Quand j'ai commencé à lire l'histoire de ce grand-père qui quitte le Viêt-Nam, je me suis demandé pourquoi
Philippe Claudel s'était trompé et n'avait pas écrit « petite-fille ». Il m'a fallu attendre la dernière phrase pour le comprendre… mais je vous laisserai le découvrir vous-même !
Monsieur Linh quitte son pays natal ravagé par la guerre, après la mort de sa famille à la suite d'un bombardement. Il n'emporte avec lui qu'une valise, avec une vieille photo et un peu de terre, et la petite Sang Diû. Après six semaines de voyage, le bateau sur lequel il a fui arrive aux Etats-Unis. Dans ce pays dont il ne comprend pas la langue, il est accueilli avec d'autres réfugiés dans un dortoir avant que l'administration leur trouve à tous un autre lieu d'accueil. Comme il est le plus âgé, par respect plus que par générosité, les autres familles qui sont là lui fournissent de la nourriture, tout en le traitant de fou à cause de la manière dont il s'occupe de Sang Diû.
Le jour où Monsieur Linh sort pour la première fois du dortoir et affronte le froid de la grande ville, on assiste à la rencontre du déracinement et de la solitude. Sur le banc où il est assis, vient s'asseoir Monsieur Bark. un vieil homme veuf depuis peu, qui engage la conversation avec lui. Même s'ils ne se comprennent pas et que les mots qu'ils échangent sont plutôt des malentendus, ces deux hommes deviennent amis. Monsieur Linh se débrouille pour avoir des cigarettes à offrir à Monsieur Bark qui l'invite au restaurant, lui fait découvrir la ville et offre une robe à Sang Diû. " Grâce à Monsieur Bark, le pays nouveau a un visage, une façon de marcher, un poids, une fatigue et un sourire, un parfum aussi, celui de la fumée des cigarettes. le gros homme a donné tout cela à Monsieur Linh, sans le savoir."
Un jour, quand ils sont au port, Monsieur Linh regarde la mer au loin et nomme son pays, le Viêt-Nam. A cette évocation, Monsieur Bark se remémore la guerre qu'il a dû faire là-bas et en demande pardon à son ami. Les deux hommes se voient tous les jours jusqu'au jour où Monsieur Linh est emmené dans ce qu'il croit être un château, mais qui n'est qu'une maison pour les personnes âgées. Elle ressemble un peu à une prison, avec ses pensionnaires en uniforme pyjama blanc et robe de chambre bleue. Monsieur Linh essaie de sortir pour retrouver son ami, mais le personnel l'empêche de le faire. Alors, il fait profil bas pendant plusieurs jours avant de trouver le moyen de quitter discrètement cet endroit.
Les retrouvailles avec Monsieur Bark sont plus difficiles qu'il le pensait : il traverse toute la ville , se perd, se blesse… Tout à coup, il aperçoit son ami sur le trottoir d'en face, il traverse la rue… et se fait écraser ! Monsieur Bark qui l'avait vu le rejoint et croit qu'il est mort. Finalement c'est Sang Diû, que Monsieur Linh a protégée depuis qu'il a quitté son pays, qui lui redonne la vie grâce au geste de Monsieur Bark qui la pose sur le coeur de son ami. Et en ce soir de début de printemps, Sang Diû, "Matin Doux", devient source de vie.
Cette histoire de déracinement et de solitude montre qu'il n'y a pas forcément besoin de paroles pour se comprendre, pour se donner des signes d'amitié, pour marcher un bout de chemin ensemble. "C'est comme de retrouver un signe sur un chemin alors qu'on est perdu dans la forêt, que l'on tourne et tourne depuis des jours, sans rien reconnaître", pense Monsieur Linh quand il retrouve Monsieur Bark après leur première rencontre. Une belle rencontre pour eux deux... et aussi pour le lecteur !