Tahar Ben Jelloun connaît les contes de Perrault depuis son entrée à l'école. Alors que sa nounou Fadela, une formidable conteuse lui avait tout dit des Mille et une nuits – à part les descriptions sexuelles qui y sont nombreuses – vint le temps des « choses sérieuses » à apprendre à l'école, avait déclaré son père, et sa maîtresse, mademoiselle Pujarinet leur enseignait Perrault, dit-il à la fois avec malice et conviction.
Le romancier reprend ici dix contes de Perrault à la façon dont la conteuse de son enfance, qui a marqué son esprit, les aurait narrés à son esprit curieux. Si
Tahar Ben Jelloun déclare : « Je n'ai pas cherché à tirer de chaque conte une moralité. Notre époque ne s'y prête guère », en a-t-il rendu certains d'une actualité brûlante, notamment avec La Petite à la burqa rouge, où le loup est interprété par un homme barbu sévère avec la vie et la religion des autres, tandis qu'il tue la grand-mère de la petite Soukaïna dont il a vu les formes sous son voile licite, pour mieux la violer. « L'homme est un homme pour l'homme », non pas un loup, tombe la sentence. Non sans plaisir, de même qu'avec Barbe-Bleue,
Tahar Ben Jelloun affuble ces pervers sexuels de pénis ridiculement petits et d'hypocrisie immense. Voilà qui ravira l'Etat prétendument islamique !
Des thèmes transversaux sont récurrents dans les dix contes choisis par
Ben Jelloun pour donner une leçon d'Islam à tout un chacun. Il y combat toutes les discriminations fondées sur les altérités qui font les richesses des peuples, et le fond de commerce des haines : esclavage, racisme, genre. A plusieurs reprises, il remet en question le droit successoral dans le droit musulman, qui privilégie les hommes. Pour être parfaitement juste, comme Perrault en son temps, il n'y a pas de faciès du personnage bon et du personnage mauvais : hommes et femmes, beautés et mochetés, riches et pauvres sont l'un ou l'autre. Les apparences ne disent rien de l'âme humaine, insiste-t-il.
On redécouvre les contes de notre enfance, avec un soupçon d'orientalisme qui illumine le texte, en épice les descriptions. Si certains héros vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfant, d'autres vivront avec félicité dans la pauvreté qu'il découvrent après avoir perdu leur richesse, leur dignité et le respect d'autrui, comme dans Peau d'âne, qui est décidément un conte d'une cruauté ignoble. Il y a une moralité générale aux dix contes choisis par Tahar Bel Jelloun qui diffèrera selon l'ouverture à l'altérité de chaque lecteur. Un livre où se rencontrent de grandes civilisations.
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