Comment regretter qu'il n'ait pas tenu alors un journal ? Au centre de tous les courants, porté par toutes les tendances, Cocteau n'en aurait pas eu le temps, lui qui va plus vite que son ombre.
"Il ne pouvait manquer le train puisqu'il courait devant la locomotive, dira Morand, avant d'ajouter : A la pointe de tout, du piquant des métaphores au bec de la plume, grâce à ses formules-flèches il s'installait dans l'aigu ; son menton interrogeant, son regard en tournevis, les doigts en vrille, il vivait "au bout de lui-même". Se reposer eut été s'émousser."
Cocteau était devenu l'homme qu'on aime haïr, la victime qui rend fort, le bouc émissaire apte, plus encore que Jacob ou Cendrars, eux aussi haïs après avoir été honorés, à resserrer les rangs. "Il n'y a pas d'école littéraire, dira-t-il un jour, il n'y a que des hôpitaux" ; c'est dire combien les blessures qu'il reçut laissèrent des traces.
Il est impossible de raconter une histoire de Cocteau, écrivait dès 1916 Morand, surtout moi, qui n'arrive jamais à me faire entendre avec ma voix sourde et qui contracte tellement les histoires, par ennui de m'écouter moi-même, que personne ne comprend. Après Cocteau, ses yeux en vrille, ses mains qui parlent, sa mimique, les gestes des autres semblent pesants : le lendemain, on ne se rappelle de rien
C'est Cocteau que Pound fréquente, avec Picabia et Joyce, lors de son installation rue des Saints Pères au printemps 1921, et lui qu'il va comparer à cet homme total dont rêvait la Renaissance, dans la lettre qu'il expédie régulièrement au "Dial", un journal de Chicago, après l'avoir jugé le poète et le prosateur le plus doué de Paris.
"L'amour est une infidélité envers soi-même", disait Mallarmé : Cocteau ne l'aurait pas détrompé, lui qui se présentera à l'avenir comme l'élève de Radiguet et fera de ce dernier son géniteur littéraire indirect. II avait toujours eu besoin de vénérer, mais ses dieux, d'Anna de Noailles à Picasso et de Stravinski à Satie, étaient jusque-là ses aînés, et l'actuel n'avait pas vingt ans.
La Grande Librairie reçoit Fabrice Luchini, un amoureux des auteurs qui met en scène leurs textes depuis quelques années.
Avec lui le philosophe Alain Finkielkraut. Également en plateau, Claude Arnaud dont l?anthologie « Portraits crachés. Un trésor littéraire de Montaigne à Houellebecq », publié chez Robert Laffont est un véritable régal...