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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Je déteste les fins d'année scolaire. Je déteste les fins tout court.
Peut-être parce que la fin annonce qu'on n'a plus la vie devant soi.
Ma vie devant soi est déjà bien entamée mais ça, ça m'est bien égal. Ça me va bien comme ça.
Suffit juste de savoir négocier la toute fin. Parce que celle-là, c'est la plus dure.


Il me fait marrer Momo - le héros du roman dont je suis en train de faire la critique – quand il s'énerve contre les vieux qui disent «  Tu es jeune, tu as toute la vie devant toi. » parce qu'il croit qu'ils cherchent à lui faire peur.
Ouaip, c'est vrai, il a raison ! Avoir toute la vie devant soi, ça peut foutre la trouille..tout autant que de la trouver derrière soi.
C'est cette histoire là que nous raconte Romain Gary, l'histoire d'un môme qui croit que la vie, ça n'a rien d'enviable, que le bonheur, c'est dégueulasse. « Le bonheur c'est une belle ordure et une peau de vache ». ça peut faire froid dans le dos quand on entend un gamin parler comme ça. L'histoire d' un gosse qui se raccroche à une vieille dame plus toute jeune, déjà bien fanée et qu'il n' y a plus moyen de rempoter.
L'histoire d'une ancienne prostituée juive et d'un p'tit arabe, fils de putain. Une histoire drôlement émouvante, mais racontée par Momo avec tant de naïveté et à la fois tant de lucidité sur la vie qu'on ne peut que sourire à pleines dents.
J'ai adoré Momo et ses expressions d'une candeur et d'une fantaisie improbable !
J'ai adoré Madame Rosa d'avoir pris sous son aile cet oisillon là et peu importe qu'il soit juif, arabe ou chrétien..
J'ai adoré leur ange, madame Lola, ce rayon de soleil, travestie du Bois de Boulogne, qui fut champion de boxe au Sénégal.
J'ai adoré leurs façons à eux deux, Madame Rosa et Momo, de dire « Merde » aux autres, de se dépatouiller tant bien que mal avec cette chienne de vie qui ne leur avait pas fait de cadeau ni à l'un ni à l'autre et d'avoir trouvé, là, la beauté des choses ...la tendresse infinie.


Et bien sûr, je ne peux terminer cette critique sans faire un petit clin d'oeil à Meeva dont l'obsession pour Romain Gary n'est un secret pour personne sur Babelio. Allez, chanson ! 

« Ouvrez vos yeux pleins d'innocence
sur un Paris qui vit encore,
et qui fera de votre enfance
le plus merveilleux des décors.

Voyez plus loin que l'horizon,
le temps n'a pas tout démoli,
les rues sont pleines de chansons,
les murs ne sont pas toujours gris.

Écoutez-moi, les Gavroches,
vous les enfants de la ville :
non Paris n'est pas si moche,
ne pensez plus à l'an 2000. »

Extrait d' « Ecoutez moi les Gavroches » de Renaud
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Après son premier Emile Ajar, « Gros calin » en 1974, Romain Gary récidive en 1975 avec « La vie devant soi »…pour un écrivain que la critique de l'époque jugeait fini…

« La vie devant soi ». Un thème récurrent dans la littérature française : un enfant arabe voue une infinie tendresse à une vieille dame… juive. Jacques Lanzmann, Joseph Joffo, Eric-Emmanuel Schmitt , et probablement d'autres ont " traité " le sujet…
Quoiqu'il en soit sous la plume de Romain Gary, le thème est magnifié, non seulement par l'intrigue que nul autre ne pouvait imaginer que Romain Gary, mais également par le second thème, en filigrane : la fin de vie…

Madame Rosa, une ancienne prostituée juive (elle a connu Auschwitz) de la rue Blondel, ou elle « se défendait » dans son jeune temps, comme dirait Momo… Elle a vieilli et est devenue Grosse, laide et malade…
Momo, un jeune garçon arabe, est recueilli par Madame Rosa dans son établissement qui accueille les « enfants nés de travers »… comprenez les naissances accidentelles de ces dames prostituées…
L'histoire d'un amour fusionnel du jeune garçon pour la vieille dame… elle est malade. Elle doit être hospitalisée. C'est le drame. Momo l'enlèvera et « l'assistera » dans ses derniers moments pour une fin dans la dignité…

Un roman, peut-être un des plus émouvants de l'auteur avec « Clair de femme »… En tout cas, un de mes préférés.
Le jury Goncourt ne s'y est pas trompé, d'ailleurs, qui attribua son Prix à Emile Ajar, alias Romain Gary. Un prix qui lui avait déjà été attribué en 1956 pour « Les racines du ciel »…
Bravo, l'artiste…
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une critique qui se formule dès l'ouverture du livre

"Romain Gary, ses nombreux voyages à l'étranger, son besoin pathologique de se cacher, son goût de la mystification. Ce désir de simuler et de brouiller les pistes comme à plaisir, cette odeur de souffre qui entoura la publication de « La vie devant soi », il en fera l'un des thèmes de Pseudo, sorte d'autobiographie canular qu'il donne en 1976 et où il se présente comme un «mythomane parano et mégalo»…
Refusant les interviews, se dérobant, de masque en masque. Devant tout ce qui pourrait le cataloguer définitivement. Ajar apparaît d'emblée comme un écorché vif « à qui il est absolument impossible d'exposer sa chair et ses os », un homme aux prises avec une quête impossible – et à la limite de la folie – de l'identité.
C'est bien de cette quête de l'identité de cette recherche de racines qu'il s'agit dans « La vie devant soi. » Déjà plus un enfant - «Je suis un fils de pute et mon père a tué ma mère et quand on sait ça, on sait tout et on n'est plus un enfant du tout. - Mohammed, dit Momo. N'est pas en encore un adulte et c'est ce qui fait toute la saveur de son récit.
Abandonné à sa naissance dans le «clandé » de Madame Rosa, Momo navigue dans l'entre-deux et l'ambigu : arabe, il est élevé par une vieille juive, sortie d'Auschwitz et du trottoir. Qui ne rêve que d'Israël : son âge même est faux – il n'a pas été … daté »- ; et quand son père voudra le voir, Madame Rosa qui ne veut pas se séparer de celui qui est devenu son seul lien avec le monde, le fera passer pour Moïse, un petit juif.
Héraut de tous les paumés et les déracinés. Ajar nous transporte dans ce Belleville où coexistent arabes, juifs et noirs, vieux, travestis et prostituées. Au milieu de toute cette misère, un enfant étonnamment lucide découvre la vie, les femmes « qui se défendent », la solitude de la vieillesse, la noire réalité du racisme
« Pendant longtemps je n'ai pas su que j'étais arabe parce que personne ne m'insultait » dont les préjugés restent tenaces même au sein de ceux qui en sont les premières victimes. Il se heurte à la haine, au mépris. À l'indifférence d'une société qui rejette dans un ghetto
- « le reste de la rue et du boulevard de Belleville est surtout juif et arabe. Ça continue comme ça jusqu'à la Goutte d'Or et après c'est les quartiers français qui commencent… » - tout ce qui ne lui ressemble pas. « La Vie devant soi » met donc en scène les nouveaux Misérables d'aujourd'hui : Momo qui a des ses dispositions pour l'inexprimable », rêve, après ses conversations avec Monsieur Hamil usage qui lit le Coran et «Les Misérables», de devenir un nouveau Monsieur Victor Hugo.

Pourtant met la comparaison s'arrête là – tout souci de réalisme, toute préoccupation de vraisemblance sont absents de « La Vie devant soi. » . C'est au moyen du paradoxe, du non-sens et de l'absurde que Momo déchiffre et cerne le monde qui l'entoure. Son langage, entre le vraisemblable et l'irréel, est à l'image de sa vie. Ce déraciné livré à lui-même, cet hors-jeu – « hors contexte » - transforme littéralement cette langue qui n'est pas la sienne et que seuls « les gens garantis d'origine et dûment datés » peuvent employer à bon escient. C'est là le tour de force qu'a magnifiquement réussi Ajar : rendre matériellement, par ce jeu éblouissant sur les mots, toute la singularité de l'existence de Momo et, au-delà de lui, de toute une communauté d'exclus. Par l'erreur systématique, le «mal emploi » des mots, le détournement d'expressions toutes faites, Momo « parle à l'envers pour exprimer quelque chose de vrai » : de ces rapprochements illogiques, réalistes et surréalistes, de ce mélange de stéréotypes et d'inventions, de cette candeur feinte qui est en réalité le comble de l'art, naissent, non seulement le rire, mais aussi la vérité et un accent inimitable de sincérité. C'est ainsi que «la vie peut être très belle mais on ne l'a pas encore trouvée et en attendant il faut bien vivre », que «c'est pas nécessaire d'avoir des raisons pour avoir peur »et que la meilleur chose à faire «c'est d'aller vivre là où ce n'est pas vrai».

« Aller vivre là où ce n'est pas vrai», telle était la tentative dans Gros-Calin, de cet employé d'un service de statistiques qui s'était réfugié dans un amour délirant pour son python. Momo en mal de tendresse, s'évade en regardant le cirque miniature d'une vitrine de grand magasin, ou essaie, en une lutte déchirante contre les lois de la nature. D'arracher sa mère adoptive à la mort : à l'aide d'artifices de toutes sortes, parfum, fards, peinture et étoiles, il tentera pendant plusieurs jours de ralentir sa décomposition… le rêve, la folie et la dérision sont, dans le système « ajarien », la seule manière d'échapper à l'angoisse et au désespoir, le seul remède à cet état de manque – manque d'amour et de tendresse – dont sont atteints irrémédiablement les hommes.
Car la misère de Momo – et en cela il se rapproche du héros de Gros-Câlin est plus affective que sociale. le premier drame dans la vie de cet enfant abandonné sera d'apprendre qu'il « est payé », c'est-à-dire qu'il a été recueilli chez Madame Rosa moyennant un mandat mensuel. Ce besoin d'amour, cette tendresse qui, du fond du désespoir le plus noir, refleurit toujours – « La Vie devant soi » devait initialement s'appeler « La Tendresse des pierres » semblent bien être une des leçons de ce récit entre farce et tragédie. « Il faut aimer »… mais au-delà d'un certain seuil de détresse, quand la lucidité extrême risque de devenir folie, les seules défenses possibles restent le rire et l'imagination, le refuge dans le « pseudo» et l'humour."

A lire et à relire
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Roman incontournable de la littérature française, ce livre a reçu le Prix Goncourt en 1975, prix attribué à Émile Ajar, pseudonyme sous lequel se cachait Romain Gary, déjà récompensé en 1965 pour Les Racines du ciel. Les articles de l'époque furent, pour la plupart, élogieux car les critiques s'enthousiasmèrent pour ce livre par son style et son humour hors normes.

Tout le récit repose sur un exercice de style assez périlleux, mais tout à fait réussi puisque dès la première page on oublie l'écrivain. Dosant subtilement l'ironie et l'humour noir, le roman est écrit à la première personne, avec la vision d'un enfant de 14 ans, séparé à 3 ans de sa mère prostituée, sans instruction mais très observateur, particulièrement curieux et vif d'esprit, qui regarde la société et ses moeurs avec les yeux d'un enfant de son âge et avec ce que la vie lui a donné comme codes pour comprendre les choses. L'attention du lecteur est donc portée vers Momo, cet enfant singulier qui nous raconte sa vie et son environnement à sa manière, et qui donne le ton au récit. Libéré du style littéraire habituel de Romain Gary, l'auteur invente un nouveau style parlé enrichi d'un langage nouveau et familier qui convient tout à fait à ce roman. Les mots, la syntaxe et les phrases sont déformés, les maladresses, les incorrections et les réflexions naïves en apparence provoquent souvent un effet comique. Il les sculpte pour en tirer une musique qui est celle de Momo et qui nous attendrit tout au long du roman. Romain Gary tente avec succès un exercice très risqué que peu d'autres écrivains ont réussi.

La langue de Momo ne nous lasse jamais et nous ravit par sa fraîcheur ; bien qu'il ne soit qu'un enfant Momo a une grande lucidité. Si Momo est le narrateur qui donne le ton au récit, Madame Rosa en est l'épicentre. C'est autour d'elle qu'est construit tout le roman. C'est d'elle que naît l'émotion.
Madame Rosa n'a que soixante-cinq ans mais est en très mauvaise santé. C'est une juive polonaise, devenue prostituée qui a vécu la rafle du Vel' d'Hiv et la déportation. A son retour des camps, Madame Rosa a continué à faire le trottoir pendant quelques années puis, trop vieille et trop flétrie, a élevé des enfants de prostituées afin de leur éviter d'être placés à l'Assistance publique. Avec le temps, sa santé se détériore, son médecin veut qu'elle aille à l'hôpital, elle refuse. Pourtant elle vit seule avec Momo, en haut d'un immeuble sans ascenseur, où elle peine à faire monter ses kilos superflus, puis devenue incapable de se déplacer, elle reste cloîtrée chez elle, vêtue de vêtements invraisemblables. L'angoisse de Madame Rosa est d'être obligée de finir ses jours à l'hôpital, dégradée et « transformée en légume ». Ce n'est pas tant la mort qu'elle craint, que les conditions dégradantes de survie qui l'accompagnent. La jeunesse de Momo est confrontée à l'angoisse d'une vieillesse désespérée d'une femme qui veut pouvoir mourir dans la dignité.

Momo raconte avec simplicité et familiarité son histoire, sans peine ni tristesse, bien qu'il vive dans un milieu de grande pauvreté. Sa vie est normale, c'est la vie. Tout ce qui est raconté n'est jamais un apitoiement, Momo ne porte pas de jugement, il constate. L'humour involontaire et l'infinie tendresse de Momo à l'égard des hommes nous font échapper à la noirceur. le lecteur est forcément touché car ce qu'il raconte est dur mais il le rend souvent beau et presque sans gravité ; le ton général du roman est si léger et décalé qu'il fait souvent oublier les épreuves que traversent les personnages. C'est l'entraide entre les personnages du roman qui est ici mis en valeur. Peu à peu l'intrigue prend le pas sur la narration et on se surprend à s'attacher à ces figures pittoresques.

Avec talent, Emile Ajar, ou plutôt Romain Gary, donne vie à toute une faune et nous passionne tout en nous renseignant sur l'amour, l'existence humaine et la signification de l'expression « vivre sa vie ». Il décrit avec finesse la tendresse qui unit le petit Momo et Madame Rosa, ce lien affectueux qui ne fait que croître au cours du récit. Avec une grande pudeur, Emile Ajar raconte une histoire d'amour filial entre un petit musulman et une vieille juive, entre deux êtres qui ont été privés d'amour toute leur vie et qui ne se sont jamais autorisés à l'exprimer.

Un roman émouvant où Romain Gary arrive à nous toucher et à nous transmettre des valeurs importantes comme la tolérance, la tendresse, l'amour et l'amitié. Une superbe histoire de générosité, d'humanité et de solidarité, un magnifique roman.
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« Monsieur Hamil, est-ce qu'on peut vivre sans amour ? »
« Il n'a pas répondu. »

Premier pincement au coeur, on était page 11. Ça commençait fort.

Allez, je te le dis. J'ai versé ma petite larme. Mais faut pas croire, mon petit Momo que ça a été comme ça tout du long. Tu m'as fait rire, sourire, même que c'était triste d'en rire de cette fichue vie.

Ce livre contient tout. Tout ce qui me fait aimer la vie malgré, malgré ...tout ! Un roman magnifique, une écriture époustouflante, une virtuosité incroyable dans l'usage des mots, du jeu des mots. le fond magnifié par la forme. Quelle performance !
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Depuis des années j'avais en tête cette séquence radio au ton tellement « vintage » dans laquelle Armand Lanoux annonce l'attribution du prix Goncourt 1975 à « Monsieur Emile Ajar pour son roman : La vie devant soi. »
Il n'est pas nécessaire de revenir sur l'anecdote du double prix et du pseudo pris par Romain Gary pour écrire ce roman. Mais cela m'avait marqué ; pourtant, en réalité je n'avais jamais lu cet ouvrage. Il était temps de combler cette lacune.

L'histoire est simple et présente cependant de multiples facettes. Momo, petit arabe de 10 ou 14 ans…. est élevé dans le respect de ses origines par Madame Rosa, une ancienne prostituée de 65 ans, juive, malade, qui dans son trois pièces au sixième étage sans ascenseur s'occupe, contre rémunération d'enfants cachés de prostitués.
Elle les aime tous et assure le quotidien tant bien que mal. Miraculeusement rescapée d'Auschwitz, elle vit avec de nombreux sujets de peur et d'inquiétude : Hitler, le cancer, la mort à venir, l'avenir des enfants dont elle s'occupe encore, la souffrance, la mort à l'hôpital, l'acharnement thérapeutique…
Momo avec son naturel simple, espiègle et rusé, son langage imagé, en perpétuel manque d'amour et de reconnaissance soignera et aidera avec amour madame Rosa jusqu'au bout…

La lecture de cet ouvrage m'a d'abord procuré beaucoup de plaisir, mais aussi une bonne dose de surprise. Je connaissais mal Romain Gary, et j'avoue que l'image que je m'en faisais ne me permettait pas de l'imaginer écrire dans ce registre. de plus, cela redonne confiance d'imaginer que les jurés du prix Goncourt en 1975 ont décidé de couronner cet ouvrage hors des standards.
Mais ils ne s'y sont pas trompés. Ce roman est un océan de tendresse, d'amour, d'altruisme, et aussi de réflexions sur la vie.

Rien n'est rose dans ce livre, cependant, c'est plein de joies, de bonheurs simples et immédiats, mais aussi de soucis, de difficultés, d'inquiétudes. Madame Rosa transmet plus de valeurs dans son trois pièces que ne semble le faire l'école aujourd'hui.

Quel bel ouvrage ! J'aurais vraiment dû le lire plus tôt. En tout cas, cette lecture d'aujourd'hui m'a procuré énormément de bonheur. Et Momo devient vraiment un copain pour tous ceux qui abordent la lecture de ce roman.
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J'ai adoré ce livre, c'est un coup de coeur. Rien qu'en écrivant la quatrième de couverture mes larmes me sont revenues, tant la beauté de ce livre est grande, tant l'émotion est grande, tant l'amour est profond, pure de toute l'innocence de l'enfance, vrai. Pourtant le ton donné tout au long du livre semble léger, amusant, parce que le narrateur n'est autre que Mohamed dit Momo, ce petit garçon arabe de 10 ans (apparemment) et qu'il nous parle – avec légèreté, simplicité, honnêteté et avec les mots d'un garçon de son âge et de son éducation – nous parle donc de sa vie et de cette femme, Madame Rosa. « Elle avait les yeux pleins de larmes et je suis aller chercher du papier cul pour les torcher ». Mais bien qu'il soit un jeune enfant il est plein de lucidité, ce qui est frappant. On se prend des vérités en pleine face, des vérités qui font du bien.

Momo n'a jamais vu sa mère, ni son père. Il est un « enfant de pute » et son père supposé était « proxynète« . Il est élevé par Madame Rosa depuis ses 3 ans, une ancienne prostituée reconvertie, qui s'occupe désormais de recueillir les enfants des prostituées – « les femmes qui se défendent » comme dit Momo - en échange de mandats, qu'elle reçoit ou pas d'ailleurs. Tout de suite on se rend compte que Momo n'est pas un enfant comme les autres, par exemple comme lorsqu'il a volé un chien et que finalement il le revend, ne gardant pas l'argent, juste pour que ce chien puisse être dans une famille où il est certain qu'on s'occuperait bien de lui, se rendant compte que lui ne pourrait pas assumer cette tâche.

Tout ce qui est raconté dans ce livre n'est jamais un apitoiement quant à une vie qui pourtant n'est pas rose. C'est l'entraide des gens de ce « milieu » qui est ici mis en valeur comme Madame Rosa qui écrit les lettres d'un proxénète pour sa famille en Afrique car il ne sait pas écrire, les gens qui viennent aider Madame Rosa à monter ses 6 étages lorsqu'elle n'a plus la force et la santé de le faire, l'aide maternelle et financière de Madame Lola la « travestite » etc En parlant de Madame Lola « J'ai jamais vu un sénégalais qui aurait fait une meilleure mère de famille que Mme Lola, c'est vraiment dommage que la nature s'y est opposée ».

Momo raconte avec une grande désinvolture son histoire, sans peine ni tristesse, bien qu'il vive dans un milieu de pauvreté et de délinquance. Sa vie pour lui est une vie normale, c'est la vie. On voit les choses avec les yeux de cet enfant, qui ne porte ni jugement sur les gens, ni mépris, il constate juste, il voit la vérité, sans salissure, sans dédain, car il est dans cette vie. On ne peut être que touchés car ce qu'il raconte est au fond dur, très dur mais il rend ça beau parfois ou sans gravité d'autres fois. Sans doute car il est élevé par une femme qui a un grand amour pour lui et qui le protège en lui donnant un regard autre sur cette vie.

Madame Rosa est une femme pourtant marquée, marquée par son passé de juive déportée. Elle a donc des frayeurs nocturnes et s'est fait une sorte d'abri dans sa cave, au cas où on viendrait la chercher à nouveau. « C'est pas nécessaire d'avoir des raisons pour avoir peur, Momo », voilà ce qu'elle lui dit quand il lui demande pourquoi elle va parfois se cacher dans la cave, pourquoi elle a peur. Et au fur et à mesure qu'elle se voit vieillir et que sa santé se détériore, elle rappelle bien à Momo qu'elle ne veut pas aller dans un hôpital : « Elle ne voulait pas entendre parler d'hôpital où ils vous font mourir jusqu'au bout au lieu de vous faire une piqûre. Elle disait qu'en France on était contre la mort douce et qu'on vous forçait à vivre tant que vous étiez encore capable d'en baver ».

Momo va rencontrer un jour une femme, qui s'avérera être une personne clé dans son avenir. Il rencontrera son prétendu père qui lui fera une révélation de taille…

Je n'en dirais pas plus pour vous laisser découvrir ce roman magnifique, empli d'humanité, d'amour et d'émotions incroyables. C'est d'une grande pureté, pureté dans les sentiments, pureté dans le don de soi à l'autre, la protection, la fidélité, la loyauté. On y côtoie plusieurs nationalités qui se mêlent, s'entraident sans différence qui pourraient leur nuire, mais des différences qui sont au contraire des richesses pour les uns et les autres.

Et la fin m'a complètement bouleversée…
Lien : http://madansedumonde.wordpr..
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Madame Rosa , une personne âgée est juive, rescapée d'Auschwitz. Anciennement elle vivait des revenus de sa prostitution et à présent, dans les années 70, elle vit des revenus que lui procure sa pension clandestine.
Elle élève des petits de prostituées, touche leurs mandats jusqu'à ce que leur mère vienne les récupérer.
Momo, jeune maghrébin a 14 ans. Madame Rosa ne lui en déclare que 10 car elle veut le garder longtemps près d'elle.
Le vie est difficile dans son sixième étage, à Paris, dans le quartier populaire de Belleville, sans ascenseur.
Momo l'aide. Ils s'entraident. Momo ne la laissera jamais tomber jusqu'à un point assez inimaginable.
Beaucoup de scènes très fortes dans le livre, de nombreux personnages hauts en couleur qui semblent irréels de misérabilisme mais je crois bien que l'auteur n'est pas loin de la réalité dans ses descriptions.
L'humour à couper au couteau est présent, surtout au début.
Dès les premières pages, on comprend que le récit ait reçu le prix Goncourt. Chaque paragraphe mériterait une citation.
Ce qui m'a le plus étonnée, c'est le langage enfantin et populaire que Romain Gary donne à Momo, le narrateur tout au long du roman. Au début, il parle comme un enfant avec toute l'innocence de ce qu'il peut comprendre de ce qu'il voit. Il vit quasiment en vase clos.
Ce langage évolue avec sa croissance et je crois que c'est le côté le plus remarquable du livre avant l'histoire même.

Romain Gary avait choisi d'écrire sous le nom d'Émile Ajar en raison d'une baisse de popularité. Ce qui lui a valu le prix Goncourt une seconde fois.
le subterfuge n'a été révélé qu'en 1980 à la mort par suicide de l'écrivain.
L'exemplaire que j'avais lu il y a très longtemps date de 1979, paru aux éditions Mercure de France et est toujours signé Émile Ajar. Je le garde bien précieusement. Je viens de le redécouvrir avec mon regard d'aujourd'hui.
J'ai vu en son temps le téléfilm avec Myriam Boyer, il m'avait semblé assez réussi mais nous savons tous qu'un film doit faire place à l'image.
Quand on lit, on se fabrique notre propre représentation et ça, c'est irremplaçable.
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Momo est le fils d'une dame qui "se défend avec son cul " et comme d'autres garçons de son age , 10 ans , il est hébergé chez Madame Rosa , à cause des services sociaux et tout ça tout ça.

Livre extraordinaire tant par son style , tellement unique que par son contenu, tellement intelligent par ses propos .
Le style tout d'abord. Parfois on dirait du Ribery de haut vol ou du Virenque sous epo. Chaque réplique sonne comme une phrase qu'un sportif aurait apprise de travers , sans trop en comprendre le sens. Cela pourrait être lourd, lassant, mais c'est juste fantastique, ce pouvoir de balancer des phrases via un môme pour qui rien n'est important ou tout l'est. Les jeux de mots , les métaphores , les expressions passées au shaker , c'est un régal , une langue éblouissante , tellement en dehors des sentiers battus.

Et ce style , il sert des idées débordant d'humanité, les juifs et les arabes s'entraident, il faut s'occuper des anciens et s'il vous plait , respecter un peu plus les femmes . La vision du travailleur immigré, venu balayer les France est elle aussi criante de vérité, même si elle passerait sans doute pour politiquement incorrecte aujourd'hui. L'innocence , enfin pas tant que ça , de la jeunesse est magnifiquement exploitée pour servir un texte magnifique , débordant d'humanité, d'humour mais aussi de sarcasmes.
Un régal
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Momo n'est pas un enfant comme les autres et ne sera jamais un homme comme les autres...
Dès l'âge de 3 ans, Mohammed est recueilli par Mme Rosa une femme qui ne ressemble pas aux autres, une ancienne prostituée qui a eu l'idée d'ouvrir une pension sans famille, au coeur des quartiers populaires du Nord de Paris, pour des « mômes nés de travers », des mômes nés de femmes, des prostituées, qui ont eu des difficultés à garder leurs enfants « parce que la loi l'interdit pour des raisons morales ».
Momo est un p'tit arabe élevé dans les traditions musulmanes par cette vieille femme qui est juive.
Mme Rosa est très malade et depuis qu'elle est sortie du camp d'Auschwitz, a cumulé que des ennuis et des peines. Pendant des décennies elle s'est défendue avec son cul et la vie sans amour l'a abîmée et engraissée de kilos qui l'handicapent, elle est condamnée.
La maladie grignote à petit feu la vieille dame mais Mme Rosa veut décider de sa mort, elle ne veut pas finir comme un légume et être hospitalisée.
Si la vieille juive paraît froide et sans coeur, elle aime profondément Momo et Mme Rosa est la seule chose que Momo ait aimée jusqu'ici.
C'est donc avec douleur , que le garçon l'accompagnera jusqu'à sa mort, il usera de toutes ses convictions et de son amour pour que sa maman de coeur puisse bénéficier « du droit sacré des peuples à disposer d'elle-même ».

Si le roman traite du délicat sujet de l'euthanasie, on ressent avant tout à travers Mme Rosa la peur de vieillir. Mme Rosa vieillit mal, la vie ne lui a pas fait de cadeau, et ses blessures morales sont devenues des blessures physiques qui empoisonnent son corps, une vie sans amour laisse des traces ... « on ne peut pas vivre sans quelqu'un à aimer ».

Un roman qui m'a émue aux larmes, un texte très fort qui transmet des messages de tolérance et aborde de nombreux thèmes comme l'intégration, le racisme, le communautarisme, la prostitution, les différences culturelles, la vieillesse, la dignité humaine...mais ce livre est surtout un message d'amour !
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