Prix Nobel de Littérature 2019
Attention écriture somptueuse ! Ample et poétique, évocatrice et profonde, une écriture qui frappe, qui étonne et qui satisfait le lecteur. Bien que les sujets traités soient assez différents, on ne peut s'empêcher de penser à
Marcel Proust, question de rédaction, mais aussi de point de vue ; partir de soi, décortiquer sa propre vie fut-elle "banale" et quotidienne pour aller vers le général, vers l'Homme universel.
Sous-titre du livre : "Un conte des temps nouveaux". Il y a certainement différentes interprétations possibles à ces titre et sous-titre, tout n'est pas toujours parfaitement simple à comprendre dans ce qu'écrit Mr
Handke bien qu'il s'attache à donner des raisons, explications, et commentaires : réflexions sur la vie, le temps qui passe et les changements (métamorphoses ?) qu'il entraîne, observations et descriptions des lieux habités et de ceux souvent fréquentés rues, forêts, bistrots...
C'est à une sorte d'aventure intérieure que se livre
Peter Handke, et dans laquelle il nous invite à le suivre ; il se met à nu, avec sincérité et honnêteté. On comprend que c'est un homme qui, s'il se pose beaucoup de questions, s'il doute sur le sens de sa vie et sur ses relations avec les autres, se sent assez libre de ses choix et de ses opinions.
Ce qui intéresse cet auteur : comment vivre le quotidien, chercher la "tranquilité de l'âme", suivre de loin ses amis dans leurs voyages et leur prêter des aventures qu'il imagine ? dont il a été témoin en d'autres temps ? Parmi les amis dont il nous entretient il y a le charpentier et architecte, le lecteur, le chanteur, Valentin le fils, le peintre cinéaste, le curé de Rinkolach, l'amie Hélèna et le prophète mesquin de Porchefontaine, tous hauts en couleur et de commerce peu facile. Quand il nous en parle, est-ce une illusion de croire que
Peter Handke devient un peu chacun d'eux, se glisse dans leur peau pour nous les faire mieux comprendre ?
Ses promenades forestières sont omniprésentes, accompagnées des descriptions de ce qu'il voit, et il a une acuité de regard étonnante : accouplements de lézards, battailles à mort d'abeilles sauvages et migrations de crapauds ne lui échappent pas. Ce grand marcheur, qui parcourt des dizaines de kilomètres chaque jour, est un curieux qui aime les habitudes mais aussi être surpris ; et pourtant " j'ai été harcelé toute ma vie, le plus douloureusement, par le fait que le monde était inaprochable, insaisissable, inaccessible, et qu'il m'excluait. C'était là mon problème essentiel" dit-il p 210.
Ce compte-rendu d'une année passée dans sa propriété de Chaville, dans les Hauts-de-Seine, près de Paris - en tout cas, c'est le projet initial du livre - avec sa femme amie-ennemie la Catalane, a été écrit le plus souvent en forêt ; c'est là, blotti dans le sous-bois, qu'il lui était semble-t'il le plus possible d'écrire sa chronique de la vie chavilloise en 1997, avec les rencontres d'ouvriers migrants et de SDF, la recherche de champignons, les messes du dimanche dans la petite église russe surchauffée, et tout ce qui peut arriver au jour le jour à un homme ouvert à son environnement.
Premières phrases : " J'ai fait une fois dans ma vie, jusqu'à présent, l'expérience de la métamorphose. Auparavant, elle n'était pour moi qu'un simple mot, et lorsqu'elle commença, non pas doucement, mais d'un seul coup, je la pris d'abord pour ma fin. Elle m'atteignit comme un arrêt de mort. Tout à coup, il n'y eut plus à ma place un être humain, mais un déchet pour lequel, à la différence du célèbre conte fantastique pragois, n'était même plus possible la fuite dans les images, aussi effrayantes qu'elles fussent..."
C'est très intéressant et très agréable de re-découvrir son lieu de vie (une des deux bouquineuses habite Chaville...) dans un texte comme celui-ci : voir à travers les yeux de l'écrivain et concevoir comment il traduit ce qu'il observe, souvent plusieurs fois, en récit :
Extrait (p 521) : " La ligne des collines tout autour ne fournit pas seulement un cadre aux constructions de la baie, elle fait partie intégrante de son image. Sans elle, un horizon arrondi qui les domine doucement, les maisons seraient là comme seules, chacune étant en quelque sorte un phénomène lacunaire. Sans cet arrière-plan de collines boisées présent de toutes part, il manquerait à l'agglomération quelque chose qui constitue la singulière communauté, sinon des habitants, du moins des résidences."
Une littérature à découvrir, de très bons moments de lecture.
Lien :
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