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EAN : 9782072722981
224 pages
Gallimard (16/03/2017)
4.83/5   3 notes
Résumé :
Un écrivain et un philosophe conversent sur le deuil comme expérience centrale de l'existence humaine. Interrogeant la philosophie, la religion et la littérature, ils fournissent des ressources pour penser ce qui est définitivement perdu.
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Entretiens de 2015, entre Vincent Delecroix, philosophe, spécialiste de philosophie des religions et Philippe Forest, essayiste, biographe, professeur de littérature contemporaine, et surtout écrivain depuis la mort de sa fille, de maladie, à l'âge de quatre ans.

Echanges sur ce que le deuil peut, « sinon signifier, du moins dire à chacun de nous ». Mais aussi sur la place que la société lui réserve, ou lui refuse, sur le sens que les religions, en particulier la religion catholique, donnent à la mort, sur les rites du deuil qu'elles ont élaborés, sur la « sagesse » prônée à l'heure où les religions périclitent.

Après avoir rappelé que le deuil est à chaque fois, pour chacun, une expérience singulière et « incommensurable » alors qu'elle est pourtant la plus fatalement partagée, Ph. Forest et V. Delecroix soulignent l'injonction faite par la société actuelle à l'endeuillé, de se remettre le plus vite possible ; car le deuil serait un accroc au tissu social, une atteinte à la cohésion, au confort, aux performances de son milieu. On aimerait qu'il sache faire, rapidement, pour le bien-être de la collectivité, l'économie de comportements affectés. Alors on serine « travail de deuil », « résilience » etc…
« le discours psychologisant, par la généralisation qu'il implique, est dans la négation de ce singulier à quoi tient l'endeuillé et qui fait sens pour lui. »
«… on nous invite de toutes parts non pas à entretenir un commerce juste avec les morts (…) mais, afin de conjurer le malheur, à nous débarrasser d'eux comme s'ils constituaient un fardeau ou une menace. »

Dans un chapitre intitulé « Deuil collectif et devoir de mémoire », les deux interlocuteurs s'interrogent sur la fonction des commémorations, panthéonisations, hommages officiels aux grands hommes ou aux victimes de tueries, de génocides. Un deuil peut-il être collectif ?
Mais ils s'accordent sur le fait qu'ils exècrent les prétentions de certains auteurs à s'approprier « des évènements du passé pour se donner à eux-mêmes et donner à leurs lecteurs l'illusion gratifiante qu'ils en ont été les témoins directs (…) spéculant sur l'horreur à laquelle d'autres qu'eux ont été livrés, contrefaisant une vérité dont ils ignorent tout ». Je ne suis pas mécontente de voir confirmer et expliquer mon impression scandalisée d'indécence à la lecture de certains romans actuels…

V. Delecroix et Ph. Forest évoquent ensuite la difficulté de notre comportement « auprès de l'endeuillé ». Même s'ils constatent notre « impuissance essentielle » à consoler, ils reconnaissent la nécessité de la pitié et de la compassion, en redonnant la définition de ces belles notions qu'ils préfèrent à l'empathie, qui par son sens étymologique : « souffrir depuis l'intérieur, autrement dit ressentir la souffrance de l'autre depuis sa place » se révèle impraticable…

Ils s'intéressent au sens donné à la mort par les religions, la chrétienne en particulier. Et ils en constatent le déclin, ainsi que de la spiritualité de façon générale, s'inquiétant de l'espace ainsi laissé à « la résurgence agressive d'un religieux hyperviolent : une soif spirituelle dévastatrice, des réponses pauvres, une haine de la raison ».

Quant à la « sagesse » - à la fois résignation et jouissance - qu'il est à la mode de vouloir nous inculquer, ils la liquident en quelques phrases : imposture qui ne sert qu'à faire vendre des livres !

En revanche, ils se penchent ensemble sur ce que la philosophie peut nous dire de sage sur le deuil, et plus généralement, sur la perte et le mal. Ils se réfèrent surtout à Hegel et Kierkegaard qui ont des visions très différentes. Mais comme je n'ai aucune connaissance en philo, ils m'ont perdue assez vite… Toutefois, du peu que j'ai compris, j'aurais une préférence, comme Ph. Forest, pour l'approche de Kierkegaard qui pense sa réflexion à partir du « je », pour qui « seul compte l'individu, tout le reste est pour lui abstraction ». Car comment parler du deuil en oubliant l'individu ?

Ces entretiens confortent les idées que j'avais sur ces notions dont on parle à tout va : « travail de deuil », « résilience », « devoir de mémoire », « sagesse », « empathie » etc… Elles voudraient édulcorer et faire rentrer dans un rang bien aligné, applicable à tous, respecté par tous, des sentiments et des comportements qui ne sont pourtant, en aucun cas, réductibles à des préceptes de « feel good ». Il faudrait vivre petitement, sans éclat, sans violence intime, peine maîtrisée.
Qu'on le veuille ou non, la mort continue de l'interdire.

L'ouvrage s'achève sur les commentaires, en accord, des deux interlocuteurs, sur cette phrase extraordinaire de Faulkner qui mériterait peut-être un livre à elle seule : « Entre le néant et le chagrin, je choisis le chagrin ».

Les échanges de V. Delecroix et Ph. Forest confirment des perspectives, en ouvrent d'autres, sur ce que le deuil recèle de significations et de nuances. Un livre qui méritera d'autres relectures !
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Philippe Forest se joint à Vincent Delecroix pour réfléchir sur le deuil. Tout d'abord pour repenser l'expression " faire son deuil" expression totalement inadéquate car devant la perte d'un être aimé et plus particulièrement d'un enfant comme c'est le cas de Philippe Forest, la volonté, le " faire" n'a aucun rôle. Et parce que derrière ce "faire"se glisse une injonction de la société , celle de donner un certain temps au deuil, mais à la condition que cela cesse. Bien sûr les gens doivent survivre ax drames qu'ils vivent et sortir de la mélancolie dont parle Freud quand le moi de l'endeuillé se fracture et sombre à force de se fixer obsesionnellement sur sa perte.
Pour repenser ensuite la notion de maladie comme un manque de volonté, ou une inclination à la faiblesse, si bien que la résilience , dans son côté positif , sous entend de façon négative un blâme ou une condamnation pour ceux qui se laissent aller au chagrin.
pour Philippe Forest , il s'agit de reconnaitre le caractère absolu de la perte qui nous laisse définitivement inconsolable, et l'illusion qu'il y a à comprendre vraiment la peine de l'autre.
La consolation que pouvaient procurer les religions est semble t il oubliée, cependant une idéologie persiste , "routine positiviste navrante ou nietzschéisme de bazar" avec l'injection sois heureux, rebondis, tourne la page .
Cet inconsolable de la perte suscite une question, donc l'écriture, sans espoir de réponse, mais qui donne un sens a notre vie avec l'image que nous nous formons de notre roman personnel.
Autre thème abordé: idée qu'il y a une quantité égale et limitée d'êtres, et que, par conséquent, l'être se paie toujours du non -être de quelque chose.Nous devons la vie au fait que d'autres meurent.
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critiques presse (1)
NonFiction
16 mai 2017
Un dialogue autour de la question du deuil, trop souvent confondue avec la question générale de la mort.
Lire la critique sur le site : NonFiction
Citations et extraits (4) Ajouter une citation
… tout deuil est singulier ?

Ph. F. – Singulier, en effet, est le mot (…) Il y a chaque fois, pour chacun, la singularité de la relation, mais surtout la singularité absolue de l’être perdu, qui reste insubstituable.
(p 22)

V.D. – Le deuil, au fond c’est cela : un évènement certes singulier et instantané, mais aussi continu, même s’il est fluctuant et susceptible de variations. De toutes les manières, le deuil est une épreuve du temps… Et il faut l’endurer, le temps !
(p 23)
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Ph. F. – Les livres de Marie de Hennezel, « L’art de mourir », « La mort intime », « Ceux qui vont mourir nous apprennent à vivre » ont connu un grand succès il y a quelques années. François Mitterrand lui-même avait préfacé l’un de ces ouvrages, le présentant, toujours sous le même cliché, comme un livre de courage, une « leçon de vie ». Eh bien, pour moi, mourir, quelle que soit la situation, n’est pas un art. Il y a des morts qui sont sans doute moins violentes, moins sauvages, moins terribles que d’autres. Mais il n’est aucune mort qu’on puisse dire « belle ».
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V.D - Freud j'en suis sûr, se serait opposé le premier à cette injonction du "travail de deuil" et de la résilience, en y voyant un impératif destructeur, une exigence imbécile et d'ailleurs impossible à tenir.
(p 45)
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Ph. F. – on n’écrit jamais que parce qu’on est au fond du trou pour essayer d’en sortir, en relançant un récit dont on sait aussi qu’il n’a de sens que dans la répétition d’un face-à-face avec une question qui restera toujours sans réponse. Et c’est précisément parce qu’il n’y a pas de réponse que la question demande à être reprise chaque fois sous une forme nouvelle.
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Videos de Vincent Delecroix (14) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Vincent Delecroix
CONVERSATION Présentée par Raphael Zagury-Orly Avec Vincent Delecroix, philosophe Camille Riquier, philosophe Corine Pelluchon, philosophe
Ce n'est jamais l'espoir qui fait vivre: ce sont les aléas de la vie qui donnent à l'espoir ses ailes ou, au contraire, les lui coupent. On le sait bien d'ailleurs: l'espoir, on le «nourrit», on le «caresse», on le «fait naître», on le «soulève», on le «suscite» - comme si, en lui-même, il n'était qu'immobile attente, tantôt confiante, tantôt naïve, de l'avènement d'un Bien, d'un événement favorable, gratifiant, bénéfique. D'ailleurs, une langue telle que l'espagnol, n'a qu'un seul verbe pour dire attendre et espérer. Aussi une vie qui ne se s'alimenterait que d'espoirs serait-elle aussi anémique qu'un amour qui ne vivrait que d'eau fraîche - car bien tenue est la limite qui les sépare des illusions, des douces tromperies (ameni inganni) dont parlait Leopardi. Certes, dans l'Ancien Testament, Dieu lui-même est nommé Espoir ou Confiance, les Pères de l'Eglise en ont fait une vertu théologale, et du «principe espérance» de Ernst Bloch la philosophie contemporaine s'est nourrie. Mais lorsqu'on dit que l'espoir fait vivre - ou que l'espoir est toujours le dernier à mourir - il faudrait entendre que pour faire vivre l'espoir, il faut d'abord commencer soi-même, autrement dit «faire le premier pas» de l'action, le mettre en mouvement en faisant «un pas en avant», en s'engageant, en allant si l'on veut vers Dieu, par la foi, en allant vers l'autre, par l'amour et l'amitié, en allant vers autrui, par la bienveillance, l'hospitalité, la solidarité.
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