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EAN : 9782283033722
288 pages
Buchet-Chastel (02/09/2021)
3.44/5   26 notes
Résumé :
Née de parents sourds qui combattent leur isolement par une relation passionnée et tumultueuse, Claudia vit une enfance à part, entre l’Italie rurale de la Basilicate et le Brooklyn des années 1980. Partout, la même sensation l’habite : celle d’être étrangère. Dans une vie constituée d’allers-retours, d’enracinements approximatifs elle fera de son plus grand obstacle, le langage, un véritable cheval de Troie pour enfin donner voix à l’histoire de sa famille.
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Critiques, Analyses et Avis (12) Voir plus Ajouter une critique
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L'étrangère est une oeuvre protéiforme à la fois autobiographie, roman et chronique familiale, sorte de carte topographique comme l'écrit l'autrice.
« L'histoire d'une famille ressemble plus à une carte topographique qu'à un roman, et une biographie est la somme de toutes les ères géologiques que nous avons traversées. »

L'histoire débute par la rencontre de ses parents, tous deux sourds. Deux versions romanesques de cette rencontre existent car chacun prétend avoir sauvé l'autre de la mort.
Née et grandie aux États-Unis, Claudia Durastanti va
quitter Brooklyn retrouver l'Italie lorsque sa famille émigre dans un village perdu de la Basilicate.
Aux côtés d'une famille quelque peu déjantée, la narratrice raconte sa vie avec deux parents sourds dont la relation tumultueuse et passionnée, le manque d'argent ne facilitent pas le quotidien. Aux côtés de son frère, elle qui entend parfaitement va grandir entre ces deux adultes non entendants et éternels adolescents Elle va devoir composer avec cette différence et apprendre à communiquer de façon très particulière puisque sa mère refuse de parler la langue des signes. le fait de retourner en Italie alors qu'elle a débuté sa vie à Brooklyn, la rend aussi étrangère à cette nouvelle langue et cette culture qu'elle doit assimiler. Elle va construire sa propre langue avec ces fragments d'autres langues,
La narratrice va être ballotée entre deux cultures, entre ses parents quand ils auront divorcé, entre plusieurs langues et ces expériences vont l'interpeller sur le rôle et les pouvoirs du langage.
« Mais moi je m'intéresse moins à l'identification avec une langue qu'à l'évolution d'un langage au fil du temps »

L'originalité du roman tient à son découpage en chapitres courts, avec des titres évocateurs comme « La petite fille absente à cause d'un chagrin »
Dans cette « carte topographique » de ses proches, elle nous donne à entendre toutes les voix de sa famille élargie aux personnalités très différentes. C'est vivant et, sous sa plume, le pathétique devient drôle.
Au milieu de ces récits multiples, on suit avec un intérêt croissant cette petite fille différente des autres et qui va devoir se frayer son propre chemin pour devenir adulte. Elle sera à la recherche d'un enracinement plus profond après avoir été cahotée durant toute sa jeunesse.
Claudia Durastanti est devenue autrice et traductrice, preuve de l'importance du langage, quel qu'il soit, pour vivre tout simplement.
Ce roman est profond, beaucoup plus profond que ne le laissent supposer les premières pages, et on ne peut qu'être touché par ce récit.
Je remercie les éditions Buchet-Chastel et Masse critique de Babelio pour la lecture de ce roman


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L'étrangère - Claudia Durastanti
"L'étrangère", d'emblée le titre du roman crée et affirme une distance et l'image de la couverture, un visage barbouillé de peinture affiche l'interdit, et l'histoire commence, les souvenirs de l'auteure Claudia Durastanti, ses parents sourds, famille d'italiens émigrés en Amérique (pas Etats Unis mais Amérique), sa naissance, son enfance, le retour en Italie, sa première jeunesse, ses études... et ses questions sur la différence et les multiples sens que "étranger" peut acquérir.
La surdité de ses parents, un handicap, une différence, un fil rouge brûlant qui traverse la vie de Claudia, une transmission pas comme les autres. La maturité arrive plus vite, assez lourde à porter, le recul n'est pas serein et la solitude ressentie fait naître une interrogation sans fin, souvent plombante.
Les émigrés d'Italie, immigrés en Amérique, étrangers à la langue et au pays, étrangers par manque de culture. Quand la surdité s'y ajouter, il devient difficile de vivre sans se faire remarquer, "la langue des signes est théâtrale et visible, elle vous expose tout le temps."
La narration remonte à l'enfance où la jeune fille ne comprend pas ou pas assez et dont les sentiments se voient tiraillés entre un amour qui n'est pas tout à fait ça, un regard sur les autres un peu décalé, un regard sur elle-même compliqué et pas très léger : "la même envie de me retrancher dans une chambre."
L'enfant, de retour en Italie, devient immigré, découvre, retient et analyse avec sa compréhension et son jeune vécu et devient étrangère à un passé et à ses transformations : l'Amérique "pays où tout était possible était devenue quelque chose de honteux".
C'est quoi étranger ? Cet adjectif, que désigne-t-il ? Celui qui n'appartient pas ou celui qui n'est pas reconnu ou accepté, celui qui parle une autre langue, qui vient d'un autre pays ? Etre différent, est-ce être étranger ?
Nous nous sentons étrangers avant de comprendre, étrangers aux multiples sens que la vie nous présente, souvent étrangers à nos rêves avant même qu'ils nous disent qu'ils ne sont pas faits pour nous.
Le roman de Claudia Durastanti est comme une tapisserie qui raconte la vie d'une femme, l'histoire d'une famille entre l'Italie et l'Amérique, et dont les mailles, petits ou grands, sur toute la surface, reviennent comme un leitmotiv où l'étrangère est la basse continue pesante et lourde de conséquences.
Le ton est détaché, le style emprunte l'objectivité du documentaire et de l'interrogation scientifique, le rythme garde une mesure constante du début à la fin, l'émotion a l'air de se cacher et simuler la froideur, peut-être cherche-t-elle se retrouver chez le lecteur?
Le souvenir d'une jeunesse, un malaise qui perdure, une expérience qui a touché le corps et le coeur, des chapitres se suivent rythmés par une absence que tout peut faire ressentir. Absence, distance, retrait, éloignement, sociétés, et dans l'espace qui sépare, une solitude pesante. Les événements et les questions se succèdent en marche rapide, droits et inflexibles. Temps de vie, des perles en plomb que la mémoire a du mal à porter.
Pour certaines plaies la suture est encore plus douloureuse.
La surdité affecte le parler comme si un handicap n'était pas suffisant "...c'était assez déboussolant d'être prise pour la fille d'une personne qui ne pouvait pas parler, ça me semblait ... plus offensant par rapport au fait de ne pas entendre. Comme si au lieu de me dire que ma mère était handicapée, on me disait qu'elle était idiote."
"Peut-être le futur dans mon enfance, avait-il toujours coïncidé avec la merveille, et en tant que tel il devait être impossible : il ne devait pas obligatoirement générer une amélioration, mais rester un seuil que je ne pouvais pas franchir."
"Je n'ai pas hérité de pensée politique de ma famille : ce dont j'ai hérité, par contre, c'est un mélange d'aspirations, de victimisme, manigances, indolence et colère qui peut prendre n'importe quelle orientation idéologique disponible selon la convenance du moment. Un bagage génétique inutile et triste qui m'a aidé à prévoir le Brexit et l'élection de Donald Trump... une familiarité réticente avec le désastre."
L'installation de Claudia à Londres à l'âge de 27 ans lui arrache encore une confession amère : "On peut rater une histoire d'amour, la relation avec une mère. Mais quand une ville nous repousse, quand nous ne parvenons pas à entrer dans ses mécanismes les plus profonds et que nous sommes tout le temps de l'autre côté de la vitre, on en vient à éprouver une sensation de frustration qui peut se transformer en maladie." ""Etranger" c'est un mot très beau si personne ne vous oblige à l'être ; le reste du temps c'est seulement le synonymes d'une mutilation, c'est un coup de pistolet que nous nous sommes tiré dessus tout seuls."
Le langage, qu'il soit celui des mots, du corps, du regard, liant et lien, essentiel dans la communication tout comme frein et barrière, peut devenir malaise, mal de vivre, handicap, isolation, peut s'emparer d'un être au point de tuer l'empathie, la tendresse, le sourire celui qui arrive de l'intérieur et mettre en place une analyse sévère et compliquée, un questionnement sur l'humain et ses expériences familiales, sociétales, amoureuses et surtout son dialogue avec soi-même. Tous ces points d'interrogation restent ouverts sur "le caractère du mal être à travers le temps."
Une analyse d'un vécu, devient analyse ethnolinguistique, et celle-ci touche le ressenti le plus profond :
"En italien le verbe "sentire" coïncide avec la capacité d'éprouver un sentiment et avec un sens précis, l'ouïe. Ce n'est pas la même chose en anglais, "to hear" et "to feel", comme en français "entendre" et "sentir"...je ne sais pas comment je pourrai traduire les fois où ma mère, allongée sur le lit les yeux fermés, murmure "Io non sento niente", sans perdre tout ce qu'elle veut me dire. "Je n'entends rien ," ou "Je ne sens rien ?"

Je remercie la Masse critique de Babelio et les éditions Buchet Chastel pour m'avoir offert la possibilité de découvrir une auteure et un roman d'une grande intensité.
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Grâce aux éditions Buchet Chastel, j'ai pu lire en avant première :
L'étrangère de Claudia Durastanti.
Née de parents sourds qui combattent leur isolement par une relation passionnée et tumultueuse, Claudia vit une enfance à part, entre l'Italie rurale de la Basilicate et le Brooklyn des années 1980.
Partout, la même sensation l'habite : celle d'être étrangère.
L'étrangère est un roman magnifique et puissant qui nous fait découvrir des personnages détonants. Claudia a un grand frère et surtout deux parents hors du commun. Ils sont sourds et ont une façon bien à eux de communiquer. Leur relation est passionnée, forte, trop car elle en devient parfois toxique. le père de famille est tellement entier qu'il va trop loin.
L'autrice nous fait découvrir Claudia, dont la particularité est de naître de parents sourds. Avec son grand frère ils vont vivre dans un foyer.. étonnant.
La narratrice a une façon bien à elle de nous faire découvrir son histoire. Nous ne découvrons pas qu'elle, que ses pensées. Au contraire elle nous présente sa famille mais à sa manière. C'est très vivant, j'ai souvent eu l'impression de les avoir devant moi.
Ses parents sont stupéfiants, ce ne sont pas des personnes sourdes telles qu'on les imagine. Leur personnalité est à part et pas seulement à cause de leur particularité. Ils seraient peut être aussi déjantés sans cette surdité.
Le sentiment de la narratrice de se sentir étrangère se comprend tout à fait. Il n'est pas évident de se construire avec une famille, un mode de vie, totalement à l'opposé des autres. Ils n'ont pas les mêmes règles, parfois sa mère l'emmène faire de grandes balades sans prévenir personne (à commencer par l'école). Certains passages m'ont stupéfaits.
Nous avons là un très bon roman de la rentrée littéraire 2021. Je ne souhaite pas en dire plus, il est préférable de le lire sans en savoir trop.
Ma note : un énorme cinq étoiles.
#RentreeLitteraire2021
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Je remercie infiniment Babelio et les éditions Buchet/Chastel pour l'envoi de ce livre étrange et passionnant.
***
Avant d'y prendre un vrai plaisir, j'ai eu beaucoup de difficulté à entrer dans ce livre qu'on peut difficilement qualifier de roman, je crois. Au demeurant, si la mention figure sur la quatrième de couverture, elle est absente des pages-titres. Claudia Durastanti choisit de nous parler d'elle, L'étrangère, à la première personne et en gardant son prénom. Elle divise son livre en six parties thématiques qui font penser à un horoscope. La dernière s'intitule d'ailleurs « De quel signe es-tu ? ». La première partie adopte un récit à peu près chronologique, et concerne, en quelque sorte, la genèse de cette histoire. Les deux parents de la narratrice sont sourds ; son père l'est de naissance, sa mère l'est devenue à quatre ans, à la suite d'un méningite. Claudia parle de la rencontre de ses parents comme ils la racontent eux-mêmes : chacun prétend avoir sauvé la vie de l'autre. Les grands-parents de Claudia ont immigré aux États-Unis et continuent à y vivre. Elle est née à Brooklyn, mais à six ans, elle se retrouve dans une région montagneuse et perdue d'Italie, la Basilicate. En plus de composer avec la surdité de ses parents (sa mère refuse de parler la langue des signes et Claudia ne signe pas non plus), sa vie va se construire à partir de ce tiraillement entre deux pays, deux langues, presque trois avec le dialecte local. Les autres parties du livre sont constituées de moments de vie, d'anecdotes, de réflexions diverses qui obéissent à des thématiques présentées dans la table des matières, sans souci de chronologie ni de trame narrative.
***
Paradoxalement, c'est la première partie, la plus « classique », que j'ai le moins aimée, peut-être parce qu'elle concerne les parents et la famille plus que la narratrice. Peut-être aussi parce que j'ai rarement réussi à éprouver de l'empathie pour la mère et jamais pour le père ! Composée de minuscules anecdotes, cette partie intitulée « Famille » présente pléthore de personnages. Je me suis perdue dans les noms, je ne savais pas toujours si j'avais à faire à la famille italienne ou à l'américaine. Curieusement, si on se perd dans les noms des trois générations de la famille, les très proches ne sont pas nommés : nous ne saurons le nom ni du père, ni de la mère, ni du frère, ni plus tard celui du compagnon… Bref, il m'a fallu arriver à la deuxième partie, « Voyages », pour commencer à aimer ma lecture. La narratrice décortique les différents sentiments qu'elle éprouve à se sentir étrangère où qu'elle soit. Elle se sent étrangère et dans le regard des autres (compagnes de classe, relations passagères, collègues de travail, etc.), elle l'est effectivement. Elle mentionne ses treize ans d'analyse sans vraiment développer, au détour d'une phrase. Dans sa construction d'adulte, nous la suivrons aussi à Rome et à Londres.
***
J'ai souvent été déroutée, mais charmée par certains passages, alors que d'autres sont restés bien mystérieux : « [Ils] me lançaient des petites pièces en argent par les oreilles pour me faire rire » ou encore « [il] tournait dans la maison le regard vide, ralenti par le diabète des zombies », et je pourrais multiplier les exemples. L'immersion dans la lecture, les références littéraires, musicales et cinématographiques dénotent une solide culture, et provoquent une intense curiosité chez le lecteur. Les développements sur le langage ou sur les difficultés de la traduction m'ont passionnée. Pour toutes ces raisons, aussi originale, parfois magnifique et passionnante soit-elle, cette lecture n'est pourtant pas un coup de coeur. J'ai moi-même eu, trop souvent, le sentiment d'être étrangère à ce texte…
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Livre reçu dans le cadre de l'opération « Masse Critique » privilégiée de Babelio que je remercie ainsi que les éditions mentionnées.
Avec L'étrangère, Claudia Durastanti ne nous présente pas le récit d'une vie de victime, issue de parents déficients prostrés dans leur surdité.
La mère comme le père ont choisi de vivre comme une personne « normale », mais aussi comme « une personne qui ne voulait pas affronter le handicap avec courage et dignité, mais avec inconscience. » La mère est à la limite de l'irresponsabilité, le père un voyou, qu'elle d'écrit ainsi : « ma mère […] était une nébuleuse, et mon père une galaxie très noire » (p 61) . Tous deux « magnifiques » et libres, ils sont pourtant « démoniaques » avant de devenir pathétiques : « tout ce qui touchent mes parents s'adaptent à leur décadence, ils sont un roi et une reine thaumaturges qui, au lieu de guérir les malades ou de faire des miracles, persuadent n'importe quelle créature qui se trouve en leur présence de se désarticuler et de se laisser aller à sa possible folie » (p58). Leur fille oscille au milieu, s'éparpille, devient « Borderline ».

De sa famille dysfonctionnelle – pas seulement à cause du handicap, pas seulement à cause de leur « excentricité » ni de leur divorce –, la fillette apprend une autre langue. Pas celle des signes que ses parents refusent comme étant la preuve ridicule de leur différence, mais une autre façon de communiquer. Et puis : « Qu'est-ce que le handicap, de toute façon, dans un noyau familial où tout le monde parle de manière différente ? » (p 185).
Déjà, à côté de l'italien national, elle tente d'apprendre le dialecte de son quartier, aux États-Unis elle parle l'anglo-américain, pour finalement s'installer en Angleterre. La langue, le langage, les mots sont au coeur de son évolution. On retrouve chez cette écrivaine des accents similaires à ceux d'Elena Ferrante concernant le combat entre dialecte et langue correcte, l'expression de la violence, le sens de la vulgarité, la présence du sexe brut, le tout lié à la pauvreté, et une rémission grâce aux études, à l'éducation et à l'écriture.

Mais ce langage ainsi forgé lui restera. Elle avouera : « moi, des erreurs dans la traduction j'en faisais tout le temps et je continue à en faire, parce que aucun (sic) signifié n'a une forme stable chez moi, et tout ce que je pense, et ensuite ce que je dis, souffre de la transmigration entre des pays différents » (p113).

Car il y a eu l'exil volontaire de ses grands-parents et ses allers et retours entre les deux pays, le décalage entre les mondes silencieux de ses parents et le monde sonore où elle vit (puisqu'elle n'est ni sourde ni muette), le divorce parental, sa propre installation à l'étranger. La jeune fille vit « à la bordure » de plusieurs langues comme de plusieurs pays. Loin d'en être comblée, elle en ressent la blessure : « cette migration-là elle aussi est faite de honte, et d'un sentiment d'appartenance insuffisant » (p 176). Elle se sent étrangère partout. (À ce propos, il est amusant de relever l'anecdote selon laquelle « Maria Kuncewiczowa a écrit un livre intitulé L'étrangère. En Angleterre, il est sorti en 1944 sous le titre The Stranger. C'est la raison pour laquelle L'étranger d'Albert Camus n'a pas pu bénéficier de ce titre et est encore aujourd'hui intitulé The Outsider. » (p 175). Il faut croire que le féminin n'était pas utilisé pour un titre français puisque le livre de Claudia Durastanti a obtenu cette traduction littérale).

Et si elle a choisi ce titre, c'est parce que ce sentiment puissant parcourt le texte tout du long. Entre beauté et laideur, ce mot est comme elle, entre ses parents, ses pays et ses langues : « Étranger », c'est un mot très beau si personne ne vous oblige à l'être ; le reste du temps c'est seulement le synonyme d'une mutilation, c'est un coup de pistolet que nous nous sommes tiré dessus tout seules » (p 178).

Cette saga familiale trace les grandes lignes d'un parcourt personnel à travers hérédité, éducation, volonté et faiblesses, dans un style sans fioritures, abrupt parfois, avec la franchise d'une confession nécessaire.

De temps à autre, on peut se demander si la traduction ou la relecture éditoriale est fautive, si l'idiome d'origine est structurellement différent du français ou si l'image verse dans une poésie particulière à l'autrice. J'ai relevé quelques adjectifs (par exemple : « son corps est inservable » (p 275), « nuits incubées » (p 283)) et quelques phrases pouvant faire hésiter le lecteur ou la lectrice (« pour mes parents une rose est vraiment une rose est une rose, vraiment ? » (p 188)). Claudia Durastanti avoue d'ailleurs : « Il y a tellement de fautes de grammaire, tellement d'erreurs de sa langue [de sa mère] que j'ai conservées ; […], et ma syntaxe est souvent compliquée » (p 212).
Son livre, érudit et parfaitement maîtrisé d'autre part, ne souffre que peu, voire profite parfois, de ces légers flottements.
anne.vacquant.free.fr/av/
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critiques presse (1)
LeFigaro
07 septembre 2021
Le récit d’une jeunesse ballottée entre New York et le sud rural de l’Italie. Brillant.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Citations et extraits (10) Voir plus Ajouter une citation
Je ne sais pas quelle substance il y a dans mes parents; je sais que moi je ne l'ai pas. Tous les avantages que j'ai, je les ai gagnés et perdus avec le langage, en prenant un mot pour un autre, en persuadant mes interlocuteurs par la rhétorique de mes sentiments, et mon silence n'a rien de funeste. Je n'ai pas leur influence démoniaque.
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"Étranger " c'est un mot très beau si personne ne vous oblige à l'être; le reste du temps c'est seulement le synonyme d'une mutilation, c'est un coup de pistolet que nous nous sommes tiré dessus tous seuls.
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Ma mère et mon père se sont connus le jour où il a tenté de se jeter du haut du Ponte Sisto au Trastevere. C'était l'endroit idéal pour tomber: même s'il était bon nageur, le choc contre l'eau l'aurait paralysé, et le Tibre, à ce moment-là, était déjà toxique et vert.
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Les émigrés européens du XXe siècle avaient une bibliothèque dans laquelle se réfugier, leur situation était tourmentée, noble, et surtout partagée, parce que, souvent, elle n’était pas forcée par un choix individuel mais par la guerre. Les héritiers de ces étrangers sont nombreux, mais étant donné qu’ils ne sont pas en exil, en l’absence d’une cause commune permettant de définir leurs départs, tout mot capable de définir leur condition s’avère offensant et leur cosmopolitisme du privilège ressemble à un outrage parce qu’il s’agit d’une migration presque toujours libre, qui ne se transforme jamais en naufrage.
Pourtant, cette migration-là elle aussi est faite de honte, et d’un sentiment d’appartenance insuffisant. (p. 176)
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Même quand j'allais en vacances à l'étranger, on me disait : Ah, la Basilicate ! Christ stopped at Eboli ! , comme si on se déplaçait à dos de mulet et qu'on distillait le sang menstruel dans le café d'une malheureuse victime pour l'obliger à tomber amoureux.
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Videos de Claudia Durastanti (8) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Claudia Durastanti
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