C'est l'histoire simple du colonel Chabert, mort à Eylau dit-on, enterré sous des morceaux de cadavres, et qui, échappé par miracle à une mort qu'on a cru certaine, ne parvient plus à prouver son existence lorsqu'il revient en France.
Mais ce malheureux, pauvre et méconnu, a du moins le bonheur de rencontrer un avoué (avocat), Monsieur Derville, parfaitement sensible, laborieux, qui aura la patience d'écouter et surtout de croire à ce récit invraisemblable.
Le colonel Chabert a laissé en France son épouse, qui a contracté un second mariage, au mépris des lettres par lesquelles il prévenait de son existence et de ses malheurs. Or, la comtesse Chabert, devenue comtesse Ferraud, est aussi la cliente de Derville, donc l'avocat connait très bien la situation personnelle de la comtesse, ce qui aura son importance.
Toute l'originalité du roman réside dans ce contraste entre l'honneur blessé du colonel Chabert qui ne réclame qu'un minimum de reconnaissance et la comtesse qui jouit impunément des richesses que lui a procurées
le colonel Chabert dans l'indignité la plus totale.
Elle a hérité de tout suite au « décès » du Colonel Chabert. Riche veuve et représentante de la noblesse d'Empire, son ambition grandit par le désir de se marier au comte Ferraud, pourquoi ? Non pour accroître davantage ses richesses ; le comte est fauché, mais uniquement pour profiter de son titre d'ancienne noblesse ; la « vraie » noblesse, pas la fausse et nouvelle noblesse d'Empire.
Le second mariage réussi, la comtesse a désormais un ticket d'entrée dans les salons nobles du faubourg
Saint-Germain ; elle pouvait « entrer dans cette société dédaigneuse qui malgré son abaissement, dominait la cour impériale ». Comble du bonheur, ce type de mariage hybride plait fortement à Napoléon qui voit tellement d'un bon oeil le rapprochement entre la noblesse d'Empire et l'ancienne noblesse (c'est bon pour sa politique) qu'il va jusqu'a restituer les droits de succession que le Fisc avait prélevé à l'occasion du décès du Colonel Chabert.
Réjouissance une fois encore sous la restauration, cette fois-ci c'est le comte Ferraud qui se voit attribuer une place de conseiller d'Etat près de Louis XVIII, qui d'ailleurs lui restitue quelques biens que la famille du comte avait perdu en émigrant pendant la Terreur. le couple gagne alors sur tous les tableaux…
L'avocat perçoit toutefois une faille dans ce couple idyllique : la comtesse n'avait pas usé de son influence auprès de Louis XVIII afin que le comte Ferraud soit nommé pair de France (équivalent de député à l'époque) ; et être pair de France, c'est un peu le haut du sommet social à l'époque en quelque sorte.
L'argent ne suffit pas à l'égo, il lui faut non seulement de l'argent, de la reconnaissance (les salons) et le pouvoir (pair de France). Il lui manquait donc l'aspect « pouvoir » de l'égo qu'il n'avait pas assez à son goût.
Le comte Ferraud pourrait alors, en cas de procès engagé par l'avocat, hésiter à défendre son épouse, voire la laisser chuter dans les mains du procès, car l'annulation du mariage pourrait l'arranger en ce qu'il pourrait se remarier avec une fille unique d'un vieux pair de France. Oui car à l'époque la pairie était héréditaire, quand un pair de France décédait, cela se transmettait, ; si donc le pair n'a qu'une fille unique, la transmission s'opérait de plein droit à l'époux de la fille unique… Et c'est ce vicieux stratagème que pourrait viser le comte Ferraud dont l'âme est autant corrompue que la comtesse… L'avocat va donc jouer sur ce pied au moment où il transigera avec la comtesse, en lui disant qu'elle aura peu d'appui du côté de son second époux en cas de procès, ce qui l'incite donc à transiger.
Tout se déroule à merveille lorsque
le colonel Chabert, en pleine transaction discrète entre l'avocat et la comtesse à huit clos, ne peut s'empêcher de paraître brusquement en colère devant la comtesse qui le revoit pour la première fois. La comtesse le reconnait à peine, elle sait que c'est bien lui en tant qu'épouse, mais aux yeux du public, il est méconnaissable (il a mal vieilli et porte une horrible cicatrice au visage). Cela rebat en quelque sorte les cartes de la transaction, la menace lui semble moins réelle au vu du physique dégradé du colonel.
Aussi sournoise qu'intelligente, elle isole
le colonel Chabert dans une splendide maison de Campagne et sous des décors de théâtre, joue à merveille de ses émotions pour obtenir une renonciation du colonel à engager des poursuites. le faible et valeureux colonel accepte. La comtesse fait intervenir son avocat pour signer tout ce qu'il faut pour une renonciation mais des propos égarés de l'avocat et entendus par le colonel lui fait comprendre qu'il s'agit d'un complot et non d'une proposition sincère.
Au sommet de l'écoeurement, le colonel préfère préfère passer le reste de ses jours dans un hospice de vieillesse sans rien demander tout en exprimant son mépris le plus total à la comtesse. La comtesse a donc gagné mais perdu totalement son honneur, sa réputation publique reste cependant intacte…
Même l'avocat restera profondément imprégné de cette histoire qui lui laissera le plus profond dégoût de la société parisienne.
Un peu de politique, d'histoire, de vanités, de faux-semblant, d'honneur en jeu, une fine analyse des personnages…
Balzac nous régale en si peu de pages, le roman peut s'avaler en une demi-journée sans aucune fatigue. Les faits sont originaux et marquants si bien que le roman a connu beaucoup d'adaptations.