un incapable, il s'était donné beaucoup de mal pour étudier, et il aimait son travail. La seule et dernière fois qu'il avait vu pleurer son père, c'était à la remise de son diplôme. Et c'était la première fois dans sa vie que Tano quittait un travail avant d'en avoir trouvé un autre. Et qu'il avait envie de pleurer. Lui ! Mais il ne pleura pas.
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