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EAN : 9782246123859
224 pages
Grasset (14/11/2002)
3.9/5   73 notes
Résumé :

Les Vraies Richesses.. Titre explicite pour une manière de récit et d'essai dénonçant la vanité de la vie citadine, de l'argent, célébrant la gloire du soleil, de la terre, des collines, des ruisseaux, des fleuves " qui m'irriguent plus violemment que mes artères et mes veines ". L'ouvrage débute par une promenade parisienne à Belleville, prétexte pour l'auteur à une réflexion sur les " racines ". Giono, visionnaire et virtuose du sacré, rejoint vi... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (11) Voir plus Ajouter une critique
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Giono...ce livre est à lire surtout dans la période dans laquelle nous sommes. Harcelés par le futile, contraint de supporter le mensonge et la folie, voilà un livre fait de sagesse, de simplicité, certains les fameux « gros intelligents » diront qu'il est empreint de bucolique niaiserie, ou d'angélisme hors du temps…les imbéciles…
Revenons plutôt à ce texte. Il puise dans l'évidence oubliée sa force, de sa simplicité né l'évidence et sa vérité coule naturellement, comme ces eaux claires des torrents, comme ce vent que l'on sent dès qu'il le décrit, ou ses rayons de soleil que l'âme boit au fil des saisons, sans jamais se lasser. Certains y verrons aussi un traité de morale condamnant la société du fric et de la productivité à tout crin, pas faux, tant ce modèle de vie à gâché la vie des hommes en leur faisant miroiter des richesses éphémères qui n'ont eu d'autres privilèges que d'enfermer les hommes dans la tristesse et l'envie, la folie et le désarroi. le bonheur est devenu un leurre, masqué par les prétendues richesses que la société moderne allait lui apporter. Je laisse à Giono le mot de la fin… « Car, la richesse de l'homme est dans son coeur ».
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Nous sommes en 1936, Giono vient de publier « Que ma joie demeure », l'écrivain est dans sa pleine période consacrée à l'éloge de la nature opposée à la civilisation moderne du progrès et de l'industrie. Après le succès de « Colline », publié en 1929, Giono décide de quitter son travail d'employé de banque qu'il exerce depuis près de dix ans, pour se consacrer à la littérature. Dans « Que ma joie demeure » il exprime son amour du terroir, des gens simples et critique sévèrement un occident en crise dont le culte de l'argent et l'industrialisation forcenée conduit, selon lui, à l'engagement militaire. Il devient le maître à penser de toute une jeunesse qui le suivra dans son engagement pacifique autour des rencontres du Contadour qui se dérouleront de 1935 à 1939 dans les lieux qui ont inspiré son roman. Dans cette lignée, il cherche à préciser sa pensée et écrit « Les vraies richesses » oeuvre dans laquelle il évolue vers une certaine conception mystique de la nature. le fondement de son discours est toujours basé sur la critique de la société moderne, des villes et des gâchis de matière, de nourriture pour le profit que quelques-uns.

  Dans la préface des « vraies richesses » il fait un sombre constat :

« Les deux tiers des enfants du monde sont sous-alimentés. Trente pour cent des femmes qui accouchent dans les maternités ont les seins secs au bout de huit jours. Soixante pour cent des enfants qui naissent ont souffert de misère dans le ventre de leur mère. Quarante pour cent des hommes de la terre n'ont jamais mangé un fruit sur l'arbre. Sur cent hommes, trente-deux meurent de faim tous les ans, quarante ne mangent jamais à leur faim. Sur toute l'étendue de la terre, toutes les bêtes libres mangent à leur faim. Dans la société de l'argent, vingt-huit pour cent des hommes mangent à leur faim. Soixante-dix pour cent des travailleurs n'ont jamais eu de repos, n'ont jamais eu le temps de regarder un arbre en fleur, ne connaissent pas le printemps dans les collines. Ils produisent des objets manufacturés. » (page 24)

  Cette oeuvre est composite, à la fois roman, essai, poésie en prose, témoignages, pamphlet contre le capitalisme qui détruit la nature et détourne des vraies richesses. Giono propose de gagner des joies au lieu de gagner de l'argent.

  L'histoire commence à Paris dans la rue du Dragon ou Giono déambule, mais rapidement il évoque la province en citant les origines de chaque commerçant de cette rue. le patron de l'hôtel est de la Touraine, le charbonnier est des Cévennes, le marchand de journaux est picard, l'épicier est piémontais, le marchand de bois est vosgien. Ils sont tous déracinés et dénaturés par la ville :

« Dans cette ville où les hommes entassés comme si on avait râtelé une fourmilière, ce qui me frappe, me saisit et me couvre de froid mortel, c'est la viduité. Sentiment d'une avilissante solitude. Je n'ai pas l'impression qu'un seul de ces êtres humains s'occupe à des travers naturels » (page 35).

Giono dresse un tableau idyllique de la vie champêtre, des paysans, de ceux qui comme les arbres tirent leurs ressources de la terre. Il recourt à la forme allégorique pour faire passer son message et assimile les hommes respectueux des valeurs de la nature à une forêt qui marche et qui va bientôt submerger la ville et détrôner les faux dieux.

« Car la richesse de l'homme est dans son coeur… Vivre n'exige pas la possession de tant de choses. » (page 147).

  Les envolées lyriques de Giono sont exceptionnelles, il chante et clame la nature avec un talent de poète, dans ce registre il est unique. Pourtant certains passages (notamment le chapitre 2) m'ont semblé un peu trop allégoriques et parfois même sibyllins. Il souhaitait dans ce livre prolonger et affiner le propos de « Que ma joie demeure », mais il utilise finalement les mêmes procédés descriptifs d'une nature en mouvement seule capable d'assurer l'avenir de l'homme. Son texte n'est pas argumentatif, il est aussi un peu utopique et on aura du mal à y puiser les principes d'une philosophie bien structurée. Toutefois l'auteur emporte notre adhésion par son lyrisme, sa force de conviction et ses qualités de narrateur.

  L'essentiel de son oeuvre qui dénonce les travers de notre civilisation dans ses effets dénaturants a été écrit avant 1940, c'est dire à quel point il fait aujourd'hui figure de précurseur des mouvements altermondialistes et écologiques qui se diffusent un peu partout dans le monde.

  Dans cette veine j'ai nettement préféré « L'homme qui plantait des arbres » (1), rédigée en 1953 dans un style plus dépouillé, plus explicite et non moins efficace.

(1) Voir ma note de lecture du 1er juillet 2020.

Bibliographie :

— « Les vraies richesses », Jean Giono, Les Cahiers Rouges Grasset (2018), 158 pages.

Biographie :

— « Giono 1895-1970 », Pierre Citron, Seuil (1990), 665 pages.
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Ceci n'est pas un roman. Ceci n'est pas un essai. Ceci n'est pas une oeuvre philosophique. Ceci est du Giono !
Après avoir écrit Que ma joie demeure, hymne à la nature et à la campagne, il semble que Giono ait eu l'occasion de s'expliquer auprès d'amis intimes sur le sens qu'il donnait à la joie, confortant ainsi les bases qui ont prévalu à l'écriture de son roman (préface).
Cela donne un florilège de belles descriptions, de magnifiques envolées à la gloire de la paysannerie et de la nature, tous deux vivant en parfaire harmonie.
Malheureusement, cette belle harmonie est menacée par la ville et ses miroirs aux alouettes, son argent facile et ses valeurs tronquées. le paysan arrête de faire son pain pour vendre son blé et récolter de l'argent. Il s'éloigne alors des vraies valeurs et perd sa dignité.
Giono ne peut écrire que du Giono. Il va dans l'outrance et on lui pardonne beaucoup. Sa nostalgie bien réelle s'appuie sur un monde en voie de disparition. Les boeufs et le laboureur, les forgerons, le four banal disparaissent au profit de l'agriculture intensive après 1945 (Les vraies richesses est écrit en 1936).
Sa définition de la joie se confond avec celle du bonheur selon Giono. Il suffit de se trouver à sa place, dans le grand puzzle de la nature, au milieu des siens, pour éprouver de la joie.
La joie, c'est se sentir à sa place, en résonnance avec le monde, ne pas être anéanti par la modernité qui nous transforme en êtres malheureux, avides de fausses richesses inutiles et sans vraies perspectives.
Si j'adhère complètement à la vision de Giono concernant ce que devrait être l'humanité, avec ses valeurs d'amitiés, de solidarité et d'entraide basées sur le respect de la nature, du temps et des choses simples mais fondamentales, je suis dubitatif sur certaines envolées où l'on voit la forêt reconquérir les villes puis Paris à grands coups de germination envahissantes et sans contrôle. Je préfère considérer cela comme une gigantesque poésie dans laquelle les émotions l'emportent sur le réel, C'est cela aussi Giono, magnifier le simple ou le pathétique pour en sortir une poésie débridée qui s'écoule comme un fleuve tortueux et puissant.
Il reste un style incomparable, une générosité et une vision originales. Les vraies richesses sont celles des pages de Giono, écrivain du terroir, sincère témoin d'un monde rural maintenant disparu vers lequel tant de gens voudraient retourner, mais en vain. On ne refait pas ce qui a été défait. On refait autrement. C'est la leçon qu'on peut tirer de cet ouvrage dense et généreux. L'humanité porte en elle une intelligence du coeur qui peut entrer un jour à nouveau en résonance avec le monde dans lequel elle vit… Avant qu'il ne soit trop tard…

Michelangelo 2016

Lien : http://jaimelireetecrire.ove..
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Si vous souhaitez explorer les tréfonds de l'âme paysanne de Jean Giono, découvrir sa pensée profonde et sa conception de la vie, laissez vous tenter par la lecture des Vraies richesses.
Certains passages peuvent être assez difficiles, Giono y déploie son lyrisme et son imagination sans retenue, d'autres sont plus limpides et vous donneront des frissons (si vous partagez un tant soit peu sa vision bien sur). Ce court essai où nous suivons l'auteur en ville puis à la campagne est un pamphlet impitoyable contre la civilisation de l'argent et une apologie de la vie paysanne stoïcienne et de ses valeurs éternelles.
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Dans Que ma joie demeure, nous avions laissé Bobby redescendre de sa montagne, en très mauvaise posture. Ce livre faisait l'apologie des bonheurs innocents, de vivre en communauté sur un petit plateau montagneux. de partager avec les hommes le nécessaire, de ne pas produire à outrance et de sortir du système de productivité venimeux qui n'entraine que l'argent. En gros sortir de l'esclavagisme du capital dans lequel ils commençaient à être entrainé.
Dans ce nouveau livre, Les vraies richesses, Giono nous parle directement, en montrant les bons et mauvais côtés des lieux où il se rend.
Nous le suivons dans son hôtel parisien ; il y voit les gens aller travailler, et il s'imagine aller les soutenir moralement. En tout cas, à ceux qui rêvent encore de nature. (Je vous rappelle qu'actuellement vous pouvez rencontrer des enfants parisiens qui n'ont jamais vu une vache : testé et approuvé). Il leur donne de l'espoir par les mots, un peu de nature glissé dans l'oreille.
Il nous montre la corruption de l'argent, la corruption des patrons, notre introduction dans le système. Nous travaillons doucement pour quelques bouts de papier, puis nous nous retrouvons à ne faire que ça pour subvenir à nos besoins. Il dénonce l'esclavagisme dans lequel nous sommes tombés.
C'est ensuite qu'il nous parle des hameaux environnant sa ville, où il se rend souvent. Où les gens se sont arrêtés d'aller vendre le grain. Qui vont cuire le pain ensemble. Qui le partage ensemble avec un bon petit verre de vin. Là où il fait bon vivre.
Bien sûr tout cela est utopique, mais peut fonctionner sur de court temps. Ces gens l'ont montré. Jean Giono ne nous demande pas de tout abandonner, juste de ne pas oublier que l'on pourrait être beaucoup plus heureux en revenant à la nature et en l'écoutant…
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Citations et extraits (48) Voir plus Ajouter une citation
Pour ceux qui sont nés en captivité, la liberté n’est plus un aliment.

Dans cette ville où les hommes sont entassés comme si on avait râtelé une fourmilière, ce qui me frappe, me saisit et me couvre de froid mortel, c’est la viduité. Sentiment d’une avilissante solitude.

Jusqu’à neuf heures du matin, la rue sert de couloir à ceux et celles qui vont au travail. Le travail ici n’est plus à la mesure de l’homme, ni de sa joie, ni de son cœur. Il est devenu laid, inutile et dévorant. Il semble n’exister que pour user de la matière humaine. Il ne fonctionne plus suivant les lois naturelles de la transformation. Il ne se sert plus de l’admirable sens ouvrier de l’homme. Il est impersonnel, collectif ; plus que tout il donne l’impression du vide et de l’inutile, et il détruit chaque jour la beauté de la vie chez plus d’un demi-million d’être vivants. Rien de ce qu’il crée n’a de qualité. Les objets fabriqués que je touche ont d’invisibles bavures où s’accroche et s’irrite la peau de mes doigts. Aucun ne fait jouir mes mains. Leur matière est agonisante. L’ouvrier n’a eu ni le temps, ni l’envie ; il n’a plus l’esprit de conserver la vie à la matière qu’il travaille. Il est vrai que la plupart du temps celle qu’on lui donne est ingrate et de petite santé. On ne veut pas faire beau. On veut faire vite, bon marché et beaucoup. Ces pauvres choses me proposent d’intervenir dans mon confortable. Elles ne peuvent rien me donner. Mais je ne les repousse pas. Je les regarde avec tristesse comme le bois d’une croix sur laquelle on crucifie inutilement des hommes et des femmes.

Je suis le compagnon en perpétuelle révolte contre ta captivité, qui que tu sois, et si tu n’es pas révolté toi-même, soit que le travail ait tué toutes tes facultés de révolte, soit que tu aies pris goût à tes vices, je suis révolté pour toi malgré tout pour t’obliger à l’être.

Car il faudrait si peu de chose pour que soit réalisé ce que vous désirez sans le savoir, et pour vous faire exactement semblables à moi-même : vous débarrassez de votre ville.

Je vais à pied. Je me sens tout dépaysé par la dureté du trottoir et le balancement des hanches qu’il faut avoir pour éviter ceux qui vous frôlent. Je marche vite et je dépasse les gens qui vont dans ma direction ; mais quand je les ai dépassés je ne sais plus que faire, ni pourquoi je les ai dépassés, car c’est exactement la même foule, la même gêne, les mêmes gens à toujours dépasser sans jamais trouver devant moi d’espaces libres. Alors, je romps mon pas et je reste nonchalant dans la foule. Mais ce qui vient d’elle à moi n’est pas sympathique. Je suis en présence d’une anonyme création des forces déséquilibrées de l’homme. Cette foule n’est emportée par rien d’unanime. Elle est un conglomérat de mille soucis, de peines, de joies, de fatigues, de désirs extrêmement personnels. Ce n’est pas un corps organisé, c’est un entassement. Il ne peut y avoir aucune amitié entre elle collective et moi. Il ne peut y avoir d’amitié qu’entre des parties d’elle-même et moi, des morceaux de cette foule, des hommes ou des femmes. Mais alors, j’ai avantage à les rencontrer seuls et cette foule est là seulement pour me gêner. Le premier geste qu’on aurait si on rencontrait un ami serait de le tirer de là jusqu’à la rive, jusqu’à la terrasse du café, à l’encoignure de porte, pour avoir enfin la joie de véritablement le rencontrer.
Elle est comme une solitude. Mais elle est une solitude qui ne vous appartient pas, inféconde ; une solitude qui est séparation et non pas union du meilleur de l’esprit à travers les distances, une solitude qui n’est pas harmonie et divin concert, mais le silence total de l’âme par l’étouffement.

De tous ces gens-là qui m’entourent, m’emportent, me heurtent et me poussent, de cette foule parisienne qui coule, me contenant sur les trottoirs devant la Samaritaine, combien seraient capables de recommencer les gestes essentiels de la vie s’ils se trouvaient demain à l’aube dans un monde nu ?
Qui saurait orienter son foyer de plein air et faire du feu ?
Qui saurait reconnaître et trier parmi les plantes vénéneuses les nourricières comme l’épinard sauvage, la carotte sauvage, le navet des montagnes, le chou des pâturages ?
Qui saurait tisser l’étoffe ?
Qui saurait trouver les sucs pour faire le cuir ?
Qui saurait écorcher un chevreau ?
Qui saurait tanner la peau ?
Qui saurait vivre ?
Ah ! C’est maintenant que le mot désigne enfin la chose !
Je vois ce qu’ils savent faire :
Ils savent prendre l’autobus et le métro.
Ils savent arrêter un taxi, traverser une rue, commander un garçon de café ; ils le font là autour de moi avec une aisance qui me déconcerte et m’effraie.
Je suis effrayé comme je l’ai été au zoo de Berlin devant la cage du gorille quand j’ai vu la bête s’asseoir sur une chaise, en face d’une table, et attendre sa pâtée.
- Comme un monsieur, dit quelqu’un qui m’accompagnait.

Saint Jean qu’on ne voit pas, saint Jean que le peintre ne représente pas dans cette plaine qui est toute la tragédie de saint Jean – et la nôtre – la tragédie de l’entrelacement et de la multitude des routes, de la multiplication de l’incertitude des chemins et de la nudité de la richesse, ce faux désert à travers lequel celui qui ne « gagne » pas s’ensevelit comme dans des sables mouvants.

Tout roule ici dans une loi implacable de machine. Et les trains incessants alimentent les foyers. La vie brûle tout le temps dans le corps des habitants de la ville, non plus pour la joie de la flamme mais pour l’utilisation de la flamme. La vie de chacun doit produire, la vie de chacun n’a plus son propriétaire régulier, mais appartient à quelqu’un d’autre, qui appartient à la ville. Une chaîne sans fin d’esclavage où ce qui se produit se détruit sans créer ni joie ni liberté. Alors, à quoi bon ? Mais je suis seul à parler dans la rue et personne ne m’entend. Personne ne peut m’entendre car les hommes et les femmes qui habitent cette ville sont devenus le corps même de cette ville et ils n’ont plus de corps animal et divin. Ils sont devenus les boulons, les rivets, les tôles, les bielles, les rouages, les coussinets, les volants, les courroies, les freins, les axes, les pistons, les cylindres de cette vaine machine qui tourne à vide sous Sirius, Aldébaran, Bételgeuse et Cassiopée. Ils sont comme de paillettes de métal dans le corps des pièces principales. Ils ne seront jamais plus alimentés de liberté, jamais plus.

Au fond, il s’agit surtout de laisser entrer la vie dans ce qui est devenu machinal et mécanique.

Ils avaient l’habitude d’attendre des ordres pour vivre. Maintenant, ils se sont décidés à vivre, humblement, de leur propre gré, sans écouter personne, et voilà que tout s’est éclairé, véritablement, comme quand on a trouvé l’allumette et la lampe, que la maison s’éclaire, qu’on sait enfin où porter la main pour trouver les choses nécessaires ; comme aussi quand l’aube s’allume dans une plus vaste habitation que la maison et qu’à l’endroit où le monde était fermé et noir sous une boue de nuit, les vallées, les fleuves, les collines et les forêts se découvrent avec toute la joie de vivre.

Il faut d’abord dire que nous sommes des paysans pauvres. Nous n’avons pas des champs immenses, nous ne sommes pas venus à cette conception moderne de la spécialisation. Nous n’avons pas des spécialités de plantes : rien que des vignes, rien que du blé, rien que des pommes de terre. Non, nous cultivons un peu de tout. Nous n’avons jamais dit : « notre exploitation agricole. » Nous disons : « notre ferme ». C’est une maison des champs qui tire toute sa vie de la terre.

On a dû te dire qu’il fallait réussir dans la vie ; moi je te dis qu’il faut vivre, c’est la plus grande réussite du monde. On t’a dit : « Avec ce que tu sais, tu gagneras de l’argent. » Moi je te dis : « Avec ce que tu sais tu gagneras des joies. »

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On a dû te dire qu'il fallait réussir dans la vie; moi je te dis qu'il faut vivre, c'est la plus grande réussite du monde. On t'a dit: "Avec ce que tu sais, tu gagneras de l'argent." Moi je te dis: "Avec ce que tu sais tu gagneras des joies." C'est beaucoup mieux. Tout le monde se rue sur l'argent. Il n'y a plus de place au tas des batailleurs. De temps en temps un d'eux sort de la mêlée, blême, titubant, sentant déjà le cadavre, le regard pareil à la froide clarté de la lune, les mains pleines d'or mais n'ayant plus force et qualité pour vivre; et la vie le rejette. Du côté des joies, nul ne se presse; elles sont libres dans le monde, seules à mener leurs jeux féeriques sur l'asphodèle et le serpolet des clairières solitaires.
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Le monde portait les hommes quand il était revêtu de son inextricable forêt. Alors, générateurs de sources et d’ombres, ses halliers encombraient les chemins ; la paix et la joie marchaient à notre pas ; l’esprit a fait du monde ce désert nu, couvert de dunes de sable penchées de même pente l’une sur l’autre, jusque par-delà les quatre horizons. Avant de vous donner ma vraie réponse, je voulais vous faire comprendre que les hommes ne peuvent pas se passer d’habitations magiques.
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Naturellement, pendant ce temps, au fond du pays, autour de tous ces entrepôts où l'on dénature, la foule des hommes qui meurent de faim gémit et gronde comme une forêt battue de vent, et de temps en temps des arbres s'écroulent et tombent sur la terre pour être la proie des vers; et naturellement, bientôt, le meilleur de ce peuple n'aura plus de feuillage, ni d'oiseau, ni de joie ; bientôt le meilleur de ce peuple - qui est exactement ce qu'on a appelé le populaire - n'aura plus ni force ni courage, car, pour vous qui n'êtes pas le populaire, mais qui êtes les riches et les forts, l'Etat, la société, votre société, votre social, il ne s'agit plus de manger ou de faire manger, mais votre seul souci est de faire produire de l'argent. Et on est arrivé à pervertir même parmi les meilleurs, les paysans, cette bonne partie de nous-mêmes, si bien qu'ils disent : "Je ne ferai plus de blé, je ne sèmerai plus de blé. Ça ne rapporte pas . Ça ne se vend pas. Celui que j'ai, je le donnerai aux poules. Je vais le verser dans la soue des cochons." il fut un temps où le blé était si précieux qu'on le demandait aux dieux dans les prières à côté des grandes qualités spirituelles. On le mettait sur le même pied que le pardon des offenses, la résistance aux tentations, la délivrance du mal. Voilà que vous avez été exaucés. Le pain quotidien vous est donné et vous criez : "Éloignez de nous l'abondance, faites régner la famine, ainsi soit-il!"
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Ce dont on te prive,
c'est de vents,
de pluies,
de neiges,
de soleils
,de montagnes,
de fleuves et de forêts:

les vraies richesses de l'homme.
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Denis Infante a publié son premier roman Rousse publié aux éditions Tristram le 4 janvier 2024. Il raconte l'épopée d'une renarde qui souhaite découvrir le monde. Un ouvrage déroutant par sa singularité. Son histoire possède la clarté d'une fable et la puissance d'une odyssée et qui ne laissera personne indifférent. L'exergue, emprunté à Jean Giono, dit tout de l'ambition poétique et métaphysique de ce roman splendide : "Dans tous les livres actuels on donne à mon avis une trop grande place aux êtres mesquins et l'on néglige de nous faire percevoir le halètement des beaux habitants de l'univers."
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