Voici un roman d'apprentissage qui vous retourne comme une crêpe, vous êtes prévenus !
Willie Dunne est un petit bonhomme d'un mètre soixante-cinq, innocent comme un perdreau de l'année. Sa taille l'empêche d'entrer dans la police dublinoise. A 17 ans, il s'engage dans la guerre sans réelle conviction, si ce n'est pour jouer un rôle et pouvoir revoir revenir à la maison la tête haute, pour que son père soit fier de lui.
Voilà donc Willie engagé pour faire la guerre à l'Allemagne aux côtés des Anglais. Or, c'est l'époque où la Grande-Bretagne a engagé la négociation du Home Rule, la loi qui accorderait une certaine indépendance à l'Irlande à l'intérieur du Royaume-uni. Certains Irlandais pensent que prêter main forte aux Anglais en s'engageant à leurs côtés dans la guerre contre l'Allemagne, favorisera l'accord du Home Rule. D'autres, au contraîre, pensent que "les difficultés de l'Angleterre sont les occasions de l'Irlande". Il faut dire que "le Parlement de Londres avait dit que le Home Rule s'appliquerait en Irlande à la fin de la guerre, par conséquent, (...), l'Irlande était pour la première fois en sept cents ans un pays de fait" .
Mais pour Willie, l'essentiel n'est pas là. Il s'engage parce que comme cela, il aura une place dans la société : s'il ne peut pas être policier parce qu'il ne fait pas un mètre quatre-vingts, eh bien, il peut être soldat. Nous sommes en 1915. Willie s'en va pour
un long long chemin ("it's a long long way to Tipperary", chantaient les soldats), rejoindre le champ de bataille boueux des Flandres, lui qui n'a jamais quitté l'Irlande,en traversant une Angleterre qui n'a rien à voir avec celle des histoires et des légendes...
Je peux vous dire que ce roman vous fait vivre la guerre des tranchées. Comme les soldats, le lecteur s'interroge longuement sur ce brouillard jaune qui ressemble à un brouillard de mer... avant de suffoquer ! Si le nom du gaz moutarde n'est jamais écrit noir sur blanc, soudain notre mémoire collective de ce que nous avons appris par nos arrière-grands parents ou par les livres d'Histoire rejaillie.
Sebastian Barry excelle à faire vivre ces événements et les émotions qui vont avec d'une manière époustouflante. On suit toute la souffrance du jeune Willie, qui d'un perdreau de l'année est bien vite 'déniaisé" par la violence de la réalité. Un jeune homme pris dans la tourmente de l'Histoire, comme tant d'autres, quelque soit leur nationalité. Et il vit une double souffrance si l'on peut dire : parce qu'en Irlande, le temps ne s'est pas arrêté non plus : les Pâques sanglantes de 1916, la guerre civile qui s'ensuit. le vent tourne : les soldats irlandais engagés dans l'armée anglaise sont consupés par beaucoup, traités de "Tommies" qui doivent rentrer chez eux ! Eux dont on a vécu toutes les souffrances endurées sur le terrain. L'écrivain parvient à restituer le contexte, sans juger ni les uns ni les autres, mais qui ne fait pas la part belle à l'Angleterre, c'est clair !
Un roman qui prend à la gorge par l'émotion qu'il dégage. Un livre aussi très bien documenté. Epatant et inoubliable !
Décidément, j'aime
Sebastian Barry qui m'avait déjà bouleversée avec
le Testament caché. Un écrivain encore trop méconnu en France.