Une université américaine. Trois étudiants. Un triangle amoureux. La maniaco-dépression. Un pèlerinage. La désillusion.
Tels sont les ingrédients du troisième roman de
Jeffrey Eugenides (après
Virgin Suicides en 1993, adapté en 1999 au cinéma par Sofia Coppola, et
Middlesex en 2002),
le Roman du mariage. Au coeur de l'Amérique des années 80, pendant lesquelles subsistent encore quelques vestiges de l'American Dream, nous suivons le parcours d'une jeune femme, Madeleine, et deux jeunes hommes, Mitchell et Leonard, l'année de l'obtention de leur diplôme. Entre réalisme et emphase, entre humour et désillusion, l'auteur nous fait plonger dans cette ambiance particulière qui est celle des universités américaines pour suivre ces trois destins croisés.
Madeleine est une étudiante sérieuse, qui sort peu et envisage de rédiger son mémoire sur la façon dont, de
Jane Austen aux écrivains américains des années 80, la question du mariage est traitée dans les romans. le titre de sa thèse est celui utilisé par
Eugenides : «
le roman du mariage » (en anglais The Marriage Plot). Et entre les deux garçons dont il est question, son coeur balance.
D'un côté, Mitchell. Il fait figure de gendre idéal, c'est un garçon discret et sérieux, aux manières de gentleman, et passionné par la théologie et le mysticisme. Il va jusqu'à faire un pèlerinage en Europe puis en Inde avec son meilleur ami (voyage qui sera l'occasion de découvrir l'homosexualité de ce dernier), pour finir par oeuvrer au côté des bénévoles de
Mère Térésa avant de rentrer aux États-Unis. Fou amoureux de Madeleine depuis leur rencontre en première année, il a fait voeu de l'épouser un jour.
de l'autre côté, Leonard. Étudiant en philosophie et biologie, c'est un serial lover qui fait tomber toutes les filles de la fac et n'hésite pas à en profiter, du moins jusqu'à sa rencontre avec Madeleine (à qui il restera fidèle –du moins pour ce qu'on en sait… !). Atteint de maniaco-dépression, il passe des coups de téléphone à n'importe qui à n'importe quelle heure pour parler de n'importe quoi, et se soigne en prenant des comprimés de lithium qui l'assomment et altèrent des facultés intellectuelles –et sexuelles- au grand dam de Madeleine, qui va d'espoir en désillusion.
La plume parfois acérée de
Jeffrey Eugenides rend tout à fait délectable la lecture de ce triangle amoureux peu commun. Il croque ses personnages avec humour, sans les épargner. Ainsi dépeint-il, par exemple, l'attitude de Leonard : « Il n'essaya pas de rattraper Madeleine. Assez courbé l'échine. Il était temps, dans la mesure du possible, de se ressaisir et de montrer un peu de courage, ce qu'il entreprit de faire en se laissant lentement tomber sur le côté et en se roulant en boule en travers du canapé. » Ces quelques passages de description psychologique sans complaisance nous font étirer les lèvres en un sourire parfois amer, car l'on ne peut s'empêcher de comparer les personnages d'
Eugenides avec ceux, bien réels, qui peuplent notre quotidien.
Ce triangle amoureux hors du commun sur fond de thèse maritale victorienne et de psychologie amoureuse barthésienne ne laissera pas de marbre le lecteur avide de rebondissements, ni celui qui a besoin de passages plus tranquilles. Toutefois, une fois la dernière page tournée, on reste un peu sur sa faim, car si le roman s'achève sur une réplique de Madeleine qui prouve qu'elle a définitivement perdu toutes ses illusions, nous, on en voudrait plus.