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EAN : 9782371775619
132 pages
publie.net (14/10/2015)
3.5/5   7 notes
Résumé :
« Voici LA BALLADE DU VIEUX MARIN telle que l’a écrite Samuel Taylor Coleridge. Elle raconte l’histoire étrange d’un navire, d’un équipage et d’un marin qui s’est passée dans les mers froides du Sud et chaudes du Pacifique. Une histoire que chacun entendra à sa façon et qui commence sur un chemin où trois jeunes gens s’en vont à la noce. »

Traduction Patrick Calais. Postface de Michel Volkovitch.
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Publié pour la première fois en 1798 dans l'édition de Lyrical Ballads, qui rassemblait des poèmes de Wordsworth et de Coleridge, il est considéré comme l'oeuvre la plus importante de son auteur. Pourtant son succès n'allait pas de soi : Wordsworth considérait même que placé en tête du volume, le texte aurait « découragé les lecteurs d'aller plus avant, en raison de son étrangeté » et de ses « graves défauts ». Il l'évincera donc des éditions suivantes.

Il s'agit d'un long poème au contenu narratif, avec une thématique surnaturelle, tirant vers le fantastique. Un invité à une noce est agrippé par un vieux marin, qui tient à tout prix à lui conter son histoire. L'invité se montre au début réticent, veut rejoindre les mariés, mais il est progressivement happé par le récit du marin. Ce dernier a fait un étrange voyage, et s'est chargé d'un lourd péché : celui de tuer un albatros, qui portait chance à l'équipage de son bateau. Ses compagnons, au début en colère après-lui ont applaudi son geste, lorsqu'à la suite les vents se sont montrés favorables. Mais cette chance n'a pas durée, et le bateau se trouve immobilisé, et l'équipage n'a plus d'eau. Surgit alors un bateau maléfique, avec à son bord la Mort et la Vie-dans-la-Mort, qui jouent au dès le destin de l'équipage. La Mort gagne l'ensemble de l'équipage, qu'elle fait périr immédiatement, et la Vie-dans-la-Mort gagne le marin coupable, dont le sort sera pire. Mais grâce à une bénédiction qu'il prononce, il sera libéré. Mais devra raconter inlassablement son récit.

C'est un beau texte, très romantique dans sa noirceur, les malédictions, les voyages étranges, le destin. Aussi ses liens avec la nature : la mort de l'albatros brise une sorte d'harmonie originelle, les rapports de l'homme au monde, et aboutit au désastre. Mais une rédemption est possible par la grâce divine, même si elle n'est pas complète : l'homme doit raconter sans fin son aventure, comme une sorte de mise en garde.
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Le poème de Coleridge La complainte du vieux marin (The rhyme of the ancient mariner) exerce sa puissance à chaque fois. le paysage reste incroyablement infernal, tout en étant agrémenté d'effets météorologiques photographiquement réalistes, et la conduite narrative est irrésistible. L'une de ses innovations, et non la moindre, est ce dispositif cinématographique qui coupe, de temps en temps, entre la boutonnière urgente du Mariner sur l'invité du mariage, et la gaieté et le ménestrel alléchants du mariage. Comme l'invité impatient, le lecteur peut avoir envie de s'évader, mais il est retenu par l'insistance presque dérangée du ton du Marin.

Le pouvoir de l'histoire pourrait bien être fondé sur sa relation symbolique avec le propre sentiment d'inutilité et d'impuissance du poète, tel qu'exprimé dans une lettre à son ami, John Morgan :
"Quel crime y a-t-il à peine qui n'ait été inclus dans ou suivi de la seule culpabilité de prendre de l'opium? Sans parler de l'ingratitude envers mon créateur pour les talents gaspillés; de l'ingratitude envers tant d'amis qui m'ont aimé je ne sais pourquoi; de négligence barbare de ma famille… J'ai dans cette sale affaire de Laudanum cent fois trompé, trompé, non, réellement et consciemment menti."

Si la dépendance est le sous-texte du poème, cela aide à expliquer l'intrigue étrange dans laquelle la mort et la vie dans la mort lancent des dés sur le navire spectral pour décider du sort du marin et de son équipage. L'histoire que Coleridge a racontée sur les origines de sa dépendance à l'utilisation du laudanum comme analgésique pour les douleurs rhumatismales, souligne son propre sens du pouvoir cruel du hasard. L'addiction n'était pas choisie : c'était un sort qui lui était réservé.

L'albatros pourrait également symboliser le lien social. Au début du poème, l'oiseau visite régulièrement le navire et est nourri par les marins. On ne nous dit pas pourquoi le Mariner décide paresseusement de tuer l'oiseau. Encore une fois, l'indice est que l'acte aléatoire est la racine du mal. le moment où le marin commence à sortir de son bourbier de découragement est le moment où il surmonte sa répulsion face aux infects serpents de mer et, sans le savoir, involontairement, les bénit. Ces serpents peuvent être associés à l'imagerie du cauchemar induit par l'opium. Peut-être, en effet, est-ce en avouant la puissance imaginative de la vision de l'opium que le Mariner-Poète rachète son échec.

L'extrait suivant provient de la partie IV. Il comprend les gloses que Coleridge a ajoutées à l'édition de 1817 du poème, généralement imprimées en marge. Ce commentaire n'est parfois qu'explicatif mais il peut aussi apporter un éclairage psychologique supplémentaire.

"Dans sa solitude et sa fixité, il aspire à la Lune voyageuse, et aux étoiles qui séjournent encore, mais qui avancent encore ; et partout où le ciel bleu leur appartient, et est leur repos désigné, et leur pays natal et leurs propres demeures naturelles , où ils entrent à l'improviste, comme des seigneurs certainement attendus et pourtant il y a une joie silencieuse à leur arrivée."

La Lune en mouvement monta dans le ciel,
Et nulle part ne s'est fixée:
Doucement elle montait,
une étoile ou deux à ses côtés -

Ses rayons se moquaient de la sensuelle principale,
Comme la propagation de la gelée blanche d'avril ;
Mais là où gisait l'immense ombre du navire,
L'eau charmée brûlait toujours
Un rouge immobile et terrible.

"Par la lumière de la Lune, il contemple les créatures de Dieu du grand calme."

Au-delà de l'ombre du navire,
J'ai regardé les serpents d'eau:
Ils se déplaçaient sur des voies d'un blanc brillant,
Et quand ils s'élevaient, la lumière elfique
Tombait en flocons chenus.

A l'ombre du bateau
J'ai regardé leur riches atours:
Bleu, vert brillant et noir velours,
Ils se sont enroulés et ont nagé; et chaque voie
Était éclair de feu d'or.

« Leur beauté et leur bonheur.
Il les bénit dans son coeur."

Ô heureuses choses vivantes! Aucun mot
ne saurait dire leur beauté :
Une source d'amour a jailli de mon coeur,
Et je les ai bénis sans le savoir :

Bien sûr, mon gentil saint a eu pitié de moi,
Et je les ai bénis sans le savoir.

"Le charme commence à s'évanouir."

Au même moment, je pouvais prier;
Et de mon cou si libre
L'Albatros est tombé et a coulé
Comme du plomb dans la mer.

Coleridge était un formidable causeur, il parlait surtout de litérature et beaucoup de Shakespeare, on peut, dans les cas d'incompréhension se référer à lui,
mais, tout comme la totalité des lecteurs de Shakespeare, il est resté muet devant cette phrase d'Hamlet
(Acte 2, scène 2) 'Then are our beggars, bodies; and our monarchs, and outstretched heroes, the beggars' shadows.'
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Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
TROISIÈME PARTIE
Un temps bien pénible s'écoula ainsi ;
chaque gosier était desséché et chaque œil était vitreux
comme celui des morts ;
un temps bien pénible, un temps bien pénible !
Comme chaque œil vitreux était fatigué !
Mais voilà que, tandis que je regardais le couchant,
j'aperçus quelque chose dans le ciel.
D'abord cela me sembla une petite tache,
et ensuite cela me parut comme du brouillard.
Cela remua, remua, et prit enfin une certaine forme,
que sais-je ?
Une tache, un brouillard, une forme, que sais-je ?
et toujours cela approchait, approchait,
et comme si cela eût été une voile manœuvrée,
cela plongeait, courait des bordées et filait du câble.
Nos gosiers étaient si brûlants, nos lèvres si noires et si desséchées,
que nous ne pouvions ni rire ni gémir.
Avec notre extrême soif, nous demeurions muets.
Je mordis mon bras, je suçai mon sang
et m'écriai : "Une voile ! une voile !"
Mes compagnons aux gosiers brûlants,
aux lèvres cuites et noires, m'entendirent parler.
Miséricorde ! ils grimacèrent de joie,
et tous à la fois aspirèrent leur haleine
comme s'ils eussent fini de boire.
Voyez, voyez ! criai-je, ce navire ne court plus de bordée :
peut-être renonce-t-il à nous porter secours !
Pas la moindre brise et le moindre mouvement de flots ;
il semble dormir sur sa quille."
La vague occidentale était tout en flamme,
le jour touchait à sa fin.
Dès que la vague occidentale fut effleurée
par le large et brillant disque du soleil,
cette forme étrange vint se placer entre lui et nous.
Et sur-le-champ le soleil fut taché de barres noires
(que la Reine du ciel nous prenne en grâce !),
comme si cet astre avait apparu avec sa large et brillante figure
derrière la grille d'un donjon.
Hélas ! pensai-je (et mon cœur battit violemment),
comme ce navire approche vite, vite !
Sont-ce ses voiles, ces choses qui se dessinent sur le soleil
comme des filaments de plante sans cesse agités ?
Sont-ce ses charpentes, ces barres à travers lesquelles le soleil
luit comme à travers une grille ?
Et cette femme qui est dessus, est-ce là tout son équipage ?
Est-ce là ce qu'on appelle la Mort ? N'en vois-je pas deux ?
La compagne de cette femme n'est-elle pas aussi la Mort ?"
Ses lèvres étaient rouges, ses regards hardis,
elle avait les cheveux jaunes comme de l'or,
et la peau blanche comme celle d'un lépreux.
C'était ce cauchemar qui gèle et ralentit le sang de l'homme,
Vie-dans-la-Mort.
Le navire squelette passa près de notre bord,
et nous vîmes le couple jouant aux dés.
"Le jeu est fini, j'ai gagné, j'ai gagné !" dit Vie-dans-la-Mort ;
et nous l'entendîmes siffler trois fois.
Les extrémités supérieures du soleil plongèrent dans l'onde ;
les étoiles jaillirent du ciel, et d'un seul bond vint la nuit.
La barque spectre s'éloigna sur la mer
avec un murmure qu'on entendait de loin.
Nous écoutions et jetions des regards obliques sur l'Océan.
La crainte semblait boire à mon cœur, comme à une coupe,
tout mon sang vital.
Les étoiles devinrent ternes, la nuit épaisse,
et la lampe du pilote faisait voir la pâleur de sa face.
La rosée tomba des voiles,
la lune éleva son croissant à l'orient.
A sa pointe inférieure,
il y avait une étoile brillante.
Aux clartés de cette lune singulière, l'un après l'autre,
et sans prendre le temps de gémir ou de soupirer,
chacun de mes camarades tourna son visage vers moi
dans une angoisse épouvantable, et me maudit du regard.
Quatre fois cinquante hommes vivants,
et je n'entendis ni soupir ni gémissement,
avec un bruit sourd et comme des blocs inanimés,
tombèrent tour à tour sur le plancher.
Leurs âmes s'envolèrent de leurs corps.
Elles s'envolèrent à la félicité ou au malheur,
et chacune, en passant près de moi,
retentit comme le sifflement d'une arbalète.
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CINQUIÈME PARTIE

O sommeil ! c'est une chose douce et aimée
de l'un à l'autre pôle que le sommeil !
Louanges soient données à la vierge Marie,
qui m'envoya du ciel le doux sommeil
et le fit couler dans mon âme.
Les seaux qui étaient restés
si longtemps vides sur le pont
me parurent, en songe, s'emplir de rosée,
et quand je m'éveillai, il pleuvait.
Mes lèvres étaient moites, mon gosier frais
et mes vêtements tout humides.
Bien certainement en mon rêve j'avais bu,
et ma peau buvait encore.
Je remuai, et je ne sentais pas mes membres.
J'étais si léger que je crus avoir perdu la vie
durant mon sommeil, et être devenu un esprit céleste.
Et aussitôt j'entendis un vent mugir.
Il ne vint pas jusqu'à moi, mais avec son bruit
il agitait nos voiles, si amincies et si sèches.
L'air supérieur prit de la vie,
et mille pavillons de flamme y brillèrent ;
ils couraient çà et là, et çà et là, alentour
et dans les intervalles, les pâles étoiles dansaient.
Et le vent qui venait mugit de plus en plus,
et les voiles soupirèrent comme les joncs des marais,
et la pluie tomba d'un noir nuage
à l'extrémité duquel luisait la lune.
L'épais nuage noir s'ouvrit ayant toujours la lune à son côté.
Comme l'eau jaillissant d'un haut rocher,
la lumière des éclairs tomba de son ouverture
en rivière de feu large et profonde.
Le vent ne toucha pas le vaisseau,
et cependant le vaisseau marcha sur l'onde !
Aux feux des éclairs et aux clartés de la lune mêlés ensemble,
les hommes morts poussèrent un soupir.
Ils gémirent, ils s'agitèrent ; puis ils se levèrent,
mais sans parler et sans remuer les yeux.
C'eût été bien extraordinaire, même en rêve,
de voir des morts se lever !
Le pilote se mit au gouvernail et le navire marcha
sans cependant qu'aucune brise soufflât.
Les marins allèrent travailler aux cordages
là où ils avaient coutume de le faire.
Ils levaient leurs membres comme des machines sans vie.
Nous formions un effrayant équipage.
Le corps du fils de mon frère était près de moi ;
genou à genou, lui et moi nous tirions le même cordage,
et cependant il ne me dit rien.
— J'ai peur de toi, vieux marin !
— Sois tranquille, garçon de noce :
ce n'étaient pas les âmes échappées dans l'angoisse
qui animaient de nouveau ces cadavres,
mais une troupe d'esprits célestes ;
Car aussitôt que l'aurore apparut, ils laissèrent tomber leurs bras
et se réunirent autour du grand mât.
et alors de doux bruits s'échappèrent de leurs corps
et sortirent lentement de leurs bouches.
Autour d'eux, chaque doux son flottait quelque temps,
puis il montait vers le soleil ;
puis du soleil redescendaient lentement de pareils sons,
tantôt seuls, tantôt mêlés.
Parfois j'entendais tomber du ciel comme un chant d'alouette ;
parfois une foule de petits oiseaux semblaient remplir
la mer et l'air de leurs doux gazouillements.
Ou bien c'était comme un concert de tous les instruments connus,
ou le bruit d'une flûte solitaire,
ou enfin comme le chant d'un ange qui rend muet
et attentif à sa voix le ciel entier.
La musique cessa. Cependant les voiles
continuèrent à produire un murmure agréable
jusque vers le milieu du jour.
C'était un murmure semblable à celui que donne,
dans les chaleurs du mois de juin
et à travers le silence de la nuit et des bois,
le cours d'un ruisseau caché.
Jusqu'au milieu du jour, nous fîmes voile paisiblement,
quoique aucune brise ne soufflât.
Doucement, doucement voguait le navire,
poussé seulement par-dessous la quille.
Sous les flots, à neuf brasses profondes,
glissait l'esprit qui nous avait suivis
depuis la région de brouillard et de neige.
C'était lui qui faisait aller le vaisseau.
A midi, les voiles ne rendirent plus de son,
et le vaisseau demeura tranquille comme avant.
Le soleil plana droit au-dessus des mâts,
et semblait avoir cloué le navire sur l'océan.
Mais en une minute le navire éprouva une violente secousse,
il recula, avança moitié sa longueur d'une façon brusque et pénible.
Ensuite, comme un cheval qui piaffe
et qu'on laisse partir, il fit un bond soudain,
si fort que le sang reflua vers ma tête
et que je tombai évanoui sur le pont.
Combien de temps je restai dans cet état,
c'est ce que je ne puis dire.
Toutefois est-il qu'avant de revenir à la vie,
j'entendis du fond de mon âme le bruit distinct
de deux voix dans les airs.
"Est-ce lui, disait l'une, est-ce bien là l'homme ?
Par Celui qui mourut sur la croix !
est-ce là l'homme qui avec son arbalète
jeta bas l'innocent albatros ?
"L'esprit roi de la région de brouillard et de neige
aimait l'oiseau qui aimait cet homme,
qui l'a tué de son arbalète."
L'autre voix était une voix plus douce,
aussi douce qu'une rosée de miel ; et elle dit :
"Cet homme a déjà fait pénitence,
et il le fera plus encore."
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SEPTIÈME PARTIE
Ce bon ermite vit dans un bois qui descend jusqu'à la mer.
Comme il fait monter hautement sa douce voix vers le ciel !
Il aime à causer avec les marins revenant des contrées lointaines.
Il prie le matin, à midi, et le soir,
et, pour prier, il a un coussin bien rondelet.
C'est de la mousse qui recouvre entièrement
le tronc pourri d'un vieux chêne.
Le canot s'approcha.
J'entendis les gens qui le montaient dire :
— Voilà qui est étrange, en vérité !
Où sont ces lumières si nombreuses et si belles
qui tout à l'heure nous faisaient des signes ?
— C'est vraiment étrange ! dit l'ermite.
Elles n'ont pas répondu à notre appel.
Voyez ces planches déjetées, voyez ces voiles,
comme elles sont amincies et fanées.
Je n'en ai jamais vu de semblables.
Je ne puis leur comparer
que les trames des feuilles jaunes
qui jonchent les bords du ruisseau de mon bois,
quand les rameaux du lierre sont chargés de neige
et quand le hibou hurle au loup qui, par derrière,
mange le petit de la louve.
— Cher Seigneur Dieu ! cela a un mauvais aspect,
répliqua le pilote. Je suis tout effrayé.
— Pousse au vaisseau, pousse
dit hardiment l'ermite.
Le canot vint plus près du navire,
mais je ne parlai ni ne bougeai.
Lorsqu'il fut tout à fait sous le vaisseau,
un bruit soudain se fit entendre.
Ce fut d'abord un grondement sous l'onde
qui devint de plus en plus profond et terrible.
Il arriva jusqu'au navire, il ouvrit l'eau du golfe,
puis le vaisseau s'enfonça dans la mer comme un plomb.
Étourdi par ce bruit immense et épouvantable
qui ébranlait le ciel et l'Océan,
je restai flottant sur les flots comme un homme
qui a été submergé depuis sept jours,
mais, aussi promptement qu'en rêve,
je me trouvai dans le canot du pilote.
Sur le tourbillon où plongea le navire,
le canot fit plusieurs tours ; puis tout redevint calme,
excepté la colline qui retentissait encore du bruit.
Je remuai les lèvres, le pilote poussa un cri
et tomba en défaillance.
Le saint ermite leva les yeux et se mit à prier
à l'endroit où il était assis.
Je pris les rames ;
le mousse, qui maintenant est quasi fou,
poussa de longs et forts éclats de rire,
et, tournant les yeux de côté et d'autre, se mit à dire :
— Ha ! ha ! je vois pleinement que le diable
s'y connaît à ramer.
Et maintenant me voilà
dans mon propre pays, sur la terre ferme.
L'ermite sortit du canot ;
à peine pouvait-il se tenir sur les jambes.
Oh ! confesse-moi,
confesse-moi, saint homme ! lui dis-je.
L'ermite se signa.
— Dis vite !... répondit-il, je l'ordonne,
dis vite quelle espèce d'homme tu es.
Au même instant mon être fut tourmenté
par une douloureuse agonie
qui me força de commencer mon histoire.
Quand je l'eus terminée, je sentis mon cœur
déchargé d'un grand poids.
Depuis, à une heure incertaine,
cette agonie me reprend,
et jusqu'à ce que mon affreuse histoire soit dite,
le cœur me brûle intérieurement.
Je passe, comme la nuit, de terre en terre :
j'ai une étrange puissance de parole.
Du moment que j'ai vu sa figure,
je sais l'homme qui doit m'écouter,
et je lui apprends mon histoire.
Mais quel vacarme sort de cette porte ?
Tous les gens de la noce sont là.
Sous la treille du jardin,
la mariée et les compagnes de la mariée chantent.
Silence ! la petite cloche du soir
m'ordonne de prier.
O garçon de noce !
cette âme a été seule sur la vaste, e, la vaste mer,
et cette mer était si solitaire
que c'est à peine si Dieu lui-même semblait y être.
Ah ! s'il est doux d'être d'une fête de mariage,
il est encore plus doux pour moi d'aller à l'église
en bonne compagnie.
D'aller à l'église en compagnie
et d'y prier en compagnie,
au milieu de gens qui s'inclinent devant le Père suprême,
vieillards, enfants, bons amis,
gais jeunes gens et joyeuses jeunes filles.
Adieu, adieu !
mais je te dis ceci, garçon de noce !
il prie bien, celui qui aime bien,
tout à la fois, hommes, oiseaux et bêtes.
Il prie le mieux, celui qui aime le mieux
également toutes choses, grandes et petites,
car le cher Dieu, notre créateur,
les fit toutes et les aime toutes.
Sur ce, le marin à l'œil brillant
et à la barbe blanchie par l'âge partit.
Le garçon de noce s'éloigna à son tour
de la porte du marié.
Il s'en alla comme un homme étourdi
et qui a perdu le sens.
Le lendemain, il se leva
plus triste, mais plus sage.
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SIXIEME PARTIE

PREMIÈRE VOIX
Mais dis-moi, dis-moi ! parle-moi encore,
renouvelle ta douce réponse.
Qui est-ce qui fait marcher si vite ce vaisseau ?
que fait l'Océan ?
SECONDE VOIX
Tranquille comme un esclave devant son seigneur,
l'Océan n'a pas une haleine.
Son grand œil brillant est tourné
très silencieusement vers la lune...
comme pour savoir quelle conduite il doit tenir,
car, qu'il soit calme ou courroucé,
la lune est son guide.
Vois, frère, vois avec quelle grâce
elle laisse tomber sur lui ses regards !
PREMIÈRE VOIX
Mais pourquoi ce vaisseau marche-t-il si vite,
sans impulsion de vagues et de vent ?
SECONDE VOIX
L'air est interrompu devant lui
et fermé derrière.
Vole, frère, vole ! plus haut, plus haut !
ou nous serons surpris :
car ce vaisseau ira avec lenteur
dès que se dissipera l'extase du marin.
Je m'éveillai, et nous voguions comme par un joli temps.
Il était nuit, nuit calme. La lune brillait haut dans le ciel.
Tous les hommes morts, se tenaient ensemble.
Tous étaient couchés ensemble sur le pont,
plus semblable à un charnier qu'à autre chose,
et tous fixaient sur moi leurs yeux de pierre,
que la lune rendait brillants.
L'angoisse, la malédiction dans lesquelles ils étaient morts
étaient toujours exprimées par leurs regards.
Je ne pouvais détourner mes yeux des leurs,
ni les élever au ciel pour prier.
Enfin le charme fut rompu.
Je regardai encore une fois le vert Océan,
et, en regardant au loin, je ne vis rien
de ce que j'aurais remarqué dans un autre état.
J'étais comme un voyageur qui, dans un chemin solitaire,
marche escorté de la peur et de l'effroi,
et qui, ayant regardé une fois autour de lui,
continue son chemin sans plus retourner la tête,
parce qu'il sait qu'un ennemi terrible
lui ferme la route par derrière.
Aussitôt je sentis un vent qui me venait au visage,
et il ne faisait aucun bruit, ne causait aucun mouvement.
Nul sillon bouillonnant et ombreux
n'était tracé par lui sur la mer.
Il souleva mes cheveux, il éventa mes joues
comme une brise des prés au printemps,
et, tout en se mêlant à mes craintes,
il me fit l'effet d'une bienvenue.
Vite, vite glissait le vaisseau
tout en allant doucement.
Avec douceur aussi soufflait la brise,
mais elle ne soufflait que sur moi.
O rêve de bonheur !
est-ce là vraiment la tour du fanal ?
est-ce la colline, est-ce l'église,
est-ce mon propre pays que je vois ?
Nous franchîmes la barre du port,
et je me mis à prier en sanglotant :
O mon Dieu ! tire-moi du sommeil
ou laisse-moi dormir toujours !
La rade du port avait la transparence d'un miroir,
tant l'onde y était paisiblement étendue.
Sur la baie se répandaient les clartés de la lune
en même temps que ses ombres.
Le rocher brillait sous ses rayons paisibles,
ainsi que l'église bâtie dessus,
et la girouette tranquille placée sur l'église.
La baie était toute blanchie par la silencieuse clarté,
jusqu'au moment où, s'élevant de son sein,
nombre de figures qui n'étaient autre chose que des ombres
se colorèrent de teintes rouges.
Quand ces ombres rouges furent
à peu de distance de la proue,
je tournai mes yeux vers le pont du vaisseau.
O Christ ! que vis-je là ?
Chaque corps de marin y était étendu à plat et sans vie, et,
par la sainte Croix !
un homme lumineux, un homme séraphin
se tenait debout sur chaque cadavre.
Cette troupe de séraphins agitait les mains :
c'était un divin spectacle !
Chacun, belle forme lumineuse,
faisait comme des signaux à la terre.
Ils agitaient leurs mains, et pourtant
ils ne proféraient aucune parole ;
aucune parole... mais ce silence résonnait
comme une musique dans mon cœur.
Bientôt j'entendis le bruit des rames
et l'acclamation d'un pilote.
Ma tête se retourna forcément vers la mer,
et je vis apparaître un canot.
Un pilote et son mousse approchaient rapidement de moi.
Cher Seigneur du Ciel !
c'était une joie que la vue de mes camarades morts
ne pouvait empoisonner.
Je vis une troisième personne... je reconnus sa voix.
C'était le bon ermite...
Il chantait hautement les hymnes sacrés qu'il avait composés dans les bois.
Bon ! me dis-je, il me confessera et lavera mon âme du sang de l'albatros.
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LA BALLADE DU VIEUX MARIN

En sept parties

PREMIÈRE PARTIE

C'était un vieux marin ;
trois jeunes gens passaient, il en arrêta un.
— Par ta longue barbe grise et ton œil brillant,
pourquoi m'arrêtes-tu ?
La porte du marié est toute grande ouverte,
je suis son proche parent, les hôtes sont arrivés,
la noce est prête, n'en entends-tu pas le joyeux bruit ?
Le vieux marin serrait le bras du jeune homme
de sa main décharnée :
— Il y avait un vaisseau... dit-il.
— Lâche-moi, ôte ta main, drôle à barbe grise !
Et aussitôt la main tomba.
Le marin retint le jeune homme avec son œil brillant.
Le garçon de noce demeura tranquille
et écouta comme un enfant de trois ans.
C'était ce que voulait le marin.
Le garçon de noce s'assit sur une pierre
et ne put s'empêcher d'écouter ;
et ainsi parla le vieil homme,
le marin à l'œil brillant :
— Le navire retentissait de cris, le port était ouvert :
gaiement nous laissâmes derrière nous
l'église, la colline et la tour du fanal.
Le soleil parut à notre gauche, s'éleva de la mer,
brilla et vint à notre droite se coucher dans la mer.
De plus en plus haut, chaque jour, il monta dans le ciel,
jusqu'à ce qu'il planât directement sur les mâts à l'heure de midi.
— Ici le garçon de noce se frappa la poitrine,
car il entendait les profonds accords du basson.
La mariée était entrée dans la salle du banquet,
vermeille comme une rose,
et, tout en remuant la tête au son de la mesure,
la bande joyeuse des musiciens marchait devant elle. Le garçon de noce se frappa la poitrine ;
mais il ne put s'empêcher d'écouter,
et ainsi continua le vieil homme,
le marin à l'œil brillant :
— Bientôt il s'éleva une tempête violente, irrésistible.
Elle nous battit à l'improviste de ses ailes
et nous chassa vers le sud.
Sous elle, le navire, avec ses mâts courbés et sa proue plongeante,
était comme un malheureux qu'on poursuit de cris et de coups,
et qui, foulant dans sa course l'ombre de son ennemi,
penche en avant la tête :
ainsi nous fuyions sous le mugissement de la tempête
et nous courions vers le sud.
Alors arrivèrent ensemble
tourbillons de brouillard et de neige,
et il fit un froid très vif.
Alors des blocs de glace hauts comme les mâts
et verts comme des émeraudes
flottèrent autour de nous.
Les interstices de ces masses flottantes
nous envoyaient un affreux éclat :
on ne voyait ni figures d'hommes, ni formes de bêtes.
La glace de tous côtés arrêtait la vue.
La glace était ici, la glace était là,
la glace était tout alentour.
Cela craquait, grondait, mugissait et hurlait,
comme les bruits que l'on entend
dans une défaillance.
Enfin passa un albatros :
il vint à travers le brouillard ;
et comme s'il eût été une âme chrétienne,
nous le saluâmes au nom de Dieu.
Nous lui donnâmes une nourriture
comme il n'en eut jamais.
Il vola autour de nous. Aussitôt la glace se fendit
avec un bruit de tonnerre,
et le timonier nous guida à travers les blocs.
Et un bon vent du sud souffla par derrière le navire.
L'albatros le suivit, et chaque jour,
soit pour manger, soit pour jouer,
il venait à l'appel du marin.
Durant neuf soirées,
au sein du brouillard ou des nuées,
il se percha sur les mâts ou sur les haubans,
et, durant toutes ces nuits,
un blanc clair de lune luisait
à travers la vapeur blanche du brouillard.
— Que Dieu te sauve, vieux marin,
des démons qui te tourmentent ainsi !
Pourquoi me regardes-tu si étrangement ?
— C'est qu'avec mon arbalète, je tuai l'albatros.
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Le mensonge est à la base du contrat de lecture, c'est la « suspension consentie de lecture » théorisée par Coleridge. On croit donc momentanément que ce qu'on lit est vrai. Il y a donc dès le début une relation très ambiguë entre littérature, réalité et vérité.
Dans l'introduction de son recueil de nouvelles "A beau mentir qui vient de loin", François Garde écrit : "Oui, il existe une relation de proportionnalité inverse entre la Vérité et la Distance". le mensonge, pour l'écrivain, serait donc l'équivalent d'un voyage. Voyage physique, voyage intérieur, tout est possible grâce à l'imagination. François Garde invente même une formule mathématique pour théoriser le rapport entre voyage et mensonge : "La constante de la mappemonde". Il explique qu'elle sert "à mesurer le rapport entre distance et vérité".
De l'invention, à l'affabulation, il n'y a qu'un pas. Pourtant, pas de jugement moral dans le projet de Laurent Gaudé. Mentir permet aussi de dire le vrai, de percer la carapace de la réalité pour en révéler toute la vérité. C'est le rôle du "Grand Menteur" de l'écrivain.
Bien ou mal intentionné, raisonnable ou fou, manipulateur ou sincère, le menteur façonne le mensonge à l'aide de mots. Il construit un monde. Tout comme l'écrivain.
Olivia Gesbert invite à sa table ces deux écrivains, François Garde et Laurent Gaudé pour parler du mensonge à travers leurs derniers livres.
#mensonge #litterature #franceculture _____________
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