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Là où certains appellent à d'autres mythologies afin de faire prospérer une nouvelle ontologie, d'autres reviennent sur certains de nos monstres sacrés et se demandent à quoi aurait ressemblé le monde s'ils n'étaient pas nés.

Se recommandant de l'uchronie et de la physique quantique, Pierre Bayard poursuit sa trilogie consacrée aux univers parallèles et, sous des allures un peu provocatrices, démontre de manière progressive et assez pédagogique, le caractère construit de nos représentations.

Avant d'aller plus loin, je tiens tout de suite à lever un lièvre : l'utilisation de la physique quantique par l'auteur vaut celle de toutes les crèmes de jour récemment vilipendées : une vaste filouterie qui va encore nous ranger du côté des faiseurs de mots !

Mais passons cet abus de langage apparemment très tentant. Que serait le monde sans les Beatles donc ? Un monde où un autre groupe de pop anglaise au moins aussi bon, les Kinks, aurait pu prendre la vedette. Et la terre aurait tourné de la même manière pour autant.

Mais un monde sans Proust alors ? Ici, les conséquences imaginées mettent à l'honneur Anatole France qui aurait récupéré toute la gloire que l'existence de Proust lui aura, à partir des années 50, volée. Cette hypothèse permet d'analyser le rôle des manuels scolaires dans l'élaboration du canon littéraire d'une époque. le canon, c'est « l'ensemble des oeuvres littéraires et artistiques considérées comme essentielles dans une culture donnée à un moment donné. » : ce qui fait qu'on a trouvé naturel d'aduler Mauras un temps et BHL ensuite.

Un monde sans Proust, c'est aussi un univers où les habitants d'Illiers, jamais renommé Illiers-Combray, sont bien plus anonymes, sans les multiples salons de thé à madeleine et autres délicieux souvenirs proustiens, où Yoshikawa, le traducteur de Proust en japonais, notre amie Anna et tant d'autres seraient comme orphelins de quelqu'un qui n'a jamais existé.

Passant en revue différents univers où tour à tour on se serait passé de Shakespeare, Marx, Freud, Louise Labé ou Rodin, Pierre Bayard décline les différentes conséquences de son hypothèse. On commence benoitement avec Rodin qui, s'il n'avait pas existé, n'aurait pas éclipsé Camille Claudel. Certes. Heureusement, Bayard reconnait volontiers que Rodin, qui n'a jamais quitté sa femme pour sa maitresse qui en aurait perdu la raison, n'aurait pas suffi à lui seul à éteindre le génie de Camille Claudel et que son petit frère Paul, sa famille, toute la société patriarcale de l'époque ont bien contribué à en faire une folle assermentée. Mais sans doute que sans Rodin, Camille n'aurait pas été la même. Et peut-être qu'elle aurait eu davantage de succès. Ou moins de décennies internée.

On interroge un monde sans Marx, c'est-à-dire, non pas un monde sans la révolution russe parce que, pour des raisons que je n'ai pas bien comprises, Pierre Bayard s'arrête aux portes de l'histoire et ne traite que des effets propres à la littérature, mais un monde sans ce fondateur de discursivité (le terme est de Michel Foucault). Marx est en effet un de ces hommes dont les écrits généreront une foule de continuations, un univers de pensée tel qu'il constitue un type de discours à lui seul. Freud en est aussi, évidemment.

Le monde sans Beauvoir est, bizarrement et avec ce que j'ai pris pour une sorte de vengeance un peu mesquine, un monde où l'idylle entre une Beauvoir et Sartre aurait réuni le célèbre existentialiste et Hélène, la soeur de Simone, bien plus jolie et davantage portée sur les arts plastiques que sur la philosophie et les lettres. L'idée ici développée est que, sans la façon, qu'elle doit à sa relation avec Sartre, qu'a eue Simone de Beauvoir de lire la condition de la femme dans le Deuxième sexe, on ne décoderait peut-être pas avec le même regard féministe intransigeant bien des oeuvres antérieures. Dont le grand Meaulnes, si cher au coeur de Bayard (c'est donc pour ça qu'il aurait préféré caser Hélène avec Jean-Paul ?). Evidemment, vue la façon dont je trucide désormais beaucoup des romans De Balzac, Maupassant et même Flaubert, je ne peux nier l'influence rétrospective de ce genre de lectures sur des textes qui leur sont antérieurs.

On aborde aussi le cas de faussaires capables d'inventer les tableaux que les peintres n'ont pas eu le temps de créer mais qui auraient manqué à l'humanité. Là, ça m'a posé tout de même un problème : qui, et de quel droit, devrait décider que les oeuvres qui n'ont pu être créées devraient exister néanmoins ? Au nom de quoi devrait-on abolir les circonstances, parmi lesquelles la mort de l'artiste n'est pas la moins définitive, et suppléer au monde tel qu'il est en lui adjoignant ce qui n'est pas ? Selon quelle science exacte de, de quoi d'ailleurs : de nos besoins (Bayard parle de son désir d'un monde « le plus abouti possible »), de l'essence d'un corpus d'oeuvres, de la prééminence de l'oeuvre sur l'artiste ? devrait-on trouver souhaitable de faire une suite à la Joconde (l'exemple est de moi mais c'est l'idée), de peindre, certes avec un talent fou, toutes ces toiles, comme l'a fait Beltracchi ?

Il me semble que cela pose la prééminence du « chef d'oeuvre », notion que je trouve bien trop polysémique pour être opérante, sur tout le reste, y compris le fatras enchevêtré de causes multiples faisant que, oui, à ce moment-là, les Beatles se sont séparés, ou que le légataire de Kafka n'a pas brûlé les manuscrits de son ami. Ou que Camille Claudel n'a plus rien créé.

Au terme de ma lecture, rapide et facile, j'en suis là, à me dire que s'il passe élégamment en revue toutes sortes de situations dans lesquelles le monde aurait eu à se débrouiller sans telle ou telle figure majeure de notre panthéon littéraire ou idéologique, Pierre Bayard fait reposer la légitimité d'une telle réflexion sur une hiérarchisation assez fétichiste qui fait toujours préférer l'oeuvre à son créateur. Bien sûr, c'est pour rire, le procédé est léger, juste assez insolent pour provoquer l'Epochè (suspension du jugement) nécessaire à l'appréhension d'un autre possible et rien des conséquences envisagées n'a le sérieux d'un projet politique ou moral. C'est l'élégante démonstration d'un enseignant pédagogue et brillant. (Et qui le sait. Et qui en joue.) N'empêche, j'ai trouvé ces « et si… » étonnamment révélateurs d'un certain canon avec lequel je ne suis pas en phase.

Et si Pierre Bayard n'avait pas existé ? Eh bien, certains de ses autres livres m'auraient manqué, mais peut-être pas celui-là.
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Partons d'un constat évident : les oeuvres connues nous font nécessairement oublier les autres, celles qui sont restées dans l'ombre. Mais ces dernières sont-elles pour autant nécessairement de «  moins bonne qualité » ? Dans le fond, ne cesse-t-on pas «d'encenser les chefs-d'oeuvre, sans prendre la mesure des dégâts qu'ils provoquent ?»
Et si, dans un monde parallèle, Raymond Jones n'était pas passé devant la boutique de disques North End Music Store, aurait-on connu les Beatles ? Pas sûr… À la place, n'écouterions-nous pas en boucle par exemple « Sunny afternoon », l'excellent tube des Kinks ou « Waterloo Sunset » ? Et si, dans le fond, les Kinks, c'était mieux que les Beatles ? Car finalement, à peu de chose près, Pierre Bayard nous démontre que tout aurait pu se passer autrement…
Et si Camille Claudel avait été un homme et Rodin une femme,  ne serait-elle pas plus connue que son maître ? N'a t-elle pas été tout bonnement éclipsée à cause de son sexe ? Enfermée même parce que cela arrangeait tout le monde, l'amant et le frère.
Autre cas intéressant : celui de Margaret Mead, une jeune anthropologue qui, après avoir séjourné quelques mois sur l'île de Samoa écrit « Moeurs et sexualité en Océanie » : la sexualité semble libre, les jeunes heureux et sans tabous… le livre devient un immense best-seller car son propos va dans le même sens que la libération sexuelle de 68. Sauf qu'un autre chercheur, quelques années plus tard, va découvrir que l'étude de Mead est fausse. Pour plusieurs raisons, la jeune chercheuse s'est trompée. Mead écrira ensuite un autre texte : « Trois sociétés primitives de Nouvelle-Guinée » : là, elle explique que « le sexe n'est pas le genre » et c'est plutôt extrêmement nouveau comme concept en 1935 ! Eh bien, le premier texte qui est une fiction va complètement faire de l'ombre à un second texte incroyablement novateur dans le domaine scientifique !
Pierre Bayard aborde aussi l'idée géniale des « influences rétrospectives » : c'est parce que Kafka existe que l'on se rend compte que Léon Bloy est un précurseur de Kafka, qu'il porte en lui Kafka. Donc Kafka influence à rebours la lecture que l'on a de l'oeuvre de Bloy. Ainsi peut-on dire que les grandes oeuvres « reconfigurent » les oeuvres qui leur sont antérieures.
Et Proust et ses phrases à rallonge que l'on jugeait illisibles et que personne ne voulait publier… Pourquoi notre époque actuelle ne jure-t-elle que par lui alors qu'autrefois, on ne lisait qu'Anatole France ? Que s'est-il passé pour que l'oeuvre proustienne anéantisse complètement tous ses contemporains au point qu'ils sont maintenant presque totalement oubliés ? Pourquoi Flaubert écrase-t-il Maupassant ? Pourquoi aime-t-on tant Shakespeare alors que Voltaire le détestait ?
Je suis une inconditionnelle des essais de Pierre Bayard : son travail est intelligent, stimulant, fin, original, plein d'humour aussi. C'est un pur bonheur de lecture que je recommande à tous. Il nous permet de réfléchir à ce qu'est une oeuvre d'art, à son rapport avec une époque et aux influences que les oeuvres ont entre elles. Il déconstruit nos mythes culturels et remet en question toutes nos belles certitudes en matière d'art. Ah, ça fait du bien !
Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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Feu Sir Ken Robinson, auteur, orateur et expert en éducation, expliquait que bien que Paul McCartney aimait la musique, il n'aimait pas du tout les cours de musique à l'école. Son enseignante doutait d'ailleurs très fortement de ses compétences en ce domaine. Elle doutait également de celles d'un autre de ses élèves, Georges Harrissson, également dans la classe de Paul McCartney. En résumé, cette enseignante ne prédisait pas un grand avenir à la moitié de ce qui allait devenir les Beatles.

Dans son dernier ouvrage et troisième volume de son cycle consacré aux univers parallèles*, Et si les Beatles n'étaient pas nés ?, Pierre Bayard imagine un univers parallèle dans lequel les Beatles ne sont pas nés et dans lequel ce sont les Kinks qui deviennent des stars de la musique mondiale. En plus des Beatles qui donne le titre à l'ouvrage, Pierre Bayard imagine un monde sans Rodin, Shakespeare, Marx, Freud, Mead, Kafka, Proust, Beauvoir, Pasternak, Louise Labé et cavaliers bleus [du der blaue Reiter] (un chapitre est consacré à chacun d'eux).


Autant j'ai apprécié l'idée générale et les différents chapitres - et le plaisir de lire un nouveau Pierre Bayard - , autant l'ensemble me laisse quelque peu perplexe pour plusieurs raisons (pour une fois avec Pierre Bayard). En guise de conclusion, Pierre Bayard écrit dans l'épilogue que « c'est une véritable rupture épistémologique que doivent accepter d'opérer les sciences humaines en reconnaissant les apports de l'uchronie à la recherche scientifique » (p. 161). Pourtant, le livre de Bayard, c'est en quelque sorte « comme de jouer Hamlet sans le personnage du prince du Danemark »**. Certes, il y a bien une explication de l'uchronie et des termes liés comme le point de bifurcation (voir le lexique) mais le tout est exploité de façon sous-optimale. Et cela d'autant que le thème de l'uchronie a déjà été largement traité - voir le Et si on refaisait l'histoire d'Anthony Rowley et Fabrice d'Almeida ou L'histoire revisitée : Panorama de l'uchronie sous toutes ses formes de Éric B. Henriet, sans parler d'articles de recherche. La critique quantique - « critique littéraire et arctique fondée sur la physique quantique et attachée à étudier les oeuvres créées dans des univers parallèles » (p. 167) - que suggère Pierre Bayard n'est pas très bien explicitée et mal mobilisée au mieux.

Depuis ma découverte de Pierre Bayard, avec Qui a tué Roger Ackroyd ?, je lis ses oeuvres avec une certaine régularité et un certain plaisir. Celle-ci n'est pas celle que je préfère sans aller à dire qu'il s'agit d'une oeuvre (complètement) ratée dans notre univers - cette oeuvre est peut-être réussie dans un autre univers. Pour cette oeuvre (partiellement) ratée, il serait toujours possible de l'améliorer comme l'a suggéré dans notre univers un certain Pierre Bayard***.

* avec Et si les oeuvres changeaient d'auteurs ? et Il existe d'autres mondes.
** J'emprunte la formule à l'économiste William J. Baumol.
*** dans Comment améliorer les oeuvres ratées ?
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Le premier chapitre plein d'humour cache un travail d'analyse littéraire et historique très sérieux ! Cet essai hésite entre le plaisir de l'uchronie et un travail sur les alternatives à ceux et celles qui ont pris toute la lumière, restituées dans leurs contextes social, politique ou littéraire.
Le choix des grand.es auteur.es qui ont marqué l'histoire littéraire et philosophique ne pouvait être exhaustif, mais l'auteur, par ces exemples bien choisis démontre plusieurs hypothèses, classés par thème : le succès immédiat, la fabrique de l'histoire, les supercheries...
C'est bien écrit, un peu prise de tête parfois, mais l'auteur nous fait découvrir des auteur.es restés dans l'ombre, éclipsés par ceux que le succès ou l'histoire a retenus.
J'ai noté cinq ou six livres à lire...
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Repoussant encore une fois les limites de la critique et adoptant une approche toujours plus originale, l'auteur d'"Aurais-je été résistant ou bourreau ?" applique la théorie quantique au monde de la culture. Il redistribue ici les cartes de la notoriété ou de la reconnaissance et, s'interrogeant sur la manière dont la lumière projetée sur certains artistes en a malencontreusement éclipsé d'autres, il propose de sortir de l'ombre celles et ceux qui s'y sont égarés. Comme on le comprend au fil de la lecture, l'objectif de Pierre Bayard est plus complexe que de simplement constater à quel point Cholokhov est moins fameux que Pasternak ou Jonson que Shakespeare. Dans ce qui ressemble à la fois à une démonstration de style et à un cours de culture appliquée, il resitue les oeuvres dans leur contexte et revient sur les conditions dans lesquelles elles ont été créées. Surtout, il tâche d'expliquer pourquoi tout le monde ne peut bénéficier de la même visibilité et en quoi on peut estimer que certains ont plus marqué leur domaine ou leur époque que d'autres. Puis, dans un soucis quantique, il propose un angle d'observation inédit et alternatif qui remet en cause nos certitudes. Cet essai permet ainsi de rétablir une certaine forme d'équité et de réhabiliter des artistes qui, ne l'oublions pas, bénéficient peut-être d'un meilleur accueil dans un autre monde.

L'article complet sur Touchez mon blog, Monseigneur...
Lien : https://touchezmonblog.blogs..
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Attention spoiler alert ! le titre de ce nouvel essai (2022) de Pierre BAYARD est une supercherie. Si vous vouliez tout savoir sur les Beatles et les raisons de leur renommée analysées au rayon X, vous voilà refaits ! En effet, seulement un chapitre et à peine 10 pages sont consacrés aux fameux Scarabées de Liverpool et à celui qui les fit découvrir au monde entier en octobre 1961 : Brian EPSTEIN. En revanche, si vous n'êtes pas rancuniers et que vous décidez d'aller au bout de ce documentaire, vous allez en apprendre de belles tout en vous amusant follement, comme souvent chez Pierre BAYARD.

BAYARD est l'un de ces types que la version rationnelle de l'Histoire ne satisfait pas, et qui cherche à comprendre par ses propres moyens. Alors il va fourrer son nez dans une écriture parallèle. Ainsi, dans cet essai comme toujours consacré en partie à la littérature, il va à nouveau déconstruire des pensées, des certitudes. Rien de mieux que de convoquer des oeuvres célèbres pour alimenter et documenter son raisonnement.

L'auteur nous entretient sur l'éclipse historique, en gros (ne pas) être au bon endroit (pas) au bon moment. Il en va pour la plupart des exemples réunis dans cet essai. Il est question des destins de Camille CLAUDEL, de Ben JONSON, ami et rival de SHAKESPEARE, par ailleurs auteur de « Volpone et le renard », oeuvre redécouverte des siècles après sa mort et qui fait aujourd'hui autorité dans le théâtre.

BAYARD imagine un monde « sans » : sans MARX par exemple (et c'est PROUDHON qui aurait vraisemblablement tiré les marrons du feu), sans FREUD et les personnalités multiples, sans KAFKA, sans PROUST (quasiment ignoré avant d'être adulé dans des circonstances que rappelle l'auteur), sans Simone de BEAUVOIR et tant d'autres. Ou un monde sans « le docteur Jivago » de PASTERNAK car, une fois de plus, la réalité historique la plus tordue qui soit nous vient de Russie (d'U.R.S.S. pour être précis), pays ignorant parfaitement le roman fleuve de PASTERNAK à sa sortie (censure oblige), alors que ce sont les Etats-Unis qui seront à la manoeuvre pour justement le faire connaître en Occident et ainsi décrédibiliser le régime soviétique.

Ecrit ainsi, cela peut paraître superficiel. Mon propos ne se risquera pas à entrer dans les détails, ceux concernant les biais cognitifs ou encore les univers parallèles, mais en résumant succinctement, on peut noter que BAYARD emprunte des figures ou des oeuvres passées, les recontextualise et les imagine telles que leur écho aurait pu advenir ou non dans un autre monde, à une autre époque, sans les mêmes « concurrents » par exemple, sans les mêmes tenants ni les mêmes aboutissants. Sans vous en dévoiler plus, il faut lire le chapitre dédié à Louise LABÉ afin de bien comprendre la démarche de l'auteur : comment nous créons et modelons un mythe, ici littéraire.

Mais cet ouvrage est aussi celui d'un psychanalyste érudit qui se plaît à glisser des uchronies dans ses propos pour en montrer la force. Il emploie souvent le terme « paradigme » pour situer une oeuvre ou une célébrité dans un espace défini du temps à un moment donné, puis la faire glisser ailleurs, sans oublier « l'influence rétrospective », passionnante, qui dépeint un événement servant à la compréhension du passé et non pas du futur.

L'éclipse prend une place non négligeable dans les réflexions de l'auteur, qui là aussi prend des modèles documentés, montrant que telle oeuvre oubliée, est réapparue plus tard, en quelque sorte dans un autre monde, pour être prise en exemple sans pourtant avoir traité exactement des sujets énoncés ensuite par les spécialistes.

Méticuleusement, BAYARD déroule ses idées et en vient au cas spécifique du féminisme, où des femmes ont été oubliées de l'Histoire (souvent écrite par des hommes - dominants), puis ont fini par ressurgir grâce à une conjoncture plus favorable. Je n'en dévoilerai pas plus, et même si ce livre est parfois un peu ardu, il vaut le coup par son originalité, ses pieds de nez à l'Histoire et ses réhabilitations (ou ses condamnations, là aussi a posteriori), un essai qui nous rend curieux car délivrant de nombreuses références. Comme la plupart des ouvrages de l'auteur, il est sorti dans la prestigieuse collection paradoxe des éditions de Minuit.

https://deslivresrances.blogspot.com/
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Pierre BayardEt si les Beatles n'étaient pas nés ? ***1/2 – fin le 31 décembre 2022

Je connais l'oeuvre de Pierre Bayard pour ces livres aux titres savoureux et absurdes (« comment parler des romans qu'on n'a pas lus ?) et qui me font systématiquement penser à mes études à Sciences-Po où l'enjeu était précisément de parler savamment de choses qu'on ne faisait que survoler (les meilleurs d'entre nous finissant à l'ENA…). Là, sur ce livre, acheté de manière compulsive à la veille des fêtes de Noel, c'est le titre qui m'a plu, pensant que l'entier ouvrage était consacré à son titre. En fait pas du tout, et Bayard fait du titre un prétexte pour parler des effets supposés de la disparition d'une idole, d'une star, dans le champ de l'histoire et de la connaissance…le livre, publié au sein de la prestigieuse maison d'édition de Minuit, est une recherche argumentée qui n'a qu'un seul objectif, que l'auteur rappelle en conclusion : faire des disciplines proches de la dystopie une discipline à part entière.

Comme d'habitude, l'ensemble est réjouissant et stimulant intellectuellement et rien que pour ça, merci à lui !

Mais pour le reste, je me permets d'exposer plusieurs bémols : le premier est que l'ouvrage est bien trop court pour être totalement valide…10 pages respectives sur l'absence supposée dans l'Histoire et des effets de cette disparition à la fois des Beatles, de Freud, de Kafka, de Louise Labé, c'est bien trop court et ne permet pas d'approfondir la question. le deuxième bémol, corollaire au premier est que l'ami Bayard aurait dû confier chaque
chapitre à des spécialistes de la question, car évidemment, quand il n'est pas dans son domaine, il assène des platitudes sans fin…ainsi des Beatles qui donne son titre à l'ouvrage ; sa conclusion est que si les Beatles n'avaient pas existé, les Kinks auraient eu plus de succès. Il se trouve que je pense à peu près la même chose mais plus par goût personnel qu'au travers d'une analyse scientifique éprouvée…et il est certain que les Beatles n'ont pas empêché les Rolling Stones ou les Beach Boys de faire la carrière que l'on sait ! Et Beatles ou pas Beatles, les Kinks se sont plutôt sabordés qu'autre chose, leur interdiction aux Etats-Unis étant pour beaucoup dans cet échec. L'hypothèse rationnelle que l'on peut faire est plutôt que Brian Wilson serait devenu moins « fou » si les Beatles n'avaient pas existé, Wilson cherchant toujours à faire mieux et à répondre aux pépites successives produites par le groupe de Liverpool…sur les Kinks, malheureusement, il n'y aurait pas eu beaucoup d'effets…mais sans s'arrêter à ce seul exemple, le troisième bémol que je mets à ce livre est qu'il flirte parfois avec l'ésotérisme ce qui n'est pas très scientifique…pour quelques réflexions passionnantes (ainsi les effets de l'absence de Kafka sur la littérature antérieure à son existence, tellement l'auteur devient à lui tout seul le symbole de l'absurde en littérature), on a quelques propos limites sur l'importance de considérer l'Histoire en mettant en valeur des mondes fantomatiques…ce qui est intellectuellement passionnant (l'Oulipo en témoigne jusqu'à l'Anomalie de Hervé le Tellier) n'en fait pas une discipline scientifique. le quatrième bémol enfin concerne le choix des personnalités : en musique, les Beatles semblent un bon choix ; Freud en psychiatrie aussi…Kafka pourquoi pas…mais d'autres sont plus contestables, pourquoi Shakespeare plutôt qu'Hugo ou Voltaire ? Pourquoi Camille Claudel plutôt que David ou Léonard de Vinci ? Pourquoi Marx (sans évoquer Engel !) plutôt que Trotsky ? Pourquoi Margaret Mead, alors même que Beauvoir dit qu'elle ne l'a pas inspiré ? Et un monde sans Beauvoir n'aurait pas eu beaucoup de changements, tellement peu de gens l'ont vraiment lu…Bref, un ouvrage intéressant mais écrit trop vite et qui souffre de limites qui remettent en cause certaines de ses hypothèses…n'est-ce pas le propre de la démarche scientifique finalement ?
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