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Guy Dupré (Préfacier, etc.)
EAN : 9782268052496
290 pages
Les Editions du Rocher (21/04/2005)
3.53/5   57 notes
Résumé :
" Il est des lieux où souffle l'esprit... Il est des lieux qui tirent l'âme de sa léthargie, des lieux enveloppés, baignés de mystère, élus de toute éternité pour être le siège de l'émotion religieuse... La Lorraine possède un de ces lieux inspirés. " C'est à Sion-Vaudémont, qu'à la fin du XIXe siècle trois prêtres, les frères Baillard, fondèrent une mission pour insuffler une vie spirituelle nouvelle. Propageant la foi, relevant de leurs ruines chapelles et monastè... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (15) Voir plus Ajouter une critique
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« Il est des lieux où souffle l'esprit… Combien de fois, au hasard d'une heureuse et profonde journée, n'avons-nous pas rencontré la lisière d'un bois, un sommet, une source, une simple prairie, qui nous commandait de faire taire nos pensées et d'écouter plus profond que notre coeur ! Silence ! les Dieux sont ici. »
Pour Maurice Barrès, la colline de Sion est un de ces lieux qui soulève l'âme. Il raconte l'histoire vraie des frères Baillard, trois prêtres, qui ont entrepris de réhabiliter un pèlerinage dédié à la vierge qui se passait depuis des temps immémoriaux sur cette colline mythique. Leur rencontre avec le prêtre excommunié Vintras, hérésiarque et prophète illuminé, fait de Notre Dame de Sion un bastion de l'hérésie «Vintrasiène», et met les trois frères au ban de la religion catholique. Disons-le honnêtement : l'affreux mécréant que je suis n'a pas tout capté. Les angoisses existentielles des trois frères, les charlataneries de Vintras, les papillonnements et autres tressaillements des bonnes soeurs m'ont franchement laissé de marbre.
Mais il y a une chose qui m'a retenu dans ce livre : la manière dont Maurice Barrès décrit les paysages de sa Loraine natale, dont il parle de ses racines, de sa terre, des arbres et du vent. C'est sublime ! C'est flamboyant !
Arrivé poussivement au milieu de ce fichu livre, je me suis juré que si je parvenais à l'achever, j'irai faire un pèlerinage à la colline de Sion. Il ne me reste plus qu'à m'exécuter…
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Que reste-t-il aujourd'hui de Maurice Barrès, de son oeuvre abondante, de son engagement politique (à l'extrême droite la plus cocardière), de la vénération qui l'a entouré ? Bien peu de choses, en fait : quelques pages dans les encyclopédies, un chapitre du Lagarde & Michard. Guère plus.
Pourtant, il a été un temps adulé par toute une génération de jeunes gens, dont certains se sont fait un nom, tels Malraux, Yourcenar ou Bernanos et, quand il meurt, en 1923, l'État n'hésite pas à lui organiser, comme à Victor Hugo, des obsèques nationales...
Il est vrai qu'en ouvrant « La colline inspirée », son livre le plus connu, on est frappé par l'écart qui existe entre cette esthétique et celle de certains de ses jeunes contemporains : le livre est publié en 1913, la même année que « Du côté de Chez Swann », « Alcools » ou « La prose du Transsibérien ». Entre ces livres fondateurs de la modernité et le roman de Barrès, la comparaison est écrasante : loin des audaces de ses cadets, c'est plutôt du côté De Chateaubriand et d'un certain romantisme incantatoire et suranné, que lorgne l'écrivain national.
Il n'empêche que, même pour un lecteur d'aujourd'hui, le roman de Barrès ne manque pas d'intérêt. Centré sur un « lieu de mémoire » lorrain, la colline de Sion-Vaudémont, où les Celtes vénéraient Wotan et Rosmerta, et où la religion catholique a imposé le culte de la Vierge, « La colline inspirée » raconte le destin véridique de trois prêtres, les frères Baillard, bien décidés à en découdre avec le rationalisme façon Lumières. Ils restaurent le vieux sanctuaire, y organisent des pèlerinages, raniment la ferveur populaire… jusqu'au jour où ils croisent le chemin de Vintras, un illuminé comme il y en avait tant dans la seconde moitié du XIXè siècle : « … on ne rêvait que miracles et prophéties, raconte Barrès ; plusieurs voyants annoncèrent le règne de l'Antéchrist et la fin du monde ; d'autres, au contraire, le triomphe définitif du grand Roi et du grand Pape... »
Vintras est des premiers, qui prédit l'« année noire », la disparition d'une grande partie de l'humanité, sa régénération grâce aux prières d'une poignée d'élus… Pour les malheureux Baillard commence alors une longue descente aux enfers, qui va faire d'eux des parias : rejetés par leur hiérarchie et leurs paroissiens, puis excommuniés, ils sont bientôt réduits à prêcher dans le désert.
Au-delà de cette histoire, qui interroge les racines du sentiment religieux (cette soif d'irrationnel et de merveilleux qui forme le substrat de la ferveur populaire), ce que met en scène le roman de Barrès c'est la revendication d'un culte et d'une culture autochtones face à un dogme venu de Rome. Pour les lecteurs de 1913, cette opposition entre Gaulois et envahisseurs romains sonne bien sûr comme un vigoureux coup de clairon, alors qu'une partie de la Lorraine est encore occupée par une puissance étrangère...
Ce qui personnellement m'a le plus intéressé, ce sont moins ces débats d'un autre âge (et vaguement nauséabonds, disons-le) que la plongée quasi documentaire qu'offre ce roman dans la France de la seconde moitié du XIXè siècle ; une France villageoise, groupée autour de l'église et du curé (mais où le sorcier a encore son mot à dire), et vivant au rythme lent des attelages et des saisons.
Une curiosité, baignée par la lumière sépia des très anciennes photographies.
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« La colline inspirée ». Ce roman, publié en 1913 décrit l'affrontement de deux mouvements religieux : le courant illuminé des "vintrasiens" et le courant plus traditionnel des fidèles à Rome. le premier, tenant sa raison d'être de la colline de Sion en terre lorraine, symbolise la liberté ainsi que la fidélité aux "racines". le second, tenant sa raison d'être de Rome et de l'évêque de Nancy, symbolise l'ordre et la soumission à l'autorité.

Malgré la folie dans laquelle tombe Léopold et malgré la victoire de l'Église par sa rétractation, Maurice Barrès refuse de trancher entre l'ordre et la liberté. Il donnera son sentiment dans les dernières lignes en rappelant l'opposition entre la chapelle (l'ordre) et la prairie (l'enthousiasme) en montrant combien elles nous sont indispensables toutes deux.

Un remarquable ouvrage, reconnu plus tard comme un ouvrage majeur par son intégration dans la « liste des meilleurs romans du demi siècle » ; néanmoins à conseiller aux amateurs de belle prose académique début XX ème...

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Il est des romans dont l'incipit, ou même les premières pages, capturent immédiatement le lecteur, et semblent laisser profondément leur trace en sa mémoire. La colline inspirée est de ceux-là. Un à un, les grands monuments de France sont cités. Loin de leurs atours touristiques que les guides, les affiches ou encore les spots publicitaires mettent en valeur désormais, ils sont évoqués en un mot, en une phrase, par un Maurice Barrès qui en dresse là un portrait essentiel. Parmi ces monuments, parmi ces lieux, apparaît la colline de Sion-Vaudémont, sise en Lorraine. Là, pour Maurice Barrès, se loge une part de l'âme lorraine, de cette région si fermement française - et d'autant plus lorsque l'on pense que, lorsque Maurice Barrès publie ce roman en 1913, une partie de cette région et l'Alsace toute entière appartient, depuis la défaite de 1870, à l'Allemagne -, de cette ancienne Lotharingie, de cet ancien duché partagé un temps entre la France et la Pologne, de cette région qui, comme d'autres régions françaises, a abrité en son sein une population paysanne humble et pourtant vaillante, et une aristocratie fière et redoutable. La colline de Sion, aussi, se confond avec l'histoire religieuse de la région et du pays. Un sanctuaire dédié à la Vierge y a été bâti. Et, prenant prétexte de l'histoire récente - Barrès indique avoir interrogé certains témoins de l'époque qui, il est vrai, n'est guère éloignée de la période d'écriture -, l'auteur évoque l'histoire des frères Baillard qui, là-haut, insufflèrent un élan de vie et de foi à la colline auparavant abandonnée, et ravagée par la Révolution. Histoire d'une Passion, histoire d'un fait religieux et, il faut bien le dire, examen de cet esprit français dont on devait, quelques mois après la publication de la colline inspirée, se glorifier au moment d'aller combattre l'Allemagne, le roman de Barrès est aussi un livre remarquable, qu'il faut lire pour son style qui fait de la simplicité le vecteur de la grandeur.

C'est l'histoire d'une lutte, d'une ascension et d'une chute. Sous l'impulsion de l'aîné Léopold, François et Quirin Baillard, ordonnés tous trois prêtres, entreprennent de redonner à la colline de Sion sa primauté religieuse. Ils restaurent et rebâtissent une église, forment une communauté vers laquelle les dons affluent. A tel point que l'évêché de Nancy s'en émeut et décide de priver la communauté des dons des fidèles. A la suite de ce premier avertissement, qui conduira les frères Baillard à faire retraite dans un monastère des environs, Léopold prend connaissance de la foi de Vintras, un prêtre normand dont les prêches annoncent la prochaine fin du monde, et sa propre élection par les anges et par Dieu. Conquis spirituellement par cet homme, Léopold Baillard retourne à Sion, y fonde une nouvelle communauté, financée cette fois par les activités de François et Quirin (ce dernier, notamment, se fait négociant en vins de Bourgogne). L'Église, cette fois, dépêche le père Aubry, fervent défenseur de la foi catholique et romaine, qui sera l'ardent opposant de Léopold. Face à la détermination des trois frères, l'Église décide de les excommunier. L'anathème fait fuir les derniers fidèles, et autorise toutes les bassesses, toutes les haines à l'encontre des trois frères. Ceux-ci se dispersent : Quirin choisit la vie paisible, retirée de Sion ; François meurt. Quant à Léopold, sa fidélité à Vintras finit par choir, et celui qui restaura Sion finit par abjurer pour retourner dans le giron de l'Église catholique et romaine à l'heure de sa mort.

Figure centrale du roman, Léopold est une figure paradoxale. Meneur entre tous ses frères, directeur spirituel d'une communauté qui le voit comme un saint homme, il pourrait être qualifié d'illuminé, au sens premier du mot, détaché des basses tâches matérielles pourtant nécessaires à la gestion de son oeuvre. Son autorité, son charisme, cette part inébranlable qui font douter même les prêtres les plus orthodoxes, tel le père Aubry, il les tient de l'étude des textes, dont il fait une lecture radicale. Dieu, par exemple, est Amour, et s'Il est Tout, alors le Malin ne peut être, ni l'Enfer. L'humilité forcée que lui impose l'Église, en lui interdisant les quêtes auprès des fidèles, en fait le lointain descendant des Vaudois, des paysans allemands du seizième siècle, ou bien encore de Luther condamnant la richesse de l'Église. Sa foi, il la tient du dogme catholique, mais aussi de ce Vintras, personnage mystique, dont les transes hallucinées impressionnent l'auditoire. Léopold Baillard en est l'un des apôtres. Ainsi son aura de grand homme, de saint homme, s'oppose à cette seconde place, derrière Vintras, qu'il assume et revendique. Ainsi tire-t-il de sa relation épistolaire avec le prêtre normand une partie de sa consolation lorsqu'il est en exil à Londres durant cinq ans (l'autre partie de sa consolation provient du souvenir de Sion, ravivé par les échanges épistolaires avec son frère François). Apôtre et prophète en même temps, la seconde partie de son chemin est celle de la Passion. Battu, insulté, chassé par celles et ceux qu'il a baptisés, qu'il a communiés, par les enfants de ceux-ci - ainsi le petit-fils de son ami, à peine ordonné prêtre, qui lui demande de ne plus franchir la porte de sa maison -, il voit aussi les siens - à commencer par son frère, Quirin - le trahir, tel Pierre qui renie le Christ. Hérésiarque aux yeux de l'Église, il est celui qui, pourtant, restaura le culte de Sion par son amour pour ce lieu. le père Aubry le reconnaîtra lui-même. Sa foi, son amour, son humilité obligent même ses plus féroces adversaires. Pourtant, c'est bien lui, Léopold Baillard, qui abjure quelques instants avant sa mort. Victoire de l'Église, défaite de l'hérésie ; mais quelle est cette hérésie qui célèbre Dieu, qui restaure la foi des fidèles, qui épouse le message christique d'amour et de pauvreté ?

En bien des points, l'histoire de ces frères est édifiante. Elle dit beaucoup du fait religieux en France, au dix-neuvième siècle. Elle dit d'abord le besoin de foi des populations paysannes, que la liturgie des Baillard stimule et enthousiasme. L'Église, cependant, conserve un très fort pouvoir, particulièrement visible lorsque l'excommunication est prononcée, et qu'alors se déchaînent contre les frères ces violences, hélas bien humaines, et que ne viennent pas tempérer ces hommes qui se disent de foi et qui disent propager un message d'amour. Oubliées les bonnes oeuvres des frères et des soeurs de la communauté. Pourtant, c'est bien encouragés qu'ils cultivèrent la terre et les âmes. Car, comme la terre a besoin d'eau, l'âme, probablement, a besoin d'un secours spirituel. Cette dimension, qu'on pourrait dire religieuse, mais qui en réalité transcende les époques et les dieux qu'on a célébrés sur cette antique terre gauloise (Barrès fait remonter le culte sur la colline aux anciens Celtes, et il compare les oblats du père Aubry aux légionnaires romains qui s'attaquèrent aux Gaulois), traverse le roman et parle d'autant plus à notre époque qu'elle a majoritairement disparu. L'Église, on le voit, qu'elle soit officielle ou hérésiarque, détient un rôle central dans les communautés paysannes. Elle structure la vie des hommes et des femmes, les éduque, les console dans les moments de grande peine (ainsi l'invasion prussienne de 1870). Lire La colline inspirée, c'est aussi retrouver le quotidien de nos aïeux, dont la vie se déroulait dans un cadre géographique et spirituel absolument défini, voire rigide, dont les limites étaient rarement dépassées.

Le fait religieux que Barrès étudie à travers l'exemple des frères Baillard parle aussi de cette France du dix-neuvième siècle, de la monarchie de Juillet, du Second Empire, de la Troisième République. Lorsque Barrès publie le roman, la situation diplomatico-politique est à l'emballement, qui conduira, environ seize mois après, au déclenchement de la Première guerre mondiale. Derrière la ligne bleue des Vosges, c'est l'Allemagne, ce Reich qui a pris une capturé une partie du pays. Point de bellicisme dans les pages de la colline inspirée ; mais là souffle l'esprit français, non pas défini par l'attachement à la République - bien que celui-ci soit réel depuis la fin du siècle précédent -, mais par une transcendance. Associée à Rosmerta, déesse celte de la fertilité et de l'abondance, la Vierge Marie veille sur ses fidèles qui, à Sion, lui rendent hommage. Léopold Baillard, en cela, symbolise cet esprit français, et sa lutte contre l'Église est résumée, en épilogue, par la métaphore de la prairie et de la chapelle. La prairie, dit Barrès, c'est la nature, c'est l'immanence de Dieu et de la terre natale en chacun de nous, c'est la transcendance de ces mêmes choses à travers les lieux, les époques et les générations de femmes et d'hommes. La chapelle, c'est l'ordre, c'est la maîtrise de ces principes, appliquée pour tirer le meilleur des corps et des âmes. Pour un homme comme Barrès, il est impossible de choisir, de condamner. Condamner Léopold Baillard, son entreprise pour restaurer Sion, c'est renoncer à la terre natale, aux générations antérieures. Renoncer à l'Église, pour un homme tel que lui, c'est strictement impossible ou, mieux, inconcevable intellectuellement ; ce serait aussi renoncer à tirer de ces sentiments immanents décrits plus hauts la force nécessaire pour bâtir plus grand encore. On serait tentés, et à raison, d'opposer à ces sentiments de grandeur et d'attachement à ce que l'on peut nommer la patrie, le grand drame destructeur et meurtrier que fut la Première guerre mondiale. Lire Barrès aujourd'hui, cependant, permet d'entrevoir une partie de cette histoire de France qui, si elle fut celle des thuriféraires du nationalisme et des bellicistes, fut aussi celle d'une grande partie du monde paysan et, partant, de nos propres aïeux.
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Désigné en 1950 comme l'un des 12 lauréats du « grand prix des Meilleurs romans du demi-siècle », La colline inspirée de Maurice Barrès est tombé de nos jours dans l'oubli, en témoigne l'impossibilité de trouver une édition neuve. Cela est bien dommage. Qualifié de « bouleversant » par Marguerite Yourcenar, le roman s'inspire de l'histoire réelle de trois religieux, les frères Baillard, qui se sont évertués à mettre en valeur la colline de Sion-Vaudémont, en Lorraine, avant d'être excommuniés de l'Eglise. C'est surtout un roman très poétique, où transparaît l'amour de Barrès pour la Lorraine mais aussi son attachement au christianisme.

"Une volonté a marqué ici la terre ; un cachet s'est enfoncé dans la cire."

Maurice Barrès a été l'un des écrivains majeurs de la fin du 19ème et du début du 20ème siècle. Figure de la droite traditionnaliste, anti-dreyfusard, il fut même député boulangiste et a participé à la tentative de coup d'Etat de Déroulède en 1899. Dans la préface rédigée par Marie-Pierre Blancquart dans la présente édition, il est rappelé que le nationalisme et l'antisémitisme sont certes deux aspects de Barrès, mais pas les seuls ; c'est un romantique, un enraciné. Les thèmes développés dans La colline inspirée le corroborent.

Avant de parler du livre, arrêtons-nous aussi sur cette colline de Sion-Vaudémont qui, située à environ 30 km au sud de Nacy, offre un joli point de vue sur le plateau lorrain environnant. Considéré comme l'un des lieux du tourisme lorrain, doté depuis le 17ème siècle d'un pélerinage marial, la colline inspire à Maurice Barrès un grand nombre de très jolis passages du livre, à l'image de celui-ci :

"L'horizon qui cerne cette plaine, c'est celui qui cerne toute vie ; il donne une place d'honneur à notre soif d'infini, en même temps qu'il nous rappelle nos limites."

C'est justement cette citation que l'on peut dire sur l'un des quatre côtés de base du monument à Barrès, érigé en 1928 sur la Colline de Sion. Et à la lecture du roman, on se dit que la façon dont l'écrivain célèbre ce lieu méritait en effet que son souvenir y soit inscrit.

"Il est des lieux qui tirent l'âme de sa léthargie, des lieux enveloppés, baignés de mystère, élus de toute éternité pour être le siège de l'émotion religieuse. (…) Illustres ou inconnus, oubliés ou à naître, de tels lieux nous entraînent, nous font admettre insensiblement un ordre de faits supérieurs à ceux où tourne à l'ordinaire notre vie. (…) Il y a des lieux où souffle l'esprit. (…) La Lorraine possède un de ces lieux inspirés. C'est la colline de Sion-Vaudémont, faible éminence sur une terre la plus usée de France, sorte d'autel dressé au milieu du plateau qui va des falaises champenoises jusqu'à la chaîne des Vosges."

Le passage ci-dessus (dont le célèbre « il y a des lieux où souffle l'esprit ») est extrait du début du livre et nous emmène donc sur la colline de Sion, dont le pélerinage était tombé en désuétude depuis la Révolution française et que trois prêtres (les frères Baillard : Léopold, François et Quirin) vont rétablir. C'est donc une histoire vraie qui est à la base du roman, mais une histoire que Barrès va magnifier par sa plume :

"Voici ce livre, tel qu'il est sorti d'une infinie méditation au grand air, en toute liberté, d'une complète soumission aux influences de la colline sainte, et puis d'une étude méthodique des documents les plus rebutants. (…) J'ai surpris la poésie au moment où elle s'élève comme une brume des terres solides du réel."

Les frères Baillard restaurent des bâtiments d'Eglise, réimplantent des religieux dans les environs de, et sur la colline ; prenant certaines libertés dans leur action, ils sont rattrapés par leur hiérarchie et « leur entreprise » fait faillite en 1848. A l'occasion d'une retraite religieuse imposée par l'évêque, Léopold entend parler de la doctrine de Vintras, l'Oeuvre de la Miséricorde, et part le rejoindre en Normandie, avant de développer ce culte à Sion. Prophète, escroc, hérétique ? Quoi qu'il en soit, les frères Baillard finissent par être excommuniés par l'Église, et doivent s'exiler.

Si l'on analyse froidement cette affaire, on se dit que c'est l'histoire d'une hérésie et que les frères Baillard étaient, à l'image de Vintras et ses hosties ensanglantées, des illuminés. Il n'en est rien : que ce soit dans leur ascension et dans leur superbe d'avant 1848, dans leur pratique « vintrasienne », ou plus encore dans la chute qui les entraîne dans le dénuement, on ne peut que s'attacher qu'à Léopold, à sa sincérité. C'est le mérite de l'écriture de Barrès de générer cette empathie et cette émotion ; il sublime le personnage, d'autant plus en comparaison un ordre religieux « froid » ou vengeur, ou des habitants médiocres qui conspuent les Baillard. Voici également la façon dont il décrit les dernières années du prêtre, âgé alors de plus de 80 ans :

"Ces interminables divagations mortuaires où le vieux pontife s'égarait, plus fréquentes à mesure qu'il cédait à l'assoupissement du grand âge, qui pourrait nous en donner la clef ? Il y laisse abîmer sa raison. Il ne fournit plus rien au monde et n'accueille plus rien du monde, sinon le souffle des tempêtes dans sa cime. Par son seul tronc, il fait encore l'effet le plus imposant, mais il a passé la saison des feuilles. Les tempêtes l'ont ébranché ; nul oiseau, même d'hiver, ne vient se reposer sur lui, et la seule touffe verdoyante qu'il tende vers le ciel, c'est, comme un bouquet de gui parasitaire, la pensée vintrasienne. Dans cette intelligence entourée de brumes, quelques souvenirs, toujours les mêmes, passent à de longs intervalles, rappelant ces vols de buses qui, sous un ciel neigeux, s'élèvent des taillis de la côte, y reviennent, en repartent, obéissent à quelque rythme indiscernable."

Enfin, on perçoit l'attachement de Barrès au christianisme ; pas uniquement à celui de l'ordre représenté par l'évêque, mais à une synthèse entre l'enthousiasme de liberté religieuse (dans ce cas, Léopold) la hiérarchie de l'Eglise :

"Qu'est-ce qu'un enthousiasme qui demeure une fantaisie individuelle ? Qu'est-ce qu'un ordre qu'aucun enthousiasme ne vient plus animer ?"

Ce fut pour moi une très belle lecture, de celle qui laisse une trace. Je vous invite donc à vous plonger sans plus attendre dans ce livre et à profiter d'un voyage en Lorraine pour aller humer l'esprit qui anime la colline de Sion !
Lien : https://evabouquine.wordpres..
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Citations et extraits (94) Voir plus Ajouter une citation
Soudain, il sentit quelque chose entrer dans sa chambre et s'arrêter auprès de son lit. Une sueur d'effroi couvrit tout son corps, mais il ne pensa pas à lutter, ni à appeler. Ce qu'il sentait là, près de lui, vivant et se mouvant, c'était abstrait comme une idée et réel comme une personne. Il ne percevait cette chose par aucun de ses sens, et pourtant il en avait une communication affreusement pénible. Les yeux fermés, sans un mouvement, il ressentait un déchirement douloureux et très étendu dans tout son corps, et surtout dans la poitrine. Mais plus encore qu'une douleur, c'était une horreur, quelque chose d'inexprimable, mais dont il avait une perception directe, une connaissance aussi certaine que d'une créature de chair et d'os. Et le plus odieux, c'est que cette chose, il ne pouvait la fixer nulle part. Elle ne restait jamais en place, ou plutôt elle était partout à la fois, et s'il croyait par moment la tenir sous son regard, dans quelque coin de la chambre, elle se dérobait aussitôt pour apparaître à l'autre bout.
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Les appels d'un enfant ou d'un coq apportés de la plaine par le vent, le vol plané d'un épervier, le tintement d'un marteau qui là-bas redresse une faucille, le bruissement de l'air animent seuls cette immensité de silence et de douceur. Ce sont de paisibles journées faites pour endormir les plus dures blessures. Cet horizon où les formes ont peu de diversité nous ramène sur nous-mêmes en nous rattachant à la suite de nos ancêtres. Les souvenirs d'un illustre passé, les grandes couleurs fortes et simples du paysage, ses routes qui s'enfuient composent une mélodie qui nous remplit d'une longue émotion mystique. Notre cœur périssable, notre imagination si mouvante s'attachent à ce coteau d'éternité. Nos sentiments y rejoignent ceux de nos prédécesseurs, s'en accroissent et croient y trouver une sorte de perpétuité.
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Connaissez-vous la rude allégresse de gravir les pentes de la colline par une courte après-midi glaciale de l’hiver ? Il semble que vous remontiez dans les parties les plus reculées de l’histoire. Le ciel est couvert d’épais nuages qui naviguent et sous lesquels des troupes de corneilles, par centaines, voltigent, allant des sillons de la plaine jusqu’aux peupliers des routes, ou bien s’élevant à une grande hauteur pour venir tomber d’un mouvement rapide, au milieu des arbres qui forment, sur le sommet, le petit bois de Plaimont. Par intervalles, un vent glacé balaye la colline en formant des tourbillons d’une force irrésistible, et il semble que tous les esprits de l’air se donnent rendez-vous là-haut, assurés d’y trouver la plus entière solitude. C’est un royaume tout aérien, étincelant, agité, où la terre ne compte plus, livré aux seules influences inhumaines du froid. de la neige et des rafales.
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On voudrait s’arrêter ; on se dit que personne ne vit d’un mensonge, qu’il y a là sans doute une réalité à demi recouverte, un terrain de tourbe oit jadis un beau lac reflétait le ciel. On s’attarde auprès de cette vase, on rêve de saisir ce qui peut subsister d’un verbe dans les bégaiements de Vintras. Ah ! si nous pouvions pénétrer en lui jusqu’à ces asiles de l’âme que rien ne trouble, où repose sans mélange, encore préservé des contacts de l’air et des compromis du siècle, ce que notre nature produit d’elle-même avec abondance !

Lui, il se tient pour une énergie primitive. À l’en croire, il a retrouvé ce qu’Adam et Ève possédaient avant la chute : l’intelligence de toute la Création, les relations spirituelles avec les Mondes, les communications sensibles avec Dieu. Toute cette insanité ne laisse pas de parler à certaines parties de notre imagination. Mais quelle maladresse d’invoquer ici les figures d’Adam et d’Eve, et de nous rappeler la minute glorieuse où les premiers des hommes s’agenouillèrent devant le jour naissant ! Ce lever du soleil sur la jeunesse du monde, à l’heure où nos premiers parents rendaient grâce au Créateur, c’est le triomphe de la lumière et la fête de l’ordre, au lieu que la tare de Vintras, c’est d’être redescendu au chaos. L’atmosphère qu’il laisse derrière lui à Sion n’est pas saine ni féconde. On y sent le renfermé, la migraine, la prison, le triste cénacle où se pressent des demi-intelligences. Vintras exprime des thèmes qui ont usé leur vie, dépassé la première mort, accompli leur dissolution. Loin d’être une aube, une aurore, c’est le souvenir d’un triste chant de crépuscule.

L’univers est perçu par Vintras d’une manière qu’il n’a pas inventée, et qui jadis était celle du plus grand nombre des hommes. Il appartient à une espèce quasi disparue, dont il reste pourtant quelques survivants. Quelle n’est pas leur ivresse ! Vintras est allé jusqu’à cette mélodie qu’ils soupçonnaient, dont ils avaient besoin. Il l’a reconnue, saisie, délivrée. Elle s’élève dans les airs. Ils palpitent, croient sortir d’un long sommeil, accourent. Vintras exprime l’ineffable. Ses vibrations éveillent chez eux le sens du supranaturel. Il renverse, nie les obstacles élevés contre l’instinct des âmes et le mouvement spontané de l’esprit. Il fournit à ses fidèles le chant libérateur. (pp. 207-209)
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— Je suis, dit la prairie, l’esprit de la terre et des ancêtres les plus lointains, la liberté, l’inspiration.

Et la chapelle répond :

— Je suis la règle, l’autorité, le lien ; je suis un corps de pensées fixes et la cité ordonnée des âmes.

— J’agiterai ton âme, continue la prairie. Ceux qui viennent me respirer se mettent à poser des questions. Le laboureur monte ici de la plaine, le jour qu’il est de loisir et qu’il désire contempler. Un instinct me l’amène. Je suis un lieu primitif, une source éternelle.

Mais la chapelle nous dit :

— Visiteurs de la prairie, apportez-moi vos rêves pour que je les épure, vos élans pour que je les oriente. C’est moi que vous cherchez, que vous voulez à votre insu. Qu’éprouvez-vous ? Le désir, la nostalgie de mon abri. Je prolonge la prairie, même quand elle me nie. J’ai été construite, à force d’y avoir été rêvée. Qui que tu sois, il n’est en toi rien d’excellent qui t’empêche d’accepter mon secours. Je t’accorderai avec la vie. Ta liberté, dis-tu ? Mais comment ma direction pourrait-elle ne pas te satisfaire ? Nous avons été préparés, toi et moi, par tes pères. Comme toi, je les incarne. Je suis la pierre qui dure, l’expérience des siècles, le dépôt du trésor de ta race. Maison de ton enfance et de tes parents, je suis conforme à tes tendances profondes, à celles-là même que tu ignores, et c’est ici que tu trouveras, pour chacune des circonstances de ta vie, le verbe mystérieux, élaboré pour toi quand tu n’étais pas. Viens à moi si tu veux trouver la pierre de solidité, la dalle où asseoir tes jours et inscrire ton épitaphe.

Éternel dialogue de ces deux puissances ! À laquelle obéir ? Et faut-il donc choisir entre elles ? Ah ! plutôt qu’elles puissent, ces deux forces antagonistes, s’éprouver éternellement, ne jamais se vaincre et s’amplifier par leur lutte même ! Elles ne sauraient se passer l’une de l’autre. Qu’est-ce qu’un enthousiasme qui demeure une fantaisie individuelle ? Qu’est-ce qu’un ordre qu’aucun enthousiasme ne vient plus animer ? L’église est née de la prairie, et s’en nourrit perpétuellement, — pour nous en sauver.
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Thèmes : chef d'oeuvre intemporels , classiqueCréer un quiz sur ce livre

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