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EAN : 9782246825609
64 pages
Grasset (06/01/2021)
3.83/5   32 notes
Résumé :
Avant d’écrire, Guy Boley a lu, énormément, en vrac et à l'emporte-pièce, comme tout autodidacte. Puis, un jour, un livre de Pierre Michon, Vies minuscules. Ebloui par ce texte, il est allé le rencontrer, il y a plus de trente ans, dans une librairie, lors d'une séance de signatures. Ils sont devenus amis. Quelques années plus tard, il lui écrit cette lettre, hommage non idolâtre dans lequel il compare le métier d’écrivain à celui qui fut le sien des années durant ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (10) Voir plus Ajouter une critique
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En flânant et cherchant des textes d'André Bucher, dans une librairie…je suis tombée sur ce petit ouvrage où les deux noms de Guy Boley et de Pierre Michon m'ont fait un clin d'oeil ! Un très beau souvenir que la lecture de « Quand Dieu boxait en amateur »…

« le Funambule majuscule »…qualifié, avec la plus grande admiration, par Guy Boley , c'est son auteur-référent, Pierre Michon, qui est comme un « modèle » absolu…Dans cet opus, il nous raconte sa première rencontre avec « son Grand Homme »…dans une librairie de Dijon, où il devait signer un de ses livres, puis suit une lettre de reconnaissance à son encontre, d'hommage et d'évocations personnelles sur le douloureux travail de l'écrivain…qu'il compare à l'art très risqué du Funambule

[ « Art » qu'il a choisi et exercé pendant quelques années…à son corps défendant puisque nous apprenons au fil de ses évocations passées que l'auteur avait le vertige… avait peur de marcher sur les toits… mais, une fois sur son fil, il était dans son élément. Mystère parmi les mystères! ]

Guy Boley évoque sa jeunesse, son amour pour son père, les années 68, son idéalisme, ses espoirs de l'époque, son « boulot de funambule » parmi tous les autres… petits métiers exercés, son désir d'écrire, le choc immense à la lecture des « Vies minuscules »…ayant fait comme un déclic…dans son parcours de lecteur…, et son parcours, tout court !...

« (...) cet amour d'un bout de fil tendu, cette impossibilité hautaine de pouvoir l'expliquer au -vulgum pecus-., il me semble que ça a quelque chose à voir avec l'écriture. C'est aussi ample, aussi généreux, aussi dangereux, aussi irraisonnable, aussi beau, aussi terrible, aussi orgueilleux et aussi inutile que l'écriture. Et l'on y accède par le même désordre de chemins. » (p. 38)

Pierre Michon et lui, deviennent amis… Pierre M. dans un second temps, répond à la lettre de son admirateur-ami, lui, (nous) raconte une anecdote peu glorieuse de ses débuts d'écrivain à Paris…On constate que pour Pierre Michon, le travail d'écriture est à la fois « souffrance » et « enchantement »…que nous sommes aussi tous embarrassés par les idées toutes faites quant à « la gloriole » dont le mot d' »Ecrivain » est auréolé. Tour à tour « intellectuel », embourgeoisé, jouant la comédie sociale des salons parisiens, rencontrant les bonnes personnes, ou « le pauvre gueux » doutant de tout, en marge, disant « NON »… de par, justement, ces images préconçues de l'artiste rebelle, contre l'ordre social ! …Les choses sont à la fois bien plus modestes et dénuées de prestige. Restent le goût immodéré des mots, la souffrance induite par ce travail de l'ECRITURE » et le doute existentiel incessant , exacerbé..!

Une lecture émouvante, respirant toute l'admiration , l'empathie et l'amitié de Guy Boley, envers son « auteur préféré », Pierre Michon….Lecture restant frustrante de par sa brièveté, que nous aurions préféré plus « étoffée », quant aux ressentis face à la « page blanche », à tous les détours que provoque le désir et le besoin d'écrire ! Restent aussi la modestie, l'humilité , la sincérité de Pierre Michon, écrivain d'immense qualité, n'ayant pas "pris la grosse tête", restant à l'écart de tout "tohu-bohu" médiatique !

[*** intriguée et curieuse du texte de Jean Genet, "Le Funambule" évoqué avec enthousiasme par Guy Boley ]
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Deux vies sur un fil

Guy Boley a été funambule avant d'être écrivain. C'est cette expérience qu'il raconte à Pierre Michon, qu'il admire tant, et qui va rapprocher les deux auteurs dans leur conception de la littérature. Un recueil aussi court qu'éblouissant.

Quel bel hommage à la littérature, à la lecture et au livre! Cette lettre à Pierre Michon est en effet bien davantage qu'un message admiratif d'un écrivain à un confrère. Avec sa plume toujours aussi allègre, le Fils du feu, se raconte autant qu'il dit le bonheur de lire Pierre Michon. C'est l'histoire d'un jeune homme saisi par la force des mots: «Je me suis mêlé d'écrire et je me suis mêlé de lire. J'ignore pourquoi. Quand j'étais gosse, il n'y avait aucun livre, chez nous, à la maison; c'est moi le premier qui les ai amenés, ces bâtards, sous le toit familial. Première paye et première engueulade, parce que j'avais acheté «des conneries» plutôt que de l'utile. Je devais avoir dans les quinze ans. Ma première connerie fut un livre de Victor Hugo: Les Contemplations. Je le possède encore. Couverture rouge, toilée, j'avais dû payer ça la peau du cul.»
Après Hugo, bien après, il y eut donc Pierre Michon. L'auteur des Vies minuscules venait à Dijon dédicacer son dernier livre et participer à une séance publique à l'université. l'anecdote veut que Guy Boley ait été le seul lecteur qui se soit déplacé à la librairie pour retrouver l'écrivain derrière sa pile de livres. L'occasion d'échanger quelques bribes de vie et de réfléchir à ce paradoxe: plus l'auteur écrit bien et moins le public se presse pour le rencontrer. Guy a donc choisi de prendre la plume pour dire à Pierre combien il avait compté pour lui, maintenant qu'il avait arrêté de se promener sur un câble d'acier. Treize fractures auront eu raison de ce métier physique qu'il voit pourtant proche de celui de son destinataire. «C'est aussi ample, aussi généreux, aussi dangereux, aussi irraisonnable, aussi beau, aussi terrible, aussi orgueilleux et aussi inutile que l'écriture. Et l'on y accède par le même désordre de chemins.»
Des chemins qui mèneront l'un est l'autre au bord du précipice, mais surtout à des oeuvres majuscules comme Quand Dieu boxait en amateur pour Guy Boley ou Les Onze pour Pierre Michon.
En lisant Guy Boley mais aussi la missive de Pierre Michon en réponse à celle de son admirateur, on se dit qu'il n'y a pas de poète maudit et encore moins de parcours d'écriture tout tracé. Il n'y a que de la passion. de l'envie impérieuse de transcender une vie misérable en oeuvre d'art. C'est magnifique et bouleversant. C'est aussi une belle invitation à (re)découvrir deux oeuvres majeures de notre littérature contemporaine.

Lien : https://collectiondelivres.w..
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Une rencontre-dédicace avec Pierre Michon dans une librairie Dijon, Guy Boley s'y rend en avance persuadé qu'il y aura une file d'attente. Il sera une des seules personnes à se présenter ce jour-là devant cet écrivain tant adoré et d'une simplicité bienfaisante. de cette rencontre insolite va naître une amitié. Ce petit livre est une longue lettre que Guy Boley lui adresse.

J'avais découvert l'écriture splendide, travaillée, riche et d'une poésie rare de Guy Boley dans son premier roman « Fils du feu ». Ce forgeron de la langue française m'avait à nouveau étonné dans « Quand Dieu boxait en amateur ». Alors je me suis naturellement précipité pour lire ce troisième livre au titre enchanteur.

J'ai été un peu déçu aussi bien par la forme que par le fond. Bien entendu on retrouve parfois la beauté de la plume, mais je me suis senti frustré au bout de cet opuscule de 60 pages seulement.

Quelques pages pour dire toute son admiration à cet homme qui lui a donné envie de continuer à écrire malgré les refus systématiques des maisons d'édition qui manipulent les auteurs comme des marionnettes. Il nous décrit parfaitement la solitude de l'écrivain, dans cet exercice douloureux nommé dédicaces, où il attend en vain, derrière une pile de bouquins, une armée de lecteurs qui ne viendront jamais.

Et puis quelques pages pour évoquer son enfance, il vient d'une famille à qui la chose imprimée faisait peur, il n'y a aucun livre à la maison, c'est lui qui a amené ces bâtards à la maison, il n'a que l'école pour référence. Il nous raconte sa vie de funambule, à vingt mètres au-dessus du vide, une vie de saltimbanque, une vie d'idéaliste.
Quel dommage de n'avoir que survolé ces thèmes qui auraient pu nous faire vivre de si belles émotions. Au moins Guy Boley m'aura donné envie de découvrir « vies minuscules » de Pierre Michon.

Merci infiniment aux éditions Grasset pour leur confiance. #Funambulemajuscule #NetGalleyFrance

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Guy Boley, auteur de Fils de Dieu et Quand Dieu boxait en amateur, deux livres que j'ai adorés et qui ont été couronnés d'un beau succès.
Ici l'auteur nous narre avec humour et cocasserie les affres du lecteur-admirateur et de l'auteur en dédicaces qui attend le chaland.
Lors de ces rencontres organisées par des libraires soucieux d'offrir à leurs fidèles de belles émotions en réel, se trouvent souvent face à un flop car beaucoup, ce jour-là, ont « piscine ».
« Etonnement nous avons très peu parlé littérature. Nous étions comme deux voyageurs que le hasard a placés côte à côte durant le même trajet et qui, pour passer le temps, simplement, papotent. Chacun offrit à l'autre des bribes de lui-même, des pièces de son puzzle. »
C'est une lettre de lecteur qui dit sans envelopper le propos. C'est dire la place des livres dans la vie, surtout quand on a vécu dans une maison sans livre.
C'est aussi un hommage à la littérature, j'allais écrire « la vraie » celle qui interroge, qui forge voire qui sauve !
La réponse de Pierre Michon, montre combien ces deux hommes qui ne sont pas du sérail « littéraire » et qui sont arrivés dans cet univers par les nombreux désordres de leurs chemins intimes, chemins souvent comme une mer déchaînée, ont de choses à offrir.
Pierre Michon avec ce chef d'oeuvre Des vies minuscules a donné visage et corps à ces oubliés, à tous ceux dont on ne parle pas.
Ce petit opus nous dit à la fois beaucoup et trop peu pour étancher notre soir d'en savoir plus sur la création littéraire hors les sentiers.
Il nous offre surtout l'image de deux auteurs sans fard, sans le barnum habituel qui veut donner une image de l'auteur.
©Chantal Lafon
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SUR UN FIL
L'écrivain et le funambule a priori ont peu de points communs. Et pourtant… Guy Boley dans ce court texte va en faire la démonstration à son ami et quasi idole en littérature, dans une longue lettre qu'il lui a adressée bien des années après l'avoir rencontré pour la première fois dans une librairie à l'occasion d'une rencontre-dédicace.
Une première rencontre vertigineuse pour Guy Boley, alors funambule (pour de vrai) et plus tard écrivain, et surtout alors immense admirateur de Pierre Michon et particulièrement de son livre Vies Minuscules.
Le vertige- premier point commun entre le funambule et l'écrivain. Guy Boley voit entre eux une proximité très forte dans le fait que l'un comme l'autre se confrontent au vertige, pour l'un provoqué par le vide physique, pour l'autre par les mots qui se bousculent en lui.
Dès lors la métaphore devient évidente et inévitable. le funambule comme l'écrivain se lancent tous les deux au-dessus du vide, vers l'inconnu, vers l'inaccessible et ce qui peut paraitre inatteignable. Chacun doit trouver l'équilibre juste, l'écriture devenant une ascension, de la page blanche à la rencontre avec le public et la critique, jusqu'au retour de l'écrivain dans l'ombre, c'est-à-dire à cet être solitaire à qui personne ne peut venir en aide, comme le funambule sur son fil.
Tous ces liens rappellent que l'écrivain comme le funambule ne font pas partie du commun des mortels, qu'ils sont des êtres d'exception et que- comme l'albatros de Charles Baudelaire se sent libre ses ailes déployées dans les airs- tant qu'ils sont dans leur élément (le papier/ les mots ; le fil/le vide), ils ne connaissent plus le vertige et se sentent totalement libres.
Un court texte en forme d'hommage d'un funambule devenu écrivain à 64 ans, à un autre écrivain reconnu par ses pairs mais trop souvent méconnu du grand public.
Une lecture brève à croquer à pleines dents entre deux lectures plus denses et plus longues, pour une belle réflexion sur ce qu'est être écrivain.
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critiques presse (2)
LaCroix
01 février 2021
De la rencontre du funambule Guy Boley, écrivain secret et fervent lecteur, avec Pierre Michon va naître une amitié consolidée par une correspondance.
Lire la critique sur le site : LaCroix
LeFigaro
21 janvier 2021
L’ex-équilibriste du Jura raconte sa vie cabossée et sa rencontre avec Pierre Michon.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Citations et extraits (17) Voir plus Ajouter une citation
INCIPIT
Mardi 6 juin 2000
Cher Pierre,
je sais que tu admires le fait que j’aie été funambule, que j’aie risqué ma peau sur un câble, entre terre et ciel, et que j’aie fait, comme tu le prétends, quelque chose de ma vie, ceci sous-entendant que tu aurais quelque peu gâté, ou gâché la tienne. Alors que, très sincèrement, j’ai souvent le sentiment d’avoir été un appareil photographique dans lequel on aurait oublié de mettre une pellicule, et de toutes ces années de funambulisme il ne me reste pas grand-chose : des images, certes, et des courbatures quand le temps change ; des milliers de visages anonymes dont une bonne majorité me regardaient en espérant la chute, témoin ces imbéciles, ces fiers-à-bras de village ou de banlieue qui secouaient parfois mon câble, juste pour amuser quelque pisseuse au rire idiot et au regard vide, au risque de me faire choir. Choir ou chuter. J’ignore quel verbe j’aurais employé juste avant de mourir.
Quand je t’ai dit que je t’admirais puisque tu as écrit, entre autres, Vies minuscules, tu as eu un geste de la main quelque peu blasé, du genre :
« On ne va pas encore m’emmerder avec toutes ces vieilleries… »
Tu vois, nous avons chacun nos dieux de fortune. À la différence que tes livres resteront. Mes galipettes sur un fil, tout le monde les a déjà oubliées, hormis mon corps, les jours d’humidité, qui me décompte ses fractures, lentement, une par une. Treize, au total, mais pas toutes en tombant du fil. J’ai commis, dans ma vie, bien d’autres sottises beaucoup moins élégantes que marcher sur un fil.

J’attendais tes livres. J’attendais depuis longtemps cette écriture inspirée. J’en avais plus qu’assez de toute cette littérature de merde, de ces articles laudateurs de critiques complaisants, de ces copinages parisianistes, de ces renvois d’ascenseurs vides, de toute cette profonde misère éditoriale. Parce que, mine de rien, du haut de mon câble ou du fond de ma campagne, je parvenais et je parviens toujours à suivre la chose de très près. Le petit monde de l’édition manipule ses marionnettes avec des ficelles tellement grosses qu’on les voit jusque dans mon village, un cul-de-sac de soixante habitants. Et si je prétends voir les ficelles hors de leur castelet, ce n’est pas par fanfaronnade, je sais de quoi je parle : j’ai été marionnettiste, avant d’être funambule. J’en ai manipulé, des pantins, autant qu’eux. Alors tu vois bien, ils m’agacent, ces mauvais artistes. Ils parviendraient presque à m’écœurer, à me dégoûter de la parole. À me la prendre. À me l’anéantir. À me faire douter du talent de Guignol.
Bien sûr, tu aurais souhaité que tes Vies minuscules te rapportent (ou rapportassent) leur équivalent majuscule en lingots d’or. Naïf ! Il fallait te couper l’oreille, comme Vincent. C’est de cela, qu’est assoiffé le peuple médiatique. De chair ! Mais de chair qui saigne encore ! Chaude et fumante ! Pas la chair des mots qui n’a plus grande valeur. Ne pas oublier que certains bourgeois payent des milliards de dollars un tournesol de peinture séchée qui a tout perdu de son éclat mais dans lequel ils croient déceler, entre deux pétales, quelques globules de l’artiste maudit. Globules jaunes qu’on paye en billets verts.

Montaigne disait: «Que me suis-je mêlé d’écrire?» Nous en sommes tous au même point. Que nous sommes-nous mêlés d’écrire, nous autres au lieu de vivre.
Quand je t’ai demandé si tu n’écrivais toujours pas, toujours plus, j’ai senti que tu avais eu, au téléphone, le même geste blasé de la main:
«Ce n’est pas important, tout ça…»
Non, ce n’est pas important. C’est juste prioritaire. Fondamental. Duras l’a écrit, juste avant de jeter l’encre :
«Écrire toute sa vie, ça apprend à écrire. Ça ne sauve de rien.»
C’est bien ce que nous voulons, au bout du compte : apprendre à écrire. Être occupés, pas sauvés.

Je me suis mêlé d’écrire et je me suis mêlé de lire. J’ignore pourquoi. Quand j’étais gosse, il n’y avait aucun livre, chez nous, à la maison ; c’est moi le premier qui les ai amenés, ces bâtards, sous le toit familial. Première paye et première engueulade, parce que j’avais acheté « des conneries » plutôt que de l’utile. Je devais avoir dans les quinze ans. Ma première connerie fut un livre de Victor Hugo : Les Contemplations. Je le possède encore. Couverture rouge, toilée, j’avais dû payer ça la peau du cul. Pourquoi Hugo ? Parce que je viens du peuple, d’une famille à qui la chose imprimée faisait peur, et que je n’avais eu que l’école pour référence. Le seul vers que citait régulièrement mon père était d’ailleurs : « Le coup passa si près que le chapeau tomba. »
Il le mimait, ça faisait un peu rire, aux fins de banquets. De l’Hugo comme on l’aime dans les chaumières. Poète national. Poète du populo. Papa avait appris ce vers sur les bancs de la communale, juste avant de rentrer dans la vie professionnelle. À sa mort, j’ai retrouvé de petits carnets dans lesquels il notait des mots manifestement choisis au hasard dans le dictionnaire pour leur sonorité, leur couleur, leur bizarrerie orthographique. Un peu comme on choisit des mets sur un menu étranger dont on ne comprend pas la langue. Quand je suis allé pour la première fois au Japon, cela devint immédiatement un de mes jeux favoris : je prenais un menu écrit en idéogrammes, je posais mon doigt au hasard sur une ligne de kanjis, le garçon m’apportait le plat commandé et je m’émerveillais à chaque fois du machin étrange qui reposait dans l’assiette ou le bol.
Il m’arrivait d’en rire, seul, face à mes deux baguettes que je tournais entre mes doigts en me demandant par quel côté attaquer le repas. Papa, dans ses carnets, avait noté des mots qui eux aussi continuent de tristement m’émerveiller. Des mots qu’on ne sait pas non plus par quel bout attraper. Des mots comme ectropion, empyreume ou exogyne, si j’ouvre ses petits carnets à la page des E. Des mots qui ne lui servaient à rien. Des mots qui ne servent à pas grand monde, à part à quelques Japonais qui cherchent à maîtriser notre langue pour faire les malins lors de quelconques symposiums sur l’onomasiologie.
En feuilletant ses carnets, j’avais les larmes aux yeux. Je crois bien que c’est Cocteau qui a écrit : « Un roman, c’est un dictionnaire dans le désordre. »
Papa, à sa façon, était donc romancier.
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Lettre à Pierre Michon

Pierre Michon
Funambule majuscule

Mardi 6 juin 2000

Cher Pierre,

(....)A sa mort [**père de l'auteur ], j'ai retrouvé de petits carnets dans lesquels il notait des mots manifestement choisis au hasard dans le dictionnaire pour leur sonorité, leur couleur, leur bizarrerie orthographique. Un peu comme on choisit des mets sur un menu étranger dont on ne comprend pas la langue. (...)
En feuilletant ses carnets, j'avais les larmes aux yeux. Je crois bien que c'est Cocteau qui a écrit : "Un roman, c'est un dictionnaire dans le désordre."

Papa, à sa façon , était donc romancier.

J'ai été intoxiqué par la chose littéraire et j'ai passé ma vie à lire, hanter les librairies, les bibliothèques, les bouquineries: quête du Graal dans des odeurs d'encre, de poussière, de cire et de moisi. (p. 27)
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La vie m’a plutôt gâté, si je regarde en arrière, et rien ni personne ne m’a contraint à cet enfer douillet (je veux dire la littérature) (enfin, sa quête). En exergue de Vie de Joseph Roulin, sans doute un de tes plus beaux livres, tu as écrit :
« Est-ce que chaque chose vaut exactement son prix?
— Jamais »,
répond l’autre.
On aurait vite tendance, en te paraphrasant, à rallonger la liste :
« Sommes-nous absolument ce que nous sommes?
— Toujours »,
répondrait l’autre.
Car nous sommes toujours ce que nous sommes, depuis notre naissance. Nous aurons beau courir après nous-mêmes pour nous lancer des pierres, elles ne nous atteindront jamais. Nous sommes inaccessibles à notre propre amélioration. À Nietzsche qui nous hurle : « Deviens qui tu es », on devrait simplement répondre : « Le mal était déjà fait. »
Le mal était venu d’ailleurs. De là où les seringues de la vie ne pénètrent aucune veine. Heureusement que tu as placé, en exergue d’un de tes autres livres, cette phrase salutaire :
«Tu pourras être un grand écrivain, tu ne seras jamais qu’un petit farceur.»
Ça fait du bien, de rire un peu.
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[A propos du métier de funambule ]

(...) cet amour d'un bout de fil tendu, cette impossibilité hautaine de pouvoir l'expliquer au -vulgum pecus-., il me semble que ça a quelque chose à voir avec l'écriture. C'est aussi ample, aussi généreux, aussi dangereux, aussi irraisonnable, aussi beau, aussi terrible, aussi orgueilleux et aussi inutile que l'écriture. Et l'on y accède par le même désordre de chemins. (p. 38)
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J’ai été intoxiqué par la chose littéraire et j’ai passé ma vie à lire, hanter les librairies, les bibliothèques, les bouquineries : quête du Graal dans des odeurs d’encre, de poussière, de cire et de moisi.
Dans je ne sais plus trop quelle interview (ou peut-être est-ce dans un de tes livres), tu parles de tes errances au milieu des villes et de leur surabondance d’ouvrages ; errance d’un naufragé en quête de grâce. Je connais cette vacance. On feuillette, tout debout, un peu de tout et de n’importe quoi pour se donner l’illusion d’être. Je connais, pour l’avoir suffisamment subie, cette indigestion de trop de temps libre, cette paresse de retrousser les manches. Fréquemment, j’appelle au secours Louis Guilloux, ce grand écrivain injustement méconnu qui disait justement, comme s’il s’était tout spécialement adressé à nous : « Il ne faut pas qu’un certain pessimisme serve d’excuse à notre paresse d’écrire. »
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Vidéo de Guy Boley
Le roman de Guy Boley « A ma soeur et unique » publié chez Grasset nous raconte l'histoire d'un homme, Nietzsche, qui tente de transcender sa condition pour se consacrer à la réflexion, et nous plonge dans l'enfance et la vie d'adulte de ce héros de la pensée qui trouve malgré lui sa survie dans la folie car comme nous le dit Guy Boley dans ce podcast, quand on se cogne aux limites de l'entendement, c'est le néant qui revient parfois comme un boomerang.
Il s'agit aussi d'une histoire d'amour fraternelle qui finit mal, de blessures qui alourdissent le poids de l'existence, et de la littérature, de la philosophie, de la poésie, brandies comme les étendards du Salut.
Le roman de Guy Boley « A ma soeur et unique » publié chez Grasset a reçu le Prix des 2 Magots cette année, c'est le 5e livre de Guy Boley après « Fils du feu » publié chez Grasset en 2016, récompensé entre autres par le prix Françoise Sagan, le Grand Prix SGDL du premier roman. Il a écrit « Quand Dieu boxait en amateur » en 2018, paru chez le même éditeur et « Funambule majuscule : Lettre à Pierre Michon » suivie de « Réponse de Pierre Michon aux éditions Grasset en 2021 !
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