Voilà encore une belle surprise que de flâner dans ma librairie indépendante, cette maison ouverte depuis plus de trente et un ans, de déambuler dans les dédales de livres posées ci et là, certain alignés l'un contre les autres, dans un ordre bien précis selon l'alphabet, puis les autres dans une diversité aléatoire au grès du libraire et de son humeur, laissant le marcheur littéraire dans une rêverie méditative, découvrant pêle-mêle des écrits sauvages lui sauter au cou pour être dompter, voir dresser par une lecture accrue et fiévreuse comme
Toute une vie bien ratée de
Pierre Autin-Grenier, une succession de nouvelles courtes, venant , avec un plaisir certain, réveiller mes zygomatiques d'une légère gymnastique, celle heureuse d'un sourire, plus ou moins grand selon l'échappée belle de notre auteur, s'égarant dans les veloutes de son esprit, son quotidien s'amuse de son inertie et de l'atmosphère qui l'entoure, la musique le berce, les mots l'accompagnent comme un murmure lointain sorti d'un rêve diurne, les âmes physiques troublent sa solitude, un songe incertain prose ces pages que noircit
Pierre Autin-Grenier avec un sens humoristique assez noir, une acidité de la vie, une érudition naturelle s'émane de ces pages où j'ai aimé me perdre, j'ai dévoré ce recueil au bord d'un lac, bercé par le chant des oiseaux, le larsen des canards flottant sur le miroir de cet eau au reflet azur d'un ciel estival, où flottent des cygnes majestueux de leurs danses quotidiennes. Cette petite introduction est assez longue, voir prolixe, face à la minutie des textes proposés par notre auteur, des nouvelles assez courtes, au totales de vingt-trois, s'étirant dans ces cents quinze pages, c'est un concentré de moments de vies, de réflexions, de constats, de philosophie qui s'évaporent dans une prose amusante, comme sa dédicace pour son chien Music, pour le distraire.
Pierre Autin-Grenier est un auteur Français né et mort à Lyon à l'âge de soixante-quatre ans en 2014, poète, il aime les textes courts, de quelque lignes à quelques pages, il a ce vague à l'âme naturel, venant vous bercer de sa mélancolie et aussi de son humour.
J'ai lu quelques critiques de Babelio, avant de pénétrer dans ce court livre, je ne sais pas pourquoi, c'est inhabituel de ma part, comme une exception, j'aime avoir aucune perturbation extérieur avant la lecture, j'aime ce côté aventurier littéraire, la découverte, certains n'ont pas du tout aimé, ils se sont ennuyés, voir , le livre leur est tombé des mains, j'en sourit d'ailleurs, les émotions de chacun sont souvent éparses face à la sensibilité d'un auteur, je regrette d'avoir lu ces mots assez négatifs, non pas que je renie leurs avis, chacun ces goûts, la merde à le sien, comme pourrait dire
Pierre Autin-Grenier, j'ai été pollué par des quidams quelconque, ma surprise de lecture en fût encore plus grande, comme catalysée par ces avis négatifs, je ferme les yeux et je laisse porté par la sensation ressentit lors de ma lecture pour m'y noyer lentement, puis y nager dans sa profondeur d'âme, imaginant son ami curé , arpenté de son vélo une pente abrupte dans un braquet de souffrance chrétienne, ou cette andouillette sur le feu, crépitante dans le beurre, attendant son bâtard-montrachet 85, ou son bourguignon baignant dans un Gigondas, Bach est ces violons,
Louis Calaferte et compagnie, je suis dans cette musique que je n'oublie pas, orchestrée par
Pierre Autin-Grenier, les mots sont encore dans ma chair et petit à petit se diffuse dans mon âme, c'est comme si je pouvais discuter avec l'auteur et devenir l'un de ces personnages, le temps fugace d'une nouvelle, puis revenir à mon existence et aller suivre un autre auteur dans une autre aventure prosaïque.
Pierre Autin-Grenier cite,
Fernando Pessoa avec les premiers vers de son recueil de poèmes Bureau de tabac, ces quatre lignes expriment l'esprit de ces nouvelles, sa solitude, l' hermétisme à son talent, de ce néant qui l'habite, où fleure en lui la beauté du monde,
Michel Houellebecq avec cet aphorisme si pessimisme sur la peur du bonheur, il n'existe pas, dans
Rester vivant, Raoul Vaneigen sur l'humanité devenu cupide, vendant son génie, ignorant la nature et ces animaux qui la peuplent, notre auteur va à travers ces 23 nouvelles, distiller ces états d'âmes avec une savoureuse légèreté, un décalage amusant, une férocité troublante, une perditance désarçonnante, un humour noir piquant, une douceur d'âme attachante, quelque fois la futilité d'une journée devient une émotion qui vient titiller les votre, une sensation s'émerge de nous pour faire jaillir des souvenirs, des sensations, des odeurs, des musiques, des images, des tableaux perdus au fin fond de notre mémoire universelle , ce partage réveille la source qui bouillonne nos humeurs , le je, le nous, le vôtre, le nôtre, tous s'unissent dans un même langage, je deviens le je du narrateur, pour partager ces instants et les vivre, en y juxtaposant les miens.
Je voulais vous perdre dans ces 23 proses, les décrire une à une, comme si j'énumérais les 26 lettres de l'alphabet, une suite qui va au fil de la lecture s'évaporer dans le fil de l'oubli, de l'ennui pour certain, de la lourdeur d'un bon camembert gras et coulant, vous restant au coeur de l'estomac, ou cette andouillette que j'ai déjà nommé, celle cuisinée par le narrateur. Il y a la cuisine qui vient chatouiller les narines des fins gourmets dont je fais partie, l'épicurien, l'hédoniste qu'aime être notre acteur de ces 23 nouvelles, comme dans la première , Je n'ai pas grand-chose à dire en ce moment au titre assez long, un homme noircissant à longueur de journée un carnet qu'il amène partout, notant tout et tout, puis s'oubliant derrière cette manie de tout vouloir coucher sur ces carnets et à en oublier de parler avec sa femme qui lui en fait la remarque le soir avant de se coucher, lui ayant erré toute la journée à se pose la question de ces carnets pour écrire des voeux à tout son répertoire, dans ce mois d'Août, au prix de timbres assez couteux, voilà comment débute ce livre par cette farce, cette ironie assez diffuse, ces questions de soi, de savoir qui sommes-nous, que faisons-nous, ces questions peuplent notre esprit, le sien, comme dans la deuxième nouvelle , Des nouvelles du temps, la pluie s'invite comme un prospectus sur un voyage à Sydney et le voyage vagabonde en soi, en lui, pour être précis, faisant sourire sa femme, l'invitant même au voyage de l'amour avec son sourire, pour attendre sous les draps, dessus aussi la fin de la pluie dans cette chambre basse, petite. La troisième est si souriante de cette humour noire ; Poème du cancer des bronches, le titre est déjà une invitation à le lire, la mort s'amuse, le cancer en casaque de soie rose à pois vert, toque noire, perd une nouvelle fois sa course face à la vie du poète, mais pour combien temps encore cette défaite du cancer, celui-ci a déjà un poème ! Je vous ai donné surement l'eau à la bouche avec cette mise en bouche, les vingt qui suivent sont d'une sensibilité toujours amusante, avec en toile de fond, une noirceur de la vie, la mort, la solitude, l'ennui, la maladie, la séparation, la société gangréneuse, la tribu semeuse de mensonge de groupe, le racisme…Beaucoup de thèmes s'entremêlent et se superposent avec ceux plus joyeux, de la musique, de la littérature, de la cuisine, de l'amour, de l'amitié, de la nature, du temps qui passe, de l'oisiveté, de la paresse, de la tranquillité, de la solitude constructive ou pas, ces 23 nouvelles n'ont donné beaucoup de plaisir, comme je le dis souvent, la vie est courte , les plaisirs sont sans fin, je vais vers ces plaisirs qui m'habitent et je les savoure sans modération.
Merci Monsieur Pierre Autin-Grenier avec votre
Toute une vie bien ratée.