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EAN : 9782253937876
384 pages
Le Livre de Poche (05/10/2022)
  Existe en édition audio
4.11/5   996 notes
Résumé :
L’homme qui nettoie rôde autour de nous.
Parmi nos déchets, il cherche des indices sur nos vies.
En particulier sur celles des femmes seules.
Une femme lui a fait beaucoup de mal enfant : sa mère.

La chasseuse de mouches, elle,
tente de sauver les femmes en péril.
Et elles sont nombreuses...
Surtout quand l’homme qui nettoie
rôde autour d’elles.
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Critiques, Analyses et Avis (220) Voir plus Ajouter une critique
4,11

sur 996 notes
Après plusieurs longs jours sans retrouver le plaisir habituel de lire, j'ai tenté ce thriller sans trop y croire. Même si je ne l'ai pas lu en une nuit blanche, ce polar m'a passionnée. Je l'ai trouvé efficace et percutant sur toute la ligne. C'était aussi mon premier Donato Carrisi, je n'avais pas objet a comparer.

Dans ce thriller, on va suivre quatre personnages principaux. Ni plus ni moins. L'homme qui nettoyait, la chasseuse de mouches, la jeune fille à la mèche violette et Micky, le seul à être nommé.

Ce petit monde va se tourner autour, se fuir ou s'attirer. Il y aura des meurtres de femmes d'un certain âge et blondes oui surtout blondes platines (mais là n'est pas l'épicentre de ce livre, les scènes ne sont jamais gore car implicites).
Il y aura surtout un aspect psychologique passionnant que seul le lecteur pourra cerner. Psychologie autour de l'homme qui nettoyait, l'homme invisible qui fuit les gens, qui se méfie de tous et qui semblent marqué au fer rouge.
La chasseuse de mouches s'occupe de pister ces hommes qui martyrisent leur compagne.
La jeune fille à la mèche violette tente d'en finir avec la vie.

C'est un thriller que j'ai trouvé intelligent et habile dans cette façon de nous donner les pistes de réflexion à nous lecteurs. Les ellipses temporelles sur la jeunesse de l'homme qui nettoyait sont les clés de cette intrigue. Et savoir que nous sommes uniques tenanciers du mystère autour de cet homme mi ange mi démon est tout à fait jubilatoire.

Tout m'a plu dans ce thriller qui utilise à bon escient le sens des détails. Ni trop ni trop peu, juste assez pour nous faire visualiser chaque scène importante et nous les plaquer en mémoire pour l'assemblage du puzzle. Un polar qui joue aussi sur la corde sensible en creusant l'abysse, la où émerge le mal, où il se nourrit, se fortifie et émerge dans une réalité dramatique.
Ce thriller est inspiré de faits réels, c'en est d'autant plus effrayant.

Le seul livre m'ayant donné des sueurs froides liées à l'ambiance obscure c'est Simetierre du King. Je suis l'abysse m'a procuré le même effet. C'est tout dire.
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C'est saisissant, intense. Une bombe à retardement qui… Jusqu'à la toute fin, la chute arrive sans crier garde. Tout se met en place doucement. Trois personnages principaux humainement ambivalents. Un ongle rouge cassé, un bocal de cornichon, une porte verte.
Trois solitaires sombres. L'homme qui nettoie, « FUCK » la jeune fille à la mèche violette. La chasseuse de mouches : sa mission trouver les femmes en difficulté avant qu'il ne soit trop tard. Tout en restant mystérieux, chacun fait croitre une individualité angoissante dans une ambiance malsaine. L'histoire est telle que je cohabitais à leur côté, difficile de ne pas être troublé.
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Maltraitance sur enfants, violences conjugales, féminicides, tueur en série, vengeance et justice. Tels sont les thèmes abordés dans ce sombre thriller intitulé "Je suis l'abysse" de Donato Carrisi.

L'abysse, c'est "l'homme qui nettoyait", agent de propreté doué pour rester invisible. Nous ne saurons jamais comment il se nomme, nous ne connaîtrons son "histoire" que dans les toutes dernières lignes du tout dernier chapitre. Pourtant, quelques bribes de son enfance nous seront relatées : une enfance terrible, douloureuse, maltraitée, violentée, une mère qui ne l'aime pas, un beau-père qui n'hésite pas à utiliser les grands moyens pour en faire un homme. Aujourd'hui, quand il ne ramasse pas les poubelles des habitants de Côme, il les fouille, les examine, les trie et retranscrit dans son cahier la liste des détritus... parce qu'on peut en apprendre beaucoup sur les gens grâce à leurs poubelles. L'homme qui nettoyait recherche des femmes seules, isolées, blondes et la cinquantaine de préférence...

Mais "Je suis l'abysse", ce n'est pas uniquement l'homme qui nettoyait. Car parallèlement, nous suivons également "la chasseuse de mouches", femme quinquagénaire au passé mystérieux que l'on devine douloureux et qui se bat contre les violences conjugales, qui apporte son aide aux femmes violentées par leur mari/conjoint/petit ami. Là, en ce moment, elle cherche l'identité d'une femme dont le bras a été rejeté par les eaux du lac, un bras dont un des ongles de la main, vernis de rouge, est cassé...

Et puis, n'oublions pas "la jeune fille à la mèche violette", ado de treize ans sauvée de la noyade par un inconnu qui a pris la fuite avant l'arrivée des secours. Au fond de sa gorge, a été retrouvé un morceau d'ongle rouge...

À la fin du roman, juste avant les remerciements, il y a une petite note de l'auteur : « Cette histoire est inspirée de faits réels ». J'en suis restée sur le c**, ayant trouvé le déroulement de l'intrigue parfois un peu improbable (des coïncidences qui arrivent à point, des déductions vers la vérité un peu trop faciles ou trop simples). Donc bon d'accord alors, mais j'aurais préféré le savoir avant lecture plutôt qu'après, je l'aurais certainement lu avec un tout autre vis-à-vis.

Aussi, "Je suis l'abysse" n'est pas un thriller qui joue beaucoup avec le suspense. Même si les identités sont tues, si leur passé et leur mal-être ne nous sont dévoilés qu'au compte-gouttes, j'ai tout de même compris assez tôt l'essentiel : qui était qui et quels liens les reliaient entre eux.

En revanche, en utilisant le roman à plusieurs voix, trois ici, l'auteur nous permet de bien cerner les personnages et leur psychologie, leurs ressentis, leurs ambiguïtés. J'ai particulièrement apprécié la manière dont il les a façonnés, dépeints, dont il a retranscrit leurs états d'âme, leurs réactions, leurs décisions. Ils sont, pour ma part, le point fort du livre.

L'ambiance, sombre, violente, parfois malaisante, est également subtilement bien dépeinte, ne tombant jamais dans le sanglant et l'horrifique malgré la brutalité des actes.

La lecture se veut entraînante, grâce aux chapitres courts, à l'alternance des personnages. Ça bouge pas mal également, il y a du rebondissement, souvent prévisible certes, mais il y en a. Nullement, on prend le temps de s'ennuyer.

"Je suis l'abysse" ne sera pas mon préféré de Donato Carrisi, mais il se laisse lire aisément.
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Que devient-on lorsque l'on a manqué être assassiné et abandonné par sa propre mère à l'âge de 5 ans et quand on ne sait pas non plus qui est son véritable père ?

On devient l'homme qui nettoie. Celui que personne ne remarque, qui a le don d'invisibilité.

On devient celui qui fouille dans les poubelles de femmes seules pour découvrir leur personnalité, leurs habitudes, leurs petits secrets.

On devient celui qui les attire dans ses filets, pour les assassiner à leur tour.

Quand on est une chasseuse de "mouches", c'est ce type de prédateur que l'on cherche à retrouver et à faire enfermer, pour protéger les femmes qui sont ses proies.

Jusque là invisible, voire insoupçonnable, la vie de l'homme qui nettoie va changer... Parce qu'en sauvant quelqu'un, il a fini par laisser des traces.

Et ces traces, la chasseuse de mouches ne les laissera pas passer.

A mon avis :
J'avais apprécié "La maison des voix" de D. Carrisi, mais avait également regretté une fin un peu expéditive ou en tout cas manquant de clarté.

J'ai retrouvé le même défaut dans "Je suis l'abysse", pas tant sur la clarté, mais surtout par sa rapidité à conclure, alors que l'on aurait aisément pu avoir quelques chapitres de plus pour échafauder une conclusion bien plus passionnante.

Pourtant, ce thriller part très bien. On est tout de suite entraîné dans l'histoire qui offre son lot d'action et de suspense.

Des histoires dans l'histoire viennent accentuer l'intrigue et la rendre vraiment intéressante, nourrie par des meurtres et de sombres comportements.

A la fois, c'est dommage de si vite terminer ce scénario, mais d'un autre coté c'est aussi la preuve que je n'avais pas envie qu'il se finisse et que j'aurais eu du plaisir à continuer à feuilleter ce livre. Et ça, c'est quand un livre me plait.

L'écriture est limpide, avec cette particularité de ne pas nommer tous les personnages par leurs prénoms mais plutôt par ce qui fonde leur personnalité et leur activité dans la vie. C'est surprenant au début, mais c'est très certainement lié à la nécessité de conserver quelques zones d'ombres sur lesdits personnages. On le comprend mieux en tournant la dernière page, qui explique tout.
Donc, pour ceux qui aiment bien lire la dernière page d'un livre avant de le commencer, je vous le déconseille vivement.
Ainsi donc vous retrouverez dans ce livre, comme dans "La maison des voix", un scénario bien planté, servi par des personnages profonds et intéressants, mais qui pêche un tout petit peu par sa fin trop précipitée.


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Emoustillée par "La maison des voix", et comme je ne peux rester longtemps sans lire un bon thriller psychologique, j'ai emprunté ce Donato Carrisi pour les vacances. Il se passe au bord du Lac de Côme, une destination qui justement me tenterait bien pour un petit séjour avec un décor magnifique, les montagnes italiennes en toile de fond, et cet immense lac en forme de Y bordé de demeures cossues.
Mais cette image de carte postale a été mise à mal dans ce roman, où on découvre que même dans un site qui fait rêver, de noirs abysses cachent des histoires terrifiantes. Comme le dit un médecin légiste dans ces pages, le lac restitue régulièrement des membres arrachés par "une irrésistible force inconnue", surtout qu'à certains endroits des fosses de plus de 400 mètres de profondeur sont propices à ensevelir toutes traces de crime...
Tiens, d'ailleurs justement un bras vient de refaire surface ! Il appartiendrait à une femme, blonde, la soixantaine, qui aurait pris la peine de se vernir les ongles en rouge vif avant de faire le grand plongeon. Voilà de quoi intriguer La Chasseuse de mouches.
La Fille à la mèche violette a également voulu le faire, ce grand plongeon, mais heureusement (ou hélas, selon le point de vue) pour elle, l'Homme qui nettoie passait dans le coin, et sans qu'il comprenne vraiment pourquoi, il s'est jeté à l'eau pour la repêcher. Ce qui n'est pas vraiment dans ses habitudes, on le comprendra vite. Et son colocataire, Micky, ne sera vraiment pas content du tout s'il l'apprend !
Ces trois personnages ne seront jamais nommés autrement que par ces périphrases qui les caractérisent. L'Homme qui nettoie parce qu'il est éboueur, et en profite pour fouiller dans les déchets des gens, où il apprend tant de choses sur eux, et repère des "sujets" intéressants. La Chasseuse de mouches tente d'aider des femmes victimes de harcèlement ou de mauvais traitements qu'elle contacte via des flyers où elle leur recommande de se signaler (par exemple en déposant un bocal de cornichons dans les surgelés lorsqu'elles font leur courses). Les mouches, ce sont ces hommes nuisibles qui gravitent autour des femmes pour leur pourrir la vie, j'ai trouvé la métaphore assez parlante.
Et la Fille à la mèche violette, elle n'a que treize ans et habite une de ces belles villas que j'évoquais au début, mais ça ne l'empêche pas d'avoir une vie qui ne fait guère envie, ce n'est pas pour rien qu'elle voulait s'enfoncer dans l'abysse.
On suit ces trois personnages alternativement, ainsi que Micky, le "colocataire" omniprésent de l'Homme qui nettoie. Certains chapitres sont introduit par une date, ils plongent dans le passé des protagonistes et permettent d'expliquer comment ils en sont arrivés là où ils en sont aujourd'hui. Ce sont les plus glaçants, mais aussi ceux qui recèlent le plus de clés. L'un des tout premiers m'a vraiment fait frémir...
Comme dans "La maison des voix", le rythme s'accélère dans les dernières pages, et la conclusion arrive comme un boulet qui coupe le souffle, surtout quand on découvre ensuite que l'auteur s'est inspiré de faits réels. L'abysse, on le trouve dans la psyché de certains personnages, tellement noire qu'on n'en voit pas le fond, et qu'on n'a certainement pas envie d'y plonger, à moins d'être un lecteur un peu tordu ? Mince, je viens de me dénoncer...
Un thriller psychologique efficace, qu'on lit d'une traite sans reprendre son souffle (oui, j'arrête !).
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critiques presse (1)
SudOuestPresse
10 janvier 2022
Grâce à ce jeu de masques, l’auteur organise le partage du suspense entre les figures du deuil et de la rédemption. Un étonnant savoir-faire pour noyer le poison dans l’eau bénite.
Lire la critique sur le site : SudOuestPresse
Citations et extraits (91) Voir plus Ajouter une citation
Il ne veut pas gâcher cette journée, alors il se rapproche à nouveau de la piscine. Une fois au bord, il tend le pied et trempe un orteil dans l’eau, qui ressemble à de la gélatine. Il sait que Vera le fixe, il a envoyé son regard entre ses omoplates. Sans tergiverser davantage, il s’assied et immerge ses jambes jusqu’aux genoux. Elles disparaissent dans l’ombre liquide tandis qu’un frisson glacial remonte le long de son dos. Il prend de grandes inspirations.

— Les brassards te permettront de flotter, le rassure Vera depuis sa serviette. Et puis je te surveille.

L’enfant cherche la force d’entrer dans ce liquide stagnant. Il sait qu’il n’a pas beaucoup de temps. Le temps est l’allié de la peur, il l’a appris la fois où Vera a lancé sur lui un cendrier en verre, parce qu’elle était malheureuse et qu’elle avait trop bu. Une seconde d’hésitation et il s’est retrouvé avec une grosse coupure derrière l’oreille gauche.

— Si tu n’y vas pas tout seul, je t’y balance, dans cette putain de piscine, poursuit sa mère d’une voix sombre en tirant sur sa cigarette.

L’enfant ferme les yeux et se laisse glisser.

Au début, il coule, mais quelque chose a choisi le ramener vers le haut. Les brassards le font flotter dans le bouillon noir. Pourtant, il a la désagréable sensation que la piscine s’est réveillée. Alors il bouge frénétiquement les pieds, plus pour lui échapper que pour nager.

— Tu as vu, ce n’est pas difficile ! Maintenant, essaie d’avancer un peu.

Avancer ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Il n’a aucune idée de comment diriger son corps d’un côté ou de l’autre. Toutefois, pour ne pas la décevoir, il agite les bras et se dirige vers le centre. Il se sent fier en l’atteignant, mais cela ne dure pas : il y a quelque chose sous lui. Quelque chose a choisi qui essaie de l’attraper. Une caresse sur sa cheville. Il sursaute. Une main ? Il pousse un cri aigu, « de gonzesse », dirait Vera, tandis que son pied accroche un corps étranger qui émerge un instant à côté de lui, avant de replonger. Une branche solitaire et noueuse. Il entend sa mère rire au loin. Soudain, son attention est attirée par un très léger courant d’air qui arrive tout droit sur sa joue. Mais d’où vient-il ? Il regarde le haut de son bras droit.

Il ya une petite marque sur le plastique orange.

Ce petit trou insignifiant suffit à laisser échapper l’air. Au fur et à mesure que la bouée se dégonfle, il sent son bras s’alourdir. Il voudrait retourner vers le bord, mais avant qu’il puisse réagir, le même chose se produit dans l’autre brassard.

Ce qui le maintenait au-dessus de l’abysse est en train de l’abandonner.

Il se débat, convaincu que l’eau croupie veut le retenir. À plusieurs reprises, elle monte au-dessus de son menton et le liquide envahit sa bouche. La piscine ne veut pas le laisser partir. Sa première réaction est d’avertir Vera. Il parvient à lever la tête vers elle et à prononcer son prénom presque en entier. Il aperçoit sa mère, juste un instant, et c’est l’effarement.

Vera a ramassé sa serviette et la range dans son grand sac.

Saisi de panique, il se raidit et finit sous l’eau. Il peine à remonter à la surface : Vera, qui a remis son chapeau de paille et ses lunettes de soleil, est en train de s’éloigner en roulant des hanches sur ses sandales aux brides étincelantes. Son cœur d’enfant lui dit que ce n’est pas vraiment en train de se passer. Il crie, il l’appelle. Elle ne répond pas et, en attendant, il avale encore de l’eau amère qui lui coupe la respiration. Il se débat, il coule. Il penche la tête vers l’arrière pour la recherche du regard. Elle est partie. Elle n’est plus là. Sa mère n’est plus là.

Les brassards ne sont plus que des appendices flasques. Il pleure et fait des moulinets avec ses bras. Des détritus remontent de l’abysse, l’entourent. Bouteilles en plastique, canettes, bidons rouillés, sacs-poubelles. Dans une tentative désespérée de se sauver, il s’agrippe aux déchets, en vain. Ses gémissements sont suffoqués, des larmes chaudes coulent le long de ses joues. L’horreur explose dans son ventre en même temps que l’angoisse. Le bord de la piscine est à la fois tout proche et très loin. Il coule, remonte à la surface. Pour combien de temps ? Sa prochaine inspiration pourrait être la dernière, il le sait. Il ne se résigne pas et se démène comme un diable, il essaie de résister au flux de l’eau qui l’entraîne vers le bas. Le bord se rapproche. Mais pas assez.

Pas assez !

Ses forces l’abandonnent. Ses jambes, raidies par les crampes, sont sur le point de lâcher. Quant à ses bras, il ne les sent plus. « Le petit gros est en train de couler », se moque-t-il lui-même en imitant la voix sans pitié avec laquelle Vera s’est si souvent adressée à lui.

Toutefois, précisément à ce moment, il fait une découverte inattendue. Un secret silencieux enfoui à l’intérieur de lui, peut-être depuis toujours, dissimulé sous les bourrelets.

Une force irrésistible inconnue.

Ses bras qu’il croyait inertes se tendent d’eux-mêmes et giflent violemment la surface de l’eau, ses pieds et ses jambes se réaniment pour le propulser. Il ne sait pas d’où vient cet instinct. C’est comme si quelqu’un d’autre avait pris le contrôle de son corps. Il ressort la tête et reprend son souffle. Ses poumons se remplissent d’air.

Encore un effort. Un autre. Puis il sent le mur et s’y cramponne tant bien que mal. Il reste ainsi, tremblant, secoué par des spasmes incontrôlables, ses doigts blancs agrippés aux carreaux de la piscine. Les secondes passent, puis les minutes. Le seul bruit qui l’entoure est le chant indifférent des cigales. Toujours riveté au bord, il avance avec prudence jusqu’à l’échelle rouillée à laquelle il manque des barreaux. Il se hisse comme il peut et sort de la fosse sombre. Il fait chaud mais il a si froid. L’urine coule entre ses jambes, il ne s’en rend pas compte. Il ne perçoit que son cœur emballé.

— Maman… appelle-t-il pour la première fois d’une voix étranglée. Maman…

Il sanglote, tant pis si elle se moque de lui.

Il ne sait pas quoi faire ni où aller. Il n’a que deux certitudes.

Sa mère l’a laissé seul. Et maintenant, il sait nager.
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— La première fois, il te donne juste une baffe et tu lui pardonnes, tu te dis qu’il n’est pas comme ça, qu’il a un peu trop bu. La deuxième, il te faut un peu plus de temps pour arrêter de lui en vouloir, mais ensuite tu mets ça sur le compte du stress. La troisième, c’est de ta faute, du moins c’est ce que tu te racontes : tu l’as énervé parce que, quand tu t’y mets, tu es vraiment chiante. Mais entre-temps, les baffes s’intensifient. Bientôt, elles deviennent coups de pied et de poing, tu ne sais plus comment cacher les bleus, même le fond de teint ne suffit plus. Parfois il pleure, il te demande pardon. Tu fais l’amour avec lui en espérant tout oublier, mais en même temps tu pries pour ne pas tomber enceinte. La seule chose que tu obtiens, c’est de ne plus pouvoir te regarder dans le miroir à cause de la honte et des hématomes. Mais sois tranquille, c’est lui qui réglera le problème, il t’attrapera par les cheveux et te cognera le visage, il le fera voler en éclats…
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L'air matinal était le meilleur, alors il essayait toujours de se faire assigner la première tournée. Cela comportait l'avantage, outre le fait de ne pas avoir à interagir avec ses collègues, de profiter de la quiétude du matin. Un privilège aussi intime ne pouvait être partagé avec personne. L'homme qui nettoyait était taciturne. Même quand il pensait, ses raisonnements étaient de longues réflexions où les images défilaient dans sa tête, accompagnées de sensations très simples.
Toutefois, son introversion mettait les gens mal à l'aise.
Il ne voulait pas gêner les autres par sa présence. Personne n'apprécie la compagnie de quelqu'un qui ne parle pas, ne fume pas, ne boit pas d'alcool, ne s'intéresse ni au sport ni aux femmes et n'a ni épouse ni enfants dont se plaindre. Un homme sans amis. Un homme qui n'en a pas besoin, aurait-il dit s'il avait été capable de le formuler. En effet, l'homme qui nettoyait ne possédait pas de définition de lui-même.
Nettoyer était ce qui le représentait le mieux.
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Premières lignes…

Sur l’inscription, en hauteur, il manque des lettres et certaines sont tordues. Il n’a que cinq ans, il ne va pas encore à l’école, mais il reconnaît le G et le H , et il sait que le petit rond est un O , la même forme que celle de ses lèvres à cet instant, sous l’effet de la stupeur.
—  Grand Hôtel , lit Vera pour lui signalé en gros le bâtiment qui les attend, silencieux. Un grand hôtel pour une grande aventure, qu’est-ce que je t’avais dit ?
Les fenêtres closes sont des yeux aveugles ; les fissures sur les murs, des sillons tracés par des larmes séchées. Les inscriptions et les dessins colorés, qui n’ont plus rien de joyeux, lui donnent des airs de vieux géant humilié. La porte automatique, barrée par des planches de bois, ressemble à un manège cassé. Des petits arbustes ont poussé, trouant l’asphalte tels des squelettes sortant de leurs doigts.
Hormis un chœur de cigales invisibles, on n’entend que les pas de Vera et le variateur des pinces en plastique de l’enfant. Vêtu d’un short bleu et d’un débardeur, il est à contretemps, incapable de tenir le rythme. Au contraire, Vera, élancée comme un flamant rose, dégage une grande confiance en elle, perchée sur ses sandales aux mariées étincelantes.
Malgré le soleil aveuglant, l’enfant ne peut s’empêcher de lever les yeux pour admirer la femme qui marche à côté de lui. Elle porte des lunettes œil-de-chat aux verres foncés et trois gros bracelets qui glissent sur son coude quand elle retient le chapeau de paille qu’il aime tant, celui à la bande rose qu’ils ont volé ensemble dans un magasin de souvenirs. C’est lui qui lui a demandé de le mettre avant de sortir, et elle a accepté pour lui faire plaisir. Tee-shirt Sous son short, Vera porte son bikini à fleurs vertes et jaunes de vedette de cinéma. Ses cheveux vaporeux, blonde platine, brillent dans la lumière du matin. Sa peau est douce et lisse, avec de minuscules grains de beauté gracieux qu’on ne remarque que de très près.
En l’observant, l’enfant se sent triste. Il a parfois l’impression de ne pas mériter une maman si belle. Il est si mou et pataud, elle si parfaite.
— Avance, on est presque arrivés, le presse Vera, un peu agacée.
L’enfant est essoufflé, il voudrait lui demander de ralentir un peu, mais il se tait parce qu’il a peur qu’elle lui lâche la main. Cette proximité physique est si rare qu’il n’arrive pas à croire qu’elle ne se soit pas encore libérée de son contact moite.
Mais aujourd’hui, c’est une journée spéciale.
Vera porte sur son épaule un grand sac dans lequel elle a fourré les serviettes et le déjeuner : deux sandwiches et deux Coca-Cola. Une odeur de mortadelle flotte dans l’air et on entend les petites bouteilles qui tintent.
Aujourd’hui, c’est leur Grande Aventure.
Ils en parlent depuis des semaines. Le plus étrange, c’est que c’est elle qui l’a proposé. L’enfant a pensé que, comme les autres fois, Vera oublierait. Mais non. Elle lui a fait une promesse et, apparemment, elle est en train de tenir parole.
Tant pis si l’endroit de la Grande Aventure n’est pas comme il l’imaginait. Au moins, il n’y a aucun homme-mouche avec eux, cette fois : c’est ainsi qu’il appelle les hommes qui se retournent sur Vera dans la rue, l’encerclent de leurs mille yeux et émettent un vrombissement incompréhensible et dérangeant, comme les mouches. Dans ces moments-là, Vera semble être la seule à ne s’apercevoir de rien. Parfois, l’un d’eux parvient à la faire rire. Alors elle le fait entrer dans sa vie, sans demander à son fils s’il est d’accord. Mais aujourd’hui, c’est différent. Aujourd’hui, personne ne fera rire sa mère, personne ne lui fera oublier son enfant.
Aujourd’hui, Vera est à lui, rien qu’à lui. Désormais, il a compris que les hommes-mouches vont et viennent, mais ne restent pas. À un moment, Vera se lasse d’eux. Elle entre alors dans une phase où elle les ignore, et l’enfant s’en accommode. Parfois, l’un d’eux s’aperçoit de sa présence et, tel un père, entreprend de faire son éducation. Son souvenir de la dernière fois est une marque sous l’aisselle, le baiser brûlant d’une cigarette.
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Très souvent, la peur d'affronter le changement est plus forte que celle de la violence : de nombreuses femmes attendent en vain que leur bourreau devienne gentil, sans considérer que cela pourrait ne jamais arriver.
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Vidéo de Donato Carrisi
Extrait du livre audio « La Maison aux lumières » de Donato Carrisi, traduit par Anaïs Bouteille-Bokobza, lu par Sylvain Agaësse. Parution numérique le 25 octobre 2023.
https://www.audiolib.fr/livre/la-maison-aux-lumieres-9791035414832/
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