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EAN : 9782757806197
135 pages
Points (18/10/2007)
3.63/5   51 notes
Résumé :
C'est une myriade d'îles, objet de rêves et de conquêtes, qui sont aujourd'hui tombées dans l'oubli: L'Océanie.
Sous la plume sensuelle de J.M.G. Le Clézio, ce continent bordé d'eau prend la forme d'un mythe, d'un espace sans cesse altéré par l'imaginaire. C'est aussi une histoire, celle de peuples conquis et toujours épris de liberté. Et c'est aussi un horizon: celui de la mer, à perte de vue.
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De J.M.G. le Clezio, je n'avais lu que deux romans "Celui qui n'avait jamais vu la mer" et "Le chercheur d'or". J'avais beaucoup apprécié ces deux ouvrages. En lisant "Raga - Approche du continent invisible", je découvre une autre facette du talent de l'auteur. Raga n'est pas un roman, mais un récit. Un récit très fin, très intelligent, qui nous fait appréhender l'Océanie autrement qu'avec les yeux d'un touriste avide d'exotisme ou d'aventures. J.M.G. le Clezio, évoque les coutumes, L Histoire, la colonisation, l'asservissement de ces peuples, la perte de leur langue... La bibliographie utilisée est impressionnante. L'écriture est belle. L'émotion et la réflexion sont au rendez-vous. Raga est un livre qui incite le lecteur à découvrir un peu mieux ce "continent invisible". Excellente lecture.
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RAGA JMG le Clézio
Quelques notes de la part de Henri Theureau – htheureau@mail.pf
BP 723 UTUROA 98735 RAIATEA Polynésie Française
p. 11 "…le baptise du triste nom de Nouvelles-Hébrides en souvenir de son pays natal." D'abord je ne vois pas ce que le nom de Nouvelles-Hébrides a de plus triste que celui de Nouvelle-Calédonie ou de Nouvelles-Cyclades, ou de New-York ou de Nouvelle-Orléans. Ensuite Cook était né, non pas dans l'archipel écossais des Hébrides, mais à Marton, comté de Cleveland, dans le Yorkshire. Il a baptisé la Nouvelle Calédonie en souvenir de l'Écosse, que les montagnes émoussées de cette île lui rappelaient, et les Nouvelles-Hébrides pour la même raison : ces cailloux tombés du ciel et qui émergent, abrupts, dans une mer peu hospitalière n'ont rien à voir avec la douceur des îles à lagons de la Polynésie orientale, mais lui ont rappelé sans doute le côté un peu paumé et sauvage des Hébrides écossaises.
p. 14 "…Le désir… l'urgence… les a chassés vers l'horizon… dans la direction du soleil levant. Peut-être ces hommes cherchaient-ils à retrouver la terre de leurs ancêtres, là où vivent les morts ?" Ce n'est pas en allant d'ouest en est que les peuples du Pacifique auraient eu une chance de retrouver leurs ancêtres. C'est dans l'autre sens, ce qui paraît logique si l'on admet qu'ils viennent tous du continent asiatique. En effet, ce sont les Polynésiens établis aux îles de la Société qui nomment Havai'i les Samoa d'où ils venaient (la plus grande île des Samoas occidentales s'appelle encore aujourd'hui Savai'i), et c'est sans doute lors d'un de ces voyages de retour aux origines qu'ils furent poussés vers le sud et découvrirent la Nouvelle-Zélande, vers l'an 800 de notre ère, pense-t-on généralement.
Ce découvreur a un nom : Kupe (prononcer Koupé). Les Polynésiens, comme plus tard les Européens, nommaient souvent les terres qu'ils découvraient du nom de terres qu'ils connaissaient, ainsi Ra'iatea (qui, au passage, est à l'ouest de Tahiti), se nommait autrefois Hava'i, et il s'y trouve une vallée nommée Hamoa (Hava'i/Sava'i ; Hamoa/Samoa). Et le nom de la grande Hawaii, aujourd'hui américaine, est donc sans doute le souvenir direct de Ra'iatea, qui semble avoir été, à l'époque de ces grandes migrations polynésiennes, une sorte de centre culturel et religieux (culte du dieu ‘Oro), peut-être point de départ de ces migrations. C'est en effet – du moins est-ce ce qu'on pense dans l'état actuel des recherches, surtout linguistiques – à partir des îles de la Société qu'on été peuplées Hawaii et Aotearoa (la Nouvelle Zélande). L'île de Pâques, Rapa nui – la grande, l'aurait été à partir des Marquises, mais il existe une Rapa iti – la petite, tout au sud de Tahiti, dans l'archipel des Australes.
p. 19 "Les noms des étoiles majeures… étaient connus dans la langue ma'ohi dans tout le Pacifique." La langue ma'ohi, voilà qui ne signifie pas grand-chose, la traduction littérale de ce terme donnant la langue « indigène ». Laquelle ? Indigène à quoi ? aux Marquises, aux Tuamotu, aux Australes ? le terme ma'ohi a été mis à la mode il y a une vingtaine d'années par le poète tahitien Henri Hiro, qui s'est ensuite fait taper sur les doigts par pas mal de gens, dont ceux de l'académie tahitienne (Fare Vana'a), l'adjectif ma'ohi n'ayant jamais été jusque-là appliqué à des personnes, mais uniquement à des plantes et à des animaux… Il est vrai que le terme a eu ensuite beaucoup de succès auprès des indépendantistes d'Oscar Temaru, un peu moins auprès des Marquisiens et autres Paumotu, lesquels estiment s'être déjà suffisamment fait coloniser linguistiquement par les Tahitiens.
Le raccourci – cette pirogue mélanésienne naviguant, sans doute autour de l'an moins 3 ou 4000, en utilisant des termes polynésiens fixés 4 ou 5000 ans plus tard par les Polynésiens de l'Est avec qui elle ne peut guère avoir été en contact – le raccourci est audacieux. Je comprends bien ce que vous voulez dire, dans l'orthodoxie de Guiart & Co, à savoir qu'il n'y a pas de grosse différence entre Poly et Mélanésiens. Je suis tout à fait d'accord. Cela s'appelle quand même tirer la réalité (ou le très peu qu'on en sait) par les cheveux. Cher JMG, le lyrisme poétique, c'est bien, mais lorsqu'il s'appuie sur l'exactitude géographique et historique, c'est encore mieux.
p. 28 "Malekulo." C'est la première fois que je rencontre cette orthographe. Je connaissais Malekula (graphie anglaise), et Mallicolo (graphie française). Serait-ce la graphie de Pentecôte ?
p. 30 …des tambours en racine de fougère. Voilà qui est nouveau. La racine de fougère est une matière qui offre à peu près l'aspect et la consistance, en plus dur, de l'éponge végétale (luffa, papengaye, courge-torchon…). C'est un conglomérat de radicelles noires très facile à tailler à la machette. On en fait des statues de passage de grade, les plus belles à Ambrym, mais jamais des tambours. Ils tomberaient en miettes à la première utilisation.
p. 32 "…ce que les anthropologues ont schématisé sous le nom de kastom, la tradition." Les anthropologues n'ont rien schématisé du tout, ce sont les Mélanésiens eux-mêmes qui désignent, en bislama, l'ensemble de leurs coutumes (custom en anglais, merci !). Nagol, emia kastom blong mifalla.
p. 39 "…le beau nom de Vanuatu." Sans doute pour faire pendant au triste nom de Nouvelles-Hébrides. Vanuatu, une autre orthographe du nom (polynésien) du parti de l'indépendance, le Vanua'aku Pati, est un nom inventé de toutes pièces. Vanua, c'est le fenua des Tahitiens. Vanua-atu signifie « mon pays ». C'est sans doute un beau nom lorsqu'on a été privé de pays pendant un siècle et demi, j'en conviens volontiers. Mais la réalité géographique qu'il recouvre est une réalité coloniale. le « pays » d'un insulaire, aujourd'hui encore, c'est son île, exclusivement. Les gens de Ra'iatea, où je vis, n'aiment pas beaucoup qu'on les appelle Tahitiens. Ils sont Ra'iatéens d'abord. Et je suis prêt à parier que Charlotte se sent man Penticos, ou man Raga avant de se sentir Ni-Vanuatu. Mais bon…
p. 47 "Les razzias entre les habitants des îles devaient être une pratique courante, pour l'appropriation des biens et la capture d'esclaves." C'est la première fois que j'entends parler de pratique de l'esclavage entre les gens du Pacifique. Certes, plus tard, les chefs de village sauront se débarrasser d'individus encombrants ou trop remuants en les “vendant” aux Blackbirders. Mais ce qui faisait l'objet des razzias semble avoir été en priorité les femmes (les échanges de femmes entre le sud-Pentecôte et le nord-Ambrym existait encore au début des années 1970). A cela, une raison simple : la nécessité de l'exogamie, que tous les peuples du monde semblent avoir comprise très tôt. En impliquant que les anciens Mélanésiens auraient peut-être pratiqué l'esclavage, vous leur faites un procès tout à fait gratuit, limite calomnie, ou alors, vous êtes victime des clichés des romans d'aventures (razzia = capture d'esclaves). Quoi qu'il en soit, produisez vos sources.
p. 55 "…les Shepherd Islands, du nom d'un des officiers de Cook." Hé non, Shepherd n'était pas là ! Voyez plutôt :
“[I named them] Shepherd's Isles, in honour of my Worthy friend Dr Shepherd Plumian Profr of Astronomy at Cambridge. [As for] the two close to the large island of Efate I named the one Montagu and the other Hinchinbrook and the large Island Sandwich, in honour of my Noble Patron the Earl of Sandwich”. (Cook's log, July 24, 1774)
Faut-il que je continue? Vous insistez? Allons-y:
p. 73 "…Le kava… C'est la plante liée au peuple mélanésien, à son histoire, à ses rêves." Aujourd'hui, certainement, mais le kava existait, et il est en train de renaître, en Polynésie où il fait partie des cérémonies d'accueil à Wallis & Futuna, à Samoa, Tonga, et même à Tahiti où il avait été interdit par les missionnaires et où Oscar Temaru tente de le réintroduire dans le cérémoniel d'accueil. D'ailleurs le mot tahitien 'ava sert à désigner l'alcool, 'ava'ava c'est le tabac, et 'ava'ava taero le pakalolo, c'est-à-dire la marijuana ma'ohi. (Pas vraiment ma'ohi d'ailleurs puis que la plante, d'origine californienne, a été importée de Hawaï dans les années 70.) Bref, s'il y a une chose commune à tous les insulaires du Pacifique, c'est bien le kava.
p. 80 « Stéphane Tabiri 9 may 1872 Vanuatu » Juste pour signaler qu'en 1872 le mot Vanuatu n'existait pas, ni sa réalité géographico-politique, et que donc cette dalle, ou en tout cas cette inscription, est postérieure à l'indépendance (1980).
p. 87 "Après avoir transpercé la mâchoire supérieure, les dents au long des années s'enroulent en spires et font plusieurs tours. Leurs mâchoires ainsi clouées ne peuvent plus s'ouvrir, et les porcs doivent être nourris de bouillies par leurs propriétaires."
Les canines inférieures, libres de se développer, ne transpercent pas la mâchoire supérieure (il serait bien idiot, le porc qui garderait les mâchoires serrées en attendant qu'elles se clouent l'une à l'autre). En revanche, il est sûr qu'elles procurent au porc un certain inconfort pour manger, et c'est pourquoi on le nourrit à la main dans les premiers stades du développement des canines inférieures. Celles-ci ensuite, oui, se recourbent vers l'arrière et – parfois, mais pas toujours – se replantent dans la mâchoire inférieure, et il est vrai qu'elles peuvent faire un tour, un tour et quart ou et demi. Je n'ai jamais vu, ni entendu parler de deux tours complets.
Pour le rôle des cochons dans le système social mélanésien, Joël Bonnemaison m'avait raconté une histoire d'Aoba, que nous avions mise en scène avec les élèves du Lycée de Port-Vila dans les années 70. C'était la dernière d'une série de quatre légendes des commencements, où figurait aussi celle de Barkolkol, que vous racontez dans Raga (p. 83 dans mon exemplaire, Coll. Points). Dans cette légende, la « route de la guerre » est tout simplement remplacée par la « route du cochon ». Il semble qu'il y ait eu à un moment quelqu'un de sensé qui ait dit « Arrêtons de nous entretuer, j'ai une meilleure idée, rivalisons en élevant les plus beaux cochons. » Si je retrouve mon MS, je vous l'envoie.
p. 97 "Slit gongs." Pourquoi ces deux mots anglais ? Pour faire joli ? En bislama, on dit tamtam, en français “tambours de bois”, de bois fendu si vous y tenez.
p. 104 "Sans doute ne devrait-il jamais y avoir d'autre raison au voyage que celle de mesurer exactement ses propres incompétences." Ça, c'est une très belle phrase, je vous la pique et je la ressortirai.
p. 105 "Ce haut magistrat qui rendait la justice à Port-Vila en espagnol, en souvenir de Quirós et de Magellan." Je pense que vous faites erreur. L'histoire dont je me souviens, c'est que rendre la justice dans un condominium franco-britannique ne devait pas être de la tarte pour un magistrat, qu'il soit français ou british. Je ne sais pas si le système a été pérennisé, mais je sais qu'à une époque on a fait appel à un juge de culture espagnole, peut-être chilien, pour être sûr qu'il soit équitable. (Savez-vous qu'au XIXe, le dollar chilien était la monnaie standard dans le Pacifique ?) Voilà ce qu'en dit un résident actuel :
« La Convention de Londres du 20 octobre 1906 met fin aux controverses diplomatiques et institue le Condominium Franco-Britannique des Nouvelles Hébrides. […] Les Commissaires-Résidents Français et anglais siégeant à Port-Vila sont subordonnés aux Hauts-Commissaires de France et de Sa Majesté Britannique résidant à Nouméa et à Suva. L'institution essentielle du Tribunal mixte règle les problèmes juridictionnels de conflits de lois et compétences. le Juge-Président neutre sera désigné par le roi d'Espagne, en hommage au souvenir De Queiros, découvreur de l'Archipel. » http://port-vila.blogspot.com/

p. 108 “John Frum… son emblème fut la croix noire en bois de fer.” [Ici, carte postale de la croix rouge des John Frum] Daltonien, JMG ?
“Après avoir connu des fortunes diverses, le mouvement [John Frum] disparut en 1980 au moment de l'indépendance.” Disparu, John Frum ? Ah bon ? Voyons voir ce que nous dit Wikipedia :
Current cults
Over the last sixty-five years, most cargo cults have disappeared. However, some cargo cults are still active including:
• The John Frum cult on Tanna island (Vanuatu)
• The Tom Navy cult on Tanna island (Vanuatu)
• The Prince Philip Movement on Tanna island (Vanuatu)
• Yali's cargo cult on Papua New Guinea (Madang-region)
• The Paliau movement on Papua New Guinea (Manus island)
• The Peli association on Papua New Guinea
• The Pomio Kivung on Papua New Guinea [4][5]
Trois pour le prix d'un. D'ailleurs, sur ce sujet, je vous recommande The Trumpet shall sound, de Peter Worsley, (London 1957, McGibbon a Kee), et surtout la somme de Joël Bonnemaison sur Tanna, La Dernière Île (Arléa, 1986).
http://www.youtube.com/watch?v=¤££¤236De Sa Majesté Britannique200¤££¤0
Voilà une vidéo du John Frum Day à Tanna, un peu longuette, mais dont la bande son me laisse à penser qu'elle est assez récente, avec une danse coutumière à la fin. Joël a bien montré l'intrication des cargo-cults et de la coutume, et comment à travers l'apparent syncrétisme de ces “cultes”, les Mélanésiens tentent de se réapproprier leur culture, et le monde – par le biais de la coutume. D'ailleurs, les cultes de ce type ont commencé en Polynésie, et les Mamaïa de Tahiti (1826-1841) que Segalen met plus ou moins en scène dans Les Immémoriaux possédaient déjà cette ambivalence.
(Au passage, je suis bien conscient que Wikipedia et YouTube ne sont pas parole d'évangile, mais bon, quand même, et puis la carte postale avec la croix rouge, elle était déjà en vente à Vila dans les années 70.)
p. 116 "…une masse de cheveux frisés éclaircis à la chaux de corail." Ça c'est une erreur classique des touristes en Mélanésie : ils sont persuadés que les mignonnes petites Canaques blondes se décolorent les cheveux. Mais pas du tout. Ces cheveux clairs sont un des caractères secondaires assez fréquents de la “race” mélanésienne. C'est comme ça. Des nègres blonds. Ça vous la coupe, hein ?
p. 117 Alors là, je crois que je vais me mettre en colère. Exécuter Fletcher en deux lignes en le traitant de violeur, et Gauguin en le traitant de pervers, ça fait deux mauvaises actions. Avez-vous vraiment lu Isles of Illusion, je veux dire la VO, pas la traduction misérable faite en 79 pour le Sycomore par une nana qui n'avait aucune idée de ce qu'est le Bislama et qui traduit, par exemple mifalla [soit me and my fellows, égale « nous exclusif de l'interlocuteur »] par « mon bonhomme » ! [nous, inclusif de l'interlocuteur se dit yumi, soit you and me, ce qui fait sens]. Jamais il n'est question de viol, bien sûr, mais j'aimerais savoir ce qui vous permet de juger de façon aussi lapidaire ce pauvre Fletcher et de le traiter de violeur. Voici la première page qu'il écrit sur elle, qui s'appelle Onéla : [ici, photocopie du texte de Fletcher en anglais]

Si la belle "brave les fantômes de la nuit pour venir dormir sur le paillasson devant sa porte en attendant de lui faire le café", je doute que ça ait été un viol bien douloureux.
Quant à Gauguin, je sais qu'il est de bon ton aujourd'hui dans les milieux politiquement corrects, en particulier ici en Polynésie française, de le traiter de pédophile et de tourner la page. Relisez-le, Noa Noa, où y voyez-vous de la perversion ? Une jeune fille nubile donnée en mariage “à l'essai” – il est convenu qu'elle pourra revenir quand elle le voudra si elle n'est pas heureuse avec le Popa'a – et par ses parents eux-mêmes. Je sais bien que la différence d'âge est choquante pour nous aujourd'hui, mais faisions-nous toujours dans la parité, pour les âges, chez les bourgeois de la fin du XIXe, et d'avant ? La moitié des comédies de… Molière reposent sur cette situation. Et encore une fois, où est la perversion ? Gauguin n'était pas un bonhomme très reluisant et la raison principale pour laquelle je lui en veux, c'est d'avoir refilé la vérole aux petites Marquisiennes alors qu'il savait qu'il s'était fait “plomber” par une fille à la sortie d'un bal popu, juste avant son dernier retour. C'est monstrueux d'égoïsme, mais ce n'est pas pervers. Et pour l'absoudre de sa fameuse pédophilie, voici une statistique inattendue : aujourd'hui encore, 75% des gamines d'ici obligées de quitter l'école parce qu'elles sont enceintes le font en 5ème ou 4ème, c'est à dire à 13 ou 14 ans. Et Gauguin est mort depuis longtemps. Arrêtons de jouer les pères-la-pudeur, ici comme en Afrique, en Asie et comme chez nous à la campagne lorsque le curé n'est pas derrière, les filles baisent quand elles sont nubiles, point à la ligne. Pilule ou pas.
p. 120 "…son idée fantaisiste d'une origine indo-européenne ou sanskrite des Polynésiens." On peut être indo-européen d'origine, mais peut-on être sanskrit d'origine ? Un texte, une grammaire, oui. Un peuple sanskrit ? J'en doute un peu.
p. 123 "Ils ont édifié une nouvelle culture, une nouvelle religion, issue de la rencontre." Une nouvelle culture, certes, c'est large, la culture. Une nouvelle religion ? Je ne vois pas laquelle à part le culte de John Frum à Tanna. Ce que je vois, en Mélanésie comme en Polynésie, c'est la marée incessante des sectes américaines, Presbytériens, Adventistes du 7ème jour, Témoins de Jéhovah, Pentecôtistes, Évangélistes de tout poil et les Mormons, omniprésents dans leurs slips à pompons et leurs cravates de voyageurs de commerce. Et puis les cathos, bien sûr, aux Tuamotu, aux Marquises et à Wallis, où ils tiennent la rue comme les curés bretons les jours de pardon. Dans ce domaine, je crains que les insulaires n'aient pas édifié grand-chose.
p. 123 "…pour dire « il est en colère », on dit him pissop (pissed up)." Non, pissed up, en anglo-australien, ça veut dire ivre, bourré. Fâché, c'est pissed off, qui se rendra aussi par pissop parce qu'en phonétique mélanésienne, le p et le f, c'est la même chose.
p. 126 "…fêtes de marrons, fêtes de « broussards » comme on les appelle au temps de la colonie française aux Nouvelles-Hébrides." Dans le français des Caldoches et des planteurs de Vila, un broussard, ce n'est pas un Canaque, c'est un Blanc qui vit en brousse. Un Canaque, c'était un « boy ». Et ce qui m'a le plus choqué en arrivant là-bas, c'est d'être appelé « masta » ; il me semble que juste avant l'indépendance, les Hébrides étaient le seul endroit au monde où les Blancs étaient encore appelés « maître » par les indigènes. Mais il est vrai que le terme était en train d'évoluer rapidement vers le sens de « monsieur », qu'il a aujourd'hui (lequel vient de mon seigneur, ce qui vaut bien « maître »).
***
Voilà, j'en ai terminé. J'avais lu autrefois quelques-uns de vos livres, que j'avais trouvés lents et longs mais pas désagréables, d'une poésie lyrique, assez répétitive (Le Chercheur d'Or, peut-être ? Je vieillis et je perds la mémoire). Celui qui m'a le plus marqué a été Diego et Frieda. Il se trouve que je connais un peu le Pacifique. Avez-vous remarqué que, dès qu'on connaît un peu un domaine, un pays, une activité, on trouve une foule d'erreurs chez les gens qui en font des articles ou des l
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Océanie… 38 millions d'habitants. 25 000 îles. « L'Océanie, c'est le continent invisible ». Longtemps ce fut un mythe. le mythe du continent austral «  cette masse de terre ferme qui devait, selon les géographes, maintenir l'équilibre du globe en servant de contrepoids au continent asiatique ». Un mythe...une immense réalité. Une surface grande les deux tiers de la planète que les hommes ont peuplés selon la plus téméraire odyssée maritime de tous les temps. Ceux qui les premiers touchèrent ces îles, archipels, atolls, celles et ceux là n’arrivèrent pas par hasard, comme des fétus de paille. La diffusion de la culture polynésienne dans le Pacifique fut le résultat d'un effort délibéré. Ils inventerent le plus incroyable navire : le rue rue, , la pirogue à balancier. Ils connaissaient la carte du ciel, les noms des étoiles majeures, les constellations du ciel austral. Manu, la lumière, l'oiseau, l'hirondelle blanche… Raga, l’île de la Pentecôte, une des 83 îles du Vanuatu. J'avoue que j'aurais situé d'une façon très approximative les Vanuatu. Ainsi vous guiderai-je par cette carte afin que nous puissions la situer sur notre globe : https://fr.wikipedia.org/wiki/Oc%C3%A9anie#/media/Fichier:Oceanie.jpg
L'Océanie, l'invisible, tant l'Australie nous aveugle… Tant les fantasmes coloniaux nous ont fait ignorer sa réalité.
En lisant les mots de le Clézio, je réalise que nous avons pris l'habitude de croire aux mythes que notre culture a inventé pour pouvoir rédiger ses actes de propriété..;devrai-je dire de spoliation ?…Les terres, les corps… Un club-paradis...Oui Gauguin..oui. « die Brücke » oui..Brel, mais Mururoa, 1966- 1996, Polynésie,..mais 1850 1903 le blackbirding qui donna naissance à la légende noire de la conquête des îles : un commerce de main d’œuvre prélevée de force, c'est à dire de l'esclavage. La traite des êtres humains étant devenue interdite dans la plus des pays dits « civilisés », l'Australie devint grand pourvoyeur de marchandises humaines. Direction : le Queenland...Australie. Là-bas les plantations de coton allaient continuer à prospérer...
Alors qu'à Paris en 1907, la foule accourait au zoo humain… Je vous renvoie à la lecture du livre de Didier Daeninckx « Cannibale ». 111 Kanaks venus de Nouvelle-Calédonie. Des êtreshumains exhibés comme des animaux… 5 mai 1988.. le massacre de la grotte d'Ouvéa.
Il y a nos mythes, nos légendes, nos rêves d'océanisme, et puis il y a la réalité d'une pluralité de cultures, d' arts, d'une économie, de mille savoirs.
La réalité d'un monde extraordinaire, hors de notre portée.
Nous ne savons rien. Et je me demande si nous méritons de savoir…
Mais nous nous devons de connaître, pourtant, ce qui s'est passé, parce que là-bas sur ce continent « invisible » réside une partie de notre propre histoire. Ce qui a été effacé, ce qui a été inscrit.
Le Clézio nous permet de nous en rapproché. Un livre comme un coquillage, une conque, sur l'immensité de l'océan, que nous avons nommé..pacifique.
«  Pour avoir connu, dans un espace de temps aussi bref, l'extrême violence de l'ère coloniale les peuples créoles - aussi bien asservis au système de la plantation que ceux des îles à prendre du Pacifique - sont devenus les peuples les plus révolutionnaire de toute L Histoire.
Tout chez eux ,dans les arts, la musique, l'incantation , et jusqu'à l'invention de leurs langues montre la volonté de résister, le goût d'apprendre. Tout chez eux dans leur manière d'être comme dans leur manière de comprendre le monde montre la capacité de se changer de se survivre et de se réinventer.
Les sociétés des grands socles continentaux malgré leurs religions révélées et le caractère soi-disant universel de leur démocraties ont failli à leur tâche et nié les principes même sur lesquels elles s'étaient établies. L'esclavage la conquête, la colonisation et les guerres à l'échelle mondiale ont mis en évidence cette faillite.
Ces événements ont révélé des plaques tectoniques dont les mouvements ont crée des séismes actuels et qui servent encore aux théoriciens et au faux prophètes des « chocs de civilisations » pour justifier les guerres de domination.
L'échec ces grandes sociétés est sans doute la menace la plus grande que connaît le monde aujourd'hui . »
« Révolutionnaires, les peuples des îles n'ont pour eux que le pouvoir de l'exemple, leur beauté, leurs rêves, qui a pris naissance dans la souffrance et l'oubli. Dans l'expérience de la violence ces peuples ont trouvé le remède de la sagesse ,du doute et de l'humour.
Leur scepticisme n'est pas feint. Il n'a rien à voir avec le cynisme de la modernité.
Sur leurs rivages lointains sont venus mourir les vagues de toutes les tempêtes qui ont balayé les continents.
Leur innocence n'est pas une inconscience .
« le métissage mental à propos de quoi le poète Édouard Glissant dit que les gens des îles ont cent ans d'avance surtout les autres peuples de la terre. Ce « frottement », cette aventure naturelle du mélange qui a fait de la Caraïbe - et encore une fois cela doit être vrai de tous les archipels- un des lieux du monde où la relation le plus visiblement se donne ,une des zones d'éclat où elle parait se renforcer. »
Raga, l'île de la Pentecôte, Vanuatu…
« Maewo fut la première île à émerger de l'océan. Après qu'elle est sortie de la mer, de la vapeur continuait à fuser des flots. Ces éruptions sous-marines durèrent trois jours. le troisième jour, une énorme masse rocheuse apparut, s'élevant verticalement au-dessus des vagues. La masse de terre était si haute que le vent en battait les flancs, la sculptant en une forme longue et basse. L'île qui venait d'émerger était encore souple et malléable, sans forme précise. Des flots de vapeur brûlants continuaient à s'échapper. C'était Raga, (l'île de Pentecôte d'aujourd'hui). le vent continuait à sculpter les formes de l'île. Des pics et des promontoires apparurent,ainsi que les baies entre les caps. Dans le centre et vers le sud de l'île, se trouvèrent les plus hautes montagnes, qui formèrent une barrière contre les vents dominants, protégeant la côte ouest de Raga, qui de ce fait était moins exposée aux vents que le nord de l'île.Peu à peu cette terre commença à refroidir et à se solidifier. Les arbres commencèrent à pousser.
Pentecôte commença à prendre sa forme finale, avec une série de pics durcissant, les rivages de la côte nord.Sortant au-dessus des vagues, la terre émergeant apporta avec elle des coquillages.
L'un, la palourde, était une femme, l'autre, un trocas blanc, était un homme.
Finalement, le dernier était une sorte d'huître. Loin au-dessus de l'eau, ces coquillages sécrétèrent des larmes et de la salive pour recréer l'environnement humide dans lequel ils vivaient auparavant dans l'océan.
Ce n'était pas suffisant pour créer un océan sur la terre, mais de ce mélange de larmes, de salive et de terre naquirent les premiers hommes »
Robert Bule Ala , histoire confiée à Joël Bonnemaison « le Vanuatu par les textes » (1997) .
...Raga, , approche du continent invisible, histoire recueillie par J.M le Clézio.
2014 : «  Au Vanuatu, un village a déjà été déplacé, un aéroport est inutilisable à marée haute et des routes sont menacées. La hausse du niveau de la mer se combine avec des tempêtes plus fréquentes et plus puissantes. "Au début de l'année, de grosses vagues ont frappé les maisons et l'hôtel le plus important sur l'île principale... Si on ne parvient pas à sauver les îles, on ne sauvera pas la planète, parce que sauver les îles est le premier pas", Enele Sopoaga, Premier Ministre de Tuvalu. 45e Forum des Îles du Pacifique.
2014…nous sommes en 2020.
Ce qui a été effacé, ce qui a été inscrit. Ce qui a été dit, ce qui risque d'être à jamais englouti.

Astrid Shriqui Garain

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"Raga" s'inscrit dans la collection "peuples de l'eau" dirigée par Edouard Glissant. Raga, dans la langue apma désigne l'île Pentecôte au Vanuatu, archipel du Pacifique devenu indépendant en 1980 et comprenant quelques 83 îles dont 70 habitées, ayant pour capitale Port-Vila sur l'île d'Efate et pour langue officielle le bislama. Archipel anciennement connu sous le nom de « Nouvelles Hébrides », que lui avait donné le capitaine Cook, et resté longtemps sous administration franco-britannique. Ile volcanique et montagneuse, faite de pentes et de côtes, comme se plait à le dire Charlotte Wèi Matansuè qui va guider Jean Marie Gustave le Clézio pendant son séjour de l'hiver austral 2005 au Vanuatu. le livre lui est d'ailleurs dédicacé, elle qui a permis aux femmes de Raga, en reprenant l'activité traditionnelle du tressage de nattes, de conserver leur autonomie et d'entretenir l'économie locale.

Raga est un voyage au bout du monde dressant un constat impitoyable sur le sort qui a été réservé aux peuples du Pacifique, mélanésiens et polynésiens, depuis que les premiers découvreurs ou missionnaires occidentaux s'y frayèrent une voie. Recueil sans concession, aux accents de colère, parfois. Quelques propos assassins à l'encontre de tel ou tel (Gauguin, Pierre Benoît) qu'il y a probablement lieu de nuancer. La recherche anthropologique échappe à juste titre à ce courroux : Maurice Leenhardt, Margaret Mead, Elie Tattevin, Margaret Jolly ou Jean Guiart, d'autres encore, dont les recherches ont révélé notre grande ignorance. Difficile en effet pour l'écrivain voyageur d'oublier les chiffres terribles de la dépopulation : en 1800, on estime à 1 000 000 d'habitants la population des Nouvelles-Hébrides, à 45 000 en 1935, (recensement du gouvernement britannique) ; d'ignorer comment se développa le " blackbirding", trafic humain développé sous couvert de légalité pour fournir de la main-d'oeuvre aux plantations du Queensland en Australie, des Fidji, ou des mines de Nouvelle-Calédonie, en réalité une traite humaine qui ne prit fin officiellement qu'en 1904, mais se poursuivit longtemps. de faire l'impasse sur le rôle que tinrent les religions dans la déculturation de ses habitants autrefois et sur celui que l'industrie touristique tient aujourd'hui. C'est au couvent de Melsissi que J.M.G. le Clézio est pourtant accueilli...

Cependant Raga témoigne surtout de la rencontre sincère d'un écrivain avec des femmes et des hommes mélanésiens dont il rapporte avec émotion et justesse l'harmonie silencieuse qui les lie à la mer d'où ils sont venus. Premières pages vibrantes qui relatent les mythes et dessinent les contours du ciel austral, boussole au firmament, qui permit sans doute à leurs pirogues anciennes d'aborder un jour une plage de Raga. Cette mer, tôt apprivoisée, qui leur apporta régulièrement son lot d'épouvantes, c'est avec elle qu'ils entretiennent, d'îles en îles et depuis toujours, leur science si sophistiquée de l'échange ; Mélanésiens indéfectiblement liés aussi à la terre qu'ils ont appris à cultiver et irriguer, transformant les hauteurs de Raga en un jardin tropical où l'igname est mâle, le taro féminin et le Kava censé répandre la paix. Les pages écrites ici rendent compte des esprits et des sortilèges, relatent les coutumes et les rituels qui unissent hommes et femmes et la diversité de tous leurs arts, en un mot leur formidable résistance. D'autres dangers les guettent à nouveau, glissés dans une modernité envahissante et en même temps désirée, perpétuation d'anciennes dominations, rien n'aurait-il changé ? La note finale est somme toute assez pessimiste.
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Raga ou Approche du continent invisible
J.M.G. le Clezio (né en 1940)

Pour qui a eu la chance de parcourir l'archipel du Vanuatu (anciennement Condominium des Nouvelles Hébrides), ce récit est un condensé de toutes ces impressions qui vous saisissent en abordant ces iles sombres.
J'ai encore en mémoire mon arrivée en voilier sur la côte orientale de l'île de Pentecôte (Raga), un beau matin ensoleillé de 1995 : j'ai eu le sentiment d'aborder un monde qui venait d'être créé, encore brut en quelque sorte et l'image de la végétation côtière ruisselante de lumière m'a aussitôt fait penser aux premières images du film « 1492 » lors de l'arrivée première des caravelles de Colomb en Amérique. Même sentiment en approchant d'Erromango en 1981 et surtout de Tanna avec son volcan Yasur en perpétuelle activité.
Il est vrai que ces lieux se situent aujourd'hui à l'écart des axes majeurs et que cette région océanienne « reste un lieu sans reconnaissance internationale, un passage, une absence en quelque sorte » comme l'écrit Le Clézio.
Qui connaît la langue bislama (ou bichlamar) ? C'est la langue officielle du Vanuatu, un pidgin créole à base lexicale anglaise. C'est la langue véhiculaire dans cet archipel où sont parlées cent trente langues vernaculaires.
Qui sait ce qu'est la « kastom »( la tradition) ? Cette coutume régit tous les échanges et la vie quotidienne dans la Mélanésie.
Qui connaît l'histoire tragique de l'esclavage et de la colonisation dans cette région ?
Tous ces thèmes sont abordés avec poésie et érudition, sensibilité et délicatesse par l'auteur. Ainsi que la place du cochon et du kava dans la culture de ces peuples. Et le rôle des langues vernaculaires insulaires piliers de l'identité. Les lignes se suivent telles une mélopée, un chant de retour aux sources.
De Pentecôte à Tanna, en passant par Erromango, Espiritu Santo et Ambrym, j'ai ressenti cette même impression d'îles sombres, sauvages, presque tristes, comme à peine sorties de la mer à titre provisoire , prêtes à y replonger comme cela s'est déjà produit.
Le récit de le Clézio est magnifique et ne pourra que passionner tous les amateurs de découvertes de contrées hors des sentiers battus.
Toutefois, était-il dans le cadre de ce récit, utile d'évoquer de façon partisane la tragédie d'Ouvéa ?
L'idéalisme foncier de l'auteur transparaît à chaque page et m'a souvent séduit.
Dans un dernier chapitre admirable, l'auteur rend hommage aux découvreurs amoureux de la Mélanésie. J'ajouterai à sa liste les noms de May et Henri Larsen ( lire « La brousse maléfique ») qui ont séjourné à Ambrym, et de Louis Nedjar ( lire « Peuples oubliés des Nouvelles Hébrides ») qui dans les années 69 à 73 a sillonné les Nouvelles Hébrides en découvrant l'existence harmonieuse rythmée par les saisons et les cycles agraires de ces populations , et rendit hommage à ces hommes de la coutume.
Le Clezio conclut en élargissant sa réflexion aux peuples insulaires du Pacifique en général en évoquant « cet ancien continent qui n'était invisible que parce que nous étions aveugles ». Sublime.
Long God Yumi Stanap !!
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Citations et extraits (38) Voir plus Ajouter une citation
Ce qui frappe le voyageur qui aborde aujourd'hui ces rivages, c'est leur aspect sombre, hostile. Falaises noires à pic dans l'océan, hautes montagnes cachées par les nuages. Hormis Efaté qui semble avoir concentré toute l'activité d'une destination touristique jusqu'à la caricature (résidences et hôtels de luxe pour les lunes de miel, casinos, bars, boîtes de nuit et magasins hors taxes), règne ici une impression de désolation, d'abandon.
Les premiers explorateurs européens qui approchèrent de ces côtes, le Portugais Quiros, le Français Bougainville ou l'Anglais Cook, ont évoqué la même impression, comme si ces îles étaient restées figées dans la peur depuis des siècles. Ces voyageurs, il est vrai, ne venaient pas en toute innocence. Les premiers contacts furent brutaux. Après de longs mois de navigation, les marins demandaient à assouvir leur manque, de vivres, d'eau douce, de femmes. Toute tentative de résistance de la part des habitants de l'archipel était sévèrement punie. Lorsque les pirogues s'approchent des navires, l'équipage à reçu l'ordre de tirer au mousquet sur les premiers à leur portée. Une couleuvrine, un canon léger, achève de semer la panique chez les curieux. Ils se soumettent, remettent aux arrivants tout ce qui peut calmer leur colère.
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A la poupe et à la proue, les hommes pagaient. Matantaré écoute le bruit régulier des rames qui plongent en même temps dans la mer, un bruit qui coupe le sifflement du vent et le fracas des vagues.
Le vent a poussé constamment sur la voile quand ils ont quitté la grande terre, et ils ont cru que le voyage vers Raga ne durerait qu'un instant. Puis le vent a tourné, il souffle du sud et de l'est, il fait claquer la voile et grincer le mât, il pousse de grandes vagues sur les bords de la pirogue, il creuse comme une douleur, et, quand elle se couche pour dormir, Matantaré entend le glissement de l'eau contre sa joue, elle rêve qu'elle se noie.
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À présent, le moindre arpent de terre jusqu'au cœur de la selve amazonienne, jusqu'aux canyons gelés de l'Antarctique, a été examiné, photographié, analysé par l'œil froid du satellite. S'il reste un secret, c'est à l'intérieur de l'âme qu'il se trouve, dans la longue suite de désirs, de légendes, de masques et de chants qui se mêle au temps et resurgit et court sur la peau des peuples à la manière des épars en été.
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Pour les Mélanésiens, les plantes sont des êtres vivants. Elles ont été pareilles aux humains à un moment de leur existence. Elles n'existent pas seulement pour nourrir les hommes et les soigner, elles forment une partie de l'ensemble vivant. C'est pourquoi elles poussent en liberté, mêlées aux herbes et aux broussailles.
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Je dis que l'île, après la violence de la conquête, se referme. Non qu'elle s'enferme dans son passé, qu'elle s'emprisonne dans sa mémoire. En vérité, l'île est sans doute l'un des lieux où la mémoire figée a le moins d'importance. Antilles, Mascareignes, mais aussi atolls du Pacifique, archipels de la Société, des Gambiers, Micronésie, Mélanésie, Indonésie. Ils ont connu des viols et des crimes si insupportables, si exécrables, qu'il fallait bien, à un moment de leur histoire, que leurs habitants détournent le regard et réapprennent à vivre, sous peine de tomber dans le nihilisme et le désespoir.
Les plaies se sont cicatrisées. Les herbes folles ont envahi les domaines des planteurs, ont recouvert les vieux murs de pierre noire où tant d'hommes et de femmes ont croupi jusqu'à la mort. Sur les plages de la baie de Tamarin à Maurice, au Diamant à la Martinique, à Port-Vila ou à la baie Homo au Vanuatu, partout où les bateaux des négriers débarquaient ou embarquaient leur cargaison humaine, aujourd'hui les enfants jouent en toute innocence, les orchestres ambulants s'installent au crépuscule pour faire danser le séga, la biguine, le zouk, le reggae, pour jouer du steel-drum ou de la ravanne, pour chanter des chansons d'amour ou de mélancolie. Les marchés spontanés sont dressés à l'aube, au pied des banians et des filaos, pour vendre du poisson, du taro, des ignames, des beignets de cassave et des gâteeaux piments. Du fracas des langues africaines, caraïbes ou mélanésiennes anéanties ou méprisées, dans le cul-de-basse-fosse de l'asservissement, parmi les spoliations, les viols, les rapts, et dans la négation de leur passé qui les dépouillait de toute identité, les peuples de la mer ont inventé une langue, un nom, une âme qui leur sont propres.
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Vidéo de J.M.G. Le Clézio
Cette semaine, La Grande Librairie s'installe à Marseille et propose une émission exceptionnelle, en public, à l'occasion des Nuits de la lecture et des 10 ans du Mucem. Au coeur de ce musée dédié aux cultures de la Méditerranée, des écrivains, des librairies et des lecteurs pour une soirée dédiée aux mots, aux mille identités de l'espace méditerranéen, et à cette idée que la littérature est toujours un lieu de rencontres, de partage et de commun.
Augustin Trapenard est donc allé à la rencontre du lauréat du prix Nobel 2008 Jean-Marie Gustave le Clézio. Il est venu présenter son dernier ouvrage, "Identité nomade" (Robert Laffont), explorant son parcours d'écrivain, ses voyages et ses affiliations. L'auteur s'interroge également sur le pouvoir de la littérature dans le monde contemporain. Un récit introspectif captivant sur l'essence de l'écriture. le tout, durant une magnifique balade à Nice, ville qui l'a vu naître.
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