« Les choses ne se dégradèrent pas d'un seul coup. Les armes restèrent cachées dans les larges poches des manteaux et derrière les portes des maisons, bien huilées, prêtes à l'emploi. Il n'y avait pas de morts, mais il y avait
du poison dans l'air. Un désir affiché de faire couler le sang. » Mon écrivain libanais de prédilection
Jabbour Douaihy décédé en juillet 2021 , raconte dans son dernier roman testament, la lente déchéance de son pays à travers un personnage, quasi son sosie. Grand amoureux des livres, de la langue arabe et de la littérature française qu'il enseigne dans un lycée , son narrateur , un maronite , traverse l'histoire du Liban, des années 1950 à août 2020 date de la terrible explosion au port de Beyrouth. de sa bourgade natale dans la montagne au melting pot de divers groupes ethniques et religieux de Beyrouth, notre anti-héros , loup solitaire, sent vite qu'il se passe quelque chose que l'on n'écrit pas dans les journaux et dont les gens ne parlent pas à voix haute. Ceux sont les premiers signes de la guerre civile en route et que personne ne voit venir. Alors que Beyrouth se désagrège peu à peu , la famille du narrateur subit le même sort.
« Le poison dans l'air » traverse tout le récit de bout en bout, à commencer par cette couverture magnifique d'un vert absinthe très évoquant, « Les Hébreux, qui regardaient les plantes amères comme nuisibles, et comme vénéneuses (voir Apocalypse 8.10-11), se servent souvent du nom de cette plante pour désigner ce qui est généralement désagréable, nuisible et pernicieux ; et le paraphraste caldéen appelle cette plante « absinthe de mort » ».
À l'image de ce poison notre anti-héros aime aller au-devant du danger , « Depuis mon adolescence au milieu des tirs dans ma bourgade, le danger m'appelait en secret et je lui répondais, je m'avançais vers lui au lieu de fuir dans l'autre sens. ». S'y greffant aussi son penchant pour le morbide et l'agression il devient assez effrayant. Pourtant au départ il n'avait que des bonnes intentions.
Avec les femmes c'est toute une autre histoire . Sa méthode pour gagner leur coeur est bien rodée : il se lamente sur son sort. Mais comme les dangers, ses liaisons sont éphémères car là aussi le poison de la discorde n'est jamais loin, pouvant l'entraîner dans le pire.
C'est l'histoire triste d'un homme et d'un pays, qui aurait pu être le joyau du Moyen Orient avec ses groupes ethniques et confessionnelles multiples et ses richesses culturelles et archéologiques. L'homme aussi aurait pu avoir un destin brillant , or il aime le danger et contrarier . « Le poison » les envahira lentement, emmenant le pays et l'homme sur le chemin de l'anéantissement .
Douaihy nous a tiré sa révérence sacrément bien. J'ai déjà lu cinq de ses livres , jamais déçue, m'en manque encore deux. Si vous ne le connaissez pas encore, n'hésitez pas, je vous garantie une rencontre majestueuse 😊.