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Pierre Gascar (Préfacier, etc.)Roger Pierrot (Éditeur scientifique)
EAN : 9782070316236
512 pages
Gallimard (28/05/2004)
3.64/5   956 notes
Résumé :
Dans les premiers jours de l'an VIII, au Commencement de Vendémiaire, ou, pour se conformer au calendrier actuel, vers la fin du mois de septembre 1799, une centaine de paysans et un assez grand nombre de bourgeois, partis le matin de Fougères pour se rendre à Mayenne, gravissaient la montagne de la Pèlerine, située à mi-chemin environ de Fougères à Ernée, petite ville où les voyageurs ont coutume de se reposer.


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Critiques, Analyses et Avis (71) Voir plus Ajouter une critique
3,64

sur 956 notes
C'est une belle surprise que ce roman De Balzac! Une tension continue au gré des affrontements et des troubles passionnés entre les protagonistes!

A 28 ans, Balzac signe son premier roman, avec des aventures à la Walter Scott ("Ivanohé") ou à la façon de Fenimore Cooper( auquel Balzac se réfère souvent en comparant les Bretons à des Mohicans!).

Il s'empare donc d'un genre, le roman historique, avec les dernières batailles entre les Chouans (des Royalistes) et les Républicains dans la région de Fougères.
Il s'empare surtout de la géographie des lieux et emmène le lecteur sur des routes et des sentiers peu sûrs, semés d'embûches, où l'on peut tendre des embuscades!

C'est un roman qui porte la fougue de la jeunesse de son auteur avec cette recherche d'action permanente mais étonnamment maîtrisé sur 340 pages.

J'ai été séduit par la principale héroïne, Marie de Verneuil, qui dépassera en courage bien de ses concitoyens. Et celui que l'on appellera " le Gars" , le chef des Chouans a tout du chevalier sans peur mais c'est un ennemi à abattre pour Corentin, l'espion au service de Fouché, et Hulot, l'officier bougon au service de Madame de Verneuil, et du premier consul.

Même en dépit des remarques incisives et désobligeantes sur les Bretons de cette
région, que j'attribue à de la méconnaissance et au mépris de cette culture, et je mets donc mon chauvinisme de côté pour applaudir le jeune Balzac qui nous a délivré là un splendide roman d'aventures!
Guérilla, noces de sang. Envoûté!



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J'ai beaucoup aimé ce roman, pourtant oublié longtemps sur mes étagères - me faisait-il peur ? J'avais essayé de le lire et n'étais pas allée très loin dans ma lecture. Je ne suis pas non plus fan de l'esprit vendéen, royaliste, religieux... Et pourtant !

Balzac nous met dans l'ambiance dès le début du roman, en nous relatant une escarmouche entre Chouans bretons - car il s'agit des Bretons bien plus que des Vendéens, qui sont présents seulement lors d'une réunion de chefs pour s'allier - et soldats de la République, les Bleus. Les deux camps sont menés par des chefs valeureux : le commandant Hulot pour les Républicains, vieux soldat aimé de ses hommes, attaché à eux, intelligent et posé, qui ne fait pas de cinéma, mais fait son travail honnêtement ; en face, le Gars, un jeune émigré arrivé d'Angleterre pour mener des troupes disparates, un idéaliste plein de courage, de panache. Les Chouans ont l'avantage du terrain, et mènent une sorte de guerilla, se reconnaissant au fameux hululement de la chouette, signal qui leur donne leur nom ("chuin"). Au milieu de la mêlée ne tarde pas à arriver Marie de Verneuil, une espionne envoyée pour séduire puis trahir le Gars.

Ajoutez à cela une femme qui vit dans l'entourage du marquis de Montauran et fait les quatre cents coups avec lui, Madame du Gua, surnommée "la Grande Garce", se faisant parfois passer pour sa mère, mais dont la possessivité ne trompe pas. Dépitée qu'il soit attiré par Marie, qu'elle craint et méprise, elle n'a pas l'intention de laisser sa rivale l'emporter, d'autant plus qu'elle subodore une trahison. Mais Marie de Verneuil est un véritable ouragan, elle ne craint rien, brave mille dangers, jouant au chat et à la souris avec le Gars, sans qu'on sache, ni elle-même, si en définitive elle lui sera loyale. Elle est passionnée, menée par son caractère emporté, hautain - mais ils sont jeunes et le hasard les met en présence, les sépare, jusqu'à enflammer les coeurs et précipiter les événements.

Derrière eux, les Bleus et les Chouans vêtus de peaux de bique, mènent des batailles au sein de la rude géographie bretonne. Des scènes font vibrer les pages, qu'il s'agisse d'une messe dans un paysage fantastique de rochers abrupts, ou d'une réunion secrète dans un manoir délabré entouré d'étangs saumâtres, ou encore de pièces secrètes derrière un manteau de cheminée... Les personnages secondaires sont attachants, surprenants, hauts en couleur : ils ont leurs défauts et leurs qualités, sont grotesques ou héroïques, parfois les deux, comme les Chouans Marche-à-terre, Pille-Miche ou Galope-chopine. Balzac ne prend jamais parti, il nous montre des hommes durs qui avant tout défendent leurs terres, leur idée de la nation, leurs rites religieux.

Je ne parle même pas de la langue De Balzac, qui est sublime : c'est un peintre qui peut tout montrer, je n'ai jamais vu faire ça à ce point avec des mots. Même dans les descriptions j'étais captivée, par exemple les scènes autour de la ville de Fougère, avec le brouillard qui envahit tout, sur fond de feu de genêts, ou dans les champs barrés d'échaliers, petits et enclos, le siège de la chaumière de Galope-chopine dans une campagne figée par le givre... On parle des fameuses descriptions de 30 pages, qu'on ose ou non sauter, mais moi non, surtout pas : je veux me promener, habiter dans ses pages et tout regarder, humer autour de moi.

C'est presque un coup de coeur, comme chacune de ses oeuvres pourrait l'être, mais c'est aussi encore une préfiguration de l'auteur qu'il sera par la suite. Peut-être ai-je un peu moins aimé le fond militaire du récit, peut-être certains passages manquaient-ils de préparation, de justification psychologique, j'avais parfois l'impression de passer du coq à l'âne. Les virevoltes affectives de Marie m'agaçaient un peu, je n'arrivais pas toujours à la comprendre, elle a beaucoup d'orgueil et se dessert elle-même, comme elle met en danger ceux qu'elle aime. C'est toutefois un roman à la Walter Scott, plein d'effets aventureux, de rebondissements, je m'y suis bien laissée prendre.
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En 1799, sous le Directoire/Consulat, comme Hoche n'a pas tout-à-fait éteint le feu breton en 1795 à Quiberon, la guérilla est relancée par les Chouans avec Dieu, le roi, les prêtres, les émigrés, contre les Bleus.
.
Marche-à-Terre, Pille-Miche, Galope-Chopine, Mène-à-Bien sont les noms de guerre des Chouans de Balzac à Fougères.
Mais les héros de cette histoire sont Marie de Verneuil, espionne en jupons envoyée par le terrible ministre Fouché, contre le marquis Alphonse de Montauran, dit "Le Gars", émigré débarqué d'Angleterre pour commander la révolte des Chouans.
Mais la passion vient se mêler au devoir :
c'est Corneille dans les bocages ;
c'est le jeu de l'amour et de la perfidie :
c'est Beaumarchais dans les ajoncs.
.
Ça commence par la bataille de la Pellerine, un ralenti de 35 pages ;
puis il y a le dîner du " jeu de qui est qui ?" ;
la promenade est une lutte amoureuse ;
la réception-trahison au château la Vivetière ;
la vengeance de la femme trahie....
Tous ces événements se déroulent sur dix jours, avec plein de rebondissements, entre les jurons du commandant Hulot, les ruses du renard Corentin, les doutes de Marie, ceux d'Alphonse, les déplacements félins de Marche-à-Terre ou Pille-Miche...
.
Hugo & Balzac ;
Quatre-vingt-treize & Les Chouans ;
La Bretagne, la Vendée, la Normandie ;
1793 & 1799 ;
le marquis de Lantenac chez Hugo & le marquis de Montauran chez Balzac ;
j'ai lu les deux, ils m'ont autant "aspiré" : )
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Pour avoir appris à percer l'univers De Balzac, je me suis parfaitement concilié avec la comédie humaine, véritable étude de l'homme et de ses mœurs, une étude qui s"étend sur plusieurs horizons allant de la philosophie à la politique, de la religion aux finances, et surtout elle nous livre la vie du XIXe siècle par des satires sociales. Mais, en lisant Les Chouans, c'est un autre Balzac qui se révèle plutôt que ce traqueur des mœurs parisiennes. Ici, il nous fait courir à travers la campagne, il nous époustoufle avec cette atmosphère de guerre, de révolte, de rage, de tactique et stratégie, il nous subjugue avec cette manière d'exploiter l'histoire des vendéens déterminés à rester royalistes, décidés à faire la guerre aux révolutionnaires sanguinolents avec beaucoup de dynamisme...et quelle courageuse et tragique histoire d'amour! Je découvre que c'est son premier roman . Hé oui, avant que le patriarche n'ait pu se fabriquer un langage, un genre à propre à lui, il fallait bien qu'il subisse de l'influence extérieure. Parce que Les Chouans, ça respire beaucoup du Walter Scott, un peu trop philosopher, quand même! C'est vrai que ça m'a pris trois semaines pour finir ce livre, mais je l'ai bien savouré!!!
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Pour lire Balzac, deux chemins principaux peuvent être empruntés. Celui qu'il a lui même tracé en classifiant ses ouvrages au sein du grand ensemble qu'est la Comédie Humaine. Ou, comme pour tous les auteurs, la voie chronologique, en partant du premier ouvrage écrit.

J'avais d'abord choisi cette seconde manière, il y a bien longtemps, quand j'ai voulu m'attaquer au monument qu'est l'oeuvre globale de cet auteur et je m'étais donc attelé à la lecture des Chouans, premier roman officiel De Balzac. J'avais vite abandonné ma lecture, lassé d'emblée par une scène d'exposition lourde et longue. Plus tard j'ai ensuite repris ma lecture en prenant l'ordre balzacien, qui m'a plus convenu.

Pour répondre au critère d'un challenge littéraire, j'ai fait une entorse à ce choix et me suis donc ré attelé à la lecture des Chouans, avec évidemment l'appréhension de ma jeunesse déçue. Je me suis rendu vite compte de mon impatience passée, la scène d'entame n'étant finalement pas si terrible.

On dit que Balzac a un peu renié ses romans de jeunesse, qu'il les considère moins réussi que les suivants, les grandes oeuvres qui font la base de la Comédie Humaine, tels Illusions perdues, le Lys dans la Vallée ou le Père Goriot. Je pense avoir compris ce que Balzac y renie, ce côté roman d'aventures, mêlant amour, combat, honneur.

Mais il a tort de minimiser la valeur de cette oeuvre, car on trouve déjà, parmi tous ces rebondissements, la patte de l'auteur plus mur qu'il deviendra. La peinture de son époque, des caractères des personnages, des moeurs de son temps est tout aussi précieuse ici que dans d'autres livres de la grande oeuvre. le divertissement qu'offre les péripéties intermédiaires ne vient pas atténuer cette valeur... Elle peut au contraire séduire un plus grand nombre de lecteurs, et aurait dû intéresser mon "moi" plus jeune, si j'avais eu plus de persévérance...
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Citations et extraits (102) Voir plus Ajouter une citation
[...] ... A cette saillie, qui n'était pas sans fondement, Hulot lui-même ne put s'empêcher de partager l'hilarité générale. En ce moment, Merle avait achevé de faire ensevelir les morts, et les blessés avaient été, tant bien que mal, arrangés dans deux charrettes par leurs camarades. Les autres soldats, rangés d'eux-mêmes sur deux files le long de ces ambulances improvisées, descendaient le revers de la montagne qui regarde le Maine, et d'où l'on aperçoit la belle vallée de la Pèlerine , rivale de celle du Couësnon. Hulot, accompagné de ses deux amis, Merle et Gérard, suivit alors lentement ses soldats, en souhaitant d'arriver sans malheur à Ernée, où les blessés devaient trouver des secours. Ce combat, presque ignoré au milieu des grands événements qui se préparaient en France, prit le nom du lieu où il fut livré. Cependant, il obtint quelque attention dans l'Ouest, dont les habitants, occupés de cette seconde prise d'armes y remarquèrent un changement dans la manière dont les Chouans recommençaient la guerre. Autrefois, ces gens-là n'eussent pas attaqué des détachements si considérables. Selon les conjectures de Hulot, le jeune royaliste qu'il avait aperçu devait être le Gars, nouveau général envoyé en France par les princes, et qui, selon la coutume des chefs royalistes, cachait son titre et son nom sous un de ces sobriquets appelés noms de guerre. Cette circonstance rendait le commandant aussi inquiet après sa triste victoire qu'au moment où il soupçonna l'embuscade, il se retourna à plusieurs reprises pour contempler le plateau de la Pèlerine qu'il laissait derrière lui, et d'où arrivait encore, par intervalles, le son étouffé des tambours de la garde nationale qui descendait de la vallée du Couësnon en même temps que les Bleus descendaient dans la vallée de la Pèlerine.

- "Y a-t-il un de vous," dit-il brusquement à ses deux amis, "qui puisse deviner le motif de l'attaque des Chouans ? Pour eux, les coups de fusil sont un commerce, et je ne vois pas encore ce qu'ils gagnent à ceux-ci. Ils auront au moins perdu cent hommes, et nous," ajouta-t-il, en retroussant sa joue droite et en clignant des yeux pour sourire, "nous n'en avons pas perdu soixante. Tonnerre de Dieu ! Je ne comprends pas la spéculation. Les drôles pouvaient bien se dispenser de nous attaquer, nous aurions passé comme des lettres à la poste, et je ne vois pas à quoi leur a servi de trouer nos hommes." Et il montra, par un geste triste, les deux charrettes de blessés. ""Ils auront peut-être voulu nous dire bonjour," ajouta-t-il.

- Mais, mon commandant, ils y ont gagné nos cent-cinquante serins," répondit Merle.

- Les réquisitionnaires auraient sauté comme des grenouilles dans le bois que nous ne serions pas allés les y repêcher, surtout après avoir essuyé une bordée," répliqua Hulot. "Non, non," reprit-il, "il y a quelque chose là-dessous." Il se retourna encore vers la Pèlerine. "Tenez," s'écria-t-il, voyez ?"

Quoique les trois officiers fussent déjà éloignés de ce fatal plateau, leurs yeux exercés reconnurent facilement Marche-A-Terre et quelques Chouans qui l'occupaient de nouveau.

- "Allez au pas accéléré !" cria Hulot à sa troupe, "ouvrez le compas et faites marcher vos chevaux plus vite que ça. Ont-ils les jambes gelées ? Ces bêtes-là seraient-elles aussi des Pitt et Cobourg ?"

Ces paroles imprimèrent à la troupe un mouvement rapide.

- "Quant au mystère dont l'obscurité me paraît difficile à percer, Dieu veuille, mes amis," dit-il aux deux officiers, "qu'il ne se débrouille point par des coups de fusil à Ernée. J'ai bien peur d'apprendre que la route de Mayenne nous est encore coupée par les sujets du roi." ... [...]
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— Mademoiselle, dit-il avec une émotion mal déguisée, êtes-vous fille ou femme, ange ou démon ?
— Je suis l’un et l’autre, reprit-elle en riant. N’y a-t-il pas toujours quelque chose de diabolique et d’angélique chez une jeune fille qui n’a point aimé, qui n’aime pas, et qui n’aimera peut-être jamais ?
— Et vous trouvez-vous heureuse ainsi ? ... dit-il en prenant un ton et des manières libres, comme s’il eût déjà conçu moins d’estime pour sa libératrice.
— Oh ! heureuse, reprit-elle, non. Si je viens à penser que je suis seule, dominée par des conventions sociales qui me rendent nécessairement artificieuse, j’envie les privilèges de l’homme. Mais, si je songe à tous les moyens que la nature nous a donnés pour vous envelopper, vous autres, pour vous enlacer dans les filets invisibles d’une puissance à laquelle aucun de vous ne peut résister, alors mon rôle ici-bas me sourit ; Puis, tout à coup, il me semble petit, et je sens que je mépriserais un homme, s’il était la dupe de séductions vulgaires. Enfin tantôt j’aperçois notre joug, et il me plaît, puis il me semble horrible et je m’y refuse ; tantôt je sens en moi ce désir de dévouement qui rend la femme si noblement belle, puis j’éprouve un désir de domination qui me dévore. Peut-être, est-ce le combat naturel du bon et du mauvais principe qui fait vivre toute créature ici-bas. Ange ou démon, vous l’avez dit. Ah ! Ce n’est pas d’aujourd’hui que je reconnais ma double nature. Mais, nous autres femmes, nous comprenons encore mieux que vous notre insuffisance. N’avons-nous pas un instinct qui nous fait pressentir en toute chose une perfection à laquelle il est sans doute impossible d’atteindre. Mais, ajouta-t-elle en regardant le ciel et jetant un soupir, ce qui nous grandit à vos yeux...
— C’est ? ... dit-il.
— Eh ! bien, répondit-elle, c’est que nous luttons toutes, plus ou moins, contre une destinée incomplète.
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À droite et à gauche, d’énormes rochers de granit, posés les uns sur les autres, offraient de bizarres configurations. À travers ces blocs, d’immenses racines semblables à de gros serpents se glissaient pour aller chercher au loin les sucs nourriciers de quelques hêtres séculaires. Les deux côtés de la route ressemblaient à ces grottes souterraines, célèbres par leurs stalactites. D’énormes festons de pierre, où la sombre verdure du houx et des fougères s’alliait aux taches verdâtres ou blanchâtres des mousses, cachaient des précipices et l’entrée de quelques profondes cavernes. Quand les trois voyageurs eurent fait quelques pas dans un étroit sentier, le plus étonnant des spectacles vint tout à coup s’offrir aux regards de Mlle de Verneuil, et lui fit concevoir l’obstination de Galope-chopine.
Un bassin demi-circulaire, entièrement composé de quartiers de granit, formait un amphithéâtre dans les informes gradins duquel de hauts sapins noirs et des châtaigniers jaunis s’élevaient les uns sur les autres en présentant l’aspect d’un grand cirque, où le soleil de l’hiver semblait plutôt verser de pâles couleurs qu’épancher sa lumière et où l’automne avait partout jeté le tapis fauve de ses feuilles séchées. Au centre de cette salle qui semblait avoir eu le déluge pour architecte, s’élevaient trois énormes pierres druidiques, vaste autel sur lequel était fixée une ancienne bannière d’église. Une centaine d’hommes agenouillés, et la tête nue, priaient avec ferveur dans cette enceinte où un prêtre, assisté de deux autres ecclésiastiques, disait la messe. La pauvreté des vêtements sacerdotaux, la faible voix du prêtre qui retentissait comme un murmure dans l’espace, ces hommes pleins de conviction, unis par un même sentiment et prosternés devant un autel sans pompe, la nudité de la croix, l’agreste énergie du temple, l’heure, le lieu, tout donnait à cette scène le caractère de naïveté qui distingua les premières époques du christianisme. Mlle de Verneuil resta frappée d’admiration. Cette messe dite au fond des bois, ce culte renvoyé par la persécution vers sa source, la poésie des anciens temps hardiment jetée au milieu d’une nature capricieuse et bizarre, ces Chouans armés et désarmés, cruels et priant, à la fois hommes et enfants, tout cela ne ressemblait à rien de ce qu’elle avait encore vu ou imaginé. Elle se souvenait bien d’avoir admiré dans son enfance les pompes de cette église romaine si flatteuses pour les sens ; mais elle ne connaissait pas encore Dieu tout seul, sa croix sur l’autel, son autel sur la terre ; au lieu des feuillages découpés qui dans les cathédrales couronnent les arceaux gothiques, les arbres de l’automne soutenant le dôme du ciel ; au lieu des mille couleurs projetées par les vitraux, le soleil glissant à peine ses rayons rougeâtres et ses reflets assombris sur l’autel, sur le prêtre et sur les assistants.
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Les Chouans jetèrent autour d'eux des regards effaré. Ces hommes, si braves sous la bouche meurtrière des canons, ne tenaient pas devant un esprit.
Pille-miche seul écoutait sans distraction la confession que des douleurs croissantes arrachaient à sa victime.
- Cinq cents écus, oui, je les donne, disait l'avare.
- Bah ! Où sont-ils ? lui répondit tranquillement Pille-miche.
- Hein, ils sont sous le premier pommier. Sainte Vierge ! au fond du jardin, à gauche... Vous êtes des brigands.., des voleurs... Ah ! je meurs.., il y a là dix mille francs.
- Je ne veux pas des francs, reprit Marche-à-terre, il nous faut des livres. Les écus de ta République ont des figures païennes qui n'auront jamais cours.
- Ils sont en livres, en bons louis d'or. Mais défiez-moi, déliez-moi, vous savez où est ma vie.., mon trésor.
Les quatre Chouans se regardèrent en cherchant celui d'entre eux auquel ils pouvaient se fier pour l'envoyer déterrer la somme. En ce moment, cette cruauté de cannibales fit tellement horreur à mademoiselle de Verneuil, que, sans savoir si le rôle que lui assignait sa figure pâle la préserverait encore de tout danger, elle s'écria courageusement d'un son de voix grave :
- Ne craignez-vous pas la colère de Dieu ? Détachez-le, barbares !
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- Jamais les Chouans n'ont eu de chef plus cruel que celui-là, s'il faut
ajouter foi aux bruits qui courent sur lui, dit-elle en s'adressant à la fois à
Francine et à sa maîtresse.
- Oh ! pour cruel, je ne crois pas, répondit mademoiselle de Verneuil ; mais
il sait mentir et me semble fort crédule : un chef de parti ne doit être le
jouet de personne.
- Vous le connaissez ? demanda froidement le jeune émigré.
- Non, répliqua-t-elle en lui lançant un regard de mépris, je croyais le
connaître...
- Oh ! mademoiselle, c'est décidément un malin, reprit le capitaine en
hochant la tête, et donnant par un geste expressif la physionomie
particulière que ce mot avait alors et qu'il a perdue depuis. Ces vieilles
familles poussent quelquefois de vigoureux rejetons.
Il revient d'un pays où les ci-devant n'ont pas eu, dit-on, toutes leurs aises,
et les hommes, voyez-vous, sont comme les nèfles, ils mûrissent sur la
paille. Si ce garçon-là est habile, il pourra nous faire courir longtemps. Il a
bien su opposer des compagnies légères à nos compagnies franches et
neutraliser les efforts du gouvernement. Si l'on brûle un village aux
Royalistes, il en fait brûler deux aux Républicains. Il se développe sur une
immense étendue, et nous force ainsi à employer un nombre considérable
de troupes dans un moment où nous n'en avons pas de trop ! Oh ! il entend
les affaires.
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Vidéo de Honoré de Balzac
Balzac, colosse des lettres, buvait café sur café, travaillait des journées entières et dormait trop peu. Il finit par s'épuiser de tant d'énergie dépensée et meurt en 1850, à seulement 51 ans.
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