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sur 4630 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Aujourd'hui, je prends le risque — et ce n'est pas si fréquent —, je prends le risque, disais-je, de m'en venir vous parler d'une toute fraîche nouveauté, d'un colis posé encore tout fumant sur les étals et sur lequel personne, à ma connaissance, n'a encore levé le voile. C'est courageux, vous noterez…

C'est encore un peu tôt puisque nul n'en a, à ce jour, beaucoup entendu parler, mais je me hasarde à prédire à cette tragi-comédie en cinq actes un petit succès temporaire, une gloire éphémère voire une mode provisoire, le temps de quelques soirs. Il se pourrait même trouver des gens, une ou deux par ci par là, pour venir la voir et l'applaudir hors de nos frontières, mais là je m'avance sans doute un peu trop.

Trêve de plaisanterie, c'est sérieux la critique, passons vite à la pièce. Car s'il est un chef-d'oeuvre en ce monde, si ce mot n'est pas totalement vide de sens, s'il recouvre bien une réalité discernable, à quelle oeuvre mieux qu'à celle-ci s'appliquerait-il davantage ?

Le Cid, le fantastique Cid. Tu es mon élu, Cid, je reste collée à toi comme à une glu, Cid, je ne suis plus moi depuis que je t'ai lu, Cid, à chacun de mes pas tu me suis, Cid. Oui, le Cid ou la quintessence de la traduction. Car on peut disserter sans limite sur les mille et une façons de traduire ou de ne pas traduire telle ou telle oeuvre du domaine étranger. En l'occurrence ici, comment traduire en français une pièce en vers du siècle d'or espagnol ?

Et voilà qu'intervient le génie de Pierre Corneille car, mieux que traduire, il y a transcrire. Et c'est ce qu'a réussi avec succès Molière avec son Dom Juan, transcrit de Tirso de Molina ; Jean Racine avec ses Plaideurs, transcrit d'Aristophane ou, plus récemment, Antonin Artaud avec le Moine, transcrit de Lewis ou encore Les Possédés d'Albert Camus, transcrit de Dostoïevski.

À l'heure actuelle, les auteurs n'osent plus trop ; on veut des traductions qui collent parfaitement (comme si c'était possible !) à la matrice dont elles sont issues, et l'on est déçu, fatalement, car c'est une gageure ; alors on critique le traducteur ou l'on souligne l'incomparable valeur de l'original face à l'oeuvre traduite.

C'est une tendance actuelle mais qui évoluera peut-être, du moins l'espère-je. (C'est joli, n'est-ce pas, ce pied d'espère-je que je laisse pousser comme une mauvaise herbe au milieu de mes phrases, vous ne trouvez pas ?) On sait aussi qu'on a, depuis quelques années, quasiment laissé tomber la VF dans le cinéma ou les séries télévisées, alors même que c'était la VF de qualité qui pouvait transcender des films ou des séries pas nécessairement géniaux par ailleurs. (Je pense notamment à Starsky et Hutch, Amicalement Vôtre ou même Goldorak dont la VF est considérée comme très supérieure à la VO.)

Eh bien dans ce registre de la transcription, le maître incontesté, celui qui a laissé à jamais sa patte, c'est indéniablement le Cid de Corneille, transcrit de Guillén de Castro.

L'original, malheureusement et incompréhensiblement trop peu connu, était déjà très bon. Mais la transcription française de Pierre Corneille est un pur joyau, l'un des plus hauts degrés jamais atteints par un texte en français, une langue d'une beauté, d'une musique et d'un rythme à tomber en pâmoison. La seule chose d'ailleurs que j'aurais à lui reprocher, c'est justement de trop souvent omettre de préciser qu'elle est une transcription de l'espagnol et non une création originale depuis la page blanche.

Permettez-moi de revenir quelques instants sur les origines espagnoles de ce chef-d'oeuvre. Guillén de Castro y Bellvis écrit entre 1605 et 1615 Las Mocedades del Cid, littéralement La Jeunesse du Cid, une pièce à caractère autant historique que légendaire à propos du personnage réel de Rodrigo Díaz de Vivar. Celui-ci a réellement existé au XIème siècle et il est une figure importante du Moyen Âge espagnol, notamment de la Reconquista. Ce surnom de « cid », altération de l'arabe « seyid » et signifiant seigneur lui fut attribué par les Maures eux-mêmes suite à de nombreuses défaites qu'il leur infligea. Cette pièce était normalement suivie d'une seconde, intitulée Las Hazañas del Cid qu'on traduirait en français comme Les Exploits du Cid.

La première pièce de Guillén de Castro est particulièrement réussie et figure en bonne place dans cet ensemble que l'on nomme " le Siècle D'Or " espagnol et je comprends aisément qu'elle ait très favorablement impressionné l'ami Pierre Corneille, car j'avoue que moi-même, quand je l'ai lue, j'y ai pris grand plaisir. Même certaines figures de style du texte francophone, passées depuis lors à la postérité telle la fameuse litote : « Va, je ne te hais point. » ou des chiasmes savoureux sont eux aussi déjà présents dans le texte initial.

Donc, la tâche était difficile pour se hisser à la hauteur d'une telle dramaturgie, d'un tel texte de base. Mais c'est pourtant ce qui a dû galvaniser notre noir volatile normand car jamais je crois, il n'a atteint lui-même un tel niveau de perfection stylistique. On ne compte plus les vers ou les tirades qui ont désormais quasiment valeur de proverbes. Permettez-moi juste de vous en citer quelques uns :

Vers 434 : À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.

Vers 406 : La valeur n'attend point le nombre des années.

Vers 236 : Ô rage ! ô désespoir ! ô vieillesse ennemie !

Vers 81 : L'amour est un tyran qui n'épargne personne.

Vers 393 : Qui ne craint point la mort ne craint point les menaces.

Vers 410 : Et pour leurs coups d'essai veulent des coups de maître.

Vers 963 : Va, je ne te hais point.

Vers 290 : Va, cours, vole, et nous venge.

Etc., etc., etc.

Maintenant examinons quelle en est l'intrigue. C'est l'archétype du choix dit " cornélien" mais qui en fait, comme je viens de vous le dire, n'a rien de Corneille mais fut livré tel quel par de Castro y Bellvis mais dont l'auteur a perçu la richesse et qu'il resservira, entre autre, dès sa tragédie suivante, Horace.

Don Rodrigue aime Chimène et Chimène aime Don Rodrigue. Jusqu'ici tout va bien. Don Rodrigue est le fils de l'illustre Don Diègue, un vaillant guerrier qui a beaucoup fait pour le roi de Castille, du temps de sa jeunesse mais qui commence à accuser quelque peu le poids des ans. Chimène quant à elle est la fille de l'actuel plus grand guerrier du royaume, un certain Comte de Gormas, comparable par sa fougue et sa vaillance au vénérable Don Diègue mais dans la force de l'âge, pour sa part.

Et ces deux hommes, d'accords sur le principe du mariage de leur progéniture respective, sont pourtant si bouffis d'orgueil l'un et l'autre que lorsque Don Diègue reçoit un privilège du roi, le Comte s'en offusque car il considère que c'est lui qui mérite cet honneur, un peu à la manière d'Ajax qui devint fou de voir les armes d'Achille attribuées à Ulysse plutôt qu'à lui après tout ce qu'il avait fait lors du siège de Troie.

Si bien que le Comte de Gormas donne une claque à Don Diègue, pour bien lui signifier son mépris. le vieux soldat aimerait bien dégainer son épée mais il n'a plus la force de soutenir un combat face au géant lion de Gormas. Son honneur est meurtri comme jamais, c'est la honte, c'est la mort que seul un juste châtiment peut laver.

C'est donc à son fils, Don Rodrigue qu'il demande de laver l'affront fait à son grand âge et à sa valeur d'autrefois. Rodrigue, la mort dans l'âme, car il sait ce qu'il lui en coûtera, accepte de défier l'ombrageux guerrier père de Chimène. Et contre toute attente, c'est lui qui terrasse le plus grand guerrier du roi de sorte que l'honneur de son père est rétabli mais, du même coup, il voit son amour lui filer entre les doigts.

En effet, comment Chimène pourrait-elle aimer et épouser celui qui a transpercé le coeur de son père ? Mais en même temps, se venger de lui, c'est tuer son véritable amour. Faut-il ajouter une mort atroce sur une mort horrible ? Dans un cas comme dans l'autre, elle y perd quelque chose, soit l'honneur, soit l'amour, soit les deux. Chimène sera-t-elle comme le Héron jamais satisfait De La Fontaine ? Que choisir ? (ou 60 millions de Lecteurs consommateurs)...

Outre la merveille de l'écriture, outre la valeur de l'intrigue, outre le cachet d'une époque, outre tout ce qui fait de cette pièce un vibrant chef-d'oeuvre, permettez-moi encore d'aborder deux autres points qui font écho au théâtre espagnol de ce fameux siècle d'or.

En effet, le Cid, c'est aussi une réflexion sur la tragédie de l'âge. On se doute que Don Diègue, lui qui fut si fort, lui qui fut si grand est humilié de ne pouvoir répondre seul aux fanfaronnades du Comte. Être obligé d'aller quémander l'aide de vos enfants parce que votre bras tremble et que vos jambes sont débiles, comme c'est dégradant.

C'est pourtant la tragédie ordinaire que vivent nombre de personnes âgées qui se découvrent un jour, l'ombre d'elles-mêmes. Souvent, elles n'ont pas trop vu cela venir, car cela s'est fait très progressivement, mais un jour on prend conscience, et ce jour-là on pleure. Ce thème fut repris par Tirso de Molina dans son célèbre Abuseur de Séville avec le personnage du Commandeur trucidé par Don Juan dont il ne respecte pas même le tombeau.

Enfin, je voudrais en terminer en évoquant un personnage délicieusement ambigu, à savoir, l'infante Doña Urraque, secrètement folle amoureuse de Rodrigue et donc jalouse de Chimène. On se dit qu'elle est capable de faire capoter le mariage, non pas pour elle-même, puisque son statut lui interdit une union avec quelqu'un d'aussi modestement élevé socialement que Rodrigue, mais juste pour ne pas qu'une autre puisse jouir du loisir de partager la vie de celui qu'elle aime.

C'est exactement le thème d'une pièce tout à fait contemporaine de L'Enfance du Cid, intitulée le Chien du Jardinier de Lope de Vega. Lequel chien du jardinier, comme dit la fable d'Ésope, « ne mange pas de chou et ne permet pas qu'on en mange »... Mais je m'aperçois que cet avis est déjà beaucoup plus long que je ne l'avais déCIDé, il a poussé mieux qu'une mauvaise herbe sans herbiCID alors que manifestement, il ne signifie pas grand-chose face à ce texte géant que rien n'oxCID.

P. S. : le fameux vers 434 (À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.) est très vraisemblablement lui aussi un emprunt, à Sénèque cette fois, qui dans son de Providentia avait fait dire à un gladiateur fâché d'avoir à combattre trop faible partie : « Eum sine gloria vinci qui sine periculo vincitur. » Preuve encore, s'il en était besoin, du remarquable talent de transcripteur de Pierre Corneille.
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Le Cid, tragicomédie archiconnue s'il en est. Tellement qu'il m'a fallu me résoudre à l'étudier au collège-lycée. J'ose donc poser LA question : qui n'a jamais déclamé le « Je ne te hais point » qui a rendu célèbre la figure de style méconnue qu'est la litote ?
Pour revenir à l'oeuvre proprement dite, Corneille, dans son style épique et tragique qu'on lui connaît, peint un drame classique : un amour menacé. Celui de Rodrigue et Chimène tient l'ensemble de la pièce à bout de bras et par des tirades mythiques. L'amour contrarié, la vengeance ourdie de longue date, d'atroces dilemmes moraux en toutes circonstances : que peut-on demander de plus ou de mieux pour aborder en profondeur les relations individuelles et les sombres sentiments de l'espèce humaine qui font du drame un magnifique élément de théâtre ?
L'intrigue se noue de manière attendue en respectant la fameuse « règle de trois » du théâtre classique français, celle des trois unités, d'action, de temps et de lieu. Si l'ensemble est classique au sens historique comme au sens stylistique, l'effet produit par cette pièce est en revanche au-delà du commun tant les enjeux nous empoignent le coeur et l'esprit sans daigner les lâcher avant le dernier mot.

Le mot de « référence » n'est pas donc volé ici. Pierre Corneille rend une copie parfaite avec cette oeuvre, parfois oubliée, mais jamais déconsidérée, c'est mérité.

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Si je dis « Va, cours, vole et nous venge » Tout le monde ou presque répondra le Cid. Il est de ces oeuvres qu'on connaît partiellement sans les avoir lues. C'est le cas de celle-ci, c'est ma première lecture mais j'ai rencontré régulièrement des vers que je connaissais.
Inspirée de la pièce de Guillén de Castro, Les enfances (les débuts) du Cid, inspirée de la vie de Rodrigo Diaz de Bivar, chevalier espagnol du 11ème siècle, héros de la Reconquista. (Je vous renvoie à l'excellente critique de Nastasia-B). L'Espagne est à la mode et Corneille y trouve les ingrédients d'une tragi-comédie, elle est jouée pour la première fois en janvier 1636.
C'est un théâtre où les plus hautes valeurs sont exaltées. Rodrigue et Chimène s'aiment et sont promis l'un à l'autre. Malheureusement pour une question de jalousie quant au rôle de Gouverneur du Prince, accordé par le Roi à Don Diègue, le père de Chimène, le conte de Gormas valeureux guerrier en pleine force de l'âge, soufflette le père de Rodrigue chevalier ayant également fait ses preuves mais amoindri par l'âge, qui ne peut soutenir le duel qui s'impose. A l'inverse d'un gamin d'aujourd'hui qui dirait « j'vais l'dire à mon papa, mon papa c'est l'plus fort ». Don Diègue, lui va se plaindre à son fils. Avec le fameux « Va, cours, vole et nous venge. » Nous venge, c'est le nom, le sang qu'on venge, on est loin du « Y m'a pété mon rétro, j'y crève son pneu ». Don Diègue est bien conscient que Rodrigue aime Chimène, et que tirer l'épée contre le père de la belle ne va pas arranger ses affaires, mais pour don Diègue « Nous n'avons qu'un honneur, il est tant de maîtresses ! L'amour n'est qu'un plaisir, l'honneur est un devoir. » L'honneur, c'est certainement le mot qui revient le plus souvent dans la pièce.
C'est là qu'apparaît le fameux dilemme dit cornélien où quoique l'on choisisse, on est perdant. L'expression s'applique tout à fait ici où le choix entre l'amour et l'honneur s'impose à Rodrigue comme à Chimène. Rodrigue doit donc soit tuer le père de son amante, ou mourir de sa main, soit être indigne non seulement de son père mais aussi de l'amour de son amante. Il est d'ailleurs persuadé, qu'il va périr dans ce duel, mais que du moins, il mourra son offenser son amour. de même Chimène lorsqu'elle apprend la mort de son père doit soit renoncer à son amour et poursuivre le meurtrier, soit vivre sans honneur.
Les actes de Rodrigue sont clairs, il doit la vie à son père et ne tergiverse pas longtemps d'autant qu'il ne serait plus digne d'amour s'il laissait passer l'affront « Je dois à ma maîtresse aussi bien qu'à mon père ; J'attire en me vengeant sa haine et sa colère ; J'attire ses mépris en ne me vengeant pas. ». En revanche l'attitude de Chimène m'a parue plus ambiguë. Elle semble plus déchirée.
Autre question d'honneur : L'Infante aime Rodrigue mais s'oblige à l'oublier car son rang n'est pas digne du sien.

Pourtant malgré toute sa beauté, cette pièce a suscité beaucoup de reproches. En particulier de la part de deux rivaux de Corneille, Jean Mairet et George de Scudéry (frère de Madeleine). Ils lui reprochent de n'avoir guère fait plus que traduire la pièce d'un l'auteur espagnol, d'avoir fait une intrigue trop simple et dont on devine aisément le dénouement, d'ailleurs invraisemblable, le rôle de l'Infante n'était pas nécessaire… Peut-être un peu de jalousie. Corneille leur répond avec pas mal de hauteur. La Querelle du Cid se termine par un examen de la pièce par la toute nouvelle Académie Française, à la demande de Richelieu. Ses conclusions sont elles aussi relativement sévères.
Tant pis pour ces pisse-froid, lisons et relisons le Cid, pour notre plus grand plaisir.

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Chimène et Rodrigue s'aiment mais poussé par un père sénile qui porte son honneur comme un étendard celui-la assassine le géniteur de celle-ci pour une parole mal placé. Complètement défaite, Chimène réclame la tête de son ex bienaimé au roi. Pour rien, car entretemps Rodrigue est devenu un héros national en repoussant les Sarrasins à la mer et on exécute pas celui qui vient de sauver le pays et la cité. Sa demande de justice reste veine, de toute manière une partie d'elle même seulement la réclame l'autre étant encore profondément attachée à son amant. Finalement sur ordre du souverain et après un an de deuil, elle deviendra quand même sa femme (ce qui l'arrange bien, même si on ne nous dit pas comment moralement elle pourra vivre avec celui qui a tué son père). Quasiment chaques mots de cette pièce sont entrés dans le patrimoine littéraire de notre pays. Tous ceux qui sont passés par le collège on déclamé au moins une fois dans leur vie les fameux : "Rodrigue, as-tu du coeur" ou "à vaincre sans périls, on triomphe sans gloire". C'est un texte merveilleux et universel, une lecture indispensable pour tout ceux qui s'en réclament ou qui veulent connaitre à travers ces lignes notre culture ancestrale...
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Une des plus belles pièces de théâtre classique ! Bien sûr, le langage, les valeurs, les manières d'être.... sont devenus obsolètes. Mais c'est normal ! Il faut la considérer dans le contexte du 17e siècle ! Et à partir de là, tout coule de source ! Quelle belle analyse psychologique des personnages, quelle manière de s'exprimer nette et juste !
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Un bijou !

C'est après avoir lu l'excellent Lions d'Al-Rassan de Guy Gavriel Kay, qui fait référence au Cid, que je me suis dit qu'il serait grand temps de lire le Cid de Corneille, histoire de corriger mes lacunes littéraires.

Et comme j'ai bien fait ! J'ai adoré !

Il y a pour commencer le thème avec ce déchirement à choisir entre l'amour et l'honneur. L'histoire est portée par des personnages haut en couleur et poignants. Si Chimène et Rodrigue sont magnifiques, les autres personnages ne sont pas en reste, j'ai été également très touchée par la douleur secrète de l'Infante.

Mais je crois que c'est surtout le texte qui m'a emportée avec ses vers qui rythment et subliment la tragédie. Cette pièce se lit rapidement, on savoure chaque phrase ; je dois même reconnaître que j'ai lu à voix haute la plupart du temps pour apprécier le rythme et la musicalité des vers.

Et dire que ce fut écrit il y a pas loin de 400 ans !
Merci à vous Monsieur Corneille.

Challenge Livre Historique 2019
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Il y a plusieurs années, j'avais rédigé une critique à la hâte, dénigrant la pièce et Corneille. Je fonctionnais alors par systématisme manichéen opposant la liberté absolue et la folie jubilatoire de Shakespeare à la froideur frustrante enserrée dans les carcans des codes du théâtre classique français de Corneille. J'étais tombé sous le charme des pièces du grand William durant mes études universitaires avec des profs géniaux, et à l'inverse, une prof horrible spécialiste du XVIIe siècle français et XIXemophobe au possible (comment pouvions-nous nous entendre hein, pour ceux qui me connaissent?) avait associé Corneille, Molière, Racine (ce qui est terrible!) à sa personne qui m'insupportait. Mais tout ça, c'était avant. Avant que je ne sois prof moi-même, avant que je me trouve contraint d'enseigner le Cid à des 4e et prenne un plaisir fou à leur faire découvrir la moindre subtilité de la pièce, de ce langage élégant dont il faut posséder les clés, et du jeu avec les contraintes... Voir année après année chaque classe de 4e que j'avais s'envoler et se passionner pour cette pièce sous ma baguette fit non seulement partie des récompenses de mon travail, mais m'a fait évidemment revoir mon jugement immature sur la pièce, l'auteur et le siècle (et mea culpa pour Molière et Racine aussi, surtout ce dernier où je me régale toujours lorsque je tombe sur des passages et je déplore son absence dans ma bibliothèque...)

Bref, ce qui est incroyable avec le Cid, c'est qu'il est érigé en modèle de pièce tragique française classique, alors qu'en réalité, attention spoiler.... Après 95% de tragédie pure, il se finit en tragicomédie. Rodrigue et Chimène s'aiment, mais leurs pères sont en conflit pour le poste de Gouverneur du Roi. le père de Chimène déshonore le père de Rodrigue par un soufflet (généralement, j'encourage mes élèves à se mettre des soufflets!), mais, trop vieux, le père de Rodrigue demande à son fils de rétablir son honneur, véritable obsession pour tous les personnages tout au long de la pièce, système répétitif là aussi fascinant à souligner aux élèves. Rodrigue est donc tiraillé, mais c'est très célèbre, entre l'honneur de son père (et par extension le sien), et son amour pour Chimène. Tuer le père de Chimène et perdre celle-ci, ou ne pas le tuer et laisser son père dans l'infamie (généralement, là, je suis inarrêtable sur la fama latine, fame/infame qu'on retrouve en anglais, blablabla...) Il y a plein de passages passionnants à étudier, lorsque le père de Rodrigue emploie la rhétorique à merveille pour persuader son fils de le venger, la description épique par Rodrigue de la bataille contre les Maures (qui joue avec l'interdiction à l'époque de représenter la violence sur scène, et on peut s'imaginer diverses mises en scène actuelles), le duel hors-scène et l'annonce de son dénouement plus tard (idem), le bouleversement final si inattendu du tout est bien qui finit bien... Que de souvenirs formidables avec des classes formidables et éminemment réceptives. Merci les élèves de m'avoir ouvert les yeux! Je retourne à Dostoïevski...
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Quitte à lire le Cid sans le voir au théâtre, on aurait intérêt à le comparer à Roméo et Juliette de Shakespeare, pièce qui le précède de quarante ans à peine. Dans les deux cas, les querelles des pères retombent sur les fils et les filles et les empêchent de s'aimer librement. Dans les deux cas, tout le tragique vient de l'héritage des parents qui étouffe les enfants. Mais si Roméo et Juliette passent outre, s'aiment et se marient avant de mourir, en rejetant le legs empoisonné de la haine de leur famille, Rodrigue et Chimène, plus nobles, assument cela, prennent leur croix et sacrifient un temps leur amour au service qu'ils doivent à leur lignée. Il faut le Roi et sa volonté souveraine pour imposer aux jeunes gens de se réconcilier et se promettre un mariage dans l'avenir : le roi est seul capable d'imposer une fin à la guerre des clans et d'obliger sa noblesse à tourner la page. Hélas pour Roméo et Juliette, le Prince est incapable d'imposer la paix de leur vivant, et la conclut sur leurs cadavres, bien trop tard.
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Je ne me permettrai pas d'écrire une critique du Cid, donc je vais juste vous livrer un petit témoignage.
Je viens de relire le Cid pour accompagner mon fils qui est en quatrième et ne savait pas trop par quel bout le prendre. Au début, il avait vraiment du mal à comprendre les vers de Corneille malgré les nombreuses notes de bas de page qui figuraient dans son édition scolaire, et je devais tout lui réexpliquer, en disséquant les phrases et en remettant les mots dans l'ordre. Puis il a commencé à s'habituer, et à la fin il n'avait presque plus besoin de mon aide et il a même pris du plaisir à sa lecture!
Plaisir que j'ai partagé !
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Si Racine est le roi de l'expression pathétique et vibrante des émotions des personnages qu'il met en scène, Corneille, lui, est le maître de l'expression en parole du combat entre ladites émotions et la fierté de ces personnages.
Et, j'ai rarement lu aussi réussi en la matière que le Cid.
Cette histoire, pleine de verve, d'un amour impossible, est toujours aussi vivante plusieurs siècles après sa création.
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