Un écrivain,
Thomas Clerc, arpente les rues de son arrondissement, le 10 ème, de février 2004 à juin 2007. Il note, à la volée, tout ce qu'il voit. But: inclure dans l'oeuvre même les caractères de la vie réelle. Il s'efforce d'être exhaustif, de passer par toutes les rues, boulevards, passages, travées, cours
intérieures, ruelles, places, parkings, cités, gares (du Nord, de l'Est), canal...
Sa règle: l'alphabet, explorer un quartier, une zone, de A à Z...
Il fait des rencontres, il croise des sosies (Milosevic,
Georges Perec) des connaissances, amis, famille (sa tante Thérèse au bras d'une prostituée):
Regard subjectif de rigueur. Quand ça ne lui plaît pas, il dit AFS (à faire sauter); quand ça ne lui plaît vraiment pas: AFSU (à faire sauter d'urgence).
Toujours inspiré par le n'importe quoi, le minuscule et l'anodin, il réussit à avoir son idée sur tout, des détails sans importance, lettres de métal, centre de santé, le sigle SDF opposé au vieux terme de clochard, les noms de magasins (Créa-Tif, Moustache bar homo, Sexy Shop, Franprix, Monoprix, Yatoo Partoo, G 20, Key West...).
A chaque pas, il peut être ramené à des souvenirs personnels, une rupture, une agression, des connaissances, le souvenir d'un spectacle, la visite d'un appartement, une nuit sexuelle dans un hôtel louche, une réflexion numérologique (39 ans: l'âge qu'il a, l'âge de
Guillaume Dustan et de
Maurice Sachs à leur mort)...
Le livre se présente comme une suite continue de fragments désordonnés, un melting-pot d'observations collées les unes après les autres qui déroule la vie des rues, un flux continu figé dans l'écriture. Autant dire qu'il faut un certain effort pour entrer dans le livre et y rester . Mais on est têtu, on tiens le coup, d'abord pour le plaisir un peu snob de finir un bouquin expérimental que peu de gens ont lu/vont lire, et on est conquis par son ironie légère déjà testée dans
Intérieur au début de l'année.
L'auteur devient notre guide, on est heureux de flâner, errer, observer, se moquer, s'introduire dans des endroits le suivre :
On chemine avec un vrai Parisien fier de l'être (parce que, en d'autres contrées, dans d'autres milieux « parisien », ce serait une insulte, un peu comme fonctionnaire). Il nous parle, il nous montre des choses qu'on aurait pas vu sans lui. Tiens, par exemple, page 171, un cunnilingus à ciel ouvert...(voir les citations).
L'auteur inspire le lecteur: quand on erre en ville soi-même, on se surprend à faire comme lui, à penser à sa manière, comme un critique d'art réel, le spectacle de la ville est changeant, tout paraît beau. C'est neuf en terme de littérature et ça fait toujours du bien. On éprouve le sentiment d'utilité des mots et de la littérature quand elle capte et capture un gros morceau de Réel pour le mâcher comme une bonne viande, cette fameuse substantifique moelle.
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