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EAN : 9782130827740
176 pages
Presses Universitaires de France (17/02/2021)
3.83/5   6 notes
Résumé :
Alors que nous manquons aujourd'hui de repères, Tristan Garcia tente de nous en livrer quelques-uns, essentiels, singuliers, iconoclastes, grâce auxquels la possibilité d'une utopie nouvelle se dessine. Attaché à l'idée métaphysique qu'il « faut laisser être et rendre puissant », l'auteur se refuse à la fois de décrire simplement le réel (dire ce qui est) et de suggérer une prescription (dire ce qu'il devrait y avoir). Son geste d'écriture, sous de multiples formes ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
J'ai appris beaucoup de choses sur cet auteur qui aime à jouer à cache-cache avec lui-même et donc, forcément, avec nous. Pourquoi certains de ses livres me passionnent et d'autres m'ennuient. J'aime vraiment sa démarche, entre philosophie et littérature, qu'il explique avec talent dans ce livre d'entretiens. Il y a du Régis Debray mais aussi du Umberto Eco ou du Milan Kundera chez cet homme encore très jeune et indiscutablement talentueux. Il me tarde de voir vers quelle oeuvre il va « converger ». J'ajoute que son sens de l'engagement, à la fois intense (un de ses mots préférés) et réflexif, à la recherche de l'authenticité et de la radicalité mais en refusant la violence et le binarisme, est sans doute celui qui me parle le plus dans la « jeune génération ». Il me donne envie de mieux comprendre les luttes intersectionnelles dont il prend le parti.

Je partage aussi son goût pour la concision (pour moi : parcimonie), son rejet du style, sa volonté de s'intéresser « à tout », même si pour beaucoup cela revient à travailler « sur rien ».
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J'ai adoré Forme et objet. C'est donc avec une certaine évidence que je suis allé acheter ce livre qui me semblait porté, lui aussi, sur la possibilité. Finalement le livre est plus vaste et moins spécifique que cela. Il est intéressant mais s'adresserait plutôt à des personnes ayant déjà lu Garcia. Il touche à beaucoup de thèmes mais je retiens un principe intéressant qu'on retrouvait avec Forme et objet : pour Garcia faire de la métaphysique c'est parler des "choses" avant leur détermination mais sans tomber dans le "n'importe quoi" (l'indétermination complète, l'escroquerie intellectuelle). Jeu subtil.
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
[La guerre]

Je veux dire qu’en saisissant qu’il y avait une sorte de conflit fondamental dans cet art [le roman noir], je comprenais ce qui en faisait le nerf... Et c’est ainsi aussi que je me suis intéressé au cinéma, à la science-fiction, à la série télévisée. Toujours, je cherche le nerf esthétique, la tension fondamentale, qui organise le champ comme une sorte de bataille perpétuelle...

Plus largement, je crois qu’on y gagne toujours intellectuellement, quand on s’intéresse à un domaine, si on y présuppose un conflit fondamental et permanent, qui ne se laisse pas résoudre.

C’est comme cela que j’ai aimé le rock... Le hip-hop, aussi. C’est de la même manière que j’ai abordé l’antispécisme, entre welfarisme, donc souci du bien-être animal, et abolitionnisme. C’est un conflit fondamental, proche de celui entre réforme et révolution dans la tradition ouvrière.

Partout, je cherche un centre et des marges. Je cherche du compromis, des concessions et du mainstream et puis de l’irréductible, des radicalités, de l’underground. J’essaie de localiser cet affrontement pivotal autour duquel se constitue un champ de création, de pensée, d’action. Presque toujours il finit par apparaître entre celles et ceux qui croient à l’affrontement, qui tranchent, et celles et ceux qui n’y croient pas, qui modèrent. Je pense toujours aux paroles de la chanson de Leonard Cohen : « There is a war between those who think there is a war and those who think that there is not. »

Cette guerre, qui est plus forte que le « différend » dont on parlait dans les années 1990, en reprenant le terme de Lyotard, c’est ce qui structure des subjectivités et les organise en positions dans un champ. Quand j’étais étudiant, en philosophie morale et politique ce qui dominait, c’était le paradigme de l’« éthique de la discussion » […] Faut-il être tolérant avec les intolérants ?, etc. Voilà ce qui était la véritable contradiction des pensées libérales : si on est libéral avec les antilibéraux, on les laisse détruire la possibilité même de la liberté qu’on prétend défendre ; si on ne l’est pas, eh bien, on prouve qu’on n’est pas vraiment libéral, qu’on est autoritaire et qu’on impose ce qu’on appelle « liberté » à ceux qui n’en veulent pas... C’était, je crois, le paradoxe central qui occupait la vie de l’esprit dans les années 1990.

L’idée de guerre m’a permis de m’extraire de cet interminable paradoxe libéral : ce n’est pas la discussion qui structure la société, c’est la guerre. Toutes les formes culturelles sont des guerres en cours.

Mais, contrairement aux relecteurs de Schmitt, dans ces mêmes années, qui redécouvraient les vertus de la guerre comme vérité de la politique, je déteste et je refuse que la guerre devienne une vérité existentielle, la vérité de l’hostilité, de l’ennemi existentiel. Je trouve que les textes bellicistes et fascisants de Schmitt (Théorie du partisan) ou de Jünger (L’Expérience intérieure de la guerre) ont pour eux l’attrait de la radicalité, en faisant de la guerre soit une structure ontologique (l’« hostilité », l’ennemi existentiel de Schmitt, qui me permet de me définir dans l’affrontement) soit une nature (l’expression de la bestialité primordiale endiguée par le progrès de la civilisation). Au fond, ce qu’ils promeuvent, comme toutes celles et tous ceux qui veulent la guerre, c’est que la guerre est vraie parce qu’elle est claire : il y a les amis et les ennemis, il n’y aura qu’un vainqueur à la fin, c’est une lutte à mort, choisis ton camp, combats en vue de l’anéantissement de ceux avec qui on ne peut plus transiger... C’est séduisant, et je crois que cela décrit une agonistique qui attend au fond de nous, qui se réveille dès que la mémoire familiale des conflits et de leurs horreurs s’étiole, après deux ou trois générations de relative (et mensongère) paix civile. Mais la guerre n’est pas plus vraie que la paix. Une sorte de guerre générale structure la subjectivité, mais elle n’en est pas la vérité. Elle n’est qu’un fait historique. C’est comme ça : il y a de la lutte. Mais cette lutte n’est pas notre vérité. Elle est contingente, on ne peut que la constater, quand elle grandit.

Pour cette raison, il n’y a pas à la vouloir, à la rechercher. Et quiconque la désire, je m’en méfie.

Je crois que je tiens cela de mon père, et de mon grand-père. Celui-ci a débarqué depuis l’Algérie en Provence, durant la Seconde Guerre mondiale. Il est remonté jusqu’en Allemagne. Quand il était adolescent, mon père avait écrit à l’administration afin de réclamer la décoration que mon grand-père n’avait jamais demandée. Mon grand-père parlait peu de la guerre, de ce qu’il avait fait, de ce qu’on lui avait fait faire. Parfois, il évoquait seulement ceux qui, en Algérie, dans les cafés, quand il était jeune, répétaient que « ce qu’il nous faudrait, c’est une bonne guerre » : ils n’étaient jamais partis combattre. Je pense souvent à sa ligne de conduite : lui a combattu, mais il n’a jamais aimé combattre. Il ne l’a pas voulu. Il n’aurait pas désiré cela pour nous, non plus.

Je trouve que pour une subjectivité, c’est la ligne la plus digne. Pris dans une guerre en cours, il faut bien penser l’affrontement, on ne peut pas fermer les yeux : il ne faut pas prétendre à une paix illusoire ou à une réconciliation d’autorité – ce qui est souvent la position républicaine, en France. Cela ne ferait que masquer et accentuer le conflit : il ne faut pas être lâche, il faut assumer sa position dans le champ et défendre une idée. Mais il ne faut pas croire que le combat qu’on mène est la vérité, ni même qu’il est nécessaire. Je préfère ne pas le mêler d’un désir autoritaire, d’une libido et d’une jouissance virile.

Mon expérience de la virilité, depuis l’enfance, c’est que c’est le goût de la guerre, dans les moindres détails de l’existence. C’est le sentiment d’un être vivant qui ne se sent vivant qu’à la condition de s’affronter à un autre, de se définir en s’opposant à un autre, en espérant prendre le dessus sur lui, le soumettre, l’achever, le détruire. Et la femme célèbre le plus puissant, le chef. Elle reconnaît celui qui s’impose dans le combat, réel ou symbolique : elle s’unit à lui pour procréer, faire renaître la vie. La femme donne la vie, l’homme l’élève dans le combat, et la tue.

Cet imaginaire viriliste m’est étranger. Je m’en suis toujours passé.

Ma vie durant, j’ai essayé de me comporter, et de combattre, sans un amour fascisant du combat : quand il faut se battre, eh bien, je me bats. Mais je ne donne à ce combat aucune vérité profonde. Je ne l’ontologise pas, je n’en fais pas la structure de la vie, la forme même de l’être. C’est un fait, voilà tout, désagréable quand il est inévitable.

Même parmi des amis révolutionnaires, celles et ceux qui sont contre l’autorité, pour l’émancipation, j’ai toujours ressenti un pincement au cœur, je me suis senti étranger dans ma propre famille dès que j’ai senti ressurgir ce goût-là, le goût du sang, la joie devant une vérité existentielle de la guerre : la rupture avec l’ordre policier qui devient le désir d’aller en découdre physiquement avec le flic ; la critique radicale du fascisme qui devient la joie d’aller casser la gueule aux fachos ; le désir de vengeance – œil pour œil, dent pour dent, vie pour vie ; l’espoir de leur faire « rendre gorge » – qu’ils brûlent, qu’ils crèvent ! ; l’œil luisant d’excitation au moment où ce sera « eux ou nous »...

Ce désir de guerre, je l’ai toujours fui. J’essaie, là où je suis aujourd’hui, de l’affronter, de le comprendre et de le regarder en face, dans un peu tous les camps, sans jamais le partager.

Mon idéal, en toutes choses, c’est de penser la guerre sans la vouloir.

C’est le point de vue que j’adopte en général, celui d’un universaliste contrarié. Et ce que j’écris découle ensuite entièrement de l’adoption de ce point de vue.
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Si on en revient à la question du progrès, voici ce qui ne va pas : d’abord on ne peut parler que du progrès de quelque chose, d’un progrès local et déterminé, puisqu’on ne peut mesurer que la progression d’une durée (l’allongement de l’espérance de vie), d’une somme (pouvoir d’achat, salaire moyen), de la répétition d’un acte (violences, vols, meurtres), voire de manière plus brumeuse d’une valeur ou d’une idée. Or tout progrès de quelque chose entraîne la régression d’autre chose, donc peut susciter autant de regret que d’enthousiasme, de nostalgie que de joie. Et même si l’on parle du progrès de l’espérance de vie, en envisageant une vie plus longue, on n’évoque pas un progrès absolu : on suscite le regret possible d’une vie plus courte, plus ramassée, plus incertaine et plus intense. On fabrique ainsi le discours de la mélancolie antimoderne d’une vie qui s’amollirait en même temps qu’elle s’allonge, qui se diminue en intensité à mesure qu’elle s’augmente en quantité. C’est le discours qu’on voit poindre dans la critique par Edmund Burke, l’un des premiers grands esprits de la Réaction, de l’« endormissement nerveux » moderne, dont le Sublime esthétique est le rare espoir de réveil.

Et c’est très concret aujourd’hui : on fait progresser la vaccination, immédiatement ou presque, on obtient une réaction, le sentiment que quelque chose nous est imposé (par l’industrie pharmaceutique), qui transforme, qui affecte le corps qui, jadis, savait se soigner par lui-même. Voilà le discours antivax. Tout progrès produit sa réaction, parce qu’il n’est jamais que le progrès de quelque chose, et parce qu’il incline de plus en plus d’esprits à la recherche de ce qui est perdu pour prix de ce qui a été gagné. C’est l’image choisie par Herder, dans sa critique des Lumières : le bateau de l’histoire qui avance se déleste d’autant, par l’arrière, pour aller de l’avant. Obtient-on plus de paix, moins de conflits armés ? On regrette l’âge héroïque de l’humanité, les vertus du combat... On honnit le progrès de l’âge des marchands, la petitesse morale du calcul qui remplace la recherche de la gloire.

On progresse par ici, on régresse par là-bas. On croit progresser dans les faits, on rend d’autant plus mélancoliques, amers, frustrés.
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Toutes les guerres, tous les affrontements proviennent de l'histoire. Ce que j'appelle "la guerre" au sens le plus large, c'est l'absence de commun, son absence irrémédiable, qu'aucune négociation ne peut pallier, parce que notre passé a été déformé par la domination et l'exploitation. Toutes les symétries possibles entre sujets sont brisées de Fait. Quand, entre semblables il se développe un conflit si viscéral qu'il porte sur les termes mêmes du conflit, que certains nient l'existence de ce conflit, alors on peut parler de guerre. On ne s'entend plus sur les faits eux-mêmes : on ne s'entend pas sur ce qu'il y a. Il n'y a pas de vérité intermédiaire. C'est l'image des uns contre l'image des autres : la victoire des uns, de leur vision du monde, ne peut signifier que la défaite des autres.
p. 85.
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[Modèles de concision, modèles de profusion]

L’esprit concis ne se mesure pas à tout ce qu’il y a, il ne veut pas ajouter de la masse à la masse, et il se méfie de la diarrhée verbale et de la pensée : il cherche à en extraire, à en abstraire quelque chose qui résiste au flux – en tout cas quelque chose de précis qui échapperait au chaos vague dont il l’extirpe. Un esprit concis tente d’énoncer les choses une bonne fois pour toutes, avec soin, à contre-courant du flot interminable d’informations qui l’assaille dans le désordre ; et quand c’est dit, il n’y a rien de plus à dire.
[…]
En théorie, les modèles de concision tendent soit à l’aphorisme, à la formule poétique fulgurante, soit à la simplicité et à la clarté de méthodes et d’une langue empruntées aux sciences expérimentales : un problème bien formulé, des thèses, une expérience de pensée, une argumentation serrée, une conclusion, même provisoire. Et c’est fini. On ne s’attarde pas. Aussi, on est poli avec le lecteur comme avec un hôte : on ne va pas l’assommer de mille ouvrages de mille pages, il a beaucoup à faire, lui aussi, n’abusons pas de sa patience. L’esprit concis, en philosophie, se méfie du style, qui lui semble un apparat inutile et déplacé, une manière de masquer la faiblesse, la vacuité, du propos, les tours de passe-passe, les ambiguïtés.
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Vidéo de Tristan Garcia
Une version scénique et inédite de « Bookmakers », par Richard Gaitet, Samuel Hirsch & Charlie Marcelet
Avec Télérama et Longueur d'ondes
En dialoguant avec 16 auteurs contemporains qui livrent les secrets de leur ecriture, decrivent la naissance de leur vocation, leurs influences majeures et leurs rituels, Richard Gaitet deconstruit le mythe de l'inspiration et offre un show litteraire et musical.
Avec les voix de Bruno Bayon, Alain Damasio, Chloe Delaume, Marie Desplechin, Sophie Divry, Tristan Garcia, Philippe Jaenada, Pierre Jourde, Dany Laferriere, Lola Lafon, Herve le Tellier, Nicolas Mathieu, Sylvain Prudhomme, Lydie Salvayre, Delphine de Vigan et Alice Zeniter.
En partenariat avec Télérama et le Festival « Longueur d'ondes »
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