Saigyô monogatari,
la légende de Saigyô, est le récit d'un homme, tout juste devenu père de famille, qui quitte la capitale pour mener durant cinquante ans la vie d'ermite et d'ascète itinérant à travers l'archipel japonais, partant à la rencontre des autres et de lui-même. Tenu pour cela pour un saint, il est aussi reconnu pour avoir composé des milliers de waka, les poèmes traditionnels nippons, en faisant alors le plus grand poète du pays si l'on en juge par leur reprise dans de multiples anthologies publiées dans les siècles qui suivirent.
Saigyô (de son nom laïc Fujiwara no Norikiyo) vécut au XIIème siècle, et le présent récit de ses pérégrinations, sorte de biographie romancée, a connu de multiples versions, anonymes. La présente, traduite par le grand
René Sieffert, lui est apparue la plus fiable. Elle date d'une cinquantaine d'années après la mort de Saigyô.
Le livre alterne le récit en prose de son voyage incessant parsemé de haltes et de rencontres, dans un style très élégant, et les poèmes de Saigyô. Il est très richement illustré, en dégradés de gris, de scènes du manuscrit Saigyô hôshi jô, réalisé vers 1661-1673, et conservé à la Bibliothèque nationale de France. Sur le plan formel, ce petit format des éditions Allia apparaît très précieux, avec son joli papier beige et de bon grammage et sa superbe couverture qui rappelle le sépia.
L'histoire, elle, c'est la décision de cet artiste, au départ laïque, Norikiyo, qui ayant reçu tous les honneurs du couple impérial, prend conscience qu'il pourrait trop s'attacher à la vie, cela n'est pas conforme à l'esprit bouddhiste. En conséquence, il décide de laisser là sa femme et sa toute jeune fille pour partir en retraite du monde…Il va ainsi parcourir la campagne, du nord du Honshu à l'île de Shikoku, livrant ses poèmes, inspirés par la nature. Car cette nature, les plantes, les animaux, l'eau, le ciel, la terre et les saisons sont une source d'inspiration permanente. Ainsi cet hommage à l'automne qui vient :
Même de celui
Qui des choses d'ordinaire
Point ne se soucie
Il touche et remue le coeur
Le premier vent d'automne
Mon coeur qui aspire
Plus que tout à s'éloigner
De ce triste monde
Un instant encore retiens-le
O lune des nuits d'automne
A l'heure où songeur
Longuement je la contemple
L'aspect de la lune
Ne fait qu'ajouter encore
A ma mélancolie.
Son voyage est aussi marqué par les rencontres. Souvent hébergé pour une nuit chez l'habitant, il côtoie le malheur des autres (que de manches de kimonos mouillées !), leur apportant un peu de réconfort. On sent parfois que toute cette misère du monde, et peut-être la solitude, par moments, lui pèse :
Quelque part au loin
Dans l'étroit creux du rocher
Tout seul je voudrais
Sans souci des yeux d'autrui
Méditer tout à mon aise
Me prenant en pitié
Pourquoi n'est-il donc personne
Pour me venir voir
En ce logis où pensif
J'entends le vent des roseaux
Sans briser de branches
Au plus profond des montagnes
Je veux pénétrer
A la recherche d'un endroit
Où nul ne parle de malheur
Au terme de cette si longue absence, celui qu'on appelle désormais Saigyô va retrouver sa fille et son épouse, elles-mêmes devenues nonnes, puis s'éteindre quelques temps après, donnant l'image d'une famille à jamais unie, qui vivra une renaissance dans la Voie Bouddhiste.
Ce texte a fortement inspiré
Bashô, qui vécut un type de pèlerinage assez similaire, bien que plus laïc et parsemé cette fois de haïkus, relaté dans son superbe La Sente des contrées secrètes (Oku no Hosomichi, critiqué ici même dans sa belle édition Olizane).
Ce petit ouvrage, qui avait initialement été publié en 1996 aux publications orientalistes de France (POF), méritait bien une nouvelle publication pour une diffusion moins confidentielle, et dans une forme à la fois pratique et qualitative.