Pascal Fioretto est nègre littéraire. En clair : il écrit pour des auteurs vedettes sans que son nom apparaisse, sans qu'aucune étincelle de gloire rejaillisse sur lui, même si le livre cartonne. Pas grave, dit-il, si les contrats sont bien faits et que le "commanditaire" reste réglo, tout se passe bien. Pas de chicanes sur l'aspect financier, ça compense l'éventuelle frustration qu'il pourrait ressentir à rester dans l'ombre (mais Fioretto ne semble ni avoir le "melon" ni être un frustré) et l'agacement à voir le faux auteur se pavaner d'avoir produit LE chef-d'oeuvre encensé partout. Un boulot comme un autre, somme toute, beaucoup de gens oeuvrent dans l'ombre comme ça.
Tout cela, Pascal Fioretto nous l'a expliqué au salon du livre de Vannes - j'espère restituer ses propos correctement, l'idée générale en tout cas. Il a aussi fait allusion à des cas où l'auteur (le faux, celui qui signe, vous suivez ?) se comporte comme un mufle, et aux moyens de vengeance subtile des nègres. Il suffit de glisser un extrait plagié, d'en informer un pote journaliste, et voilà le travail de sape. Jouissif pour le nègre - et pour le lecteur qui n'aime pas être pris pour un con.
Bref, quand on a lu des pastiches de Fioretto, on ne doute plus de l'existence de cette pratique (et on devine à la prolixité des "auteurs" ou à leur soudain changement de style ceux qui y ont recours). Pascal Fioretto parvient à adopter les styles d'écrivains variés de manière vraiment convaincante, l'exercice rappelle celui des (bons) imitateurs de voix. J'ai lu avec bonheur 'Et si c'était niais', 'L'élégance du maigrichon', 'Moi Pascal F'. Trois romans délirants dont "l'auteur" change à chaque chapitre - se succèdent ainsi dans le premier cité Denis-Henri Lévy, Christine Anxiot, Fred Wargas, Marc Levis, Mélanie Notlong, Jean d'Ormissemo, Frédéric Beisbéger, etc.
L'exercice est un peu différent dans ce 'Concentré de best-sellers' : Pascal Fioretto et Vincent Haudiquet ont imaginé les prochains livres de quelques auteurs de best-sellers, chaque présentation est précédée d'une courte biographie. L'idée est bien sûr d'amuser, donc les bio sont revisitées avec humour, moquerie, et le pastiche est caricatural (plus ou moins). C'est fantaisiste, parfois trop court, parfois facile, souvent très drôle, j'ai beaucoup ri. C'est encore plus savoureux quand on connaît l'auteur pastiché, parce qu'on saisit mieux les clins d'oeil (et il y en a beaucoup, assez subtils donc parfois bien cachés) et parce que l'humour est plus mignon et tendre que teigneux. Les pastiches de Despentes et de Vargas - auteurs que j'apprécie - m'ont bien amusée, par exemple. Au moins autant que les piques à l'égard de people qui me hérissent le poil.
Bref, à lire pour s'amuser, sans snobisme "anti best-sellers", je suis aussi consommatrice de 'têtes de gondole', y a pas de honte à aimer ça. Ni à le dire, on est ici entre lecteurs ouverts et tolérants.
• Bonne nouvelle : le pastiche littéraire est au programme des classes de 1ère, 'Et si c'était niais' est désormais disponible en édition scolaire 'Classiques et Contemporains' - belle consécration pour un nègre littéraire !
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Les deux auteurs font preuve d'un vrai talent divinatoire, en publiant des extraits des futurs romans de quelques têtes d'affiche de la littérature contemporaine française ... On se régale de ces extraits qui prouvent à la fois leur connaissance et leur analyse des oeuvres, ainsi que la médiocrité ambiante des publications françaises ...
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Patrick Poivre naît en 1947, à Reims, dans la Marne, ce qui déclenche en lui une passion immédiate et immodérée pour la Bretagne. Précoce dans tous les domaines, il devient bachelier à quinze ans, giscardien à seize, dégarni à dix-sept... puis, en vrac, diplômé de Sciences Po, journaliste, don Juan. A vingt-deux ans, un après-midi qu'il s'ennuie, il rajoute "d'Arvor" à son nom. Nommé présentateur du journal de 20h de 1975 à 2008, il trouve néanmoins le temps de rapporter un bébé d'Irak sans le déclarer à la douane, d'interviewer Fidel Castro sans qu'il ne s'en rende compte, de participer à quelques retentissants procès médiatiques sans tous les perdre et d'écrire une cinquantaine d'ouvrages (anthologies, essais, romans, etc.) ainsi qu'une dizaine d'autobiographies à lui tout seul sans mettre toutes les citations entre guillemets. Son hyperactivité effraie l'Académie française, qui préfère ne pas l'élire en son sein.
Bibliographie : impossible de citer tous les ouvrages auxquels Patrick a participé de près ou de loin. Retenons qu'en littérature, PPDA est surtout connu pour ses romans émouvants et ses portraits ressemblants, tellement bien documentés que certains esprits chagrins lui reprochent de les avoir recopiés dans des ouvrages existants (comme si Patrick avait le temps de lire les livres des autres).
(p. 30)
Bernard-Henri Lévy naît en Algérie, en 1948, puis s'installe à Neuilly, qui a l'avantage d'être plus proche du Flore. A Paris, il fait de brillantes études en philosophie et marketing et réalise que, comme l'écrit Deleuze, "plus le contenu de pensée est faible, plus le penseur prend d'importance". Fort de cette Weltanschauung révolutionnaire, il invente la "nouvelle philosophie", dépose le concept, déboutonne sa chemise, se fait une permanente et passe à la télé. Le succès est immédiat et pas que chez les coiffeurs. Touche-à-tout de génie, il écrit aussi bien (ou aussi mal selon les anciens philosophes aigris) des pièces de théâtre, des essais, des romans, des articles et des cartes postales de partout. Visionnaire, il aide François Mitterrand à se faire élire, en 1981, en cessant de le conseiller dès 1976. Tout comme ses fameux décolletés, son sens du contact humain est vertigineux : une rencontre de quelques heures avec le chef afghan Massoud lui suffit pour devenir aussitôt son ami de vingt ans. Critiqué, démenti, entarté, jamais Bernard-Henri ne se décourage. Toujours il reprend sa plume et la route des pays ravagés par la guerre, et chacun de ses livres est un événement salué comme il se doit par une critique nullement intimidée ni par son bras, qu'il peut avoir long, ni par ses idées, qui savent rester courtes.
(p. 56)
Maxime Chattam est mis au monde, en 1976, dans le Val-d'Oise par une infirmière au crâne cornu dans un hôpital aux murs suintant de sang. Durant son adolescence, alors qu'il s'appelle encore Maxime Drouot, rien ne laisse présager de ce que sera son destin. Il prend des cours de comédie, découvre les Etats-Unis et la littérature dans les polars américains. C'est au cours d'un atelier de 'creative writing' satanique qu'il apprend ses premiers trucs démoniaques comme ne pas résumer en un paragraphe ce qui peut se dire en au moins un chapitre, ni en un livre ce qui peut se décliner en une trilogie. Après l'avoir vu jouer, Robert Hossein lui suggère de plutôt écrire. Il rencontre Michel Lafon qui lui fait signer un contrat chtonien avec son sang. Maxime s'enferme alors dans une pièce éclairée seulement par six bougies noires, s'installe à son bureau qu'il a placé au centre d'un pentagramme tracé à même le sol et commence à écrire sous le regard fatigué d'un hibou qui en a vu d'autres. [...]
(p. 104)
Parce que la chair est triste et que sa liseuse est en panne, Michel [Houellebecq] fait tourner une machine de blanc et se met à son nouveau livre : l'histoire de Vincent et Pascal, deux écrivaillons fatigués avec lesquels il s'est lié d'amitié dans un bordel de Bangkok, un soir où ils se sont retrouvés tous les trois par hasard dans la même mineure. [...] Michel veut être "Romain Gary à l'envers" et signer sous son nom des livres qu'il n'a pas écrits. Vincent et Pascal acceptent de rédiger le prochain faux Houellebecq : l'histoire d'un type qui a vendu à Google un système de localisation par satellite du point G de toutes les femmes de la planète. Pendant qu'ils écrivent le livre de Michel, celui-ci écrit l'histoire de Vincent et Pascal écrivant sur lui tout en se faisant sucer convenablement par sa femme de ménage marocaine devant le "13 heures" d'Elise Lucet pour changer de Jean-Pierre Pernaut. Tandis qu'il se branle devant "Questions pour un champion", Michel se fait assassiner par une Femen. Au "Grand Journal", la polémique fait rage.
(p. 167)
Franz-Olivier Giesbert naît en 1949, aux Etats-Unis, dans une seule ville, car à cette époque il n'est pas encore partout. Il grandit en Normandie où sa famille possède des parts dans le journal 'Paris-Normandie'. On lui propose le poste de rédacteur en chef adjoint qu'il refuse en prétextant d'obscures raisons d'éthique et de déontologie. Il s'installe à Paris où, très vite, il connaît et tutoie tout le monde. Passant de la rédaction du 'Nouvel Observateur' à celle du 'Figaro' qu'il quitte pour diriger 'Le Point', il en profite pour dîner à la table des puissants et écrire des essais politiques dans lesquels il révèle tout ce que les hommes de pouvoir lui ont confié sous le sceau du secret pour être sûrs qu'il le répéterait. [...] Durant ses rares loisirs, il rédige des romans d'une main (polars, amour, maladie...) tout en taillant les oliviers de sa maison provençale de l'autre. En tant que membre éminent du jury du prix Renaudot il arrive à FOG de couronner des écrivains, mais aussi, à l'occasion, un Beigbeder ou une Despentes. (p. 174)
Pascal Fioretto lit un extrait de L'élégance du maigrichon