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EAN : 9782070737222
182 pages
Gallimard (04/01/1994)
3.53/5   15 notes
Résumé :
« Les hommes ne se séparent de rien sans regret, et même les lieux, les choses et les gens qui les rendirent les plus malheureux, ils ne les abandonnent point sans douleur. C'est ainsi qu'en 1912, je ne vous quittai pas sans amertume, lointain Auteuil, quartier charmant de mes grandes tristesses. Je n'y devais revenir qu'en l'an 1916 pour être trépané à la Villa Molière. » Le flâneur des deux rives a paru en 1918, l'année de la mort de Guillaume Apollinaire. Le text... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Ces chroniques parisiennes d'Apollinaire ont été publiées en 1918, juste après sa mort. L' écrivain nous entraîne dans différents lieux de Paris, multipliant les rencontres, les anecdotes, avec un certain goût pour le pittoresque ou l'insolite. La maison De Balzac dans "Souvenir d'Auteuil" sur les coteaux de Passy : "Lorsque je m'installai à Auteuil en 1909, la rue Raynouard ressemblait encore à ce qu'elle était du temps De Balzac." Un libraire de la rue Saint-André-des-Arts. Une vieille maison de la rue Bourbon-le-Château, où deux femmes furent assassinées le 23 décembre 1850, la "sombre maison du carrefour Buci" que l'on retrouve dans les vers de poètes que la postérité n'a pas retenus. Les noëls entendus dans un caveau voisin de la rue de Buci. Un café littéraire sur les boulevards. Les quais et les bibliothèques. Un imprimeur dans un couvent de la rue de Douai. le Bouillon Pons d'un restaurateur-poète. Un petit musée napoléonien de la rue de Poissy et la cave de M. Vollard : "Près du boulevard, au 8, rue Laffitte, il y avait avant la guerre une boutique, véritable capharnaüm où s'entassaient les tableaux des peintres contemporains et où la poussière régnait partout." Ambroise Vollard y recevait également des convives : "Tout le monde a entendu parler de ce fameux hypogée. Il fut même de bon ton d'y être invité pour y déjeuner ou y dîner." Ces chroniques sont suivies de "Contemporains pittoresques" : Raoul Ponchon, Alfred Jarry, Rémy de Gourmont et Jean Moréas.
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Belle illustration du surréalisme où nous flânons au gré de la pensée d'Apollinaire qui nous conduit dans le Paris des poètes d'avant 14-18. Dans cette balade, nous croisons notamment Alfred Jarry, Jean Moreas, Rémy de Gourmont et tant d'autres contemporains pittoresques. A noter pour les amoureux des bibliothèques, un petit chapitre sur le parcours parisien d'un ami bibliophile d'Apollinaire.
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Citations et extraits (20) Voir plus Ajouter une citation
Je vais le plus rarement possible dans les grandes bibliothèques. J’aime mieux me promener sur les quais, cette délicieuse bibliothèque publique.

Néanmoins je visite parfois la Nationale ou la Mazarine et c’est à la Bibliothèque du Musée social, rue Las Cases, que je fis connaissance d’un lecteur singulier qui était un amateur de bibliothèques.

« Je me souviens, me dit-il, de lassitudes profondes dans ces villes où j’errais et afin de me reposer, de me retrouver en famille, j’entrais dans une bibliothèque.

— C’est ainsi que vous en connaissez beaucoup.

— Elles forment une part importante de mes souvenirs de voyages. Je ne vous parlerai pas de mes longues stations dans les bibliothèques de Paris ; l’admirable Nationale aux trésors encore ignorés, aux encriers marqués E. F. (Empire Français) ; la Mazarine, où j’ai connu des lettrés charmants : Léon Cahun, auteur de romans de premier ordre qu’on ne lit pas assez ; André Walckenaer, Albert Delacour, les deux premiers sont morts, le troisième semble avoir renoncé aussi bien aux lettres qu’aux bibliothèques ; la lointaine Bibliothèque de l’Arsenal, une des plus précieuses qui soient au monde pour la poésie et, enfin, la Bibliothèque de Sainte-Geneviève, chère aux Scandinaves.

Je crois que, pour ce qui est de la lumière, la bibliothèque de Lyon est une des plus agréables. Le jour y pénètre mieux que dans toutes les bibliothèques de Paris.

À la petite bibliothèque de Nice, j’ai lu avec volupté l’Histoire de Provence de Nostradame et m’inquiétais du Fraxinet des Sarrasins, loin des musiques, des confetti de plâtre et des chars carnavalesques.

À la bibliothèque de Quimper, on conserve une collection de coquillages. Un jour que j’étais là, un monsieur fort bien entra et se mit à les examiner. « Est-ce vous qui avez peint ces babioles ? » demanda-t-il à voix très haute en s’adressant au conservateur. « Non, répondit avec calme celui-ci, non, Monsieur, c’est la nature qui a orné ces coquillages des plus délicates couleurs. » « Nous ne nous entendrons jamais, repartit le visiteur élégant, je vous cède la place. » Et il s’en alla.

À Oxford, il y a une bibliothèque (je ne sais plus laquelle), où l’on a brûlé tous les ouvrages ayant trait à la sexualité, entre autres : la Physique de l’Amour, de Rémy de Gourmont, Force et Matière, de Ludwig Büchner.

À Iéna, à la Bibliothèque de l’Université, par décision du Sénat universitaire, on a retiré de la salle publique les œuvres d’Henri Heine qui ne sont plus communiquées que sur autorisation spéciale, dans la salle de la Réserve.

À Cassel, j’espérais toujours voir passer l’ombre du marquis de Luchet, qui, vers la fin du xviiie siècle, en fut le directeur, et au dire des Allemands, la désorganisa en peu de temps, mettant Wiquefort parmi les Pères de l’Église, inscrivant dans les cartouches des barbarismes comme exeuropeana, qui paraissaient inadmissibles non seulement aux latinistes de Cassel, mais encore à ceux de Gœttingue et de Gotha. Ces derniers menèrent un tel bruit que Luchet dut cesser d’administrer la bibliothèque.

La bibliothèque de Neuchâtel, en Suisse, est la mieux située que je connaisse. Toutes ses fenêtres donnent sur le lac. Séjour enchanteur ! La salle de lecture est charmante. Elle est ornée de portraits représentant les Neuchâtelois célèbres. Il faut ajouter qu’on y est fort tranquille pour lire, car on n’y voit presque jamais personne. L’administrateur — et par tradition ce poste est toujours confié à un théologien — dort sur son pupitre. On y trouve une riche collection de livres français du xviie et du xviiie siècle. Quand quelqu’un demande des livres difficiles à trouver, il est invité à les chercher lui-même. La bibliothèque s’honore avant tout de conserver des manuscrits de Rousseau dans une grande enveloppe jaune et c’est bien la seule chose qu’on vous communique sans rechigner, tant on en est fier.

À la bibliothèque de Saint-Pétersbourg, on ne communiquait pas le Mercure de France dans la salle de lecture. Les privilégiés allaient le lire dans l’espace réservé aux bibliothécaires. J’y ai vu d’admirables manuscrits slaves écrits sur de l’écorce de bouleau. La bibliothèque était ouverte de 9 heures du matin à 10 heures du soir. Et dans la salle de lecture se tenaient beaucoup d’étudiants pauvres venus là pour se chauffer. Ce fut un vrai centre révolutionnaire. À tout moment, des descentes de police, où chaque lecteur devait montrer son passeport, venaient troubler l’atmosphère studieuse de la bibliothèque. On y voyait des gamines de douze ans qui lisaient Schopenhauer. Grâce à l’influence de Sanine d’Artybachew, on y vit ensuite des dames élégantes qui lisaient les œuvres des derniers symbolistes français.

L’influence de Sanine eut, un moment, les résultats les plus étranges. Des lycéens et des lycéennes de quatorze à dix-sept ans avaient fondé des sociétés de saninistes. Ils se réunissaient dans une salle de restaurant. Chacun d’eux apportait un bout de bougie que l’on allumait. Alors on chantait, on buvait, et lorsque la dernière bougie s’était éteinte, l’orgie commençait.

Peu avant la guerre, ce fut, chez les jeunes gens du même âge, une lamentable épidémie de suicides.

La bibliothèque d’Helsingfors est très bien fournie de livres français, même les plus récents.

Dans le transsibérien, le wagon-promenoir contenait, avec des pots de fleurs et des rocking-chair, une bibliothèque d’environ cinq cents volumes dont plus de la moitié étaient des livres français. On y voyait les œuvres de Dumas père, de George Sand, de Willy.

À la Martinique, Fort-de-France possède une bibliothèque, grande villa coloniale construite après le grand incendie d’il y a une vingtaine d’années. Quand j’y fus, le conservateur était un vieux brave qui est peint dans le célèbre tableau des Dernières Cartouches. Érudit charmant, il faisait lui-même les honneurs de sa bibliothèque, allait chercher les livres, etc. Il se nommait M. Saint-Félix et, s’il vit encore, je lui souhaite une longue vie.

J’ai eu l’occasion de connaître la bibliothèque du savant Edison. Je n’y ai pas vu l’Ève future, dont il est un des personnages. Peut-être ignore-t-il encore cette belle œuvre de Villiers de l’Isle-Adam. Par contre, Edison fait sa lecture favorite des romans d’Alexandre Dumas père. Les Trois Mousquetaires, le Comte de Monte-Cristo sont ses livres de chevet.

À New-York, j’ai fait de longues séances à la Bibliothèque Carnegie, immense bâtiment en marbre blanc qui, d’après les dires de certains habitués, serait tous les jours lavé au savon noir. Les livres sont apportés par un ascenseur. Chaque lecteur a un numéro et quand son livre arrive, une lampe électrique s’allume, éclairant un numéro correspondant à celui que tient le lecteur. Bruit de gare continuel. Le livre met environ trois minutes à arriver et tout retard est signalé par une sonnerie. La salle de travail est immense, et, au plafond, trois caissons, destinés à recevoir des fresques contiennent, en attendant, des nuages en grisaille. Tout le monde est admis dans la bibliothèque. Avant la guerre tous les livres allemands étaient achetés. Par contre, les achats de livres français étaient restreints. On n’y achetait guère que les auteurs français célèbres. Quand M. Henri de Régnier fut élu à l’Académie française, on fit venir tous ses ouvrages, car la bibliothèque n’en possédait pas un seul. On y trouve un livre de Rachilde : le Meneur de Louves, dans la traduction russe, et, dans le catalogue, on trouve le nom de l’auteur en russe, avec la traduction en caractères latins suivis de trois points d’interrogation. Cependant, la bibliothèque est abonnée au Mercure depuis une dizaine d’années. Comme il n’y a aucun contrôle, on vole 444 volumes par mois, en moyenne. Les livres qui se volent le plus sont les romans populaires, aussi les communique-t-on copiés à la machine. Dans les succursales des quartiers ouvriers il n’y a guère que des copies polygraphiées. Toutefois, la succursale de la quatorzième rue (quartier juif) contient une riche collection d’ouvrages en yddich. Outre la grande salle de travail dont j’ai parlé il y a une salle spéciale pour la musique, une salle pour les littératures sémitiques, une salle pour la technologie, une salle pour les patentes des États-Unis, une salle pour les aveugles, où j’ai vu une jeune fille lire du bout des doigts Marie-Claire, de Marguerite Audoux ; une salle pour les journaux, une salle pour les machines à écrire à la disposition du public. À l’étage supérieur enfin se trouve une collection de tableaux.

Et voilà les bibliothèques que je connais.

— J’en connais moins que vous, répondis-je. Et prenant l’Errant des bibliothèques par le bras, je m’efforçai de mettre la conversation sur un autre sujet.
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Au moment du boulangisme, quelqu’un vint acheter, chez Liseux, de la part du fameux général, je ne sais quel ouvrage d’ethnologie orientale qui était sur le point de paraître. Liseux s’excusa et demanda où il faudrait envoyer le livre lorsqu’il aurait paru. On lui donna l’adresse du général, en ajoutant après le nom de Boulanger : « Le premier de son nom de qui on ait parlé ; ainsi fut Bonaparte. »

Et Liseux répliqua vivement :

« Pardon, un Bonaparte assistait au siège de Rome, en 1527. »

Un jour, il vit, sur le quai, un ouvrage très rare et qui lui aurait été utile, mais il n’avait pas sur lui l’argent que coûtait le livre. Vite, il alla engager sa montre au Mont-de-Piété. Mais, lorsqu’il revint, l’ouvrage était vendu. Liseux s’en alla dépité. Il racontait parfois cette histoire, ajoutant :

« Je n’ai jamais dégagé la montre. C’était un mauvais oignon qui ne m’a pas donné de tulipe. »

Une autre fois, il entra dans la boutique d’un brocanteur pour acheter un in-folio. Mais, le prix en étant trop élevé, il marchanda longtemps, si longtemps que le brocanteur lui dit :

« Vous marchandez trop et cependant je n’étrangle pas les clients. Je rabats autant que je peux. Il faut que tout le monde soit content. Je ne suis pas un mauvais diable ! »

« En ce cas, dit Liseux, je vous vends mon âme contre votre livre. »

Mais il finit par payer le volume avec une monnaie ayant cours.

Son imprimeur Motteroz le poursuivait parce qu’il lui devait de l’argent :

« Motteroz se fâche tout rouge, disait Liseux, c’est la folie des grandeurs ; voilà qu’il voudrait se faire passer pour le Cardinal. »

Un auteur lui proposait un manuscrit dont il ne voulut point.

« Les Estienne ou les Elzevier eussent-ils imprimé votre livre ? demanda Liseux… Non ! n’est-ce pas ?… Au revoir, Monsieur. »

Une dame vint lui offrir un ouvrage de sa façon sur la Hollande : « On dirait aussitôt que ce sont les Pays-Bas bleus, dit en souriant Liseux. Et vous n’y pensez pas, Madame, votre livre aurait l’air d’une supercherie. »

On lui demandait quelles étaient ses opinions politiques :

« Je suis républicain, répondit-il, mais de la république des lettres. »

Deux bibliophiles s’étaient attardés dans sa boutique, tandis qu’il traduisait un ouvrage anglais, et ils le dérangeaient fort par leur bavardage. Ils en vinrent à parler de la guerre de 70 et de la trahison de Bazaine.

« Messieurs, leur dit Liseux, on ne parle pas de corde dans la maison d’un pendu, ni d’un traître dans celle d’un traducteur. »

Et interloqués, ils s’en allèrent.

Un amateur voulait un rabais sur les ouvrages que publiait Liseux, prétextant qu’il était un de ses amis.

« En ce cas, répondit l’éditeur, prenez les livres, puisque j’ai fait imprimer sur les couvertures : Pour Isidore Liseux et ses amis. »

Et l’amateur emporta les livres sans rien payer.

Il parlait de la science avec attendrissement comme si elle eût été une personne de ses amies :

« Elle n’est ni sévère, disait-il, ni repoussante, pensez donc, son corps, c’est la nature, sa tête, c’est l’intelligence, et sa parure, ce sont les livres. Bonneau la connaît encore mieux que moi. Il pourrait vous dire de quelle couleur sont ses yeux, quelle teinte a sa chevelure. C’est qu’il ne la quitte jamais, et moi, je dois la négliger parfois pour m’occuper de commerce. »

Comme il avait l’intention de publier la traduction de quelques nouvelles du conteur napolitain Basile, on lui indiqua, pour ce travail, un savant au nom fortement germanique et qui tenait à signer sa traduction :

« J’aimerais mieux qu’il s’appelât Pulcinella, répartit Liseux, ou, au moins Polichinelle. »

Et il renonça à son projet.

Au temps où sa boutique était située dans le passage Choiseul, Liseux avait à son service un commis et une bonne qui étaient le frère et la sœur. Celle-ci avait un bon ami qui est devenu garçon à la Bibliothèque Nationale et qui est employé dans le département où sont conservées la plupart des publications de Liseux :

« J’ai toujours eu l’impression, m’a dit cet homme, que je ne venais qu’en second et qu’elle couchait avec son patron… Le frère, qui était mon meilleur ami, était surveillé de près par M. Liseux, qui ne voulait pas qu’il rentrât se coucher après dix heures. »

Au demeurant, Liseux était, paraît-il, bon et indulgent. Mauvais comptable, il était fort endetté et ses éditions lui revenaient très cher. Il devait à son imprimeur, il devait au marchand de papier. Son fonds fut dispersé de façon très désavantageuse pour lui, et cet homme, qui avait édité des livres qui comptent parmi les plus beaux de l’époque, mourut dans une misère complète.

« Alors que, dit M. Octave Uzanne, dans le catalogue de sa vente qui eut lieu en mars 1894, Jouaust mourait repu et envoûté dans la juste réprobation des amateurs lésés par le solde extravagant de ses éditions, lui, le cher honnête homme, mourait de froid, ou qui sait ? peut-être de dégoût et de lassitude, avec dix-neuf sous pour toute fortune dans sa poche ! »

Les papiers de Liseux ont passé, paraît-il, entre les mains d’un libraire belge nommé Van Combrugghe.

Les détails que j’ai pu recueillir sur l’existence de Bonneau sont trop peu intéressants pour que je les donne ici. Il fut un des collaborateurs les plus discrets et les plus savants de la librairie Larousse et mena une vie modeste et retirée. Plusieurs personnes se souviennent encore de l’avoir rencontré à la Bibliothèque Nationale où il allait très souvent et où les tracasseries ne lui furent point ménagées.

Je ne sais s’il l’inventa, mais il est un des premiers à avoir employé pour la traduction des vers le système de la version juxtalinéaire et littérale qui devait exercer une influence si profonde sur la poésie française.
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Dans la sombre maison du carrefour Buci habite encore M. Maurice Cremnitz, qui piqua fort la curiosité en publiant sous les initiales M. C., dans Vers et Prose, un poème excellent intitulé Anniversaire et qui fut composé à la mémoire de Jean Moréas.

M. Maurice Cremnitz est un poète qui depuis longtemps déjà ne montre plus volontiers ses ouvrages. C’est un homme aimable qui se soucie peu de la gloire. Les poètes, ses amis, ont une grande confiance dans l’intégrité de son goût, et, si ses décisions ne sont point des arrêts, elles emportent généralement le suffrage de celui qui les fait naître et qui s’y range. Cette autorité, qu’il exerce avec une grande discrétion et dans un tout petit cercle, lui donne ainsi dans les lettres contemporaines un rôle inattendu qu’il ne recherchait point et qui est plein de responsabilités.

Chaque année, en temps de paix, M. Maurice Cremnitz, qui aime la marche, parcourait à pied une région qu’il ne connaissait pas encore. Il ne s’embarrassait pas de bagages ; une bonne canne à la main, il voyageait, s’arrêtant quand il le voulait, sans se préoccuper des horaires.

Une fois, c’était près de Montereau, deux gendarmes l’arrêtèrent sur la route et lui demandèrent ses papiers.

M. Maurice Cremnitz se fouilla et ne trouva sur lui qu’une carte d’entrée à la Bibliothèque Nationale. Les gendarmes l’examinèrent et l’un d’eux :

« Alors, c’est là que vous travaillez ?… » Sur la réponse affirmative de M. Cremnitz il ajouta : « Vos patrons doivent bien mal vous payer puisque vous ne pouvez pas même prendre le chemin de fer. »

M. Maurice Cremnitz que connaissent peu les nouvelles générations mais que n’ont pas oublié André Gide ni Paul Fargue, s’engagea au début de la guerre.

Je le rencontrai à Nice dans son uniforme de fantassin.

Cremnitz vivait la vie des dépôts d’infanterie. Nous nous vîmes dans un café durant quelques minutes et, fantassin, il trouva qu’artilleur j’étais mieux vêtu que lui. J’en avais presque honte et quand je le quittai, je sortis à reculons afin que l’éclat des éperons ne désolât point ce gentil et vaillant garçon.

J’ai rencontré quelques autres littérateurs soldats au cours de mon instruction militaire, soit à Nice soit à Nîmes. J’ai revu le dramaturge Auguste Achaume, caporal dans un régiment de territoriaux. Il avait bonne figure sous la capote et, cantonné dans un skating, couchait sur l’estrade de l’orchestre ; il couche à présent sous la tente. Dans le dépôt d’artillerie où j’achevais mes « classes », mon lit était près de celui d’un brigadier poète, René Berthier, qui fit partie à Toulon du groupe littéraire des Facettes. J’ai lu de ses poèmes et, à mon avis, il est un des meilleurs poètes de sa génération. Il est maintenant sous-lieutenant d’artillerie. Ce poète est encore un savant de premier ordre dont les inventions utiles à l’humanité ne se comptent plus.

J’ai rencontré encore à Nîmes, Léo Larguier, qui eut plusieurs fois l’occasion de fréquenter la maison du 1, rue Bourbon-le-Château, et qui a publié sur la guerre un beau livre de littérateur : Les Heures déchirées.

Le premier dimanche de mars, en 1915, je déjeunais au petit restaurant de la Grille, quand un caporal de la ligne se leva de table et m’aborda en me récitant une strophe de la Chanson du Mal-aimé.

Je fus interloqué. Un deuxième canonnier-conducteur n’est pas habitué à ce qu’on lui récite ses propres vers. Je le regardai sans le reconnaître. Il était de haute taille, et, de figure, ressemblait à un Victor Hugo sans barbe et plus encore à un Balzac. « Je suis Léo Larguier, me dit-il alors. Bonjour, Guillaume Apollinaire. » Et nous ne nous quittâmes que le soir à l’heure de la rentrée au quartier. Ce jour-là et les jours suivants nous ne parlâmes pas de la guerre, car les soldats n’en parlent jamais, mais de la flore nîmoise dont, en dépit de Moréas, le jasmin ne fait pas partie. Quelquefois, l’aimable M. Bertin, secrétaire général de la préfecture, nous apportait l’agrément de sa conversation enjouée et d’une érudition spirituelle. La voix terrible de Léo Larguier dominait le colloque et j’en entends encore les éclats quand il nous disait le nom d’un homme de sa compagnie : « Ferragute Cypriaque. »

Un dimanche, Larguier nous emmena, M. Bertin et moi, chez un de ses amis, le peintre Sainturier, dont les dessins ont la pureté de ceux de Despiau. Sainturier vit en ermite, il est inconnu et se complaît dans son obscurité ensoleillée du Midi. Très jeune d’aspect, bien qu’ayant passé l’âge de servir, il est robuste et travaille beaucoup et, outre ses productions, qui sont personnelles, on voit dans sa demeure des trésors artistiques que je ne soupçonnais point.

C’est là que j’ai vu un extraordinaire portrait de Stendhal qui le représente à mi-corps et vu de face. Le visage est calme et pétillant de malice contenue. C’est chez le peintre Sainturier, que je vis pour la première fois Alfred de Musset. Ses autres portraits paraissent factices quand on a vu celui-là qui est peint par Ricard. Musset est de profil. Larguier n’en revenait pas et Sainturier promit de lui en faire une copie après la guerre. Il y a là, de Ricard aussi, un beau portrait de Manet. Mais nous vîmes, encore chez Sainturier, un Van Dyck : Charles Ier enfant, plusieurs portraits et miniatures d’Isabey, un Greco, des esquisses de Boucher, un merveilleux Latour, deux Hubert Robert, des Monticelli, une petite nature morte de Cézanne, etc., etc.
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C’est dans la boutique de M. Lehec que j’ai acheté le Virgilius Nauticus de M. Jal. Il en avait plusieurs exemplaires.

On s’est amusé à signaler quelques-unes des sources où M. Anatole France a puisé l’inspiration.

Cependant, on n’a pas encore mentionné le nom du savant, M. Jal, qui n’est pas un inconnu, car Littré l’a toujours cité à propos des termes de marine. Il est encore l’auteur du Virgilius Nauticus que M. Anatole France attribue à son « Monsieur Bergeret ».

Virgilius Nauticus. Examen des passages de l’Eneïde qui ont trait à la marine, par M. Jal, historiographe de la Marine, auteur de l’archéologie navale… Paris, Imprimerie Royale, MDCCCXLIII, tel est le titre d’un ouvrage que devait illustrer l’imagination du plus érudit des romanciers contemporains. C’est un in-8° de 107 pages.

M. Jal, qui constatait avec admiration l’étendue des connaissances nautiques de Virgile, était, au moins en ce qui concerne la marine, un ennemi de Rabelais, et consacra plusieurs pages de son Archéologie navale aux navigations de Pantagruel.

« Là j’ai montré, dit-il, en analysant le quatrième livre de l’immortel ouvrage du curé de Meudon, que le savant homme, savait tout peut-être, excepté ce qui touche à la marine ; que le navire, la navigation, et même le vocabulaire des mariniers lui étaient restés à peu près inconnus, et que s’il rencontra juste quelquefois dans l’explication des termes usités sur les nefs du xvie siècle, ce fut certainement par hasard. »

Au contraire, lorsqu’il examine, au point de vue technique, ce qui a trait à la marine dans l’Éneïde, M. Jal arrive à une conclusion opposée.

Après nous avoir montré Virgile, tout jeune encore, étudiant les mathématiques à Naples et à Milan, il nous le fait voir passant dix-huit ans à Naples, en Sicile, dans la Campanie.

« Pendant ces dix-huit années, il eut presque toujours sous les yeux, ou la flotte militaire stationnée au port de Misène, ou les riches convois qui apportaient les trésors de la Grèce et de l’Égypte à Panorme, Messine, Mégare, Syracuse et Parthénope, ou les barques de plaisance appartenant aux riches voluptueux dont les gracieuses habitations, bâties autour du Crater, se miraient aux eaux calmes de cette baie magnifique. »

Plus loin, M. Jal s’attarde dans cette baie : « Sillonnée par mille embarcations cherchant l’une l’autre à se primer de vitesse, et montrant avec orgueil, celle-ci sa proue argentée ou dorée, celle-là sa poupe surmontée d’un aphlaste recourbé en panache, quelques-unes l’élégant chenisque au-dessus de la tutelle, d’autres, leurs rames couvertes de nacre ou de bandes d’un métal précieux, la plupart un gréement de laine aux couleurs variées, et presque toutes les voiles de pourpre ou du lin le plus blanc, sur lequel on a représenté des sujets érotiques, et inscrit, avec le nom du propriétaire de la barque, quelque maxime empruntée à une philosophie sensuelle. »

Et M. Jal traite sans ménagement les commentateurs et les traducteurs de Virgile qui n’ont point tenu compte de la savante exactitude du poète. Ascensius n’a pas trouvé d’explication ingénieuse du mot puppes ; « le Père de La Rue ne se doute pas de la raison qui a fait opposer les proues aux poupes » ; Annibal Caro a substitué les vaisseaux aux proues ; Gregorio Hernandez de Velasco traite Virgile très cavalièrement ; João Franco Barreto est plus scrupuleux, mais pas beaucoup plus ; Dryden prend les proues et les poupes pour les navires eux-mêmes ; la traduction allemande de John Voss laisse autant à désirer que la version anglaise de Dryden ; Delille, le plus estimé des traducteurs français, pas plus que ses rivaux étrangers, n’a intimement compris le texte de son auteur.

À propos des termes nautiques de Virgile, le savant M. Jal va jusqu’à citer des mots du langage des Malays, des Madekasses, des Nouveaux-Zélandais. Il fait encore de pittoresques rapprochements quand il en vient à examiner le triplici versu :

« Il exprime, à mon avis, un chant trois fois répété, un cri, un hourra ! une espèce de celeusma dont la tradition est vivante encore dans les bâtiments où pour tous les travaux de force, et, par exemple, quand on hale les boulines, un matelot, le véritable hortator des anciens navires, chante : Ouane, tou, tri ! hourra ! (one, two, three ! hourra ! — angl.). La tradition antique était pleine de force au moyen âge, à Venise, où la chiourme du Bucentaure, toutes les fois que le navire ducal passait devant la chapelle de la Vierge, construite à l’entrée de l’Arsenal, criait trois fois : Ah ! Ah ! Ah ! donnant un coup de rame après chacune de ces acclamations. »

La conclusion de M. Jal est sans doute différente de celle que M. Bergeret, notre contemporain, eût mise à son fameux ouvrage :

« La marine actuelle touche de bien près à la marine d’autrefois, c’est pour moi un fait de la plus grande évidence. Voilà pourquoi je pense que tout homme qui s’occupe de la marine moderne doit s’enquérir de tout ce que furent les marines anciennes ; voilà pourquoi je pense aussi que Virgile étant, sur la question de la marine antique, l’écrivain qu’on peut consulter avec le plus de fruit, il était nécessaire de démontrer sa compétence et de la prouver, en rendant à ses vers toute la valeur didactique dont les avaient dépouillés des interprètes, fort savants d’ailleurs, mais qui ne comprenaient pas la langue spéciale que parlait le poète marin. »
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M. Anatole France a peut-être acquis un exemplaire du Virgilius Nauticus chez M. Lehec, dans la boutique duquel il passait parfois une heure. Un jour, par hasard, je l’entendis faire l’éloge de l’abbé Delille.

« Delille n’a qu’un défaut, disait à peu près M. Anatole France, c’est de n’être point lu. »

Et comme il en sait par cœur de longues tirades, il les récita.

Peut-être n’a-t-il pas retenu en aussi grand nombre les vers de son maître Leconte de Lisle.

Mais n’y a-t-il pas une certaine parenté entre ces deux poètes ?

Ayant entendu quelqu’un faire un rapprochement entre Leconte de Lisle et l’abbé Delille, je rapportai, dans un article, une opinion qui me paraissait pour le moins singulière. Je viens de la retrouver tout au long et à deux reprises sous la plume de Louis Veuillot : « Tous ces oripeaux descriptifs, ces tintamarres de couleur et de lumière, ne sont que le déguisement du vieil abbé Delille. Seulement, sous le fatras de ses périphrases, Jacques Delille marchait d’un pas leste. L’épagneul de salon dont les jolies petites pattes couraient sans broncher à travers les porcelaines, et secouaient par moments de jolies petites perles fausses, est devenu un éléphant chargé d’une tour de guerre pleine de soldats farouches et surtout bariolés. Il simule bien la marche pesante, toutefois la terre ne tremble pas. »

Et quelques jours après, Veuillot ajoutait :

« Il décrit à outrance. Nous avons rappelé l’autre Delille, son quasi homonyme et qui semblait son contraire. En vérité, de l’un à l’autre il n’y a pas si loin qu’il semble, et ces extrêmes se touchent. Tous deux font leur principale affaire de décrire, parce que le don d’imaginer, le don de sentir et peut-être le don de penser leur manquent. Ils n’ont que l’œil extérieur, que l’écorce de la poésie ; la sève et la source leur sont inconnues. L’ancien Delille, qui se contentait d’être philosophe, et qui se piquait d’être correct, serait aujourd’hui libre-penseur irrégulier et peut-être pédant. Il écrirait Kaïn par un K, et ferait facilement du kaïnite et du khaldaïque. Le jeune de Lisle, — il y a quinze lustres —, eût décrit les jardins, l’imagination, la lecture, le café, les échecs, et n’eût su peindre Iris et les rochers qu’en bleu tendre. C’est le même homme ignorant de l’homme, s’exerçant au même jeu puéril avec la même dextérité. Seulement l’un est né sous Voltaire et l’autre sous Victor Hugo.

« S’il faut marquer une différence, peut-être que la part d’imagination de l’ancien Delille ne fut pas la plus restreinte. Autant que nous en pouvons juger à la distance où nous sommes de ses œuvres et de son temps, l’abbé Jacques puisait moins dans le fond public. Les descriptions de M. Leconte de Lisle sont bourrées de réminiscences plastiques fournies par l’architecture, la statuaire, la peinture et le dessin, à qui d’ailleurs toute notre poésie matérialiste emprunte considérablement, surtout dans les vastes et abondants domaines de leurs caprices. »

Je ne suis pas éloigné de penser, au demeurant, que l’art de l’abbé Delille n’ait exercé une véritable influence sur les Parnassiens.

Ils ne se réclamaient pas de lui parce qu’il était alors un poète trop décrié et que, sans doute, au Parnasse Choiseul, il fallait parler de Leconte de Lisle et non pas de Jacques Delille.

M. Anatole France se rattrapait dans la boutique de la rue Saint-André-des-Arts.

La librairie existe toujours, son aspect n’a pas changé, elle est tenue maintenant par un autre libraire qui connaît bien son métier, mais n’a pas pour les livres ce respect superstitieux que leur marquait M. Lehec.
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